vendredi 30 mai 2014

Trous noirs. 47


( Rosilda a reçu un message de Mémé Clémentine de la rejoindre au bloc de jade, dans la grotte... Elle s'y rend mais ne trouve pas Mémé...)

Rosilda:  " Mémé ?  Il y a quelqu'un ?  MÉMÉÉÉ ? "

( Pendant que Rosilda cherche à gauche du bloc, Mémé surgit par la droite)

Rosilda:  " HEYYY !  Mémé, faites-moi pu jamais une peur de même..."

Mémé:  " Viens voir ce qu'il y a, derrière le bloc de jade..."

Rosilda:  " Vous voyez quelque chose, vous, Mémé? Moi j'vois rien..."

Mémé:  " Cette petite faille, qui serpente dans le sol... "

Rosilda:  " Continuez, Mémé... elle est importante ?"

Mémé:  " C'est elle qui nous permet de faire des oracles, ma Rosilda... Il y avait une faille semblable, dans la grotte de Delphes:  par cette faille, un gaz nous arrive du sous-sol... on le respire, et ça efface le passé et l'avenir.  On voit tout arriver devant nos yeux..."

Rosilda:  " C'est-ti poison, ce gaz ?"

Mémé:  " Faut pas abuser, comme pour l'Ouzo, ma petite!  On sent ces choses-là, tu verras.  Mais tu veux savoir autre chose:  vas-y, gêne-toi pas !"

Rosilda:  " Ma tante Delphina m'a parlé d'un Monseigneur que vous avez vu... Est-ce que c'est le diable en personne ? "

Mémé:  " Il éclaterait de rire, s'il t'entendait demander ça !  Monseigneur, il vient d'un autre monde... Les gens ont inventé des monstres, des dragons, des démons... C'est la peur qui fait ça. "

Rosilda:  " Est-ce qu'on est des sorcières ?"

Mémé:  " On est les prêtresses de Delphes.  On voit le destin des gens... On communique ce qui peut aider..."

Rosilda:  " Et ce Monseigneur ? "

Mémé:  " Il se prend pas au sérieux... Les gens qui se prennent trop au sérieux, ma Rosilda, eux tu peux les craindre... Je sais ce que tu penses, ma petite:  oui, on va se revoir encore, je partirai pas tout de suite... mais là, il faut quitter la grotte.  On s'en va prendre l'air!"

mercredi 28 mai 2014

Sketchbook page 11


Trois phrases dans cette page double du carnet.  
... Des milliers de gens dans un stade, c'est une foule ?
... Le pouvoir du vide.
... Il n'était pas une foule.

C'est la page de droite qui m'attire en premier, par sa charge d'émotion.  Tiananmen... un homme debout, qui tient tête à un monstre de fer, le char d'assaut. 

La foule, c'est vous et moi:  nous avons vu et revu cette image, ce film. À grande distance du monstre de fer. 

L'arme de cet homme seul devant le char de fer ? Il est désarmé. Il pose une question, dans le silence de son immobilité... Il dit au chauffeur du char d'assaut:  Tu as le choix de m'écraser comme un pou. Es-tu la sorte d'homme qui fait cette sorte de choix?

Le pouvoir du vide.  S'il y avait une barricade, le char écraserait la barricade. Le chauffeur du tank ne se pose pas de question devant une barricade à aplatir. Mais devant un homme désarmé, qui se tient debout devant la masse de fer, le chauffeur doit d'abord répondre à une question dont il n'a pas de réponse immédiate. Le chauffeur du tank n'est pas venu pour écraser un homme seul qui se tient debout devant cette montagne de fer. 

Le stade. J'ai pensé au tauréador qui affronte en duel le boeuf. 
Ou bien, dans ce colisée, les gladiateurs qui jouent leur vie, sur l'émotion des spectateurs romains. Un homme debout, la foule assise. 

Toute vérité a son contraire. Où est la force?  Celle d'une foule, ou celle d'un homme debout? Ghandi répondait à cette question. 

mardi 27 mai 2014

Trous noirs. 46


( Il est 9 h du matin.  Toussaint raccroche le téléphone.)

Hadelphine:  " C'est Célestia qui t'a répondu, ou bien tu as réussi à parler à Nicéphore ?"

Toussaint:  " J'ai attrappé Nicéphore juste à temps: il recevait quelqu'un à son bureau.  Finalement on va pouvoir le rencontrer demain seulement, à cette heure-ci."

Hadelphine:  " On, c'est qui ?"

Toussaint:  " Moi et les trois autres qui ont reçu les mises-en-demeure.  Faut qu'on règle ça une fois pour toutes. "

Hadelphine:  " Et Barbe ?  C'est elle qui avait commencé les démarches avec Nicéphore..."

Toussaint:  " Tu as vu comment elle était, hier soir, quand elle est remonté du sous-sol, à la fin de la réunion... Je la vois pas, aller négocier avec Nicéphore, en même temps qu'elle se prépare à exploiter la mine de cuivre! "

Hadelphine: " Et Ferdinand ?  Vous lui en parlez pas ?"

Toussaint: " Si tu l'avais vu comme je l'ai vu, complètement assommé... J'ai bien peur qu'il est tombé en dépression... Non, on va régler nos affaires nous-mêmes."

Hadelphine: "Mais c'est Ferdinand qui vous avait envoyé ramasser des échantillons à la grotte! "

Toussaint:  " Hé oui... C'est comme ça..."
(Il met sa casquette)

Hadelphine:  "Où tu vas?  Si quelqu'un cherche à te parler, où est-ce qu'on peut te rejoindre ?" 

Toussaint:  " En premier, je vais passer chez Zacharie. Faut contacter Elie et Ignace, faut se préparer pour négocier demain, faut passer à la caisse pop... ça va nous prendre une avance de la caisse... on pourra pas s'en tirer sans payer, mais c'est mieux que d'avoir un procès sur le dos.  Et toi, c'est quoi ton programme ?"

