jeudi 17 mai 2012

Bouscouyou breton

Dans tous les dictionnaires possibles et impossibles, j'ai cherché  Bouscouyou. Il existe, ce mot: en Louisiane, au bout du Mississippi, ce mot désignait ces étranges racines aériennes des cyprès de là-bas. Je vous assure qu'il n'est pas question de racines d'arbres ni de branchages, dans le bouscouyou que je cherche.

Charles, mon père, y tenait à ce mot: c'était un lien qui le rattachait à sa grand-mère Henriette. Charles me disait qu'Henriette se coiffait d'une capine de dentelle pour dormir. Les nuits étaient froides dans cette maison de Belle-Rivière, tout près de Ste-Scolastique. Il parlait en témoin qui n'invente pas, Charles: il avait été élevé par la grand-mère. Je ne sais pas pourquoi Clémentine et Ferdinand, les parents de Charles, l'avaient expédié, bébé, chez Henriette.

Elle s'appelait Henriette Fauvel dit Bigras. En lisant un volume où Julien Bigras raconte ses ancêtres, j'ai compris: elles avaient acquis un fichu caractère, il le fallait bien. Leurs dignes époux étaient toujours absents: coureurs des bois comme Pierre-Esprit Radisson (un autre de mes ancêtres) et coureurs d'indiennes.

C'est en 1867, dans l'église de Ste-Scholastique, qu'Henriette avait épousé Clément Poirier. Dans la même église, en 1899, leur fille Clémentine épousait un gars de Québec, Charles-Ferdinand, accordeur de piano. Je vous assure que Clémentine, ma grand-mère, même si elle portait le nom de Poirier, c'était une Bigras.

Clémentine, qui me chantait des chansons en Iroquois... elle aurait pu m'instruire sur les bouscouyous que mettait Henriette pour dormir l'hiver. J'aurais appris s'il faut consulter un dictionnaire iroquois ou breton pour retrouver le mot. Pour le moment j'en suis réduit à lire que ça désigne des branches d'arbres, des racines en Louisiane! Henriette n'apprécierait pas.



lundi 14 mai 2012

Panne sèche ou humide

Faut-il continuer ce blog? Je vois bien que je mets les freins, comme si je boudais cette écriture. " Je suis ce frein, pas de blâme".

Mon amie Isabelle s'inquiète pour moi. Elle a raison, car je suis inquiet moi-aussi, de cette tendance à quitter cette communication du blog.

Il y a un peu plus d'un an, Isabelle m'avait fait un cadeau: le volume de Patti Dight : Life is a verb.  Ce geste d'Isabelle m'avait relancé dans le dessin et l'écriture. Je m'étais remis aux exercices d'écriture automatique (les trois pages chaque jour) et au dessin: j'avais rempli toutes les pages d'un bouquin de sudoku avec ces dessins... Vous voyez, on ne sait jamais comment un geste d'amitié nous lance dans une aventure de créativité. Merçi Isabelle.

Ce soir elle me communique de nouveau l'idée d'un exercice qui se trouve dans ce bouquin (Life is a verb). Il s'agit de marcher lentement, avec les mains ouvertes, des mains qui reçoivent. Comme de raison, j'ai suivi le conseil d'Isabelle, et j'ai fait l'exercice.

Mon chien Charlot s'est mis à me lécher les mains. J'ai reçu son affection! Recevoir ce qui est.

Sans doute qu'il est plus difficile de recevoir que de donner. J'envoie des ondes aux gens auxquels je pense: "cette personne existe maintenant quelque part", et cet envoi la rejoint. Ça m'est facile, cet exercice qui me ramène au présent quand l'imagination vagabonde. Mais recevoir?

Se souvenir de ce qu'on a reçu, ou bien espérer recevoir dans un avenir, c'est risquer gros, vu que ça n'existe pas. J'aime mieux recevoir ce qui existe en ce moment précis de tout de suite. C'est le seul point d'appui sur ce merveilleux cadeau d'exister. Merveilleux dans le sens de grandiose.

Le dessin que j'inclus dans ce blog d'aujourd'hui, je l'avais fait dans un caféteria commercial: les Halles sur la rue Cartier à Québec. Tout un espace étonnant, et le va et vient des cabarets... L'heure du midi, les travailleurs du coin. Si on regarde derrière soi, il y a une fleuriste: j'y avais acheté des fleurs après ce dîner rapide. En faisant ce dessin, je n'étais pas encore conscient de ces fleurs derrière moi. C'est seulement en quittant le coin de bouffe que je m'étais approché des fleurs.

Il est plus facile de donner des fleurs que d'en recevoir. Pour les recevoir, il faut s'en approcher, s'arrêter, en avoir la surprise. C'est ça, recevoir des fleurs, du moins celles qui existent ces jours-ci, car c'est le printemps. J'ai vu une trille étonnante, blanche avec lizéré rouge, qui me regardait en pleine face. C'était à la fin de la marche avec Charlot, à l'heure du souper, au bout du sentier.



lundi 7 mai 2012

Le chinois

Je suis à lire le roman d'Henning Mankell: Le chinois  (the man from Beijing).  Mais c'est autre chose qu'une lecture. Quel mot utiliser? Quel mot vous viendrait à l'esprit pour décrire cette sorte de plongée dans ce monde?  Une sorte de transe où la peur est présente. Pas cette sorte de peur habituelle, celle des suspenses policiers. Autre chose de plus sérieux. La peur quand toute une société est inhumaine. Se peut-il que ce soit nous?  Il est fort, Mankell, pour écrire un tel roman. Je suppose que les grands romanciers du 19 ième siècle, ceux qui décrivaient la misère crasse des familles exploitées par l'industrie naissante, ils avaient le même souffle, la même tourmente.

Cela me ramène à celui que vous aimez avec moi: Vincent Van Gogh. Dans sa dernière lettre envoyée à son frère Théo, il disait l'intensité de son travail:

..." Eh bien, mon travail à moi, j'y risque ma vie, et ma raison y a sombré à moitié..."

Ce Van Gogh, il me fait penser à Marie Curie. Elle-aussi, elle risquait sa vie, en maniant ainsi le radium.

Ces oeuvres, celle de Van Gogh et celle de Marie Curie, elles n'auraient jamais abouti sans cette sorte de détermination. Tous les deux, ils habitaient le silence de leur travail. De véritables explorateurs.

Quand je lis Mankell, je sens qu'il y met le meilleur, comme un grand artiste.



dimanche 6 mai 2012

La pipe de Van Gogh

Finalement, ça prend peu de choses pour tenir à la vie... Vincent Van Gogh, qui lisait et admirait Dickens, avait recopié une recette de l'écrivain: un verre de vin, un morceau de pain, du fromage, et une pipe de tabac. Avec cette recette, on éloignait l'idée du suicide. À prendre tous les jours, disait Van Gogh.

Cette journée-là, la recette n'avait pas suffi. Le malheur était trop grand, trop pesant. C'était au bout de 70 jours où Van Gogh avait produit 70 toiles. Mais les gens n'appréciaient pas: absolument rien ne se vendait. Il y avait 550 de ces toiles qui étaient remisées, entreposées... Un tipping point... Il y avait une limite à être à la charge de son frère qui était sur le point de laisser son travail.

C'était absurde et cruel, disait Van Gogh: "les toiles des peintres prennent de la valeur quand les peintres meurent". Il le savait pour l'avoir constaté. Alors, ses toiles, est-ce qu'il fallait qu'il meure pour que les gens les apprécient?

Après sa mort, on a trouvé sur lui un brouillon de lettre non envoyée. Sur ce brouillon, il demandait à son frère s'il en était rendu à attendre sa mort qui allait donner du prix à tous ces tableaux qu'il possédait... C'était des pensées qui ne s'envoient pas: Vincent les avait omises dans la lettre jetée à la poste.

Le docteur Gachet était venu voir le grand blessé. Il avait jugé qu'il n'y avait plus rien à faire. Vincent lui avait demandé un service: celui de bourrer sa pipe et de l'allumer pour lui. Puis, en paix, Vincent avait fumé sa pipe.

Le lendemain, Théo était arrivé de Paris. Les deux frères avaient causé un peu. Puis Théo s'était étendu sur le lit, et Vincent avait posé sa tête sur les bras de son frère, comme un oreiller. C'est ainsi que Van Gogh est mort. Tout était très bien, à ce moment de fin de vie, pour Vincent.

Peu de vies me touchent autant que celle de Vincent Van Gogh.










mardi 1 mai 2012

Intermède. Suite 9. Feux les calumets...

 " Mets-ça dans ta pipe!"... (rentre-le dans ta caboche, et tâche d'y penser)... "Il s'est cassé la pipe"  (... il est mort...)  " Il y avait combien de têtes de pipe à cette assemblée?"  (combien de personnes?)  Ces expressions nous identifient au tabac... pourquoi?

Il ne faut pas ramener l'univers du tabac au tabagisme. Les campagnes si intensives qui tâchent de déraciner l'habitude de fumer, pour des raisons de santé, elles ont évidemment de bonnes intentions, mais elles sont facilement inhumaines. Vous trouvez que je charrie? Elles sont inhumaines, car l'humain vit son humanité, depuis des millénaires, avec la fumée.  Démoniser la fumée, cracher sur elle comme de la pollution, c'est aussi bête que de vouloir enlever le rêve, vouloir empêcher les humains de rêver.

Si vous ouvrez le Dictionnaire des symboles (collection Bouquins, éditeur Robert Laffont), lisez ces pages sur la fumée, le tabac, la pipe. Vous trouverez tout le sérieux de notre histoire "spirituelle", celle de tous les peuples depuis l'invention du feu, notre histoire d'amour avec l'univers, avec ce monde qui existe.

La fumée monte.  Nos ancêtres (les très anciens et les plus récents), d'instinct, ils faisaient monter des prières avec cette fumée. On en a fait autant dans nos églises, avec notre encens: à l'époque pas si lointaine, le thuriféraire était le servant de messe, l'enfant de choeur, qui tenait l'encensoir au bout de trois chaînes. Ça accompagnait les grands moments de la vie, les fêtes des saisons dans les cérémonies.

