mardi 24 juin 2014

Trous noirs. 54


(Ferdinand accompagne Ignace vers le monastère...)

Ignace:  "Tu veux qu'on parle du ciel avec les anges, tous les purs esprits?  On peut pas étudier ça dans nos réunions, Ferdinand. C'est pas de la chimie."

Ferdinand:  " Je te parle de l'univers, Ignace, je te parle pas des purs esprits.  Faut pas mêler la religion avec la science !"

Ignace:  " Quand on meurt, Ferdinand, notre âme, a sort-tu de l'univers ?  Et Notre Seigneur, après sa résurrection, quand il est monté au ciel pour s'asseoir à la droite de Dieu le Père, c'est-tu dans l'univers ? Si tu es chrétien, Ferdinand, tu connais la fête de l'Assomption... la Ste Vierge, dans sa robe bleue, elle est montée au ciel, elle-aussi: c'est ça que tu veux qu'on étudie dans nos réunions ?  Faut attendre de mourir, Ferdinand, pour voir nos parents et tous les purs esprits... En attendant, y a rien à étudier de cet univers invisible, tout ce qu'on peut faire, c'est nos dévotions..."

Ferdinand:  " On est des alchimistes, Ignace!  Nous, on respecte toutes les croyances, mais c'est la science qui nous intéresse: la terre, le feu, l'eau et l'air.  On pèse ça dans nos balances, Ignace.  La grande nouvelle, trouvée par les savants, c'est qu'il y a autre chose qui pèse énormément, c'est invisible, et on ne sait pas quoi."

Ignace:  " C'est de la magie noire, Ferdinand.  Si tu mets rien sur le plateau de ta balance, et que ça marque que ça pèse 100 livres, il y a un pur esprit qui s'amuse avec la balance, Ferdinand.  Moi, je toucherais pas à ça, c'est pas catholique."

Ferdinand: " Nous v'la rendus au monastère... As-tu les clés pour ouvrir la porte? "

Ignace:  " Ben certain que j'en ai un set de clés, j'suis dans le Tiers-Ordre des Jésuites, j'aide le chanoine François-Xavier... On va d'abord aller à la chapelle, faut arroser les fleurs, ça fait plaisir à la Sainte Vierge..."

lundi 23 juin 2014

Sketchbook page 16


Ces deux lignes d'écriture, il ne faut pas seulement les traduire d'une langue à l'autre.  Il y a beaucoup à en extraire, comme si on presse un citron. C'est possible que je n'y arrive pas. C'est probable que je fasse quelques pas seulement, sur ce sentier qui mène loin. Mais je me dis qu'il faut faire ces quelques premiers pas.

La première phrase semble une idiotie... Comment dire sérieusement que la science ne résoud pas les problèmes?  Elle ne fait que cela:  elle cherche à comprendre ce qui est encore une énigme... 

Mais il est question de mystères. Explorer un continent inconnu n'est pas explorer un mystère. Décoder une écriture qui semble indéchiffrable  (comme l'était celle des hiéroglyphes égyptiens, ou celles écrites en cunéiformes), ce n'est pas solutionner le mystère. 

Notre cerveau baisse les bras devant le mystère de l'infini du temps ou de l'espace. Il n'y a pas d'outils pour peser ou mesurer ou visionner l'infini. L'horizon recule toujours, à mesure qu'on avance, il n'y a pas de clôture, de frontière, de limite. 

Dans cette page du Sketchbook, la deuxième phrase est importante, pour ce qu'elle ne dit pas. "Un mystère n'a pas besoin d'être solutionné"... Alors, qu'est-ce qu'on fait, avec le mystérieux?  

La religion que j'ai connue dans mon enfance, elle solutionnait le mystère.  Il n'y avait plus d'angoisse, il y avait des réponses simples, et belles comme des histoires dont on ne change pas les mots. Il y avait le mot  "Dieu", puis la narration du peuple choisi, l'Ancien et le Nouveau Testament. À l'école de cette enfance, on apprenait le calcul, l'écriture, l'histoire et la géographie, et on apprenait à croire, à travers une obéissance, la connaissance du bien et du mal, la promesse du ciel après la mort. 

C'est mystérieux, toute cette beauté qui existe. Cet océan d'invention dans tout ce qui existe... Infiniment petit et infiniment grand: ce sont des mots dangereux, car ils nous égarent, ils nous trompent. Écrire "infini" ne signifie pas connaître l'infini. Écrire ou réciter "mystère" ne signifie pas l'approcher. 

Aller au bout de la connaissance scientifique, au bout de la confiance en notre intelligence, car l'univers est une merveille d'intelligence. Et ne pas renoncer au mystère de la beauté, au mystère de l'existence.  Le silence dit ce que les mots ne peuvent contenir, ne peuvent dire sans nous tromper.  Le paradoxe du non-savoir.

samedi 21 juin 2014

Trous noirs. 53


Ferdinand:  " Hé!  Ignace!  J'allais justement chez-toi pour te voir... Où tu vas comme ça? "

Ignace:  " Au monastère de Notre-Dame des Sept Douleurs... Pour aérer les corridors... Je fais la maintenance, vu que tout le monde est à l'hôpital... Tu peux venir avec moi, si tu veux..."

Ferdinand:  " C'est une bonne idée: on va parler tout en marchant."

Ignace:  " Demain matin, on rencontre Nicéphore pour régler les mises en demeure..." 

Ferdinand:  " Je suis au courant..."

Ignace:  " Comment tu sais cela ? Moi, je viens de l'apprendre..."

Ferdinand:  " C'est moi qui vous ai envoyé dans l'ancienne mine, alors c'est ma responsabilité... "

Ignace:  " Tu as payé la grosse note, avec l'incendie de ton atelier... Nous, c'est pas grand chose, à comparé à toi..."

Ferdinand:  " Tout va finir par s'arranger... Mais je voulais te parler de nos activités d'alchimistes..."

Ignace:  " Je t'écoute, Grand Maître."

Ferdinand:  " Penses-tu qu'on devrait fouiller ça ensemble, dans nos réunions ? " 

Ignace:  " Fouiller quoi ? "

Ferdinand:  " L'univers est quasiment tout invisible..."


vendredi 20 juin 2014

Sketchbook page 15.