Hadelphine:  " Je vais voir... Barbe voulait qu'on prenne un café ce matin... J'ai aussi à rempoter le géranium renversé par le chat..."

Toussaint:  " Tout le monde s'occupe à réparer les pots cassés!"

lundi 26 mai 2014

Sketchbook page 10


Cette page du sketchbook... elle repose la question des pages précédentes:  qu'est-ce que je cherche?  Et pour savoir ce que je cherche, je me demande où je vais, pour le chercher.

Cette double-page agit comme un concerto pour orchestre et choeur. 

Le visage de Glen Gould. Le visage de Bach.  

Le visage de chaque musicien d'un orchestre, de chaque choriste. Les âmes habitent les visages. Only. 

Toute vérité a son contraire, qui n'est pas une fausseté. Une vérité qui rejette son contraire, elle risque de ne plus être vraie.

Si je vais à un concert (ça m'arrive trop rarement),  je ferme les yeux, pour entendre cette musique de Bach, interprétée par le musicien Glen Gould. 

Ce Glen Gould qui digérait de moins en moins le spectacle de la musique. Le spectacle qui n'était pas la musique. Jouer Bach devant une foule, c'était mêler spectacle et musique. Ça le dérangeait de plus en plus. Il ne voulait plus être funambule, devant la foule qui retient son souffle: va-t-il faire un faux-pas? 

Pourtant, une foule peut vivre un miracle: quitter la foule qu'elle est. Elle devient un visage qui rit, ou bien qui pleure. Un visage que chacun s'approprie. Quand chacun perd son visage, dans le silence d'une émotion.  Chacun devient Bach, chacun devient Glen Gould. 

J'ai toujours ce souvenir:  je faisais une forte fièvre, et un rêve m'avait rêvé. Un rêve tellement étrange m'avait visité, m'avait habité.  C'était un groupe qui s'en venait sur la route. Des personnes de tous les âges, comme des familles, mais un groupe. Ils approchaient, ils allaient passer devant moi. Des Egyptiens d'autrefois. 

Le miracle, c'est qu'ils ne parlaient pas. Quand on parle, c'est pour dire quelque chose à quelqu'un d'autre qui nous écoute. Eux, ils ne parlaient pas, parce qu'ils étaient une seule personne, et cette personne marchait en silence. Il n'y avait qu'une pensée qui habitait cette personne qui marchait sous la forme d'un groupe de tous les âges. Ce groupe d'une même pensée silencieuse marchait maintenant sur la route devant moi, puis ils étaient passés, ils n'étaient plus là, et je suis resté estomaqué, à tout jamais, par cette visite miraculeuse. 

Un groupe peut être un visage, une âme. Comme dans cette visite d'un rêve, comme une révélation de ce qui peut exister, ailleurs. Dans cet ailleurs qui habite au coeur de nous-même, dans le silence d'une parole d'une force incroyable.

dimanche 25 mai 2014

Trous noirs. 45


(La chouette Vénus raconte à Sanguino, son ami Chauve-souris, l'expédition à la grotte avec Horatio).

Sanguino:  "Je vous ai vu arriver ensemble à la grotte..."

La chouette: " Hé oui, mon capitaine!  Il en arrive des choses dans notre royaume !"

Sanguino:  " Savais-tu qu'Horatio parle à Ferdinand ?"

La chouette: " Non, première nouvelle que j'en ai... Il va voir Ferdinand chez-lui ?"

Sanguino:  " Pas encore... C'est dans sa tête qu'il lui parle... Quand je vous ai suivi dans le tunnel de l'ancienne mine, Horatio faisait la conversation avec Ferdinand."

La chouette:  " Qu'est-ce qu'il lui racontait ?"

Sanguino:  " Horatio trouve pas correct que le Grand Maître des Alchimistes soit abandonné par tout le monde, comme Jésus au Jardin des Oliviers.  Horatio veut aider Ferdinand à se réveiller."

La chouette:  " Mon capitaine, vous avez un don inestimable, pour entendre ainsi les pensées... L'oreille absolue, c'est pas donné à tout le monde! "

Sanguino: " Alors, ça s'est bien passé, la sortie par le trou de cheminée, au fond de la salle des cristaux ?"

La chouette:  "Comme un charme, mon capitaine. J'ai suivi à la lettre les instructions de Monseigneur Lucifer.  Horatio connait maintenant l'existence de la sortie de secours."

Sanguino:  " Il s'est pas fait prier pour te suivre dans cette cheminée ?"

La chouette:  " Avec les craquements des rochers, au-dessus de sa tête, Horatio avait juste envie de sortir de là au plus vite !"

Sanguino:  " Tu as reçu d'autres instructions de Monseigneur ?"

La chouette:  " Non, mon capitaine. On a tous reçu le même message:  on est sur un pied de guerre, en état d'alerte.  C'est le calme plat avant la tempête:  On est en plein milieu, dans l'oeil du cyclone..."

samedi 24 mai 2014

Trous noirs. 44


(Une heure plus tard, les deux nouveaux amis, Horatio et la chouette, se retrouvent dans la salle des cristaux bleus... Pour atteindre cette salle, ils ont cheminé ensemble le long du vieux tunnel de l'ancienne mine de cuivre)

Horatio:  " J'ai un avantage sur mes confrères alchimistes qui sont venus ici... Moi je sais le danger, si on prend pas de précautions avec ces beaux cristaux... Eux, ils étaient pas prévenus... Je comprends qu'ils ont pas pu résister à la tentation d'en mettre plein leurs poches..."

"Maintenant qu'on en a fait le tour, ma belle chouette, c'est le temps de retourner sur nos pas et de sortir d'ici... Ça me fait courir des frissons dans le dos, les craquements sourds que j'entends dans le plafond de roches..."