Heureusement qu'on connaissait aussi la fumée qui monte, en dehors des églises. D'une façon, cela civilisait: s'arrêter pour fumer tranquillement et regarder ces volutes de fumée. Ou mieux: rêver en regardant les flammes d'un feu de camp, un feu de foyer. Ça n'a pas besoin de mots. Ça nous rejoint directement.

La preuve que ça civilise: ça attire les chants, la musique. Réal sortait sa guitare, ou bien sa ruine-babine (son harmonica). Il avait même une bombarde! (Je vais dire une méchanceté: ça valait mieux que des discussions politiques). Ça touchait le coeur et pas seulement l'esprit.

Le feu, la fumée qui monte, ces rituels avec ou sans tabac, ça permet le rêve. Le cerveau humain aime bien respirer l'air frais, mais curieusement il savoure le rêve, depuis des millénaires, autour d'un feu.  Comme c'est le soir, il découvre des milliers d'étoiles, ce monde qu'on habite en aveugles. Il découvre du silence qui se regarde.



lundi 30 avril 2012

Intermède. Suite 8. Feux les calumets...

On y arrive, on y arrive, aux calumets. Du moins on s'en approche, il y a de la fumée dans l'air... J'ai ouvert le gros dictionnaire historique, celui qui nous dit comment parlaient les ancêtres, et ce qui en reste (pas des ancêtres).  Tentez l'expérience, ouvrez ce mastodonte au mot "tabac".

Ça nous conduit à deux endroits ensoleillés: Haïti et le Brésil. Deux places où nos explorateurs de la belle époque de Jacques Cartier, vers 1550, regardent les Indiens fumer leurs pipes et leurs grands cigares. Les Arouaks d'Haïti parlent de Tsibatl en montrant leurs pipes allumées, et les voyageurs européens entendent Tabacco.

Au Brésil, les Indiens nomment Petyn ce qui deviendra Petun, pour désigner ce qu'on fume. André Thevet, en 1557, en rapporte des plants pour cultiver et fumer dans le vieux continent. "On pétune"... Écoutez la tirade de Cyrano de Bergerac:
" Cà, monsieur, lorsque vous pétunez,
" la vapeur du tabac vous sort-elle du nez
" sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée?"

Au nord de la France, Bretons et Normands gardent ce mot de petun jusque tard au 19ième siècle. Pas étonnant que les colons au Québec, venus de ces coins de France, aient gardé le mot.

Mais c'est Tabacco qui gagne. Est-ce dû à Jean Nicot, ambassadeur français au Portugal, qui popularise " l'herbe à Nicot" (la nicotine) auprès de la Cour royale? Chose certaine, André Thevet est furieux de se faire voler le crédit par ce Nicot. Ces Messieurs de la Noblesse fumeront le tabac.

Autre singularité... Vous savez que fumer, c'est silencieux, calme, apaisant. D'où vient alors qu'on parle de tabasser les étudiants qui manifestent, de passer à tabac ceux qu'on veut intimider? Le tabac a-t-il une violence cachée?

Les continents dérivent, et les mots aussi se permettent des glissements. Taba existait avant Tabac. C'était au moins trois siècles avant le tabac d'Haïti et le Petun du Brésil. Du temps de Jeanne d'Arc. Tabu, tabuster, tabaster... ça signifiait du tapage: frapper, faire du tumulte, secouer.

On peut dire que la main de fer (tabu) s'est glissée dans le gant de velours (tabac): c'est aussi au 19ième siècle que l'argot français parle de tabac pour violence. On peut dire que le Gaulois se glisse dans le Français. Tabac devient paradoxal, apaisant et belliqueux à la fois. (à suivre)



dimanche 29 avril 2012

Intermède. Suite 7. Feux les calumets...

J'ai tordu le bras à mon ami Gilles, pour qu'il m'envoie un texte sur le tabac. Il tient parole, Gilles. Je ne garde pas son texte pour moi, je vous le partage. Le titre:  Le tabac et Roméo.

... De mes yeux d'enfant, le tabac a toujours fait partie de la routine quotidienne de mon père Roméo. Chaque soir, après le souper, Roméo restait au bout de la table (c'était "sa" place dans la maison), sortait sa boîte en métal, son long papier blanc et sa machine à cigarette. Dans moins d'une heure, il "roulait" une vingtaine de cigarettes. C'est à ce moment qu'il jasait de tout et de rien. Je connais sa production parce que je prenais plaisir à compter ses grandes cigarettes. Parce qu'elles étaient très longues, ses cigarettes!

La machine comportait en effet deux rouleaux de toile d'environ 20 pouces (50 cm) de long. Le mécanisme enserrait le tabac, le roulait dans un papier aussi long que la machine puis crachait une interminable cigarette sur un tablier mobile muni de quatre lames de rasoir disposées à égale distance. En actionnant le tablier vers l'avant, la cigarette était alors sectionnée en cinq parties égales, formant ainsi autant de cigarettes prêtes à allumer.

Mon père n'avait installé que deux lames sur cinq. À chaque mouvement du tablier, il se retrouvait donc avec deux cigarettes "double longueur" et une cigarette de longueur normale. Les cigarettes normales étaient réservées aux rencontres civilisées, tandis qu'il fumait ses longues à l'usine.

Toutes coupées au format standard, ça aurait fait une centaine de cigarettes par jour. La statistique et sa machine ont eu raison de lui: à 65 ans, Roméo mourait d'un cancer de la gorge. Il avait sûrement les poumons aussi noirs que le charbon, mais l'histoire ne le dit pas. Quant à moi, le jour de sa mort, j'avais déjà entamé mon troisième paquet de cigarettes vers l'heure du souper. La mort de mon père m'a convaincu d'arrêter. J'ai choisi une méthode efficace et violente pour y arriver, mais c'est une autre histoire de tabac."

(...et voilà... si seulement ce blog devenait interactif, il y aurait des cadeaux semblables qu'on se partagerait... j'en rêve!)



jeudi 26 avril 2012

Intermède. Suite 6. Feux les calumets...

Il y a plusieurs façons d'aborder "le tabac", d'en parler. Ce qui m'intéresse d'abord (dans le tabac), c'est notre vie imprégnée par ce tabac. Les souvenirs que nous en avons, et qui nous habitent encore. Beaucoup de nos parents et grand-parents fumaient la pipe, la cigarette, le cigare. Parler du tabac nous ramène à eux. Tout le passé est sépia, couleur de tabac...

Une deuxième façon, c'est d'en faire une vraie étude: l'histoire du tabac, de son industrie. J'ai mis un pied dans cette étude ce soir, en lisant les premières lignes dans Wikipédia... il y était question de la déforestation en Afrique du nord: 12% de ce ravage (140,000 hectares par année) sert de combustible pour faire sécher le tabac.

Mais je préfère en rester, pour tout de suite, au human interest, aux souvenirs que nous en avons, à la vraie vie, à notre sang chargé de nicotine. J'ai reçu un commentaire de mon amie Isabelle, qui raconte un souvenir de tabac...C'était à Arthabaska. Avec sa permission, je vous communique ces images qu'elle partage:

"moi, le tabac du pays, ça me rappelle la cordonnerie où on allait porter nos souliers à réparer. Le vieux cordonnier avait un banc près de la porte et ses amis venaient jaser et fumer en le regardant travailler.

"Pour l'enfant que j'étais, c'était un peu épeurant, tous ces messieurs qui se taisaient quand j'arrivais...  Ça sentait fort: le tabac du pays, le cuir, le harnais, les vieux souliers, la vieille pipe, les vieux messieurs. C'était impressionnant comme odeur.

"Et puis la boutique était sombre et pleine de choses, machines, brosses, étagères... On devinait des secrets dans les coins sombres".

Merçi Isabelle!  Voilà qu'on est partis à rêver. C'est mieux que de savoir la quantité d'hectares de déforestation en Afrique du Nord. Pourquoi c'est mieux? Qui dira pourquoi c'est mieux?

Une connaissance est morte quand on en fait rien. Elle sédimente sur le tas de connaissances accumulées, elle vire en fossile. Il y a tellement d'accumulations mortes, dans toutes ces informations versées sur nos écrans. Elles sont mortes si on en fait rien, si on ne les mâche pas, si on ne les digère pas, si on ne les transforme pas en nourriture vivante, en énergie qui bouge. En racontant ce souvenir, Isabelle alimente notre capacité à observer, à sentir les odeurs, à deviner tout le mystère des choses. Elle nous ramène à ces lenteurs d'autrefois.  (à suivre:  pleins d'expressions qui nous viennent du tabac...)





mercredi 25 avril 2012

Intermède. Suite 5. Feux les calumets...

Je sens que ça va venir: je devrai bientôt consulter Wikipédia pour m'instruire sérieusement sur le tabac. Pour le moment je tourne autour, dans une enquête qui suit le hasard des rencontres du jour. Je n'ai jamais approfondi la question du tabac: c'est ce blog qui m'y entraîne.

Ce matin, au coin de la rue St-Vallier, j'ai croisé Michel qui avait l'air très pressé. "Comment ça va, Michel?" "Mal", qu'il me répond. Depuis quatre jours, il avait un vrai mal de tête: il s'est frotté la tête en le disant. Ce mal de tête? Parce qu'il avait arrêté de fumer!

Je ne lui ai pas dit "tu as bien fait" et autres commentaires habituels. J'ai fait mon enquête, pour vous. "Pourquoi tu arrêtes de fumer?"  C'est l'argent que ça coûte. Il a calculé qu'il dépense plus de 225 $ par mois. (C'est pas loin de la moitié du coût d'un loyer). Il achète des paquets à $7.50   (Du mauvais tabac, m'a commenté Albert. C'est confirmé par Suzanne: les marques connues se vendent à $10 le paquet. On arrive alors à la moitié du coût du loyer). Faut pas s'étonner si certains choisissent de vivre sur la rue, ainsi ils peuvent fumer.

"Tu es au courant qu'on ne produira plus de tabac au Québec cette année?"  Michel ne connaissait pas la nouvelle. Il m'a parlé de la production en Ontario... Dans les années 70, il y était allé travailler, comme employé saisonnier. Ils étaient cinq travailleurs sur cette ferme de tabac, à cueillir les feuilles mûres, en commençant par celles du bas de la tige. "Le premier soir, j'étais tellement fatigué, je suis allé dormir sans prendre le temps de souper". "Un travail d'esclave", commente Albert, qui a vu ces travailleurs dans les champs de tabac d'Ontario: à suivre rapidement un petit tracteur entre les rangs de plants, arrachant les feuilles mûres pour les empiler sous leur bras, pour ensuite en faire des paquets attachés avec une feuille de tabac... "Le midi, ils étaient tout gommés par la nicotine. Affreux. Je suis allé travailler ailleurs, dans les vergers" dit Albert.