L'étonnement est une nécessité.  J'essaie de comprendre ce qu'il y a dans ces quelques mots...

Si on changeait "étonnement" pour "amour", on n'aurait à convaincre personne. Pour naître à la personne qu'on est, il faut avoir été aimé, il faut aimer. L'amour est nécessaire pour que l'humain soit humain. Mais l'étonnement ?

J'ai l'impression qu'on passe facilement "à côté" de l'oiseau coloré, sans remarquer l'étrangeté de sa présence. Krishnamurti disait qu'on se satisfait de nommer les choses, comme si la connaissance du nom de l'oiseau suffisait. Cette sorte de connaissance est un piège pour les humains. Nommer empêche de connaître. On ne porte pas attention, on ne regarde pas attentivement, vu qu'on sait déjà ce que c'est, vu qu'on peut le nommer... Connaître, c'est d'abord naître.  La naissance de ce qui arrive maintenant, de ce qui vient au monde, à portée d'émerveillement. 

L'étonnement: un regard tout neuf. Regarder avec "reconnaissance", avec gratitude. La surprise de ce moment précis de tout de suite, maintenant. 

Transmettre l'étonnement plutôt que la connaissance des mots... Quelle révolution ce serait... 

jeudi 12 juin 2014

Trous noirs. 52


(Ferdinand a quitté Horatio pour aller voir Ignace. Horatio retourne à sa pelle ronde... La chouette Vénus vient tenir compagnie à son ami).

Horatio:  " Re-bonjour, la chouette!  

La chouette:  (elle lui fait un clin d'oeil)

Horatio:  "J'ai remarqué que tu étais dans le saule pleureur, quand on a piqué une jasette, Ferdinand et moi... Toi, qu'est-ce que tu en penses, de son idée des mondes invisibles ? "

La chouette:  (pas de réaction... elle attend qu'Horatio formule autrement ses questions )

Horatio:  " Je vais te fournir des réponses possibles: quand tu es d'accord, tu fais le signe du "oui"... Tu te souviens comment dire oui ? "

La chouette:  ( Elle ferme les deux yeux).

Horatio:  " Quand ta réponse est "non",  tu n'as qu'à tourner la tête vers la gauche et vers la droite... Je veux voir si tu as compris: Fais un "non"...

La chouette: ( Elle tourne la tête de gauche à droite).

Horatio:  " Alors je te demande ce que tu en penses... Ferdinand jure qu'il y a du monde invisible autour de nous, du monde qui nous entend... Dis "oui", si tu penses que c'est vrai..."

La chouette:  (Elle ferme les deux yeux).

Horatio:  " Hé ben... Ça me surprend que tu dises "oui" pour une folie pareille... Es-tu bien certaine de ton affaire ?"

La chouette:  (Elle ferme les deux yeux, les ouvre, les referme, comme pour le dire deux fois...)

Horatio:  " Ma chouette, j'aime pas trop ça, des fantômes dans les parages...  Je te pose une autre question:  Est-ce que je dois m'en occuper, de ce monde invisible autour de moi ?"

La chouette:  (Elle tourne la tête de gauche à droite, pour dire "non"...)

Horatio:  " Ça me soulage, tu sais pas comment!  Admettons qu'ils sont là, si tu le dis, mais je m'en occupe pas, je fais comme avant! Maintenant faut que j'avance un peu le creusage de cette fosse... Va-t-en pas, regarde-moi travailler, j'aime ça quand on est ensemble, ça me donne des ailes !" 

mercredi 11 juin 2014

Sketchbook page 14


J'ai l'impression de radoter. Et c'est plus qu'une impression:  c'est un fait, je radote. Allons-y quand même pour un commentaire sur ce radotage... "L'existence n'a pas de commencement".  

Dans la Bible, c'est dit autrement:  Au commencement c'était (déjà là). Au commencement ça existait. Autrement dit:  Le présent ("ça existe") avait un passé ("ça existait"). C'est une fausseté, car l'existence n'a pas de passé. 

Cela est vu à travers des lunettes qui déforment. C'est vu à travers notre minuscule expérience, toute teinté par hier-aujourd'hui-demain. L'existence n'a pas d'hier ni de demain, ce n'est pas une chaîne de moments pour former un collier. 

Cette page-double du sketchbook illustre ce paradoxe.  
La page de gauche semble vide. On ne peut rien écrire de vrai sur l'existence. Le mieux, c'est une page vide d'illustration ou de mots.  La page de droite est celle de notre expérience:  les transformations des existants, des êtres. Notre naissance et notre mort. 

Pourtant, la page de gauche, celle qui est privée de mots et de dessin, elle est nécessaire, indispensable. Une source vive. Un silence qui contient toutes les musiques. Une présence qui contient tous les désirs. 

Ce n'est pas nous qui pouvons écrire ou dessiner la page de gauche. Elle est. La page de droite est un dessin d'enfant: il s'applique à tracer des lignes avec ses crayons de couleur, pour dire ensuite: "regarde mon dessin!"  C'est très mystérieux, que la page de gauche tienne à des milliards de milliards de pages de droite. 

La source du cadeau d'existence. 


mardi 10 juin 2014

Trous noirs. 51


Ferdinand:  " Barbe ?  On se dit plus grand chose... J'ai aperçu un document qui traînait sur sa commode: Barbe est enregistrée comme prospecteur... Je devine qu'elle tient à son idée de relancer la mine de cuivre..."

Horatio:  " Elle pourrait faire ça ?"

Ferdinand: " C'est pas réaliste une miette... Ça prend facilement des millions pour mettre en opération une mine... "

Horatio:  " Rénover une vieille maison, ça coûte plus cher que d'en construire une neuve... La vieille mine, elle est condamnée, les tunnels peuvent s'écrouler n'importe quand..."

Ferdinand:  " Comment tu sais ça ?"

Horatio:  " Je te l'ai dit: je suis allé visiter la salle des cristaux... J'avais juste un souhait, c'était de sortir avant que le plafond m'écrase:  c'était plein de craquements sinistres, t'as pas idée! "

Ferdinand: " Bon, je vais continuer ma tournée:  je veux aller jaser avec Ignace."