"Hé ! La chouette !  Je t'ai dit qu'on s'en va d'ici !  Pourquoi tu te tiens derrière ces blocs ? On est pas des enfants, on joue pas à la cachette ! Viens-t'en, c'est sérieux, on s'en va !"

(La chouette apparaît dans la pénombre, bat des ailes comme pour montrer un chemin derrière elle... Horatio comprend enfin qu'il doit aller fureter dans ce coin noir... Il enjambe des blocs, se retrouve dans un passage obscur...)

Horatio:  " ...  Jamais j'aurais trouvé tout seul ce raccoin caché... Hé! La chouette !  Je te vois plus ! T'es rendue où ? Peux-tu me dire où tu m'emmènes comme ça ? "

Trous noirs. 43

(Courbé sur sa pelle ronde, Horatio achève de creuser une fosse au cimetière.  Juché sur le monument voisin, la chouette l'observe).

Horatio:  " Encore deux pelletées de terre, ma chouette, et j'ai terminé!  ... C'est mon dos qui en prend un coup... "

(Il sort maintenant de la fosse, regarde l'heure à sa montre, secoue la poussière de ses pantalons, puis continue son monologue-discours à la chouette):

"Maintenant, ma vieille, je me paye la traite... Tu devineras jamais quoi ! Donne-tu ta langue au chat?... Bon, je passe chercher ma lampe de poche à la maison, puis je vais... cherche un peu... je vais visiter les cristaux bleus dans la grotte! C'est mon tour d'aller voir ça!  Qu'est-ce que t'en dis?"

(la chouette le regarde fixement, puis bat un peu des ailes)

Horatio:  " On dirait que ça te démange de me donner ton avis!  Montre-moi donc que tu comprends ce que je dis, fais-moi un beau clin d'oeil! "

(la chouette ouvre un peu les ailes, puis ferme son oeil gauche!)


Horatio:  " Dieu du ciel ! J'ai tu rêvé? Écoute... si tu comprends ce que je raconte, recommence, fais un clin d'oeil..."

(la chouette lui refait un clin d'oeil)

Horatio (bouleversé):  " Faut surtout pas que je raconte ça à Rosilda... Elle va encore dire que j'ai des hallucinations...  Tant pis, je suis comme je suis... " 

(Il s'adresse à la chouette:)
"Je vois bien que tu peux me répondre... On pourrait se faire un code pour se comprendre... Tiens, quand tu m'approuves, pour dire  oui, tu fermes les deux yeux... Essaie, voir!  " 

(la chouette ferme les deux yeux, puis les ouvre, et se dandine un peu sur le monument)

Horatio:  " Viens-tu avec moi visiter les cristaux de la grotte?"

(La chouette acquiesce en fermant les deux yeux. Elle les ouvre, puis lui adresse un clin d'oeil).

jeudi 22 mai 2014

Trous noirs. 42


( Toussaint vient de monter du sous-sol... Ses copains, Elie et Zacharie, ont quitté la maison, il y a quelques instants).

Toussaint:  "Je nous sers une goutte de calvados, Hadelphine?  Ça me prend un remontant..."

Hadelphine: " D'accord pour le calvados, Toussaint. Ça tourne pas rond, on dirait:  Ignace est parti en claquant la porte, puis Barbe a suivi, rouge comme une tomate..."

Toussaint: " Barbe nous a scié les jambes.  Jamais j'ai vu quelqu'un d'aussi imprévisible... Ton amie Barbe, laisse-moi te dire que c'est tout un caractère! "

Hadelphine: " En partant, Barbe m'a dit qu'elle m'expliquerait tout ça, demain.  Tu peux me dire de quoi il s'agissait? "

Toussaint: " Nos mises-en-demeure... Barbe s'était rendu chez Nicéphore pour négocier une entente. Puis, elle a viré bout pour bout, elle a refusé net de signer l'entente. Faut tout reprendre à zéro. Faut s'en occuper nous-mêmes." 

Hadelphine:  "Tu peux me dire pourquoi Barbe a refusé de signer?"  

Toussaint: " C'est plus un secret.  Barbe veut exploiter la mine de cuivre.  Nous, on a été échaudés, on ne veut plus toucher à ça."

Hadelphine:  " Mon amie Barbe, j'la connais depuis l'école primaire.  Il y aura rien pour la faire changer d'idée, une fois qu'elle a décidé quelque chose."

Toussaint:  " Elle cherche le trouble, ton amie... On va revoir dans nos parages la belle cadillac blanche et le noir en complet rose, ça m'a tout l'air !"

lundi 19 mai 2014

Sketchbook page 9


Parfois il faut se souvenir de ce qu'on ne voit pas, malgré ce qu'on voit, qui semble contredire l'invisible. 

J'ai été cet enfant, et je le suis encore.  
Tu as été cet enfant, et tu l'es encore.
Il était cet enfant, il l'est encore.
Elle était cet enfant, elle l'est encore.

Mon vieux père tirait à sa fin, il allait mourir, ça n'allait plus du tout. Je me souviens d'avoir exploré à fond toutes ses photos d'enfance, de les avoir imprimé, de lui en avoir fait un album. J'y ajoutais aussi des photos de cirque, des photos de fleurs.  J'essayais de lui faire retrouver le petit qu'il avait été, avec toute sa fragilité. 

Peut-être qu'il n'avait pas besoin de cet album. Peut-être qu'il n'avait pas quitté cet enfant qu'il avait été. Il ne le disait pas. Mais je suis certain d'une chose:  il est devenu pour moi un petit enfant fragile, beau, dont on veut tenir la main. 

Quand je l'ai quitté, ce dernier soir de sa vie, je le guidais vers un souvenir:  celui d'un ruisseau où il pêchait les petites truites, à Belle-Rivière, près de Ste-Scholastique. Un ruisseau étincelant de lumières qui dansent. L'enfant qui attend, fébrile, qu'une truite vienne mordiller l'hameçon. 