Et l'enquête continue. J'ai appris le nom donné par les Indiens à leur tabac: le petun (ou petoun). Les vieilles indiennes fumaient la pipe, devant le wigwam.

Il y avait de gros fumeurs... Mon ami Florent fumait "comme un engin" (Les engins, c'étaient les locomotives à vapeur, chauffées au charbon: un beau nuage noir les suivaient). Florent ne terminait pas une cigarette sans en rallumer une autre, avec la braise de celle qu'il terminait. Il fumait beaucoup, vraiment beaucoup.

Une amie, Louise, fumait "pour respirer à fond". Elle insistait sur cette information paradoxale... Sans cigarette, elle respirait en superficie seulement. Pour bien remplir ses poumons d'air, il lui fallait  fumer une cigarette. Elle goûtait alors le plaisir de respirer. Ce qui équivaut au plaisir de vivre...  (à suivre)



mardi 24 avril 2012

Intermède. Suite 4: Feux les calumets

On me disait: faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Tout de suite je vois le dessin qu'on pourrait en faire! L'eau du bain, l'eau sale, polluée, c'est le cancer causé par le tabac. Le bébé qu'on jette dans la cuvette, c'est le tabac. En résumé, faut pas jeter le tabac sous prétexte qu'on connait maintenant son incidence sur le cancer.

On perd beaucoup, en crachant sur le tabac comme si c'était la peste en personne. Le tabac c'est nous autres. Faut pas se jeter nous-mêmes dans la cuvette. S'encourager à ne plus fumer? Pas de problème. Mais sans renier notre identité d'enfant du tabac.

Supposons qu'on aurait des parents illettrés, qui nous aurait payé un cours universitaire... Faudrait tout de même pas les regarder de haut, ces parents. À moins que le cours universitaire nous aie enlevé toute jugeotte, on les apprécie. Le parent illettré, c'est notre passé qui fréquentait le tabac.

Ils se berçaient sur la galerie, en fumant leurs pipes, et ça éloignait les moustiques! Ils pouvaient philosopher à leur manière: fumer, ça portait à se donner des silences, ça laissait porter. C'était comme donner un coup d'aviron, et le canot glisse sur la rivière. J'imagine d'ailleurs cette sagesse des amérindiens qui fumaient:  ils ne parlaient pas pour ne rien dire.

C'est bête, l'intolérance hargneuse vis-à-vis ceux qui fument encore. C'est de l'ordre de la culpabilité religieuse fanatique. Ça vient de la peur. Avant il y avait plein d'intolérances, et ça nous colle encore à la peau.

Tout ça pour dire qu'on gagne à connaître notre passé de fumeurs, pour l'aimer. Ce n'était pas un monde de violence, fumer: les amis fumaient ensemble. Le calumet de paix, ça se fumait à plusieurs. C'était pas la hache de guerre.

Et puis on montrait aux enfants comment on pouvait faire monter des beignes de fumée: tout un art! Suivre des yeux la fumée qui écrit son chemin, c'est comme regarder un cerf-volant. C'est du rêve qui fait du bien.

Grand-père Alexandre me laissait me confectionner des pipes: je creusais un gland pour en faire un fourneau, et un roseau servait de tige. Je bourrais cette petite pipe avec des cheveux de blé d'inde, et j'allumais fièrement ma pipe d'enfant. Puis je m'étouffais:  c'était une boucane infecte. Alexandre devait rire.



lundi 23 avril 2012

Intermède. Suite 3: Feux les calumets

Ici, il ventait à écorner les boeufs, aujourd'hui. Pas étonnant que l'électricité soit disparue toute la journée. Bref, dehors c'était un bruit d'enfer, les grands arbres se balançaient. Au bord du fleuve, les vagues ont débordé sur la route. J'ai passé beaucoup de temps à ne rien faire, emmitouflé comme en hiver dans la maison froide.

En début de soirée, l'ami Albert a téléphoné. Albert "connait le tabac". Connaître le tabac, ça signifie être connaissant, habile. Justement, je l'ai questionné sur le tabac, pour valider un peu ce que je vous raconte.

Albert donne un autre nom aux gourmands qu'on enlève sur les plantes: des ch'tons.  Le verbe: éch'ter.  Tout un vocabulaire va disparaître en même temps que chaque métier enterré... (Ch'ton doit venir de "rejeton").  On disait, d'un type pas fiable, qu'il était un faux ch'ton. (un faux jeton).

Alors, Albert, faut se réjouir de voir s'éteindre l'industrie du tabac? Pas du tout!  Premièrement, les fumeurs continuent de fumer, mais avec un tabac de moins bonne qualité que le nôtre. Qui va contrôler les chimies qu'on va ajouter au tabac produit au Mexique, ou en Polynésie? Deuxièmement, le tabac c'était une plante médicinale.

(Si seulement ce blog était interactif, je m'instruirais rapidement, et vous aussi! On saurait si le tabac de Joliette était bon pour les vieux fumeurs de pipe).

J'ai appris à Albert, qui ne sait pas tout même s'il connait le tabac, que la moitié de la production du sirop d'érable était (autrefois) vendue en Virginie pour aromatiser les cigares et le tabac à pipe... La moitié? N'allez pas tout croire, sans vérifier.

Et puis, on ne faisait pas seulement fumer le tabac: on le chiquait, on le prisait. Quand Alexandre était jeune adulte, il tenait un salon de barbier: trois fauteuils attendaient sa clientèle. Devant chaque fauteuil, un crachoir étincelant, frais nettoyé par la grand-mère Élizabeth. Les gens n'avalaient pas leur chique, ils la crachaient. C'était l'époque des saloons.

J'ai déjà vu un vieil aumônier priser le tabac. Il avait ouvert le couvercle d'une menue tabatière, pour y prendre une pincée de poudre, et se l'introduire dans le nez, en inspirant fort. Je n'ai aucune idée de l'effet, mais on m'a dit que ça brûlait les tissus. Pourtant, on lui donnait du prix, on le prisait!   (à suivre)



dimanche 22 avril 2012

Intermède. Suite 2: Feux les calumets...

C'est évident que je n'avais pas le privilège de cueillir les grandes feuilles de tabac: il fallait s'y connaître pour savoir si elles étaient mûries à point, et seul de la tribu, Alexandre les cueillait une après l'autre, les choisissant au pied de la plante.

Il en faisait ensuite de petits fagots qu'il allait suspendre au plafond du grenier, la tête en bas, comme des stalactites. Ça devenait un véritable séchoir.  À quel moment Alexandre allait-il les décrocher du plafond, ces précieuses feuilles de tabac? Je ne le sais pas: à la fin de l'été je n'étais plus là pour m'instruire des choses de la vie. Je ne l'ai pas vu actionner son hachoir, ni remplir sa tabatière.

J'ai ce trésor sous les yeux: un bel hachoir artisanal. Est-ce bien le sien? Je me persuade que oui, pour lui donner sa vraie valeur de souvenir. C'est une guillotine, un coutelas dont la lame pivote en arc de cercle sur une planche très épaisse, en bois franc, lourd.

Je possède aussi sa tabatière de métal. Elle a de l'âge, elle est même percée, mais elle brille encore. Hachoir et tabatière: des reliques étranges, qui passeront pour des vieilleries inutiles et bizarres, bientôt. Grand-père Alexandre devait les soigner, ces beaux objets qui lui servaient à alimenter sa pipe. Il ne les voyait pas comme des antiquités pour musée de la civilisation, pas plus que son tabac!  (à suivre)



samedi 21 avril 2012

Intermède: feux les calumets de paix

La Presse, dans l'édition d'aujourd'hui, sonne le glas: ils abandonnent. Terminé, après mille ans!  Tiens, je ne nous connaissais pas cette ancienneté. Il s'agit de l'industrie du tabac au Québec. La vraie nouvelle, c'est que les deux derniers cultivateurs qui plantaient du tabac, ils laisseront leur machinerie au garage. La raison: il n'y a plus d'acheteurs pour le tabac cultivé ici.

Grand-père Alexandre n'aurait pas apprécié. Il vivait à Joliette, dans le pays sablonneux qui a prospéré grâce au tabac. Alexandre Dugas fumait la pipe. Il en avait plusieurs: il les laissait refroidir, les unes après les autres. Il fumait son tabac, celui qu'il cultivait dans son jardin.

Alexandre avait une maison d'été au bord de la rivière l'Assomption. Maintenant c'est en pleine ville. À l'époque, c'était la campagne: les voisins étaient des cultivateurs sur des fermes laitières. Devant la maison d'été, il y avait une route de terre, poussiéreuse, qu'on traversait sans grand danger d'être frappé par une auto. On accédait alors au jardin du grand-père. Un jardin immense.

Du moins, mes yeux d'enfant le voyait immense, ce jardin. Il y avait ce carré de plants de tabac sur votre gauche, puis tout cet espace pour le blé d'inde, et tous ces rangs de framboisiers. À votre droite, ajoutez tous les légumes: les tomates, les petites fèves, les radis, les oignons, la ciboulette, les pommes de terre, les choux, la laitue, et tout ce que j'oublie. Un très grand jardin, à s'y perdre, si on est un enfant qui voit grand. J'avais le privilège d'y travailler, avec toute la maisonnée: j'enlevais les gourmands sur les plants de tabac.

Les gourmands, ce sont des pousses qui se développent entre la tige principale et les grandes feuilles de tabac... C'est le même phénomène, avec les plants de tomates. Les gourmands empêchent la récolte sérieuse de mûrir. C'est comme un éparpillement dans la production de la plante, c'est comme si elle menait douze projets à la fois, au lieu de faire aboutir ce qu'elle a entrepris.