Horatio:  " Moi je vais aller retrouver ma pelle ronde!  Ne te gêne pas de repasser, quand ça te le dit, Ferdinand..."

Ferdinand: " J'en ai encore pas mal à te raconter sur les mondes invisibles, tu vas être surpris !"

Horatio:  " En deux mots, c'est quoi ?" 

Ferdinand: " Faut pas penser que la partie visible de l'univers a le monopole de l'intelligence, Horatio... La matière noire et l'énergie noire, c'est habité aussi ! Du monde intelligent, Horatio !  Pas des monstres avec un oeil dans le front! Ça grouille de personnages invisibles autour de nous..."

Horatio:  " C'est les savants qui ont calculé ça, Ferdinand? "

lundi 9 juin 2014

Sketchbook page 13


A ride in existence... Passager d'un traversier qui serait l'Arche de Noé...
Then, others have a ride in existence... C'est très étrange. 

Dans cette page du sketchbook, ce qui manifeste ce côté étrange, quasi inattendu, c'est la girafe. Avec son museau étroit, ses petites cornes rondes, et ce cou démesuré:  elle n'a pas besoin de grimper aux arbres, elle a le nez dedans. 

Toujours on voit une girafe dans les livres d'enfants qui présentent l'arche de Noé. Sa tête dépasse par une fenêtre ouverte, surtout quand le déluge se calme. Il y a aussi un lion, un tigre, un éléphant.  Il n'y a pas de bison ou de castor.  Pas de bouvier bernois ou de labrador, ni de chat de gouttière. C'est une arche du temps du paradis plus ou moins perdu, et c'est la trève sur l'arche:  le lion et le tigre ne dévorent pas la girafe. 

Le plus étrange, c'est que l'existence ne nous parait pas étrange. Elle nous va comme un gant, on est fait pour exister. Les vagues bercent l'arche, la pluie tambourine sur le toit et ça endort la famille de Noé. 

La girafe ne trouve pas étrange d'être une girafe. Une tortue centenaire est très à l'aise d'être une tortue. L'existence se plait à exister, de toutes les façons, surtout de toutes les façons.

dimanche 8 juin 2014

Trous noirs. 50


Horatio:  " Les trous noirs?  Vas-y, professeur, je t'écoute! "

Ferdinand:  " En gros, Horatio, les savants savent maintenant que le monde est invisible... Tu me le diras si je vais trop vite dans mes explications."

Horatio:  " Le monde invisible, où ça, Ferdinand? "

Ferdinand:  " Drette ici !  T'as pas besoin d'aller chercher des trous noirs dans la grotte, le monde invisible est ici..."

Horatio:  " Je le savais déjà qu'on trouvera pas des trous noirs dans la grotte, j'y suis retourné dernièrement... Mais tu m'as déjà dit que j'avais des hallucinations, Ferdinand... Ton monde invisible, tu penses pas que c'est du rêve imaginé ?"

Ferdinand:  " C'est pas du rêve, Horatio ! Les savants ont calculé qu'on voit seulement un pour cent de l'univers. Quasiment tout l'univers est invisible. "

Horatio:  " C'est vrai qu'il y a plein d'espace dans le ciel, entre les galaxies... C'est ça, leur monde invisible, aux savants ?"

Ferdinand:  " Non, Horatio.  Tu vois pratiquement rien de ce qui est ici.  Ils appellent ça de la matière noire, de l'énergie noire. "

Horatio:  " Va falloir que tu expliques plus que ça, Ferdinand. Je comprends rien à ce que tu racontes..."

Ferdinand:  " C'est du calcul. Notre voie lactée, avec ses milliards d'étoiles, elle tourne comme une toupie. Ils ont calculé que c'est pas normal que ça tienne ensemble, à moins d'ajouter énormément de masse invisible pour que l'attraction fonctionne. Est-ce que tu me suis ?"

Horatio:  " Je veux pas t'offenser, Ferdinand, mais je te suis pas. Tu parlais d'une toupie qui tourne..."

Ferdinand:  " Quand tu prends une courbe trop vite, tu risques de partir dans le décor, pas vrai ?"

Horatio:  " Ouais, continue..."

Ferdinand:  " Un exemple:  la lune qui tourne autour de la terre... Si notre planète avait moins de masse pour attirer la lune, elle nous quitterait. "

Horatio:  " Je vois pas de monde invisible là-dedans, Ferdinand..."

Ferdinand:  " Ça manque de poids dans la voie lactée, ça manque d'étoiles... c'est le monde invisible qui fournit le poids qui manque, est-ce que tu comprends ?"

Horatio:  " La tête me tourne... Comment va Barbe? "

vendredi 6 juin 2014

Trous noirs. 49


(Horatio, en train de creuser une fosse au cimetière, voit Ferdinand s'approcher...)

Ferdinand:  " Bonjour Horatio!  Je te dérange ?"

Horatio:  " Ça c'est de la grande visite... Le Grand-Maître en personne!  Non, Ferdinand, tu me déranges pas, je vais prendre une pause." (Il grimpe en dehors du trou). " Le soleil tape fort, tu as pas ton chapeau, on va aller s'asseoir à l'ombre, il y a un banc à trois pas d'ici..."  (Ils vont s'asseoir, sous un saule pleureur).

Ferdinand:  " Tu sais que j'ai passé au feu ?"

Horatio:  " Tout le monde a été réveillé par la sirène des pompiers... Je passe près de chez-toi, j'ai vu que ton atelier est en cendres..."

Ferdinand:  " C'est pas de mon local que je veux parler, Horatio.  C'est moi, Ferdinand, qui a passé au feu..."

Horatio:  " Personne m'a dit que tu avais eu des brûlures... C'est arrivé quand ?"

Ferdinand:  " L'incendie m'a calciné à l'intérieur, Horatio. La première étape de l'alchimie, la calcination, tu te souviens ? Tu n'as pas idée de la chance que j'ai eu !"

Horatio:  " Tu as perdu tous tes livres, tes outils, ta bâtisse, et tu appelles-ça de la chance ?"

Ferdinand:  " Y'a un bon côté, une sorte de transformation... Je me reconnais plus, Horatio."

Horatio:  " C'est vrai que t'as l'air différent... Les gens disaient que tu étais en grande dépression, Ferdinand... Comme paralysé, presque muet..." 