Quand il est mort, c'était la mort du tout petit Charles que je pleurais, que je sanglotais. 

Je me trompe chaque fois que j'oublie cet invisible.  Ce voisin venu causer  cet avant-midi:  il a été ce petit, et il l'est toujours.
Cette page du sketchbook, elle me ramène à ce que je ne vois pas. Cela change tellement la perspective...  


dimanche 18 mai 2014

Sketchbook page 8


" Un visage:  quelqu'un.  Une foule:  personne. Dans une foule, on cherche un visage."

Est-ce bien vrai? (Il faut se méfier des belles phrases:  leur contraire est souvent vrai aussi...)  

Il y a toutes sortes de foules:  celles des centres d'achat, où tout le monde croise tout le monde à plein corridor... Celles des salles d'attente, souvent bondées, où on cherche un coin pour s'asseoir en attendant qu'un haut-parleur appelle notre numéro ou notre nom...Celles des salles de spectacle, avec ou sans siège réservé... 

Il faudrait des noms différents pour nommer les foules qui prennent un visage dans lequel on se moule, et celles qui ressemblent à des gares de triage.  

Quand une foule devient un rire, un cri, une ferveur... Quelle détente ! Ou bien, quand cette foule devient un silence, une respiration, une attente, un désir. Ça devient une sorte de miracle quand la foule devient une personne que la vague soulève.  Ça peut être un miracle ou une catastrophe. 

Devant l'écran de l'ordinateur je suis seul. Les mots écrits sont des aliments qui donnent de la force, ou bien qui empoisonnent. Selon qu'ils tendent la main ou qu'ils tournent le dos. Il y a les foules invisibles, toujours. 


samedi 17 mai 2014

Trous noirs. 41


(Delfina et Rosilda se rencontrent près du bloc de jade noir, à la grotte)
Delfina:  "Ma chère petite prêtresse, j'ai des nouvelles importantes pour toi, de Mémé Clémentine."

Rosilda: " Elle était partie en voyage ?"

Delfina:  "Mieux que ça:  Elle a rencontré Monseigneur."

Rosilda:  " Un évêque? Je pensais que Mémé fréquentait pas les évêques, c'est pas son genre... Elle penche plutôt vers Zorba et l'Ouzo! "

Delfina:  " Monseigneur, c'est pas un évêque!  Depuis des siècles avant l'ère chrétienne, depuis qu'il y a des prêtresses à Delphes, il nous protège."

Rosilda: " Et toi, ma tante, tu as déjà rencontré ce Monseigneur en question ? " 

Delfina:  " On a rarement ce privilège, mais ça m'est arrivé, quand les circonstances devenaient extraordinaires..."

Rosilda:  " Alors, si Monseigneur a rencontré Mémé, c'est qu'il se passe quelque chose? "

Delfina:  " Oui ma cocotte.  En gros, Monseigneur a demandé à Mémé si elle y tenait, à la grotte."

Rosilda:  " Parce qu'il voulait la vendre ?"

Delfina:  " Tu es drôle, ma belle enfant!  Monseigneur pourrait te donner un carrosse en or et des souliers brodés de perle, pour la belle princesse que tu es ! "

Rosilda:  "Alors, pourquoi il a demandé à Mémé si elle y tenait, à la grotte?"

Delfina:  " Ils veulent faire exploser la grotte, pour extraire du cuivre... Monseigneur a laissé Mémé prendre la décision."

Rosilda: " Ma tante, j'ai le coeur qui me débat... Qu'est-ce que Mémé a décidé ? On va ti perdre notre beau bloc de jade noir? "

Delfina:  " Mémé a pensé à nous deux. Elle a pensé aussi à la chouette, aux chauve-souris. Elle a choisi de nous garder la grotte."

Rosilda:  " Et ceux qui veulent faire sauter la grotte pour avoir le cuivre, comment ils vont changer d'idée ?"

Delfina:  " Monseigneur s'en charge, il va agir.  Mais Monseigneur a demandé à Mémé de nous faire un message..."

Rosilda:  " Je vous écoute sérieusement, ma tante."

Delfina: " Il nous fait dire de ne pas hésiter une seconde, quand l'intuition va nous parler. Il faudra agir à l'instant, ma belle nièce. "


jeudi 15 mai 2014

Trous noirs. 40


Mémé Clémentine:  " Monseigneur!  Qu'est-ce qui vous prend, de jouer à Superman ?"

Lucifer:  " Mémé, profitez de l'aubaine!  Faut que je me dégourdisse! "

Mémé Clémentine: " C'est pas sérieux, à nos âges !"

Lucifer:  " Mémé, si je me prends trop pour le Prince des Ténèbres, ça s'ra plus drôle... Les humains, vous faites des bêtises, parce que vous dramatisez tout... Faut pas que j'attrape vos microbes ! Ça deviendrait l'enfer! "

Mémé Clémentine:  " Monseigneur, ralentissez, c'est pire que le parc Belmont de mon enfance, la tête me tourne... c'est comme si j'avais vidé une bouteille d'Ouzo !  Je propose que vous me déposiez doucement..."

(Lucifer-Superman avec grâce acquiesce à sa demande)

Lucifer:  " Chère demoiselle Clémentine, vous voulez maintenant savoir pourquoi je vous ai invité à me visiter dans ma grotte ?"

Mémé Clémentine:  " Je meure d'envie de vous entendre, Monseigneur."

Lucifer: " Mémé, ils veulent repartir la mine de cuivre. Alors c'est vous qui décidez.  Je les laisse faire, ou bien vous tenez à votre paix ici ?"

Mémé Clémentine: " Monseigneur, c'est à Delphina et Rosilda qu'il faut penser... Les prêtresse de Delphes, parmi les camions-benne, les excavatrices, la poussière de roche, le bruit des explosions? Faut penser aussi à nos amies chauves-souris, à la chouette Vénus... Ya pas une minute d'hésitation là-dessus, même sans dramatisation, Monseigneur !"