Si un jour vous avez un plant de tabac qui fait des gourmands, voici comment vous procéderez. Evidemment ce sera votre petit-fils qui fera le travail, et vous aurez à lui expliquer: avec l'ongle du pouce, on pince le gourmand, à sa base. Il se détache, mais vous tache. Il dégouline de lait caoutchouté, gommeux, collant au possible, et ce lait noircit très vite. Ça prouve que vous êtes un vrai travailleur si vous avez les mains goudronnées au lait de gourmand.  (à suivre)



vendredi 20 avril 2012

Intermède: le dieu de l'eau douce

La BBC m'instruit. Mais ce n'est pas tout, de s'instruire: il faut digérer ce qu'on apprend, le faire sien. En produire quelque chose de personnel.

Sous la chronique scientifique, on apprenait qu'on vient de cartographier les nappes d'eau souterraine du continent africain. Avec surprise, on apprend qu'il y a beaucoup d'eau potable, dans le sous-sol. Ainsi, en Lybie, en Algérie et au Chad, cette couche d'eau a une épaisseur moyenne de 75 mètres. De quoi étancher la soif, de quoi arroser les potagers.

En produisant cette information, les scientifiques disent: attention! N'allez pas forer n'importe comment, pour extraire cette eau précieuse. Ils préconisent des puits modestes, comme ces bonnes vieilles pompes à l'eau manuelles, comme chez mon grand-père Alexandre autrefois. Ainsi cette eau ne sera pas gaspillée, ni épuisée rapidement.

Il y a 10,000 ans, c'était le printemps, la fin d'une époque glaciaire. Là où j'habite, près du fleuve St-Laurent, il y avait une couche de glace d'une épaisseur d'un kilomètre. Un long printemps...

Il y a 5,000 ans, c'est le début de la civilisation, en Mésopotamie. Les gens s'occupent du Tigre et de l'Euphrate, en creusant des canaux pour l'irrigation des terres. Ainsi ils évitent l'inondation, puis la sécheresse. Les mêmes travaux se font en Egypte, pour maîtriser les crues du Nil. Le changement climatique s'accentue: la désertification s'installe en Afrique. Mais toute l'eau accumulée dans le sous-sol se tient en réserve: cette eau dont les scientifiques viennent de mesurer l'importance.

Les Sumériens (en Mésopotamie) attribuaient au dieu Enlil le rôle d'instructeur des humains: c'est lui qui nous avait appris à creuser des puits, à canaliser l'eau douce. Ainsi commençait l'agriculture, la culture des céréales. Une bien grande révolution s'amorçait, avec l'écriture.



jeudi 19 avril 2012

Intermède: l'attente

Aujourd'hui j'ai fait six dessins. Je dessinais quand j'attendais.

Dans l'avant-midi, j'avais quinze minutes d'avance avant ma rencontre chez Marcel. Le temps d'un dessin.  L'après-midi, j'ai fait la navette entre une clinique d'ophtalmologie et l'urgence de l'Hôpital St-Sacrement. Beaucoup de route en automobile. Quinze minutes dans la salle d'attente à l'urgence (j'aurai finalement un rendez-vous dans cinq jours, ce qui n'est pas si mal). Je n'ai pas dessiné. J'ai écrit sur les possibilités de Genèse: Dieu continuera-t-il son périple sur la planète?

Ce soir, assemblée annuelle d'une association d'artistes de l'ile d'Orléans... rapport annuel, budget, bref: tout l'ordre du jour.  Heureusement que je dessinais. Cinq dessins. Celui que je présente ici convient bien: je regardais l'heure, sur une vieille horloge d'autrefois. Les chiffres étaient beaux à regarder. Je regardais l'heure, espérant que ça achève.

Dessiner, c'est comme tricher. C'est comme ne pas y être, tout en y étant. C'est ne plus attendre, d'une façon. C'est en faire autre chose, de ce temps immobilisé. C'est vraiment s'évader de l'ailleurs, pour être ici. Il y a une sorte de protestation polie: vous ne m'avez pas, c'est moi qui vous ai. Je vous dessine: c'est vous qui aurez à vous évader.


mercredi 18 avril 2012

Intermède: deux volumes

Paule m'a prêté un beau volume:  "Démons quotidiens".  Elle savait bien que j'allais le lui voler, alors elle a pris les devants en me le prêtant. Ce livre, je ne vois pas comment j'aurais pu résister à le prendre. Imaginez: il y a un dessin à chaque page!  Et puis, il est écrit par Nancy Huston.  "Démons quotidiens", vu que c'est un recueil de pages écrites chaque jour. Ça ressemble, pour le format, à un blog.

Comme cette romancière a fait ce volume en collaboration avec un dessinateur, c'est plus facile pour chacun.  Deux démons font plus de travail qu'un démon isolé!

Et puis, j'ai trouvé au Salon du Livre cet album de Sempé:  Enfances.  C'est très étonnant (pour moi), ce récit de l'enfance de Sempé.  Très attachant aussi. Un bien bel album...


lundi 16 avril 2012

Genèse 51. Magie blanche, magie noire

" Dans ma colère, dans ma jalousie, dans l'ardeur de ma fureur, je le dis: ce jour-là, je le jure, il y aura un grand tremblement au pays d'Israël. Alors trembleront devant moi les poissons de la mer et les oiseaux du ciel, les bêtes sauvages et tous les reptiles qui rampent sur le sol, et tous les hommes qui sont sur la terre. Les montagnes s'écrouleront, les parois des rochers tomberont, toutes les murailles tomberont par terre. J'appellerai contre lui toute espèce de terreur, oracle du Seigneur Yahvé." ( Ezéchiel, Bible de Jérusalem).
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...S'il se laissait aller, Dieu partirait à rire, mais Tubal-Caïn pourrait croire que Dieu se moque, alors Dieu sourit seulement...

Dieu: " Tantôt tu me demandais à quoi je sers, si je ne suis pas capable de répondre à tes prières?"
Tubal-Caïn: " Je me suis emporté, excuse-moi. Mais dis-moi quand même pourquoi tu ne fais pas revenir ma femme chez-moi. On m'a dit qu'il n'y avait rien d'impossible pour toi."

Dieu: " Quand tu travailles à ta forge, aimerais-tu qu'un de tes voisins, qui ne connait rien à ton métier,  vienne te dire comment manipuler tes outils? Peut-être qu'il est connaisseur pour les labours, mais le métal, le feu, tes outils, il n'y connait rien."
Tubal-Caïn: " Te faire des prières, c'est te dire comment travailler?"

Dieu: " Chacun son métier, chacun son travail".
Tubal-Caïn: " N'empêche que ce serait apprécié, si tu faisais revenir ma femme à la maison."

... Dieu réfléchit. Faire de la magie noire, ça ne l'intéresse pas. Qu'est-ce qu'il pourrait dire, qui aiderait son ami?...

Dieu: " C'est le feu qui fait le vrai travail, dans une forge. Un bon forgeron laisse travailler le feu..."
Tubal-Caïn: " Je ne comprends pas ce que le feu vient faire là-dedans".

Dieu: " Tu sais respecter la nature du feu. Respecte aussi la nature de ta  femme. C'est sa vie, ça lui appartient. Elle n'est pas une tige de fer que tu dois courber, plier, tabasser et aplatir. Ouvre la porte, laisse ta femme partir."
Tubal-Caïn: " Est-ce qu'elle va revenir?"

Dieu:  " Ce sera son choix. Toi, tu vas retrouver le plaisir dans tout ce que tu fais. Arrête de respirer de la cendre."

...Tubal-Caïn se lève. Il va ajouter une bûche sur le foyer, qui se remet à pétiller de plaisir. Il rapproche les tisons qui fument à l'écart, il s'occupe longuement du feu... Puis il regarde Dieu mais sa vision est  embrouillée vu qu'il a pleuré. Tous les deux savent que c'est fait... Ils écoutent les craquements du bois, ses éclatements, puis regardent les gerbes d'étincelles...

Tubal-Caïn: " À qui je vais pouvoir raconter cela?"
Dieu: " À personne. C'est un secret entre toi et le feu."

... ils se sentent bien vivants, tous les trois: Tubal-Caïn, Dieu et le feu...


samedi 14 avril 2012

Intermède. Les prophètes

Quand j'écris la série Genèse, je me trouve à chercher un court texte dans la Bible de Jérusalem. Ce soir je cherchais un texte qui parle du Dieu vengeur, un Dieu qui punit son peuple.

Au petit hasard, je tournais les pages de la Bible, en parcourant les courts textes attribués à des petits prophètes, comme Amos, Osée et quelques autres. J'ai trouvé des phrases terribles de destruction, de tuerie, prêtées au Dieu d'Israël, contre son peuple.

Mais j'ai trouvé autre chose aussi, de bien étonnant. Chez ces prophètes, cette terrible colère divine est celle d'un amoureux abandonné, trahi.  Dans ces pages écrites il y a si longtemps, on trouve un drame passionnel. (C'est très proche de la colère meurtrière de Tubal-Caïn contre son épouse qui l'a quitté pour suivre un amant)

Dans la série Genèse, j'invente une histoire où Dieu visite la planète, et se demande qui sont les hommes. Dans ce que j'invente, ce Dieu n'est pas raconté par les auteurs de la Bible, mais qui est-il?

Dans les pages de l'Ancien Testament (La Bible sans les Evangiles), je découvre le récit d'une grande histoire d'amour, une histoire tragique, excessive, violente comme un drame.

Les penseurs grecs avaient découvert que les humains ne peuvent pas se passer d'histoires. Le cerveau humain passe son temps à imaginer des histoires. Il ressemble à une araignée qui ne sait rien faire d'autre: tisser une toile d'araignée. Le cerveau tisse des histoires, toujours. Chaque nouvelle information est une petite pièce qui cherche sa place dans un casse-tête: nous sommes des obsédés dans cette construction mentale.

Est-ce qu'on peut penser l'univers sans en faire un récit avec des personnages?  Si on en fait un récit, ce sera un cerveau humain qui fera ce récit, à sa manière de cerveau humain.  Il le fera avec les couleurs d'une culture, d'une civilisation. À la ressemblance de sa famille humaine.