Ferdinand:  " Je regardais les débris tout calcinés, je réfléchissais comme jamais avant... Sais-tu à quoi je pense tout le temps ?"

Horatio:  " Tu penses à rebâtir en plus moderne, c'est ça ?"

Ferdinand:  " Non, Horatio."

Horatio:  " Alors dis-moi le, à quoi tu penses, Ferdinand..."

Ferdinand:  " Aux trous noirs". 



mardi 3 juin 2014

Sketchbook page 12


À quel moment avons-nous perdu cette surprise ? 

... Il faut la retrouver au moins pendant un instant, cette surprise, pour s'étonner de vivre sans elle. Il faut la retrouver pour savoir qu'on l'a perdue. 

... It does exist... Ça existe !  
De quoi parlez-vous? 
Ça existe:  le monde, l'univers, tout ce qui est autour, partout. 

Pour se pratiquer à l'étonnement, on pourrait choisir de s'étonner que la musique existe. Que la couleur existe.  Que le désir existe. Que le rire existe. 

On peut s'étonner aussi de se retrouver dans ce bateau, à bord de l'existence. 

... L'existence ne vient pas de la non-existence. Le néant ne précède pas l'existence du monde. On ne peut pas venir du néant, ni tomber dans le néant. Il n'existe pas. Il n'a pas d'existence. 

C'est un paradoxe hallucinant: il n'y a pas de moment qui précède l'existence. 
Et "Ça existe"  se transforme, d'un big bang à l'autre, d'une saison à l'autre, de naissance en naissance. 
On voit le soleil se lever, se coucher: on a des souvenirs, des projets, des peurs. 
Les vagues de l'océan de l'existence.

Et puis on a le droit de dire merçi. Si ça aide à respirer profondément, pourquoi pas? 
Les petits enfants entendent une musique:  tout de suite ils dansent. Dire merçi, comme une respiration, comme un réflèxe de danse, vu qu'il y a la musique qui nous rejoint. Un sourire qui dit merçi. S'il vient, le laisser venir, comme l'enfant laisse venir la danse. 

lundi 2 juin 2014

Trous noirs. 48


(Sonnerie à la porte:  Hadelphine va ouvrir...Elle fait entrer Barbe)

Hadelphine:  " Bonjour Barbe!  Je me demandais si tu viendrais ce matin... Es-tu remise des émotions d'hier soir? Prends une chaise, j'apporte le café sur la table."

Barbe: " Toussaint est sorti ?"

Hadelphine:  " Il est allé rencontrer ses trois copains. Demain matin, ils vont régler leur dossier chez Nicéphore, alors Toussaint veut se préparer."

Barbe: " J'ai dû les décevoir pas mal, en ne signant pas l'entente, quand je suis allé chez Nicéphore... "

Hadelphine: " Toussaint m'a dit que tu voulais repartir les opérations à la mine de cuivre?"

Barbe: " On est pas rendu là... Opérer une mine, j'aurais jamais les moyens financiers, t'as pas idée, Hadelphine, de la fortune que ça prendrait... "

Hadelphine:  " Alors qu'est-ce que tu vas faire ?"

Barbe:  " S'il y a de bonnes réserves de cuivre, je peux mettre un claim pour avoir l'exclusivité, puis je peux vendre mon claim à une compagnie minière... Je me suis enregistrée comme prospecteur..."

Hadelphine: " Faut que tu m'expliques mieux, Barbe..."

Barbe:  " Je vais aller visiter l'ancienne mine, prendre des échantillons, les faire analyser... Tu vois, c'est le début."

Hadelphine:  "Qu'est-ce que Ferdinand en dit, de ton projet?"

Barbe: " Depuis l'incendie, il est quasi paralysé, on ne dit plus ce qu'on pense, je garde tout ça dans ma tête... Ça me fait du bien d'en parler avec toi, Hadelphine."

Hadelphine:  " Ça doit pas être vivable, fonctionner en couple sans se parler. Si j'étais toi, je casserais la glace avec Ferdinand. Tu ne devrais pas attendre."

Barbe:  " Ce matin, j'étais sur le bord de tout lui raconter. Mais il avait déjà son chapeau sur la tête, il a passé la porte. Je sais pas où il allait..."

Hadelphine: " Pourquoi tu fais tout ça, Barbe ?"

Barbe:  " Pourquoi je le ferais pas ?  La seule façon de savoir si le projet a de l'allure, c'est de l'essayer.  Si je le fais pas, je vais regretter toute ma vie de pas avoir foncé. "

Hadelphine:  " Tu y vas quand, à l'ancienne mine? "

Barbe:  "Anastasie doit aller à la grotte, consulter Delphina. Je vais en profiter pour voir de mes yeux ce que Toussaint a raconté, et ramasser des échantillons. Si ça fonctionne pour Anastasie, j'y vais demain."


vendredi 30 mai 2014

Trous noirs. 47


( Rosilda a reçu un message de Mémé Clémentine de la rejoindre au bloc de jade, dans la grotte... Elle s'y rend mais ne trouve pas Mémé...)

Rosilda:  " Mémé ?  Il y a quelqu'un ?  MÉMÉÉÉ ? "

( Pendant que Rosilda cherche à gauche du bloc, Mémé surgit par la droite)

Rosilda:  " HEYYY !  Mémé, faites-moi pu jamais une peur de même..."

Mémé:  " Viens voir ce qu'il y a, derrière le bloc de jade..."

Rosilda:  " Vous voyez quelque chose, vous, Mémé? Moi j'vois rien..."

Mémé:  " Cette petite faille, qui serpente dans le sol... "

Rosilda:  " Continuez, Mémé... elle est importante ?"

Mémé:  " C'est elle qui nous permet de faire des oracles, ma Rosilda... Il y avait une faille semblable, dans la grotte de Delphes:  par cette faille, un gaz nous arrive du sous-sol... on le respire, et ça efface le passé et l'avenir.  On voit tout arriver devant nos yeux..."

Rosilda:  " C'est-ti poison, ce gaz ?"

Mémé:  " Faut pas abuser, comme pour l'Ouzo, ma petite!  On sent ces choses-là, tu verras.  Mais tu veux savoir autre chose:  vas-y, gêne-toi pas !"