Lucifer:  " C'est ça que j'aime chez les humains, Mémé:  Vos amis, vous en prenez soin. Je savais votre réponse, mais je voulais me donner le plaisir de vous entendre, c'est de la bonne musique !"

Mémé Clémentine: " Vous allez intervenir comme Superman, Monseigneur?" 

Lucifer:  " Le mieux, c'est de leur donner de la corde, ils vont se pendre eux-mêmes. Faites pas cette figure-là, Mémé! C'était une figure de style, je les ferai pas se pendre, on dramatisera pas!"

Mémé Clémentine:  " Qu'est-ce que vous attendez de moi? "

Lucifer: " Prévenez les prêtresses de bien suivre leurs intuitions: elles vont savoir à mesure quels bons gestes poser.  Je me charge d'occuper la chouette et les chauves-souris: elles vont se dégourdir les ailes, comme si elles étaient au Parc Belmont, Mémé !"  

mercredi 14 mai 2014

Sketchbook page 7


... Je traduis et je commente cette page, ces lignes écrites dans le dessin. Sans aucun doute, vous pourriez aussi commenter sur votre propre émotion, lorsque vous regardez un visage "qui vous parle".

Cela se vérifie lorsque cette personne dont vous regardez le visage garde silence.   Pas de paroles à entendre, à examiner, à juger, à retenir ou à rejeter. Seulement ce visage. 

Il y a cette émotion devant certaines photographies "noir et blanc". L'image est dépouillée de ce qui distrait de l'essentiel. L'émotion est épurée. 

Hier midi, j'étais assis dans un corridor "salle d'attente". Pour occuper ce temps, j'écrivais dans un calepin, pour préparer un épisode de "Trous noirs". Soudain j'ai levé les yeux. Quelqu'un me regardait. Un vieil homme qui tenait une canne. J'ai replongé dans mon travail d'écriture, mais j'étais dérangé, d'une façon. 

Puis quelqu'un s'est enfargé dans mes jambes (mais sans tomber). C'était une dame qui travaillait dans cette clinique, elle était pressée par son travail... Elle s'est excusée, et je me suis excusé aussi: j'avais étendu les jambes comme si j'étais chez-moi... (ce corridor était très large, l'équivalent d'une petite salle). J'ai regardé de nouveau ce vieil homme qui m'avait regardé:  il avait un grand sourire... Par signes, on a échangé quelque chose de comique, sur ce qui venait de se produire (cette dame qui s'était enfargé dans mes jambes).   Puis mon nom a été annoncé: mon tour de rendez-vous était arrivé. J'ai ramassé mes affaires (le manteau, la casquette, le sac avec le calepin)... J'ai fait le détour pour aller voir cet homme qui était devenu un proche, je lui ai donné la main. Comme si on se reconnaissait, sans rien pour l'expliquer. Il était content, moi-aussi.  Au sortir du rendez-vous, je suis retourné dans ce corridor, pour le saluer de nouveau.

En écrivant ce paragraphe, je me souviens d'un épisode du film "Les ailes du désir".  Deux "anciens anges" se reconnaissent... Ils ont perdu leurs ailes, pour vivre une vie humaine. La rencontre de deux émigrés. 

Ça doit venir de là, l'émotion devant un visage:  on se retrouve. On s'identifie à l'autre. Pas besoin de traduction, d'intermédiaire... c'est immédiat.  

lundi 12 mai 2014

Trous noirs. 39


(En haut de l'escalier, la porte s'ouvre brusquement: apparait Hadelphine dans toutes ses émotions)

Hadelphine:  " Sainte Vierge, y a-tu quelqu'un de blessé? "

Toussaint:  " Rien de grave: c'est le maudit chat qui continue à renverser les pots de fleurs..."

Hadelphine:  " J'vous laisse continuer en paix votre réunion."
(elle referme la porte).

Zacharie: "J'comprends le chat de sauter en l'air, quand ç'a pas de sacré bon sens... Répète-nous ça, Barbe:  Tu veux opérer la mine de cuivre, pendant que nous autres on se débat pour éviter un procès, et pour pas payer chacun 5,000 piastres pour ces satanés cristaux bleus  ?"

Élie: " On n'a pas d'alibi, on s'est fait prendre les fesses à l'air! Le type de Chicago, il paie ses taxes à la municipalité... On était sur sa propriété, on a arraché des cristaux comme si c'était à personne. C'est une propriété privée, Barbe! "

Barbe:  "C'est privé en surface, c'est pas privé en dessous."

Élie: " Tu veux dire que si on creuse sur la propriété de quelqu'un, on ne touche pas à une propriété privée? " 

Barbe:  " Le sous-sol, ça appartient jamais au propriétaire du terrain, même s'il a payé ses taxes à la ville, et même s'il se promène en grosse cadillac blanche avec une licence des Etats."

Toussaint:  " Comme ça, les mises-en-demeure qu'on a reçu, c'est rien que du vent?  On pouvait aller se promener dans le tunnel de la mine, et ça ne regardait pas le type de Chicago?  Es-tu bien certaine de ce que tu avances là, Barbe? "

Barbe:  " Les prospecteurs peuvent faire leur travail pour trouver les richesses qui sont dans le sous-sol."

Elie: "Moi, j'répare des motos, j'suis pas prospecteur.  Chez les autres alchimistes, y a personne qui est prospecteur. " 

Barbe:  " Cet après-midi je suis allé m'enregistrer comme prospecteur pour les mines."

Ignace:  "Trop c'est trop.  J'm'en va chez-nous.  "

dimanche 11 mai 2014

Sketchbook page 6


Je suis surpris par cette page-double.  Surpris d'avoir écrit ces trois lignes ("Où êtes-vous?"  "Souvent je me sens seul"  "J'ai un visage").  Le dessin est surprenant aussi, par l'absence de dessin. 

