samedi 3 septembre 2011

22- Les mains soignées de Robert Bellarmin

C'est pas tous les jours qu'on peut entendre Galilée qui se raconte... Je ne perdais pas un mot de son récit:
" J'avais croisé le destin de Giordano Bruno, quelques mois avant qu'il se fasse épingler par le St-Office. C'était en 1593:  on avait refusé à Bruno un poste d'enseignement des mathématiques à Padoue. Or, c'est à moi qu'on avait attribué cette chaire de mathématiques!

" Bruno avait donc quitté Padoue, pour aller s'héberger à Venise, chez un diplomate rencontré l'année précédente en Allemagne, le sieur Macenigo. Durant deux mois, Bruno lui avait enseigné ses trucs de mnémotechnie. Quand Bruno avait annoncé son départ pour l'étranger, Macenigo avait couru le dénoncer à l'Inquisition, sans doute pour se protéger lui-même.

" Nos vies tiennent à de subtils hasards... Imaginez: si Bruno avait obtenu cette chaire de mathématiques à Padoue, il aurait pu échapper aux griffes du saint cardinal Bellarmin. J'aurais trouvé un gagne-pain ailleurs.

" C'est à croire que mon destin ne se détache pas de celui de Bruno. Vous en voulez un autre exemple? En 1616, j'ai été à mon tour sommé de comparaître devant ce cardinal Bellarmin, maintenant promus à la tête des Congrégations de l'Index et du St-Office: le bras droit du pape.  Le saint cardinal jésuite m'a reçu dans cette même pièce où il avait dirigé pendant sept ans les interrogatoires de son prisonnier Bruno. J'étais petit dans mes souliers.

" Comme à l'accoutumée, le saint prélat était tout miel, d'une grande affabilité, curieux d'échanger sur mes recherches en astronomie. Il avait glissé cette phrase: "Sans doute que les théories de Copernic vous intéressent... Elles avaient beaucoup d'intérêt pour ce pauvre Bruno... Dommage qu'un type aussi brillant que lui se soit obstiné jusqu'à la fin à soutenir ce que l'Eglise rejette catégoriquement... "  Me croyant habile, j'avais expliqué au cardinal que les travaux de Copernic étaient utiles pour donner des raccourcis dans les calculs des astronomes. On pouvait se servir de ces formules mathématiques sans adopter son hypothèse d'un monde qui tourne autour du soleil.

" Bellarmin en avait fini avec les civilités. Il m'a tendu un document à signer: le pape lui-même l'exigeait. Je devais m'engager à ne jamais soutenir le système de Copernic. Il m'était interdit d'en faire la promotion dans mes paroles ou mes écrits. Vous pouvez me croire, je n'ai pas hésité à signer cette acceptation. Je ne me doutais pas qu'on allait me servir ce document pour m'inculper à mon tour, treize ans plus tard. "







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