Rosilda:  " Ma tante Delphina m'a parlé d'un Monseigneur que vous avez vu... Est-ce que c'est le diable en personne ? "

Mémé:  " Il éclaterait de rire, s'il t'entendait demander ça !  Monseigneur, il vient d'un autre monde... Les gens ont inventé des monstres, des dragons, des démons... C'est la peur qui fait ça. "

Rosilda:  " Est-ce qu'on est des sorcières ?"

Mémé:  " On est les prêtresses de Delphes.  On voit le destin des gens... On communique ce qui peut aider..."

Rosilda:  " Et ce Monseigneur ? "

Mémé:  " Il se prend pas au sérieux... Les gens qui se prennent trop au sérieux, ma Rosilda, eux tu peux les craindre... Je sais ce que tu penses, ma petite:  oui, on va se revoir encore, je partirai pas tout de suite... mais là, il faut quitter la grotte.  On s'en va prendre l'air!"

mercredi 28 mai 2014

Sketchbook page 11


Trois phrases dans cette page double du carnet.  
... Des milliers de gens dans un stade, c'est une foule ?
... Le pouvoir du vide.
... Il n'était pas une foule.

C'est la page de droite qui m'attire en premier, par sa charge d'émotion.  Tiananmen... un homme debout, qui tient tête à un monstre de fer, le char d'assaut. 

La foule, c'est vous et moi:  nous avons vu et revu cette image, ce film. À grande distance du monstre de fer. 

L'arme de cet homme seul devant le char de fer ? Il est désarmé. Il pose une question, dans le silence de son immobilité... Il dit au chauffeur du char d'assaut:  Tu as le choix de m'écraser comme un pou. Es-tu la sorte d'homme qui fait cette sorte de choix?

Le pouvoir du vide.  S'il y avait une barricade, le char écraserait la barricade. Le chauffeur du tank ne se pose pas de question devant une barricade à aplatir. Mais devant un homme désarmé, qui se tient debout devant la masse de fer, le chauffeur doit d'abord répondre à une question dont il n'a pas de réponse immédiate. Le chauffeur du tank n'est pas venu pour écraser un homme seul qui se tient debout devant cette montagne de fer. 

Le stade. J'ai pensé au tauréador qui affronte en duel le boeuf. 
Ou bien, dans ce colisée, les gladiateurs qui jouent leur vie, sur l'émotion des spectateurs romains. Un homme debout, la foule assise. 

Toute vérité a son contraire. Où est la force?  Celle d'une foule, ou celle d'un homme debout? Ghandi répondait à cette question. 

mardi 27 mai 2014

Trous noirs. 46


( Il est 9 h du matin.  Toussaint raccroche le téléphone.)

Hadelphine:  " C'est Célestia qui t'a répondu, ou bien tu as réussi à parler à Nicéphore ?"

Toussaint:  " J'ai attrappé Nicéphore juste à temps: il recevait quelqu'un à son bureau.  Finalement on va pouvoir le rencontrer demain seulement, à cette heure-ci."

Hadelphine:  " On, c'est qui ?"

Toussaint:  " Moi et les trois autres qui ont reçu les mises-en-demeure.  Faut qu'on règle ça une fois pour toutes. "

Hadelphine:  " Et Barbe ?  C'est elle qui avait commencé les démarches avec Nicéphore..."

Toussaint:  " Tu as vu comment elle était, hier soir, quand elle est remonté du sous-sol, à la fin de la réunion... Je la vois pas, aller négocier avec Nicéphore, en même temps qu'elle se prépare à exploiter la mine de cuivre! "

Hadelphine: " Et Ferdinand ?  Vous lui en parlez pas ?"

Toussaint: " Si tu l'avais vu comme je l'ai vu, complètement assommé... J'ai bien peur qu'il est tombé en dépression... Non, on va régler nos affaires nous-mêmes."

Hadelphine: "Mais c'est Ferdinand qui vous avait envoyé ramasser des échantillons à la grotte! "

Toussaint:  " Hé oui... C'est comme ça..."
(Il met sa casquette)

Hadelphine:  "Où tu vas?  Si quelqu'un cherche à te parler, où est-ce qu'on peut te rejoindre ?" 

Toussaint:  " En premier, je vais passer chez Zacharie. Faut contacter Elie et Ignace, faut se préparer pour négocier demain, faut passer à la caisse pop... ça va nous prendre une avance de la caisse... on pourra pas s'en tirer sans payer, mais c'est mieux que d'avoir un procès sur le dos.  Et toi, c'est quoi ton programme ?"

Hadelphine:  " Je vais voir... Barbe voulait qu'on prenne un café ce matin... J'ai aussi à rempoter le géranium renversé par le chat..."

Toussaint:  " Tout le monde s'occupe à réparer les pots cassés!"

lundi 26 mai 2014

Sketchbook page 10


Cette page du sketchbook... elle repose la question des pages précédentes:  qu'est-ce que je cherche?  Et pour savoir ce que je cherche, je me demande où je vais, pour le chercher.

Cette double-page agit comme un concerto pour orchestre et choeur. 

Le visage de Glen Gould. Le visage de Bach.  

Le visage de chaque musicien d'un orchestre, de chaque choriste. Les âmes habitent les visages. Only. 

Toute vérité a son contraire, qui n'est pas une fausseté. Une vérité qui rejette son contraire, elle risque de ne plus être vraie.

Si je vais à un concert (ça m'arrive trop rarement),  je ferme les yeux, pour entendre cette musique de Bach, interprétée par le musicien Glen Gould. 

Ce Glen Gould qui digérait de moins en moins le spectacle de la musique. Le spectacle qui n'était pas la musique. Jouer Bach devant une foule, c'était mêler spectacle et musique. Ça le dérangeait de plus en plus. Il ne voulait plus être funambule, devant la foule qui retient son souffle: va-t-il faire un faux-pas? 

Pourtant, une foule peut vivre un miracle: quitter la foule qu'elle est. Elle devient un visage qui rit, ou bien qui pleure. Un visage que chacun s'approprie. Quand chacun perd son visage, dans le silence d'une émotion.  Chacun devient Bach, chacun devient Glen Gould. 