Allons-y pour un commentaire spontané.  Ça ira avec cette page du  Sketchbook, certainement spontanée elle-aussi. 

Il y a un appel.  Ça dit: "Where are you ?" "Je vous cherche, où êtes-vous ?"  Si on ouvre le Sketchbook à cette page 6, on est interpellé.  

En bas de page, comme un post scriptum, il y a un aveu, une confidence:  " Often I feel alone".  Je pourrais écrire des phrases qui expliquent la solitude, qui la commentent, mais ce serait tout autre chose que de dire:  " Souvent je me sens seul ". Parler de la solitude est une façon de ne pas dire qu'on a cette blessure, ce besoin d'être soigné. 

Et puis il y a cette troisième phrase:  "I have a face"  "J'ai un visage".  Pourquoi dire qu'on a un visage?  

Le dessin ne donne pas la couleur des yeux, la forme du nez, le sourire ou l'absence de sourire des lèvres. À moins de se regarder dans un miroir, on ne voit pas notre propre visage. Le dessin représente un visage intérieur. Le visage auquel vous pouvez vous-aussi vous identifier.  C'est notre visage intérieur, le mien, le vôtre. 

samedi 10 mai 2014

Trous noirs. 38


(Barbe reprend des couleurs... Elle a grignotté deux biscuits, en les faisant fondre doucement dans sa tasse de café.) 

Barbe:  " Ça va mieux... J'vais tâcher de répondre aux deux questions. Avant, faut que je vous raconte:  Quand je me suis pointé chez Nicéphore ce matin, à 9 heures, hé bien, tenez-vous bien, il le savait depuis une semaine que je viendrais à 9 heures du matin,  c'était dans son agenda des rendez-vous !"

Toussaint:  "Ça se peut pas, Barbe.  C'est hier soir que t'en a parlé à la femme de Nicéphore, y avait rien de prévu avant. "

Barbe:  " Le type de Chicago le savait d'avance !  Il a retenu les services de Nicéphore, il y a une semaine, pour me recevoir ce matin à 9 heures!  Y a rien à comprendre." 

Elie:  " Est-ce qu'il laisse tomber sa demande des cinq mille piastres qu'on doit payer chacun, pour pas avoir de procès? "

Barbe:  " On n'en a pas parlé." 

Zacharie:  " Barbe, tu allais pour négocier ça, et vous en avez pas parlé ?"

Barbe:  " Nicéphore voulait que je signe un document en votre nom et en mon nom. Ça disait qu'on renonçait à exploiter la mine de cuivre, et même à toute visite là-bas... Fallait qu'on se parle ensemble,  avant de pouvoir signer quelque chose en votre nom."

Elie:  " Faut retourner voir Nicéphore... Pourquoi on paierait cinq mille piastres?  On pensait pas mal faire en visitant une mine abandonnée, et puis on veut pas de procès, on est pas des bandits!"

Zacharie:  " T'as pas de scrupules à avoir, Barbe, tu peux signer en notre nom... On verra plus tard si tu veux être à la tête des alchimistes, c'est pas coulé dans le ciment."

Toussaint: " Alors, Barbe, on te propose de retourner signer ce document le plus vite possible, en demandant d'effacer la demande des cinq mille piastres, comme l'a dit Elie.  Es-tu d'accord? "

Barbe:  " Je suis contre. Je signerai pas ce document.  Je pense qu'il faut engager du monde, repartir la mine de cuivre..."

(Le chat bondit et renverse le gros pot de géraniums)

vendredi 9 mai 2014

Sketchbook page 5


On a perdu un village.  On l'a perdu, mais sans le savoir. Comment chercher ce qu'on a perdu, si on ne l'a pas connu avant de le perdre? C'est comme un enfant dont la maman est morte en lui donnant la naissance.  Peut-être que l'enfant regarde une photo de cette maman qui n'a pas pu le caresser, tout lui apprendre. Ainsi je regarde de vieilles photos de vieux albums, sans savoir trop qui étaient ces personnes, ni toute l'importance qu'ils avaient les uns pour les autres.  

C'est aussi tout comme avoir perdu une langue maternelle. Beaucoup de langues parlées ne sont plus parlées, les mots s'éteignent.  Les mots d'une autre langue ne remplacent pas, ne traduisent pas. Un dictionnaire ne donne pas la musique, la mélodie, l'étoffe sensuelle d'un mot qui ressemble à un fruit bien mûr. 

It is a kind of exil:  on vient d'un pays chaud où les gens vivaient dehors, à se cotoyer. Etre anonyme, c'est comme être encabané dans un pays froid. A travers les vitres givrées, on regarde passer des autos. Sur les écrans des tv, des images en boucle. 

C'est être exilé de soi-même.  

Reste à faire un voyage de retour au village qui n'est plus.  Se redonner un village à l'intérieur de soi. Puis le village prend racine autour de soi.  

jeudi 8 mai 2014

Trous noirs. 37


Hadelphine:  " Bonsoir Barbe !  Toussaint est avec ses trois amis, dans le sous-sol, ils t'attendent..."

Barbe:  " Tu ne descends pas avec moi? "

Hadelphine:  " Toussaint pense que c'est mieux que ce soit juste vous autres, ce soir... Je te verrai après votre réunion."

(Barbe rejoint les quatre alchimistes)
Toussaint:  " Tout le monde est arrivé.  Merçi, Barbe, d'être venue.
On a besoin de ton aide pour régler notre problème des mises-en-demeure... Et puis ça nous prend une direction, vu que Ferdinand est en repos complet..."

Elie:  " Victoria m'a dit, hier soir, quand elle est revenue de chez les Fermières, que tu allais voir notre huissier, ce matin, pour tâcher de régler une négociation... Les nouvelles sont-tu bonnes? "

Toussaint:  "Laissez-la parler, bonyenne d'affaire... Barbe, on te laisse la parole.  Accepte-tu de remplacer Ferdinand ? "

Barbe:  " Bon, faut que je reprenne mon souffle.  Il vente en chien, dehors, depuis ce matin, ça se calme pas... Vous demandez si les nouvelles sont bonnes ?  J'ai l'impression que je vais avoir autant besoin de vous autres, que vous avez besoin de moi..."