Dans la Bible juive, les rôles sont inversés: Dieu y ressemble au personnage de Tubal-Caïn. Je ne m'attendais pas à cette surprise.


jeudi 12 avril 2012

Genèse 50. Mercredi des cendres

" Rachel, voyant qu'elle même ne donnait pas d'enfants à Jacob, devint jalouse de sa soeur et elle dit à Jacob: " Fais-moi avoir des enfants, ou je meurs!" (Genèse, Bible de Jérusalem)
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...Tubal-Caïn se sentait soulagé d'avoir parlé de sa vraie colère. Jamais il n'aurait cru Dieu capable de plaisanter: cette histoire de forgeron dans l'enfer, elle lui plaisait beaucoup...

" Je veux qu'on parle encore du feu", dit Dieu. " Avec de la cendre, es-tu capable de faire du feu?"
Tubal-Caïn: " Avec de la braise, je le fais tous les jours".

Dieu: " Mais avec de la cendre?"
Tubal-Caïn: " Je ne suis pas magicien. Pourquoi tu me demandes cela?"

Dieu: " Vous autres, les humains, vous vous occupez de la cendre comme si c'était encore du feu".
Tubal-Caïn: " Où as-tu vu cela?"

Dieu: " Vos souvenirs, c'est de la cendre. Vous traitez vos souvenirs comme s'ils étaient vivants, comme s'ils étaient du feu. Le passé est mort, Tubal-Caïn, c'est de la cendre".
Tubal-Caïn: " De quels souvenirs veux-tu parler?"

Dieu: " Ta femme est partie avec son amant: c'est du passé. C'est de la cendre. Tu en parles comme si ça te brûlait encore"
Tubal-Caïn: " Comment veux-tu que ça ne me brûle pas?  Je n'arrête pas d'y penser, ça me revient toujours".

Dieu: " C'est ça, votre maladie, les humains. Vous soufflez sur la cendre, vous l'entretenez comme on entretient le feu."
Tubal-Caïn: " Et comment tu peux guérir cette maladie?"

Dieu: " Tu es forgeron, Tubal-Caïn. Occupe-toi du feu, laisse la cendre de côté. Le passé n'existe pas."
Tubal-Caïn: " Tu veux dire que toi, tu n'as pas de passé?"

Dieu: " Je ne connais pas ce qui n'existe pas".
Tubal-Caïn: "Mais tu es Dieu... Tu serais capable de faire revenir ma femme à la maison?"

Dieu: " Tu me demandes de souffler sur la cendre".
Tubal-Caïn: " Alors à quoi tu sers, si on ne peut pas te faire des prières?"


mardi 10 avril 2012

Genèse 49. Liturgie du feu

" Les fils d'Aaron, Nadab et Abihu, prirent chacun leur encensoir. Ils y mirent du feu sur lequel ils posèrent de l'encens, et ils présentèrent devant Yahvé un feu irrégulier qu'il ne leur avait pas prescrit. De devant Yahvé jaillit alors une flamme qui les dévora, et ils périrent en présence de Yahvé."  (Livre du Lévitique, Bible de Jérusalem).
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... Ils sont devant le feu, que Tubal-Caïn s'occupe à ranimer. C'est son métier, comme forgeron, de rendre le feu à son meilleur. Il rapproche les bûches: les flammes reprennent du mordant. Satisfait, Tubal-Caïn vient se rasseoir près de Dieu, qui contemple le feu...

Dieu:  " Tu as vraiment le tour avec le feu!
Tubal-Caïn: " C'est facile.  On soigne le feu aux petits oignons, ensuite il ne se fait pas prier pour donner de belles flammes."

Dieu:  " Explique-moi encore."
Tubal-Caïn: " T'expliquer le feu?"

Dieu: " Le feu je le comprends très bien. Ce que je ne comprends pas, c'est Caïn, dans ton rêve. Pourquoi cherche-t-il à tuer Abel? Pour avoir ses troupeaux et sa jeune femme?  C'est ça?"
Tubal-Caïn: " Tu oublies qu'Abel cherchait à lui voler Déborah. Abel rôdait autour de sa maison..."

Dieu: " On a appris pourquoi il rôdait: il venait vérifier si la glaise du marais pouvait lui donner de bonnes briques d'argile. Abel voulait se construire une maison au village: sa femme Agar ne voulait plus vivre sous la tente."
Tubal-Caïn: " C'est ce que racontait Abel, mais moi je crois mon ancêtre Caïn. "

Dieu: " Toi, à la place de Caïn, tu aurais tué Abel, après avoir trouvé sa sandale de roseau?"
Tubal-Caïn:  " Oui, je l'aurais tué. J'ai du Caïn dans le sang. (Il se tait un moment, puis continue...) Je n'ai pas fait ce rêve pour rien."

... Dieu garde silence... Il comprend que son ami est au bord d'une révélation...  Dieu reprend la conversation:

Dieu: " Tu m'as demandé tantôt si j'avais une femme... Toi, tu en as une?"
Tubal-Caïn:  " J'en avais une, mais elle est partie avec un autre"

Dieu: " Et ça te fait quoi?"
Tubal-Caïn: "Tu l'as vu dans mon rêve: j'ai le goût de tuer."

Dieu:  " Et tu l'as fait? Tu as tué ta femme et son amant?"
Tubal-Caïn: " Non, mais tu as vu que j'en rêve... (À la blague:) Vas-tu m'envoyer en enfer?"
Dieu (qui entend à rire): " En enfer?  Ça te ferait trop plaisir! Imagine, un forgeron comme toi, un spécialiste du feu! Tu te sentirais chez-toi!"

... Dieu reprend la contemplation du feu. Ils gardent silence.
Après un temps, Dieu réfléchit tout haut:
" Vous les humains, vous avez un vrai problème."


lundi 9 avril 2012

Intermède: le Maikotron

Mon amie Isabelle vous invite à visiter le nouveau site qu'elle a produit, sur ce trio d'invention époustouflante, le Maikotron Unit.

voici l'adresse du site: http://www.maikotron.net/


bonne visite!

samedi 7 avril 2012

Genèse 48. En tisonnant les braises

" Yahvé dit: Je vais conclure avec toi une alliance. (......)
" Garde-toi de pactiser avec les habitants du pays où tu vas entrer. (.....)
" Vous démolirez leurs autels, vous mettrez leurs stèles en pièces et vous couperez leurs pieux sacrés. Tu ne te prosterneras pas devant un autre dieu car Yahvé s'appelle Jaloux. Il est un Dieu jaloux."
( Livre de l'Exode, Bible de Jérusalem)
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Dieu:  " As-tu vu comment ton ancêtre Caïn est malade dans la tête? Il trouve une sandale de son frère Abel, et ça lui suffit pour le condamner à mort! Tu as vu ça toi-aussi?"
Tubal-Caïn: " À la place de Caïn, moi-aussi je me serais méfié du jeune Abel..."

Dieu: " Toi-aussi?  Tu serais capable d'être jaloux comme Caïn l'était, dans le rêve de cette nuit?"
Tubal-Caïn: " Tu oublies que c'est moi qui l'ai fait, ce rêve... J'étais dans la peau de Caïn!"

Dieu:  " Je n'en reviens pas... Tu serais capable des mêmes folies que ton ancêtre!"
Tubal-Caïn: " C'est normal d'être jaloux. La Bible n'arrête pas de dire que tu es un dieu jaloux. Tu vois, on est tous pareils."

Dieu: " Je n'ai aucune idée de la jalousie dont tu parles"
Tubal-Caïn:  " Tu n'es pas un Dieu jaloux?"

Dieu:  " De qui veux-tu que je sois jaloux?  D'un autre dieu? C'est complètement farfelu!"
Tubal-Caïn: " Et si on te volait ta femme?"

Dieu:  " C'est vous autres, les humains, qui avez des femmes. Moi je n'ai rien. J'existe, c'est tout."
Tubal-Caïn: " Tu n'as jamais eu de femme!? "

Dieu: " On est différents tous les deux, tu devrais le savoir. Vous autres, vous m'imaginez à votre façon."
Tubal-Caïn: " ... Tu n'as pas l'impression que tu passes à côté de quelque chose d'important, et qu'il te manque quelque chose?"

Dieu: " À vous voir, prêts à vous égorger parce que vous imaginez que votre femme va en aimer un autre, je ne vois pas ce que je manque!"
Tubal-Caïn:  " Toi, tu ne te racontes jamais d'histoires?"

Dieu: " Non.  L'univers est exactement ce qu'il est."

... Tubal-Caïn se leva pour s'occuper du feu... Toutes ces paroles lui fatiguaient la tête, c'était un homme pratique...


jeudi 5 avril 2012

Intermède: Sacrifices humains

La BBC, dans ses nouvelles, rapportait une découverte archéologique récente au Pérou. Encore une fois, il s'agit de sacrifices humains...

Ces rituels se retrouvent dans bien des civilisations péruviennes, au cours des siècles où ces civilisations apparaissent et disparaissent. Cette fois, il s'agit d'un autel sur une petite montagne, au sud de Lima. Au solstice d'été, les gens adoraient cette montagne, une divinité pour eux, en décapitant des humains.

Les dessins décoratifs, sur les céramiques des Mochicas, nous montrent ces sacrifices. Maintenant on a trouvé l'autel des sacrifices, et les ossements des sacrifiés.

Ce qui est troublant, c'est le manque de réflexion sur l'humain. Comment expliquer ce que nous sommes? Car il s'agit de nous (de toi et de moi) quand on lit ces informations qui semblent parler d'étrangers d'autrefois. Il s'agit bien de notre espèce, homo sapiens, et d'une pratique qui n'est pas du tout exclusive à ces populations disparues.

Si vous parcourez les articles qui parlent de sacrifices humains, dans wikipedia et autres sources, vous en aurez pour tous les continents et tous les siècles. Les autres espèces animales ne sacrifient pas. L'espèce animale humaine sacrifie: c'est même central dans notre culture.

Nos croyances se nourrissent de sacrifices. Pourquoi avons-nous des dieux et des déesses qui ont soif de sang, faim de victimes? Pourquoi pensons-nous apaiser les volcans, les sécheresses, et toutes nos peurs, avec des sacrifices sur des autels?