J'ai toujours ce souvenir:  je faisais une forte fièvre, et un rêve m'avait rêvé. Un rêve tellement étrange m'avait visité, m'avait habité.  C'était un groupe qui s'en venait sur la route. Des personnes de tous les âges, comme des familles, mais un groupe. Ils approchaient, ils allaient passer devant moi. Des Egyptiens d'autrefois. 

Le miracle, c'est qu'ils ne parlaient pas. Quand on parle, c'est pour dire quelque chose à quelqu'un d'autre qui nous écoute. Eux, ils ne parlaient pas, parce qu'ils étaient une seule personne, et cette personne marchait en silence. Il n'y avait qu'une pensée qui habitait cette personne qui marchait sous la forme d'un groupe de tous les âges. Ce groupe d'une même pensée silencieuse marchait maintenant sur la route devant moi, puis ils étaient passés, ils n'étaient plus là, et je suis resté estomaqué, à tout jamais, par cette visite miraculeuse. 

Un groupe peut être un visage, une âme. Comme dans cette visite d'un rêve, comme une révélation de ce qui peut exister, ailleurs. Dans cet ailleurs qui habite au coeur de nous-même, dans le silence d'une parole d'une force incroyable.

dimanche 25 mai 2014

Trous noirs. 45


(La chouette Vénus raconte à Sanguino, son ami Chauve-souris, l'expédition à la grotte avec Horatio).

Sanguino:  "Je vous ai vu arriver ensemble à la grotte..."

La chouette: " Hé oui, mon capitaine!  Il en arrive des choses dans notre royaume !"

Sanguino:  " Savais-tu qu'Horatio parle à Ferdinand ?"

La chouette: " Non, première nouvelle que j'en ai... Il va voir Ferdinand chez-lui ?"

Sanguino:  " Pas encore... C'est dans sa tête qu'il lui parle... Quand je vous ai suivi dans le tunnel de l'ancienne mine, Horatio faisait la conversation avec Ferdinand."

La chouette:  " Qu'est-ce qu'il lui racontait ?"

Sanguino:  " Horatio trouve pas correct que le Grand Maître des Alchimistes soit abandonné par tout le monde, comme Jésus au Jardin des Oliviers.  Horatio veut aider Ferdinand à se réveiller."

La chouette:  " Mon capitaine, vous avez un don inestimable, pour entendre ainsi les pensées... L'oreille absolue, c'est pas donné à tout le monde! "

Sanguino: " Alors, ça s'est bien passé, la sortie par le trou de cheminée, au fond de la salle des cristaux ?"

La chouette:  "Comme un charme, mon capitaine. J'ai suivi à la lettre les instructions de Monseigneur Lucifer.  Horatio connait maintenant l'existence de la sortie de secours."

Sanguino:  " Il s'est pas fait prier pour te suivre dans cette cheminée ?"

La chouette:  " Avec les craquements des rochers, au-dessus de sa tête, Horatio avait juste envie de sortir de là au plus vite !"

Sanguino:  " Tu as reçu d'autres instructions de Monseigneur ?"

La chouette:  " Non, mon capitaine. On a tous reçu le même message:  on est sur un pied de guerre, en état d'alerte.  C'est le calme plat avant la tempête:  On est en plein milieu, dans l'oeil du cyclone..."

samedi 24 mai 2014

Trous noirs. 44


(Une heure plus tard, les deux nouveaux amis, Horatio et la chouette, se retrouvent dans la salle des cristaux bleus... Pour atteindre cette salle, ils ont cheminé ensemble le long du vieux tunnel de l'ancienne mine de cuivre)

Horatio:  " J'ai un avantage sur mes confrères alchimistes qui sont venus ici... Moi je sais le danger, si on prend pas de précautions avec ces beaux cristaux... Eux, ils étaient pas prévenus... Je comprends qu'ils ont pas pu résister à la tentation d'en mettre plein leurs poches..."

"Maintenant qu'on en a fait le tour, ma belle chouette, c'est le temps de retourner sur nos pas et de sortir d'ici... Ça me fait courir des frissons dans le dos, les craquements sourds que j'entends dans le plafond de roches..."

"Hé ! La chouette !  Je t'ai dit qu'on s'en va d'ici !  Pourquoi tu te tiens derrière ces blocs ? On est pas des enfants, on joue pas à la cachette ! Viens-t'en, c'est sérieux, on s'en va !"

(La chouette apparaît dans la pénombre, bat des ailes comme pour montrer un chemin derrière elle... Horatio comprend enfin qu'il doit aller fureter dans ce coin noir... Il enjambe des blocs, se retrouve dans un passage obscur...)

Horatio:  " ...  Jamais j'aurais trouvé tout seul ce raccoin caché... Hé! La chouette !  Je te vois plus ! T'es rendue où ? Peux-tu me dire où tu m'emmènes comme ça ? "

Trous noirs. 43

(Courbé sur sa pelle ronde, Horatio achève de creuser une fosse au cimetière.  Juché sur le monument voisin, la chouette l'observe).

Horatio:  " Encore deux pelletées de terre, ma chouette, et j'ai terminé!  ... C'est mon dos qui en prend un coup... "

(Il sort maintenant de la fosse, regarde l'heure à sa montre, secoue la poussière de ses pantalons, puis continue son monologue-discours à la chouette):

"Maintenant, ma vieille, je me paye la traite... Tu devineras jamais quoi ! Donne-tu ta langue au chat?... Bon, je passe chercher ma lampe de poche à la maison, puis je vais... cherche un peu... je vais visiter les cristaux bleus dans la grotte! C'est mon tour d'aller voir ça!  Qu'est-ce que t'en dis?"

(la chouette le regarde fixement, puis bat un peu des ailes)

Horatio:  " On dirait que ça te démange de me donner ton avis!  Montre-moi donc que tu comprends ce que je dis, fais-moi un beau clin d'oeil! "

(la chouette ouvre un peu les ailes, puis ferme son oeil gauche!)


Horatio:  " Dieu du ciel ! J'ai tu rêvé? Écoute... si tu comprends ce que je raconte, recommence, fais un clin d'oeil..."

