vendredi 2 septembre 2011

21- Au marché des fleurs

Le professeur Galilée m'avait annoncé qu'il m'expliquerait sa peur, celle qui l'avait fait capituler devant les cardinaux de Saint-Office et renier tout son enseignement. Je l'écoutais, attentif à ne pas l'interrompre:
" Cette journée-là je me trouvais à Rome. C'était il y a 37 ans, un 17 février. Cette date n'est pas prête à s'effacer de ma mémoire... Le printemps est parfois hâtif à Rome, cette journée-là était particulièrement ensoleillée.  La foule se pressait au Campo del Fiori, cette place de Rome où les vendeurs de fleurs installent leurs étalages, à côté des marchands d'oiseaux et d'animaux domestiques. Cette après-midi là, les commerces n'ont rien vendu:  la foule leur tournait le dos. Tout le monde se pressait pour voir l'exécution d'un hérétique, qui allait être brûlé vif, condamné par l'Inquisition. Les huit cardinaux, dans leurs toges écarlates, avaient pris place sur l'estrade d'honneur.  Je distinguais le chétif et redoutable cardinal Robert Bellarmin, celui qui avait présidé cette cour ecclésiastique. Il avait dirigé les interrogatoires, durant les sept années de ce procès interminable.

" Je me souviens d'avoir vu le prisonnier qu'on traînait au bûcher: une chaîne entravait sa bouche, pour l'empêcher de dire un mot. Pourtant je vous assure que j'entends ses cris et ses discours, depuis ce jour, dans mes cauchemars.  Il y a eu la lecture de la sentence pour les multiples hérésies de cet homme. Puis le bourreau a allumé les fagots du bûcher. J'ai vu se tordre Giordani Bruno, brûlé vif. J'ai su très clairement que jamais, au grand jamais, je n'aurais le courage d'affronter cet enfer.

" Bruno était mon aîné de seize ans. C'était un prodige, un être exceptionnel. Je le connaissais mais lui ne me connaissait pas. J'avais suivi ses exploits à travers les récits qu'on en faisait: il avait enseigné dans plus d'une douzaine de villes universitaires, en Angleterre, en France, en Allemagne, en Suisse, en Suède, et bien sûr en Italie. Les monarques tenaient à l'attirer à leur cour, pour vérifier si ce qu'on racontait sur ses dons étaient bien réels:  une seule lecture d'un traité lui suffisait pour qu'il en retienne définitivement chaque mot. Son cerveau valait les meilleures bibliothèques.

" Comme moi, Bruno était disciple de Copernic. L'Inquisition le tuait pour avoir tenu, entre autres hérésies, l'opinion blasphématoire d'une terre qui tourne autour du soleil. J'étais une fourmi à côté de ce géant. Je regardais émerveillé quelques milliers d'étoiles dans un télescope qui grossissait trente fois.  Lui, il discernait une infinité de mondes semblables à notre monde. Son cerveau visionnaire se passait de télescope, il voyait l'univers comme personne avant lui ne l'avait vu.

" Cette journée du 17 février 1600, croyez-moi, la peur m'a saisit définitivement."





1 commentaire:

Michel à Isabelle a dit…

...ah! on avance, on avance!
pauvre, pauvre Galilée...il personnifie la conscience qu'on veut taire à tout prix?
P.S. quels beaux dessins!...à la parution de chaque nouveau blog,je m'empresse d'aller voir le dessin en premier...c'est comme la récompense qui va avec!