Est-ce nécessaire à l'évolution de notre cerveau, de notre capacité à réfléchir, à imaginer, à créer, d'aboutir à ces rituels? Qu'est-ce que cela nous enseigne sur nous-mêmes?


mercredi 4 avril 2012

Intermède: historia

Héraclite disait que tout ce qui arrive, on le traduit sous forme d'histoire. Les humains, on est comme des araignées qui tissent des toiles. On ne sait rien faire d'autre: toujours on tisse une histoire, sur laquelle on habite. Chacun de nous est sa propre histoire. C'est une toile d'araignée, car on est collé à cette histoire, on la quitte difficilement pour une autre histoire, ce serait comme se quitter soi-même.

C'est pire que ça, à bien y penser. Cette toile d'araignée, on permet difficilement à quelqu'un d'autre de la tisser sur un autre modèle que notre modèle de toile d'araignée. Crois ou meurs. Les faiseurs d'histoires différentes, faut brûler ces histoires et obliger les raconteurs à les ravaler.

On croit davantage aux toiles d'araignée dont on ne voit pas les fils qui les accrochent en haut:  elles nous viennent du ciel. Les araignées ont la nostalgie des grandes hauteurs, celles du septième ciel.

C'est déjà tout un exercice, celui de se rendre compte que nous faisons une histoire avec toute chose qui arrive. Ainsi pensait Héraclite. Une histoire qui se donne un passé et un futur. Pour bien accrocher la toile d'araignée.

mardi 3 avril 2012

Genèse 47. Ce qui n'est pas

" Environ trois mois après, on avertit Juda: "ta belle-fille Tamar, lui dit-on, s'est prostituée, elle est même enceinte par suite de son inconduite". Alors Juda ordonna: " Qu'elle soit amenée dehors et brûlée vive!" Mais comme on l'amenait, elle envoya dire à son beau-père: " C'est l'homme à qui appartient cela que je suis enceinte. Examine donc, dit-elle, à qui sont le sceau, le cordon et cette canne."  (Genèse, Bible de Jérusalem)
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" Ouf "  dit Dieu.
" C'est seulement partie remise..."  ajouta Tubal-Caïn.

Dieu:  " Vous vivez souvent des drames comme celui-là?"
Tubal-Caïn: " En fait, c'est souvent le même drame qui couve longtemps, tout le temps qu'il faut, avant d'exploser".

...Ils venaient de sortir du sommeil. Ça n'avait pas été facile pour la tortue de les faire revenir: ses deux invités avaient été rivés à leur rêve, comme s'ils n'étaient plus capables de quitter l'horreur...

Dieu:  " Si tu veux, on va aller s'asseoir devant le feu. J'ai besoin que tu m'expliques..."
Tubal-Caïn:  " Expliquer quoi?"
Dieu:  " Pourquoi vous vivez des drames semblables..."

...Tubal-Caïn était un artiste du feu: le temps de le dire, il avait ajouté des brindilles, puis une bûchette: le feu ronronnait, pétillait, dansait de plaisir. Les deux compères s'étaient installés devant le foyer, et décompressaient.

Tubal-Caïn: " Tu me demandais pourquoi on vit des drames semblables?"
Dieu: " Ça me dépasse, ces histoires que vous fabriquez. Vous êtes terribles, je n'ai rien vu de semblable ailleurs dans l'univers. Pourtant, à vous voir, on ne se douterait jamais de ce qui peut bouillir dans la marmite".
Tubal-Caïn: " Tu veux dire que tu viens  tout juste de l'apprendre?"
Dieu: " À moins de le rêver comme je viens de le faire, ça ne me serait pas possible d'imaginer vos histoires. Vous êtes fous à lier."

... Tubal-Caïn tisonna le feu, et ajouta deux nouvelles bûches. Ils avaient beaucoup à se dire...


lundi 2 avril 2012

Intermède: Le maire suppléant

Dans mon village, à tour de rôle, les échevins élus (conseillers municipaux) sont désignés "maire suppléant".  En cas d'absence du maire, ils en occupent les fonctions. Les malheureux! Les inconscients! Ils ne savent pas le risque qu'ils prennent...

C'est une très vieille tradition: elle remonte aux débuts de l'existence des monarchies. Une tradition bien établie, solide, durable: elle a duré une bonne vingtaine de siècles (avant l'ère chrétienne). C'était en Mésopotamie, là où s'est inventé l'urbanisation, l'écriture, et les rois-suppléants.

À l'époque, pour le royaume, il n'y avait rien d'aussi dangereux qu'une éclipse de lune ou de soleil. Tout le monde en était persuadé:  le roi risquait de mourir.

Les savants de l'époque prévoyaient ces éclipses, ils étaient forts en astronomie. Quand une éclipse s'annonçait, on trouvait un roi de remplacement, et on faisait disparaître le véritable roi. Ce roi-suppléant prenait tous les signes extérieurs du roi: ses vêtements, son palais, son train de vie, ses fonctions liturgiques. On lui donnait même une jeune reine. Cette suppléance durait le temps que durait la menace de l'éclipse.

Puis ce roi-suppléant et sa reine étaient mis à mort. Les pleureuses officielles se lamentaient. Il y avait des funérailles royales, un deuil national. On priait le fantôme du roi-suppléant de rester au royaume des morts.  Et le roi-véritable reprenait ses charges, heureux d'avoir échappé à la malédiction de l'éclipse.  (à suivre...)

(Pour connaître tout le sérieux de cette pratique de nos ancêtres, il faut lire le volume de Jean Bottéro: La Mésopotamie, l'écriture, la raison et les dieux)


dimanche 1 avril 2012

Genèse 46. Le remous

" (Juda) demanda:  Quel gage te donnerai-je? et (Tamar) répondit: Ton sceau et ton cordon et la canne que tu as à la main.  Il les lui donna et alla avec elle, qui devint enceinte de lui."  (Genèse, Bible de Jérusalem)
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Caïn songe qu'il est temps d'agir.  À l'heure qu'il est, son frère Abel a reçu son message, il va bientôt prendre le sentier et s'en venir... Il n'y a qu'à aller l'attendre, en embuscade.  Caïn se lève de table, glisse son poignard dans sa ceinture, et quitte la maison, laissant son chien Tobi à l'intérieur.
......
" Ça suffit de rêver!  Réveille-toi!"  dit la Tortue, en secouant vigoureusement Tubal-Caïn. Elle a beau le bousculer, il ne réagit pas, comme englouti dans son sommeil.
......
Posté près du petit pont qui enjambe le ruisseau, à l'écart, dissimulé derrière les buissons, Caïn ne bouge pas. Il guette.
.......
La Tortue commence à s'affoler. Vitement elle va secouer son ami Serpent Gris:  'Hé, viens vite m'aider à réveiller Tubal-Caïn, c'est pressant!"

Serpent Gris: " Pourquoi le réveiller? Tu voulais donner à Dieu la chance de rêver avec Tubal-Caïn... Ça ne fonctionne pas?"

La Tortue: " Ça fonctionne trop:  le rêve tourne à la catastrophe. Il faut réveiller Tubal-Caïn pour que ça arrête."
.......
Au loin, une silhouette.  "Ça doit être Abel que je vois venir"  se dit Caïn.  "Il a dû mettre ses bottes de chevreau, il ne fait pas plus de bruit qu'un fantôme".
........
Serpent Gris:  " Regarde: Tubal-Caïn dort comme un ivrogne, tu ne le réveilleras pas. As-tu pensé que tu pouvais intervenir, en le rejoignant dans son rêve? Je te connais, tu n'as qu'à te concentrer..."
La Tortue: " Tu as raison, il n'y a pas d'autre solution. Je fonce!"  Elle ferme les yeux, tombe en sommeil profond.
......
" Caïn!!  Hohé!  Caïn!!! On te cherche!!!"

Caïn se retourne: les voix viennent de chez-lui. Il distingue trois ombres qui se dépêchent et s'approchent sur le sentier, mais c'est d'abord son chien Tobi qui le flaire et l'approche...

"Quoi faire maintenant?" se demande Caïn... " leur trancher la gorge à tout le monde? Non, pas maintenant".
Il rengaine son poignard et marche vers les arrivants. Il reconnait d'abord sa femme Déborah, puis sa cousine Milka, et le cousin.
"Déjà revenue?"  dit-il à Déborah.


jeudi 29 mars 2012

Genèse 45. Le vent se lève

" Juda prit une femme pour son premier né Er: elle se nommait Tamar. Mais Er, premier-né de Juda, déplut à Yahvé qui le fit mourir. Alors Juda dit à Onân: "Va vers la femme de ton frère, remplis avec elle ton devoir de beau-frère et assure une postérité à ton frère."  Ce qu'il faisait déplut à Yahvé, qui le fit mourir lui-aussi".  (Genèse, Bible de Jérusalem).
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... Le cousin rentre, et reste très surpris, à regarder sa femme Milka et la femme de Caïn, Déborah.  Les deux cousines ont terminé leur besogne de la journée: elles roulent les deux couvertures qu'elles ont tissées.

Le cousin: " Vous avez tissé des couvertures!  Je vais passer pour un beau menteur!"
Son épouse Milka: " Tu pensais qu'on ne faisait rien de la journée?"
Le cousin: " Ce midi, à l'auberge, Caïn m'a demandé quels travaux étaient en cours... il me parlait de tissage de couvertures... Je lui ai dit que vous mettiez des cornichons dans le gros sel, et que les couvertures, c'était le mois passé".

... Déborah, l'épouse de Caïn, ouvre de grands yeux...

Déborah:  " Tu lui as dit ça ce midi?  Ça y est, les drames de jalousie vont recommencer!  Il vérifiait, comme c'est son habitude,  si c'était vrai, ce que je lui ai dit ce matin... Cousin, vous m'avez mis dans de beaux draps, en répondant de travers!"

Le cousin: " C'est si grave que ça? "
Déborah: " Caïn est jaloux comme un coq, il passe son temps à me surveiller, à me soupçonner.  Je me sens toujours comme une brebis enfermée dans un enclos, surveillée par un chien policier..."

Le cousin: " Quelle différence, si vous faites des couvertures, alors que j'ai dit que vous mettiez des cornichons dans le gros sel?"
Déborah:  " Quelle différence? Caïn va être certain que je lui ai menti, et que je suis allé rejoindre un amant. C'est son obsession."

Le cousin: " Tu n'auras qu'à lui dire, demain, que j'ai répondu sans savoir, que je me suis trompé, simplement!"

