mercredi 14 septembre 2011

30- le cerveau qui écrit

" Comme c'est curieux... Vous avez nommé Virginia, au moment-même où j'allais vous parler d'elle..."  Galilée déposa sa pipe, laissa passer un temps de silence.  Les volutes de fumée disparaissaient lentement. Puis il reprit le fil de ses idées:  " Virginia ne me parlait pas.  Elle m'écrivait. Depuis qu'elle a su écrire, elle m'a écrit des lettres.  Elle avait découvert qu'elle pouvait me dire beaucoup plus de choses, et d'une manière qui était différente, en m'écrivant. J'ai des centaines de lettres de Virginia.

" Au début, je croyais que c'était un jeu d'enfant:  j'entrais dans son jeu, je répondais à ses lettres. Puis j'ai fait la découverte étonnante qu'on a un double cerveau. Le Galilée qui écrit n'est pas celui qui parle. Dans une conversation, j'utilise des mots qui ne sont pas les mots de l'écriture.  Un vocabulaire différent se présente sous ma plume. Des idées et des émotions différentes aussi. Il n'y a pas deux Galilée, évidemment, mais j'ai découvert qu'il y a des strates différentes qui s'expriment chacune à leur manière. Je crois que notre cerveau est comme un théâtre où plein de personnages entrent en scène.

" Quand j'écrivais à Virginia, je vivais un autre roman. Nous ne sommes pas un livre mais plusieurs livres. Nous ne sommes pas une seule histoire... J'ai donc vécu une relation très spéciale, très particulière, avec ma fille Virginia, parce que nous nous écrivions toujours.  Échanger avec des paroles nous semblait vide, d'une certaine manière. Tenez, nos lettres, c'était comme s'exprimer avec une musique, avec des mélodies.  L'écriture est un langage tactile, matériel, qui touche les yeux comme une sculpture animée, qui laisse la trace de ses pas.

" Nous choisissons beaucoup de ces choses surprenantes qui nous arrivent. Ce procès de l'Inquisition, j'aurais voulu lui échapper, me trouver en Hollande plutôt qu'à Rome. Et pourtant, sans doute que j'ai choisi de vivre ce procès et cet emprisonnement. Ce n'est pas notre tête qui fait cette sorte de choix. C'est notre intuition profonde, celle qui dirige le sens de notre vie.

" Cette sentence de l'Inquisition, elle m'a ramené ici, et seulement ici. J'étais donc tout proche de Virginia, chaque jour, car son couvent est voisin d'ici.  Tout proche d'elle, cette première année de mon emprisonnement, qui a été la dernière année de la vie de Virginia.  Ma prison m'a permis de ne pas m'échapper ailleurs. Cette prison m'a ramené là où je devais être, proche de Virginia, pour vivre avec elle les derniers mois de sa vie.


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