vendredi 30 septembre 2011

41- le séisme

Le vieux docteur Freud tremblait. Ça ne se voyait pas, ça se sentait. Je percevais des secousses intermittentes, celles qui suivent un séisme important. La confidence de Freud ne m'a pas surpris:

" Hier, nous avons failli perdre notre fille Anna. Ma seule stupidité aurait été responsable de sa mort. J'en frissonne encore".

- " Expliquez-moi, docteur..."

- " La veille au soir, la Gestapo est venue cueillir Anna. Durant les 24 heures qui ont suivi, ma femme et moi nous avons été sans nouvelles de notre fille. Nous pensions à nos amis déportés à Dachau. Je ne pouvais pas me pointer aux bureaux de la Gestapo, j'aurais bousillé les minces chances qu'elle avait encore de se sortir de leurs griffes.  Je ne pouvais pas non plus faire appel à tout ce réseau d'amis influents qui s'empressent de m'aider: la plupart avaient eu la sagesse d'émigrer, les autres attendaient le pire, eux-aussi. Vous ne pouvez pas savoir l'angoisse qu'on a vécue, durant ces 24 heures. "

J'ai laissé parler mon hôte, il avait besoin d'aller au bout de sa confidence:
" Je me suis tellement haï de m'être buté à ne pas quitter Vienne. Je m'étais bouché les oreilles et l'entendement, alors que tout le monde insistait pour que nous partions au plus vite. "

Je me suis risqué à lui poser cette question, comme il l'aurait fait à un de ses patients:
" Docteur, qu'est-ce qui vous retenait à Vienne?"

- " Je me suis torturé avec cette question, pendant le jour et la nuit de l'attente.  Je me demandais quelle force avait été assez grande pour que je risque ainsi la vie de mes proches..."




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