Déborah: " Simplement! Simplement!... C'est vite dit! ... Non, je ne peux plus rester ici pour la nuit, il faut que je rentre chez-moi tout de suite. Même si je sens que ça va barder, ça va être pire si je rentre demain seulement."

... À la hâte, Déborah ramasse ses affaires, noue son baluchon...

La cousine Milka:  " J'y vais avec toi ".
Le cousin:  " La nuit est tombée maintenant. Les femmes, vous ne pouvez pas sortir toutes seules. Je vais y aller avec vous, comme ça Caïn va se calmer"

... Tous les trois, ils quittent en hâte la maison...


mardi 27 mars 2012

Genèse 44. Pleine lune

" David écrivit une lettre à Joab et la fit porter par Urie.  Il écrivait dans cette lettre:  " Mettez Urie au plus fort de la mêlée et reculez derrière lui: qu'il soit frappé et qu'il meure."  (Deuxième livre de Samuel, Bible de Jérusalem)
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Le souper est terminé. Sous la tente des bergers-nomades, la jeune Agar déroule maintenant  les tapis, pour la nuit. À l'écart, Abel enfile ses longues bottes en chevreau.
Agar:  " Qu'est-ce que tu fais?"
Abel: " Je m'en vais chez Caïn. Il m'a fait dire qu'il veut me voir."

Agar: " Tu n'as plus qu'une sandale? "
Abel: " C'est quand j'ai traversé ce fichu marais, ce midi. La glaise a englouti mon pied gauche, et la sandale a disparu."
Agar: " Tu es retourné au marais?"
Abel: " Oui, je voulais être certain de mon affaire. J'ai vérifié: ce marais va nous donner toutes les briques dont on a besoin pour notre future maison. On va le réaliser, ton rêve: on va s'installer au village, et nos enfants pourront apprendre un vrai métier"

... Agar est devenue toute pâle.  "Abel, reste ici.  Ne sors pas"

Abel regarde sa jeune épouse. Il est visiblement contrarié: " Qu'est-ce qu'il y a?"
Agar:  " Ce midi j'ai fait un rêve terrible à ton sujet. Toute la journée ensuite, un pressentiment de malheur ne m'a pas lâché. Ne sors pas."
Abel en a soupé, des pressentiments de son Égyptienne:  " À quoi as-tu rêvé, encore?"

Agar: " Tu avais mis le pied gauche dans un piège à ours. Tu n'arrivais plus à dégager ta jambe.  Puis un ours en colère s'est rué sur toi. Il allait te déchirer, t'aplatir... J'ai eu tellement peur que je me suis réveillée, toute en sueurs..."
Abel:  " C'est des lubies de femme, Agar. Vous autres, les gens du Nil, vous vous racontez toujours des peurs. "

Agar:  " Dans mon rêve, tu avais le pied gauche pris dans un piège. Aujourd'hui, c'est bien ton pied gauche qui s'est enfoncé dans la glaise, et la sandale y a disparu!  Ne sors pas ce soir."

Abel:  " Il n'y a pas de piège à ours sur le sentier qui mène à la maison de Caïn. On n'est pas dans le désert, ici. Et puis, c'est la pleine lune, on voit comme en plein jour. "
Agar: " Abel, le rêve prémonitoire que j'ai fait, il faut l'écouter. Reste ici ce soir."

Abel: " Faut que j'y aille. Caïn va être frustré si je n'y vais pas. Ensuite je ne pourrai jamais lui offrir d'acheter le marais pour faire les briques de notre maison. Je ne serai pas longtemps, je reviens tout de suite."
...
Abel ne veut plus discuter. Il se glisse en dehors de la tente.


lundi 26 mars 2012

Genèse 43. Avant-nuit

" (David) aperçut, de la terrasse, une femme qui se baignait. Cette femme était très belle. David fit prendre des informations sur cette femme et on répondit: "Mais c'est Bethsabée, fille d'Eliam et femme d'Urie le Hittite!"  Alors David envoya des émissaires et la fit chercher".
(Deuxième livre de Samuel, Bible de Jérusalem).
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C'est le soir.  Dans la cuisine, une chandelle fumante éclaire des ombres. Assis au bout de la table, avec des gestes lents, Caïn nettoie lentement le fond de son assiette, en y frottant un quignon de pain: il ne veut rien perdre de cette bonne platée de lentilles.

Maintenant le repas fini, Caïn repousse son assiette vide, et approche de lui cette sandale que son chien Tobi lui a rapportée du marécage.  Toute débarrassée de cette glaise dans laquelle elle s'était noyée, la sandale de son frère Abel a retrouvé son élégance:  ces fleurs brodées, ces ornements de verrerie colorée... Elle a du talent, la jeune Agar, elle qui confectionne les sandales de roseau selon la mode de son pays.

Il avait eu du flair, le jeune Abel, d'aller dénicher cette jeune femme sur les bords du Nil. Il en avait eu moins, en osant venir lui voler son épouse. Quelle folie l'avait possédé?  Il n'avait pas assez de sa jeune concubine égyptienne?

Caïn rêvasse, tout en tournant entre ses doigts la jolie sandale. La loi est stricte:  Abel disparu, son frère aîné sera chargé de donner une postérité à la jeune veuve.  Et puis, le beau troupeau de brebis et de chèvres, tous les biens de son jeune frère, tout ça va lui revenir.  C'est la justice de la tribu.

Caïn repousse la belle sandale et dépose tout à côté son poignard de bronze bien poli.


dimanche 25 mars 2012

intermède: où sont passées les femmes?

Il me fallait nommer cette cousine, celle que va retrouver la femme de Caïn, pour tisser des couvertures de laine. J'ai donc cherché un nom de femme dans ce récit biblique de la Genèse. Je m'étais dit: j'aurai le choix parmi tous ces noms. Cet exercice m'a appris que les femmes sont quasi absentes de ce récit biblique, aux origines de notre culture.

Dans le récit de la création du monde (en fait, il y a deux récits différents), on parle de "l'homme", puis de "la femme". Ne cherchez pas le nom d'Adam, il n'y est pas, dans ces premières pages. Après l'épisode de la chute (quand "la femme"  mange du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, et que son mari en mange aussi), et après la colère de Dieu, l'homme donne un nom à sa femme. "L'homme appela sa femme Eve parce qu'elle fut la mère de tous les vivants". Adam n'est pas encore nommé.

Arrivent les noms de Caïn et Abel. Après le meurtre d'Abel, la Bible nomme la descendance de Caïn, sur cinq générations. Aucune fille n'est nommée. Puis arrive Lamek:  il a deux épouses: Ada et Çilla. (Ada enfante Yubal le musicien, Çilla enfante Tubal-Caïn le forgeron). Voici une exception:  on nomme la soeur de Tubal-Caïn: Naama.   Puis, enfin, Adam est nommé! C'est qu'on nous donne une nouvelle généalogie de descendants.

"Sa femme" (Eve n'est pas nommée) enfante Seth, qui remplace Abel. La descendance:  tous des hommes, jusqu'à Noé et ses trois fils. Suit le récit du déluge... les fils de Noé ont des épouses qui n'ont pas de nom, mais les descendants mâles sont nommés: il y en a une bonne série que je vous laisse compter (une cinquantaine). Finalement on arrive à Abram (le futur Abraham) et son épouse Saraï (la future Sara). Le frère d'Abram, Nahor, a une épouse: Milka.

C'est une longue recherche, pour arriver à nommer cette cousine qui tisse des couverture de laine avec l'épouse de Caïn. Mais cette enquête m'a instruit sur l'aspect patriarcal de nos origines judéo-chrétiennes. Une absence quasi totale des noms des femmes. (Quand on sait que, dans ces lointaines cultures, c'est le nom qui donne une réalité aux êtres).


samedi 24 mars 2012

Intermède : la première écriture

Je vous suggère ce livre de Jean Bottéro:  La Mésopotamie.  Dans ce petit volume, Bottéro nous dit ce qu'était l'écriture cunéiforme, celle des Sumériens puis celle des Akkadiens et Assyriens. Ces trois mille ans qui ont précédé notre ère. La grande époque de Babylone, de Ninive...

Ils avaient inventé l'écriture, nos ancêtres très lointains. Nous avons retrouvé leurs bibliothèques: nous possédons plus d'un demi-million de documents écrits en cunéiforme. Nous avons trouvé le code de cette écriture, nous la lisons.

Nous utilisons un tout petit nombre de signes comparé aux signes de leur écriture. Notre alphabet, d'origine Phénicienne, est phonétique: chaque signe correspond à un son. Notre alphabet peut écrire la plupart des sons de toutes les langues parlées.

Au début, ils ont fait des dessins, des pictogrammes. Les Sumériens dressaient des listes de biens, des inventaires: les moutons, les pains, les esclaves. Les dessins se sont ensuite shématisés, ils sont devenus quelques lignes, et se sont enrichis de possibilités. Un pied ne signifiait plus seulement un pied, mais aussi voyager, ou se tenir debout... tout dépendait de l'histoire tout autour du mot, le contexte.

Il y avait donc plusieurs centaines de signes, dans leur écriture, et chaque signe pouvait avoir plusieurs interprétations.

Nos mots sont comme des index qui pointent vers des choses ou des émotions. Nos mots écrits ne sont que des paroles regardées plutôt qu'entendues. Leurs mots étaient des outils d'observation, comme des loupes posées sur les choses, comme des microscopes ou des lunettes astronomiques, pour étudier tout l'univers. On pouvait ouvrir un mot, comme on ouvre un fruit, et découvrir tout ce qu'il y avait dedans. Le mot était la réalité.

Et puis, toute cette réalité de tout ce qui les entourait, de tout ce qu'ils vivaient, c'était l'écriture des dieux. Car tout ce qui arrivait venait d'une décision des dieux. Alors, si on observait bien, on apprenait l'intention des dieux, on connaissait le destin.


jeudi 22 mars 2012

Genèse 42. Septième ciel

" Israël partit et planta sa tente au delà de Migdal-Edèr.  Pendant qu'Israël habitait dans cette région, Ruben alla coucher avec Bilha, la concubine de son père, et Israël l'apprit." ( Genèse, Bible de Jérusalem)
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Ce matin-là, son épouse Déborah avait noué son baluchon:  " Je vais chez ma cousine",  qu'elle avait dit, en nouant le noeud du baluchon.  "On a décidé de faire une corvée ensemble, on va tisser des couvertures de laine. Je trouve qu'on manque de couvertures ici. Je reviens demain! Tu peux te débrouiller pour le souper?"