(la chouette lui refait un clin d'oeil)

Horatio (bouleversé):  " Faut surtout pas que je raconte ça à Rosilda... Elle va encore dire que j'ai des hallucinations...  Tant pis, je suis comme je suis... " 

(Il s'adresse à la chouette:)
"Je vois bien que tu peux me répondre... On pourrait se faire un code pour se comprendre... Tiens, quand tu m'approuves, pour dire  oui, tu fermes les deux yeux... Essaie, voir!  " 

(la chouette ferme les deux yeux, puis les ouvre, et se dandine un peu sur le monument)

Horatio:  " Viens-tu avec moi visiter les cristaux de la grotte?"

(La chouette acquiesce en fermant les deux yeux. Elle les ouvre, puis lui adresse un clin d'oeil).

jeudi 22 mai 2014

Trous noirs. 42


( Toussaint vient de monter du sous-sol... Ses copains, Elie et Zacharie, ont quitté la maison, il y a quelques instants).

Toussaint:  "Je nous sers une goutte de calvados, Hadelphine?  Ça me prend un remontant..."

Hadelphine: " D'accord pour le calvados, Toussaint. Ça tourne pas rond, on dirait:  Ignace est parti en claquant la porte, puis Barbe a suivi, rouge comme une tomate..."

Toussaint: " Barbe nous a scié les jambes.  Jamais j'ai vu quelqu'un d'aussi imprévisible... Ton amie Barbe, laisse-moi te dire que c'est tout un caractère! "

Hadelphine: " En partant, Barbe m'a dit qu'elle m'expliquerait tout ça, demain.  Tu peux me dire de quoi il s'agissait? "

Toussaint: " Nos mises-en-demeure... Barbe s'était rendu chez Nicéphore pour négocier une entente. Puis, elle a viré bout pour bout, elle a refusé net de signer l'entente. Faut tout reprendre à zéro. Faut s'en occuper nous-mêmes." 

Hadelphine:  "Tu peux me dire pourquoi Barbe a refusé de signer?"  

Toussaint: " C'est plus un secret.  Barbe veut exploiter la mine de cuivre.  Nous, on a été échaudés, on ne veut plus toucher à ça."

Hadelphine:  " Mon amie Barbe, j'la connais depuis l'école primaire.  Il y aura rien pour la faire changer d'idée, une fois qu'elle a décidé quelque chose."

Toussaint:  " Elle cherche le trouble, ton amie... On va revoir dans nos parages la belle cadillac blanche et le noir en complet rose, ça m'a tout l'air !"

lundi 19 mai 2014

Sketchbook page 9


Parfois il faut se souvenir de ce qu'on ne voit pas, malgré ce qu'on voit, qui semble contredire l'invisible. 

J'ai été cet enfant, et je le suis encore.  
Tu as été cet enfant, et tu l'es encore.
Il était cet enfant, il l'est encore.
Elle était cet enfant, elle l'est encore.

Mon vieux père tirait à sa fin, il allait mourir, ça n'allait plus du tout. Je me souviens d'avoir exploré à fond toutes ses photos d'enfance, de les avoir imprimé, de lui en avoir fait un album. J'y ajoutais aussi des photos de cirque, des photos de fleurs.  J'essayais de lui faire retrouver le petit qu'il avait été, avec toute sa fragilité. 

Peut-être qu'il n'avait pas besoin de cet album. Peut-être qu'il n'avait pas quitté cet enfant qu'il avait été. Il ne le disait pas. Mais je suis certain d'une chose:  il est devenu pour moi un petit enfant fragile, beau, dont on veut tenir la main. 

Quand je l'ai quitté, ce dernier soir de sa vie, je le guidais vers un souvenir:  celui d'un ruisseau où il pêchait les petites truites, à Belle-Rivière, près de Ste-Scholastique. Un ruisseau étincelant de lumières qui dansent. L'enfant qui attend, fébrile, qu'une truite vienne mordiller l'hameçon. 

Quand il est mort, c'était la mort du tout petit Charles que je pleurais, que je sanglotais. 

Je me trompe chaque fois que j'oublie cet invisible.  Ce voisin venu causer  cet avant-midi:  il a été ce petit, et il l'est toujours.
Cette page du sketchbook, elle me ramène à ce que je ne vois pas. Cela change tellement la perspective...  


dimanche 18 mai 2014

Sketchbook page 8


" Un visage:  quelqu'un.  Une foule:  personne. Dans une foule, on cherche un visage."

Est-ce bien vrai? (Il faut se méfier des belles phrases:  leur contraire est souvent vrai aussi...)  

Il y a toutes sortes de foules:  celles des centres d'achat, où tout le monde croise tout le monde à plein corridor... Celles des salles d'attente, souvent bondées, où on cherche un coin pour s'asseoir en attendant qu'un haut-parleur appelle notre numéro ou notre nom...Celles des salles de spectacle, avec ou sans siège réservé... 

Il faudrait des noms différents pour nommer les foules qui prennent un visage dans lequel on se moule, et celles qui ressemblent à des gares de triage.  

Quand une foule devient un rire, un cri, une ferveur... Quelle détente ! Ou bien, quand cette foule devient un silence, une respiration, une attente, un désir. Ça devient une sorte de miracle quand la foule devient une personne que la vague soulève.  Ça peut être un miracle ou une catastrophe. 

Devant l'écran de l'ordinateur je suis seul. Les mots écrits sont des aliments qui donnent de la force, ou bien qui empoisonnent. Selon qu'ils tendent la main ou qu'ils tournent le dos. Il y a les foules invisibles, toujours. 


samedi 17 mai 2014

Trous noirs. 41


(Delfina et Rosilda se rencontrent près du bloc de jade noir, à la grotte)
Delfina:  "Ma chère petite prêtresse, j'ai des nouvelles importantes pour toi, de Mémé Clémentine."

Rosilda: " Elle était partie en voyage ?"

Delfina:  "Mieux que ça:  Elle a rencontré Monseigneur."

Rosilda:  " Un évêque? Je pensais que Mémé fréquentait pas les évêques, c'est pas son genre... Elle penche plutôt vers Zorba et l'Ouzo! "

Delfina:  " Monseigneur, c'est pas un évêque!  Depuis des siècles avant l'ère chrétienne, depuis qu'il y a des prêtresses à Delphes, il nous protège."