Zacharie:  " C'est nous autres, Barbe, qu'on est dans le trouble. Ferdinand il est pas venu faire l'expédition à l'ancienne mine de cuivre, et vous avez pas reçu de mise en demeure, vous autres..."

Toussaint:  " Zacharie, laisse continuer Barbe..."

Barbe:  " C'est pas aussi simple que je l'avais pensé... Ça m'énerve pas mal... Toussaint, j'ai encore une crise d'hypoglicémie, la tête me tourne, j'ai chaud... Me faudrait quelque chose à manger, et un bon verre d'eau froide... Vite ça presse... ouf j'ai chaud..."

mercredi 7 mai 2014

Trous noirs. 36


( Nicéphore revient avec un plateau:  une tasse de café, des biscuits...)
Nicéphore:  " Vous souffrez parfois d'hypoglicémie, madame Barbe?  Ça va mieux maintenant ? "

Barbe:  " Ça va se replacer... ma tête s'est mise à tourner..."

Nicéphore:  " Si vous permettez, je fais la lecture du document que vous devez signer:
Par les présentes, je m'engage personnellement et au nom des alchimistes de notre association, à mettre définitivement fin à tout projet visant à remettre en opération l'ancienne mine de cuivre que notre groupe a vandalisée dernièrement.  Aussi, à éviter toute démarche qui conduirait à visiter ou faire visiter la dite ancienne mine de cuivre, sous quelque prétexte que ce soit.  Contrevenir à cette disposition équivaudrait à un bris d'entente, et entraînerait des conséquences extrêmement fâcheuses, dont la signataire de l'entente devrait assumer l'entière responsabilité.  
En foi de quoi je signe en présence de Me Nicéphore, qui est mandaté pour recevoir cet engagement. "
Vous signez ici, madame Barbe...

Barbe:  "Je ne représente pas encore les membres de l'association des alchimistes... je ne peux pas signer sans leur en parler d'abord!"

Nicéphore:  " En ce cas, vous signez ce petit document que voici:  vous reconnaissez avoir pris connaissance des tenants et aboutissants de l'entente proposée par mon client de Chicago."
( Il tend une feuille et une plume pour la signature)

Barbe:  " Et vous continuez à dire que ma visite imprévue de ce matin vous avait été annoncée il y a une semaine ?"

Nicéphore:  " Vous avez même été ponctuelle, madame Barbe. Il y a une semaine, mon client a prévu que je devais vous recevoir à 9h ce matin. Vous vous êtes annoncée avec trois minutes de retard, dû au vent qui a viré votre parapluie à l'envers... Mon client américain ne laisse aucun détail au hasard, il est extrêmement méticuleux, vous savez..."

Barbe:  " Il y a une semaine, c'est mon mari qui s'occupait de tout ce qui regarde les alchimistes, monsieur Nicéphore..."

Nicéphore:  " Mon client de Chicago tenait de source certaine que c'était votre projet, la mine de cuivre, et que monsieur Ferdinand jouait le rôle d'une prête-nom, tout au plus, si on peut dire..."

Barbe:  " N'allez jamais au grand jamais répéter cela à Ferdinand!"

mardi 6 mai 2014

Trous noirs. 35


( Le lendemain matin, Barbe se rend donc chez Nicéphore, comme convenu la veille au soir avec Célestia.  ... La pluie, de soudaines bourrasques de vent... Un parapluie qui vire à l'envers... Barbe sonne à la porte:  ding doooong.  Célestia vient ouvrir.)

Célestia:  " Bonjour Barbe !  Tu arrives au moment où je dois quitter... Nicéphore va te recevoir... Bonne rencontre !"

Nicéphore:  " Bonjour madame Barbe, un sale temps ce matin!

Barbe: " Il fait un vent à écorner les boeufs !"

Nicéphore:   "Suivez-moi, on va s'installer dans mon bureau."

Barbe:  " Merçi de me recevoir, j'arrive comme un cheveu dans la soupe, je bouscule peut-être votre horaire..."

Nicéphore:  " Pas du tout, madame Barbe: j'étais prévenu de votre visite."

Barbe:  " Oui, je sais que Célestia a fait la commission, mais quand même j'apprécie."

Nicéphore:  " C'est pas Célestia qui m'a prévenu: il y a une semaine, on m'a annoncé que vous alliez vous présenter aujourd'hui."

Barbe:  " Hein?  Depuis une semaine ? Ça se peut pas..."

Nicéphore:  " Le lendemain de l'incendie du laboratoire de votre mari Ferdinand, mon client de Chicago m'a remis en main propre ses instructions pour vous, en précisant que vous alliez venir en date d'aujourd'hui.  Je vous attendais, madame Barbe. "

Barbe:  " Sapristi... Ça parle au diable ! Vous dites qu'il avait des instructions pour moi ? Il savait que je viendrais aujourd'hui ?"

Nicéphore: " Exactement, madame Barbe. Mon client de Chicago m'a précisé que vous étiez mandatée par les alchimistes pour signer une entente avec lui. "

Barbe: " Hein ? Mais je rêve en plein jour!... Il y a seulement Toussaint à qui j'en ai parlé, et c'était hier matin!  Ce soir je vais rencontrer les alchimistes qui sont allé à l'ancienne mine de cuivre, mais j'ai pas encore de mandat, on s'est même pas parlé encore! "

Nicéphore: " Madame Barbe, je vais vous faire la lecture du document que vous devez signer, c'est mon travail de huissier de justice."