" Pas de problème", avait répondu Caïn, " je me débrouille souvent."  Il s'était dirigé vers l'étable pour soigner les bêtes. Tout en s'occupant à ses besognes, il avait un sentiment bizarre: celui de ne pas voir l'évidence.

En après-midi, à l'heure où le soleil tape tellement fort qu'on suspend les travaux, Caïn s'était rendu à l'auberge, au bord de la grand-route. Il savait qu'il allait y retrouver son cousin par alliance, à la table du fond, comme à l'habituel. Caïn se commanda une cruche de bière et s'attabla.

" Alors, cousin, vous vous occupez à quoi, ces jours-ci?  Vous tissez des couvertures de laine? Vous salez des petits cornichons?"

- " Les couvertures, c'était le mois passé qu'on les a tissés", répondit le cousin, " mais tu vises dans le mille pour les petits cornichons: la récolte est abondante, on fait de bonnes provisions! Et toi, tu fais quoi?"

- " J'ai un marécage à drainer, pour agrandir le pacage des boeufs de labour.  Ça n'arrête jamais, les travaux d'une ferme!"
... Ils échangeaient sur un ton lent, tout en buvant leur cruchon de bière. L'air de rien, Caïn avait appris du cousin ce qu'il voulait savoir.

En silence, il réfléchissait. C'était cousu de fil blanc, les mensonges de Déborah. Qu'est-ce qu'elle fabriquait, chaque fois qu'elle quittait la maison, sur un nouveau prétexte? C'était un amoureux, qu'elle allait retrouver? Il y avait eu ces empreintes de sandales, à l'arrière de la maison:  qui donc venait fureter chez-lui?   Sa bière terminée, Caïn partit pour le marécage, précédé par Tobi, son grand lévrier.

Le marais en question était une glaise grise, bonne à fabriquer des briques. " Encore un projet", pensa Caïn. Il vit son chien partir sur une piste, le nez au ras du sol...

Voilà que Tobi revenait, avec sa proie entre les mâchoires.  "Tobi, donne!"  dit Caïn.  Le chien ouvrit la gueule et laissa tomber sa trouvaille.  Caïn se pencha et examina la sandale en roseau:  il la reconnaissait bien.


mercredi 21 mars 2012

genèse 41. Cinéparc

" Au bout de dix ans qu'Abram résidait au pays de Canaan, sa femme Saraï prit Agar l'Egyptienne, sa servante, et la donna pour femme à son mari, Abram. Celui-ci alla vers Agar, qui devint enceinte."  (Genèse, Bible de Jérusalem)
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" Enfin ils sont revenus!" soupira la tortue, en voyant Tubal-Caïn et Dieu pénétrer dans sa grotte. Elle respira profondément. Mais comme elle savait les règles de l'antique politesse, elle remis à plus tard de les interroger: il fallait d'abord les abreuver, les nourrir.

Elle leur servit donc un plat de beaux fruits: des raisins, des mangues. "C'est moi qui les ai cueillis!"  précisa Yubal, qui tenait à ce qu'on reconnaisse sa contribution. "Il y a aussi un gâteau de miel, apporté par notre hibou souriant", ajouta la tortue.

Le souper avalé, Tubal-Caïn sortit préparer le feu de camp: c'était sa spécialité, en tant que forgeron. Il monta le foyer mais sans y mettre le feu: Dieu lui avait suggéré d'attendre. C'est donc dans la pénombre, sous les étoiles, que tout le monde se retrouva assis, devant un foyer éteint. La chauve-souris, bien réveillée, voletait à gauche à droite, en chasse de papillons de nuit.

C'est bien discrètement qu'apparurent les premières vagues de lumière. Puis, subitement, ce fut l'orgie: de grands rideaux lumineux roulaient dans le ciel, viraient du vert au rouge, s'effaçaient pour réapparaître en danse frénétique. Arrivaient des cavalcades de chevaliers blancs, qui bousculaient des murailles d'or: le ciel était en transe.

"Faut calmer les démons! Faut un sacrifice! " cria Yubal, affolé.
- " Calme-toi!" lui dit son frère Tubal-Caïn. " Ya pas de démons, c'est l'orage sur le soleil, et les langues de feu, tu n'as rien appris dans ta vie?"
- " Les langues de feu?" répéta Yubal
- " Hé oui, le forgeron en Haut, il a attisé sa forge du soleil, alors ça crée des reflets, comme dans mon atelier, c'est tout pareil!" expliqua Tubal-Caïn, fier d'en savoir autant.

... Au bout d'un long temps d'émerveillement, la féérie se calma, et les étoiles réapparurent pour occuper le ciel.
" Tu peux maintenant allumer ton foyer..." dit Dieu à Tubal-Caïn.
De sont côté, la tortue s'activa à verser le thé à tout son monde.

" C'est du thé pour rêver?"  demanda Dieu.
- " Oui " dit la tortue, " toi et Tubal-Caïn vous allez partager les mêmes rêves, cette nuit. Et si vous permettez, je vais rêver avec vous", annonça-t-elle.

" Je vois, c'est le Grand Soir!"  dit Dieu, en vidant son gobelet. Il rentra ensuite s'étendre dans la grotte. La tortue vida aussi le contenu de sa coupe, et le suivit.


mardi 20 mars 2012

Intermède : pendant que mijote le bouilli

J'aimerais bien vous donner maintenant l'épisode 41 (de la série Genèse), mais parfois il faut laisser mijoter. Je vous avoue que c'est délicat, écrire ces dialogues: je vous défie de réussir à vous mettre dans la peau de Dieu! Si vous avez une idée de ce qu'il peut dire ou faire, votre idée est nécessairement humaine et... ne convient pas.  Seuls peuvent réussir les tortues et serpents quasi immortels, avec un peu de chance.

Pour m'inspirer sur la divinité, je relis Commentaires sur la vie, par Krishnamurti. Il ne faut pas le croire, quand il dit quelque chose. Pourquoi? Du moins, c'est ce qu'il nous demande avec insistance: chacun doit quitter la paresse et regarder ce qui se passe, au lieu de répéter les leçons apprises par coeur.

Donc voici une phrase-choc de K (Krishnamurti):  " La pensée est invariablement la négation de l'amour"... et plus loin:  " La pensée ne cultive pas l'amour, car l'amour ne peut pas être cultivé comme une plante dans un jardin".

Autre trouvaille, dans Stephen Hawking (The Grand Design): il explique que notre cerveau construit toujours une interprétation de la réalité. Si on met à une personne des lunettes qui trafiquent la vision, en faisant tout voir à l'envers, après un temps, le cerveau corrige cette vision et remet l'image à l'endroit.  Puis, si on enlève ces lunettes truquées, la personne continue à voir tout à l'envers (le cerveau continuant à corriger) puis le cerveau rétablit une vision normale, à l'endroit. Vous me suivez? Autrement dit, le cerveau décide de ce qu'on va voir, quitte à virer les choses à l'envers, s'il juge que ça n'a pas d'allure.

Vous voyez que ça mijote dans la marmite: l'épisode 41 approche! Déjà il y a un fumet dans l'air!


dimanche 18 mars 2012

Genèse 40. les grandes questions philosophiques

" Yahvé Dieu appela l'homme: "Où es-tu?"  dit-il. "
(Genèse, Bible de Jérusalem)

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Tubal-Caïn: "Je ne peux pas parler pour les humains: jamais ils me choisiraient pour les représenter! En plus, je n'ai pas idée de ce qu'ils voudraient te dire! "
Dieu: " Alors toi? De quoi veux-tu qu'on parle, vu que la tortue veut qu'on se parle..."

Tubal-Caïn:  " Je suis forgeron. Je ne connais que ça, m'occuper du feu, taper sur le fer rougi. J'aime toujours regarder le feu, c'est quelqu'un, le feu. J'aime aussi l'odeur du brûlé, dans ma forge"
Dieu:  " Je m'attendais que tu questionnes sur l'origine du monde, ou bien sur la vie après la mort, et tu me parles du feu de ta forge!"

Tubal-Caïn: " Les questions dont tu parles, je les laisse aux autres. Je m'occupe de ce que j'aime. Toi, comment occupe-tu tes journées?"
Dieu: " Je vis dans le silence. Tiens, ça va t'intéresser!  Justement ces jours-ci, il y avait de grandes langues de feu sur le soleil"

Tubal-Caïn:  " Des langues de feu sur le soleil?"
Dieu: " Oui, un orage solaire. Les jours suivants, il se passe plein de choses sur les planètes. Tu n'as rien remarqué?"

Tubal-Caïn: " Mon frère Yubal criait au miracle, il avait vu des nuages de papillons. Il y a aussi un vieux hibou qui clignotte des deux yeux. Tu dis que c'est à cause des langues de feu sur le soleil?"
Dieu: " Les papillons peuvent avoir saisi un signe pour commencer leur migration, c'est possible. Mais ce soir, tiens-toi bien, tu vas voir mieux que ça!"

Tubal-Caïn: " Quoi?"
Dieu: " Je veux pas gâcher ta surprise, faut attendre à ce soir!"

... ils continuèrent la route. Le soleil descendait à l'horizon. Tubal-Caïn reprit la conversation: " Ça fait longtemps que tu es Dieu?"

Dieu: " Non, certainement pas. Aujourd'hui seulement.
Tubal-Caïn: " Tu blagues!  Je t'ai vu hier soir près du feu...

Dieu: " C'était hier pour toi. Moi, c'est toujours aujourd'hui.
Tubal-Caïn: " Tu veux dire que tu es Dieu seulement depuis aujourd'hui?"

Dieu: " Depuis aujourd'hui, oui."
Tubal-Caïn: " Mais hier, qu'est-ce que tu étais?"

Dieu: " Je te l'ai dit.  Vous autres, vous avez un passé, des souvenirs. Moi, je suis aujourd'hui."
Tubal-Caïn: " Hé ben... Hé ben..."

... le soleil baissait de plus en plus... heureusement ils approchaient de la grotte.