Barbe:  " J'ai chaud... J'suis toute en sueur... Faudrait que je mange un biscuit, n'importe quoi... ouf... un verre d'eau froide ça presse.."






lundi 5 mai 2014

Trous noirs. 34


 Barbe:  " Pour revenir à ce qu'on disait, Célestia... Demain je peux passer chez-vous, pour rencontrer Nicéphore? "

Célestia:  " Viens prendre un café demain matin, pas trop tard..."

Isadora:  " Pendant que j'y pense, Adrien m'a demandé de vous dire que ça lui prend un morceau de cristal bleu... En avez-vous encore un peu ? "

Barbe: " Pourquoi il veut ça, Adrien ?"

Isadora:  " Comme capitaine des pompiers, faut qu'il produise un rapport sur l'incendie chez-vous, Barbe... Il m'a dit qu'il va faire analyser un échantillon du cristal, dans un laboratoire de chimie."

Victoire:  " Nous, on a toujours nos deux cristaux. Élie les a enterrés dans un coffre en tôle, au bout du jardin... Adrien peut venir en chercher un morceau.  Ça m'intéresse de savoir pourquoi on a les cheveux verts, avec les cristaux bleus !

Hadelphine:  " Y'a un problème... Les mises en demeure veulent qu'on remettre les cristaux au propriétaire, pour éviter un procès..."

Isadora:  " Juste un petit morceau, Hadelphine !  Adrien a dit qu'il faut le faire. " 

Anastasie:  " Moi, j'voudrais bien savoir pourquoi les cristaux ils rendent le monde fou.  Ignace est pire qu'avant !  Paraît que le chanoine et la soeur supérieure, ils s'améliorent pas, dans l'aile psychiatrique ! Ça va tu revenir comme avant ? J'vais aller consulter Delphina, dans les prochains jours.

Rosilda:  " Ma tante Delphina ? J'vais lui dire que tu veux la voir..."

Barbe:  " Tu me le diras, Anastasie:  j'veux y aller avec toi... "

Hadelphine:  " Les filles, j'ai apporté mon kodak:  les quatre avec les cheveux verts, on va se faire tirer la photo.  "

Barbe: " Passe-moi ton kodak, Hadelphine... Tassez-vous ensemble, les quatre, pour entrer dans le portrait...  Parfait!  ... Bon, faut que je rentre à la maison, Ferdinand m'inquiète, il bouge plus, c'est la vraie dépression.  ... J'espère qu'il y a moins de brume sur la route!  On se voit demain matin, Célestia..." 


dimanche 4 mai 2014

Sketchbook page 4



Tiens, cette page (double) est uniquement en anglais...  Faut dire que l'initiative de ces sketchbooks venait des USA:  on achetait leur carnet, on le remplissait dans un court délai, et on le renvoyait là-bas.  Eux, les organisateurs, ils promenaient ces milliers de carnets reçus de partout, dans les principales villes américaines. On nous promettait des retombées, des commentaires des gens...  Je vous dis tout cela pour vous expliquer que mes phrases soient en anglais, comme sur cette page.  

Heureusement que j'avais scanné les pages du carnet avant de l'expédier:  l'original est maintenant perdu parmi leurs milliers de carnets ainsi récoltés. 

Revenons à cette page-ci.  Le texte dit: " Maintenant et Alors (autrefois):  deux mondes différents. Comme c'est étrange."

Qu'est-ce qui est étrange?  

Un étranger, c'est quelqu'un qui n'est pas dans son pays.  Il est exilé.  Autour de lui, il n'entend pas la langue de son enfance. Il est comme une reine-abeille partie du rucher, pour fonder ailleurs une nouvelle colonie d'abeilles.  Quand il dort, il retrouve son pays qu'il habite dans ses rêves.  Éveillé le jour, il s'adapte, il fait face. 

L'étranger a beau essayer de se regrouper avec d'autres étrangers, il se rend compte qu'il est tout seul. 

Nous avons beau utiliser les réseaux facebook et autres, chacun est maintenant seul.  Voilà le changement entre "autrefois"  (du temps de la jeunesse du grand-père Alexandre) et "maintenant". Chacun doit rebâtir un pays intérieur.  L'arbre d'autrefois est déraciné. 

samedi 3 mai 2014

Sketchbook page 3


Grand-père Alexandre est né en janvier 1873.  Ses parents (Médore Dugas et Délima Latour dit Forget)  s'étaient mariés vingt ans plus tôt... Ils avaient eu toute une "trollée" de garçons, des costauds.  Médore était cultivateur, établi sur un rang, près du village de Ste-Elizabeth.  Le plancher:  en terre battue. 

Certainement que tout ce monde connaissait "le monde alentour"... Madame Délima était sage-femme, elle allait aider toutes les femmes qui accouchaient.  Et puis, toute cette tribu de garçons bâtis comme des joueurs de football, certainement qu'ils connaissaient toutes les filles du canton. 

Le dessin montre un coq et une maison.  À l'époque de la jeunesse d'Alexandre, il n'y a pas l'électricité dans la paroisse (c'est à dire dans les rangs) ni même au village. Aucune auto sur les chemins de terre (où le cantonnier casse des cailloux pour mettre sous le passage des roues).  Ce qu'on entend: les chants du coq, l'aboiement d'un chien, la clochette au cou d'une vache, au bout du pré. On entend aussi la cloche de l'église du village, qui donne l'heure, matin et soir. Ce qu'on n'entend jamais: les moteurs de tondeuses, tous les motorisés, les avions, les radios. Pas de sonneries de téléphone. 

Tous les jeunes Dugas vont quitter cette campagne pour aller vivre "en ville":  soit aux Etats-Unis, près des filatures de Nouvelle Angleterre, soit à Joliette.  Alexandre est allé aux USA travailler en usine, les hivers de sa jeunesse, comme tous ses frères. Puis il s'est marié à 21 ans, en janvier 1894.  Toujours dans ce silence de campagne, sans électricité, sans moteurs d'aucune sorte.  Des familles "tricottées serrées".