Rosilda: " Et toi, ma tante, tu as déjà rencontré ce Monseigneur en question ? " 

Delfina:  " On a rarement ce privilège, mais ça m'est arrivé, quand les circonstances devenaient extraordinaires..."

Rosilda:  " Alors, si Monseigneur a rencontré Mémé, c'est qu'il se passe quelque chose? "

Delfina:  " Oui ma cocotte.  En gros, Monseigneur a demandé à Mémé si elle y tenait, à la grotte."

Rosilda:  " Parce qu'il voulait la vendre ?"

Delfina:  " Tu es drôle, ma belle enfant!  Monseigneur pourrait te donner un carrosse en or et des souliers brodés de perle, pour la belle princesse que tu es ! "

Rosilda:  "Alors, pourquoi il a demandé à Mémé si elle y tenait, à la grotte?"

Delfina:  " Ils veulent faire exploser la grotte, pour extraire du cuivre... Monseigneur a laissé Mémé prendre la décision."

Rosilda: " Ma tante, j'ai le coeur qui me débat... Qu'est-ce que Mémé a décidé ? On va ti perdre notre beau bloc de jade noir? "

Delfina:  " Mémé a pensé à nous deux. Elle a pensé aussi à la chouette, aux chauve-souris. Elle a choisi de nous garder la grotte."

Rosilda:  " Et ceux qui veulent faire sauter la grotte pour avoir le cuivre, comment ils vont changer d'idée ?"

Delfina:  " Monseigneur s'en charge, il va agir.  Mais Monseigneur a demandé à Mémé de nous faire un message..."

Rosilda:  " Je vous écoute sérieusement, ma tante."

Delfina: " Il nous fait dire de ne pas hésiter une seconde, quand l'intuition va nous parler. Il faudra agir à l'instant, ma belle nièce. "


jeudi 15 mai 2014

Trous noirs. 40


Mémé Clémentine:  " Monseigneur!  Qu'est-ce qui vous prend, de jouer à Superman ?"

Lucifer:  " Mémé, profitez de l'aubaine!  Faut que je me dégourdisse! "

Mémé Clémentine: " C'est pas sérieux, à nos âges !"

Lucifer:  " Mémé, si je me prends trop pour le Prince des Ténèbres, ça s'ra plus drôle... Les humains, vous faites des bêtises, parce que vous dramatisez tout... Faut pas que j'attrape vos microbes ! Ça deviendrait l'enfer! "

Mémé Clémentine:  " Monseigneur, ralentissez, c'est pire que le parc Belmont de mon enfance, la tête me tourne... c'est comme si j'avais vidé une bouteille d'Ouzo !  Je propose que vous me déposiez doucement..."

(Lucifer-Superman avec grâce acquiesce à sa demande)

Lucifer:  " Chère demoiselle Clémentine, vous voulez maintenant savoir pourquoi je vous ai invité à me visiter dans ma grotte ?"

Mémé Clémentine:  " Je meure d'envie de vous entendre, Monseigneur."

Lucifer: " Mémé, ils veulent repartir la mine de cuivre. Alors c'est vous qui décidez.  Je les laisse faire, ou bien vous tenez à votre paix ici ?"

Mémé Clémentine: " Monseigneur, c'est à Delphina et Rosilda qu'il faut penser... Les prêtresse de Delphes, parmi les camions-benne, les excavatrices, la poussière de roche, le bruit des explosions? Faut penser aussi à nos amies chauves-souris, à la chouette Vénus... Ya pas une minute d'hésitation là-dessus, même sans dramatisation, Monseigneur !"

Lucifer:  " C'est ça que j'aime chez les humains, Mémé:  Vos amis, vous en prenez soin. Je savais votre réponse, mais je voulais me donner le plaisir de vous entendre, c'est de la bonne musique !"

Mémé Clémentine: " Vous allez intervenir comme Superman, Monseigneur?" 

Lucifer:  " Le mieux, c'est de leur donner de la corde, ils vont se pendre eux-mêmes. Faites pas cette figure-là, Mémé! C'était une figure de style, je les ferai pas se pendre, on dramatisera pas!"

Mémé Clémentine:  " Qu'est-ce que vous attendez de moi? "

Lucifer: " Prévenez les prêtresses de bien suivre leurs intuitions: elles vont savoir à mesure quels bons gestes poser.  Je me charge d'occuper la chouette et les chauves-souris: elles vont se dégourdir les ailes, comme si elles étaient au Parc Belmont, Mémé !"  

mercredi 14 mai 2014

Sketchbook page 7


... Je traduis et je commente cette page, ces lignes écrites dans le dessin. Sans aucun doute, vous pourriez aussi commenter sur votre propre émotion, lorsque vous regardez un visage "qui vous parle".

Cela se vérifie lorsque cette personne dont vous regardez le visage garde silence.   Pas de paroles à entendre, à examiner, à juger, à retenir ou à rejeter. Seulement ce visage. 

Il y a cette émotion devant certaines photographies "noir et blanc". L'image est dépouillée de ce qui distrait de l'essentiel. L'émotion est épurée. 

Hier midi, j'étais assis dans un corridor "salle d'attente". Pour occuper ce temps, j'écrivais dans un calepin, pour préparer un épisode de "Trous noirs". Soudain j'ai levé les yeux. Quelqu'un me regardait. Un vieil homme qui tenait une canne. J'ai replongé dans mon travail d'écriture, mais j'étais dérangé, d'une façon. 

Puis quelqu'un s'est enfargé dans mes jambes (mais sans tomber). C'était une dame qui travaillait dans cette clinique, elle était pressée par son travail... Elle s'est excusée, et je me suis excusé aussi: j'avais étendu les jambes comme si j'étais chez-moi... (ce corridor était très large, l'équivalent d'une petite salle). J'ai regardé de nouveau ce vieil homme qui m'avait regardé:  il avait un grand sourire... Par signes, on a échangé quelque chose de comique, sur ce qui venait de se produire (cette dame qui s'était enfargé dans mes jambes).   Puis mon nom a été annoncé: mon tour de rendez-vous était arrivé. J'ai ramassé mes affaires (le manteau, la casquette, le sac avec le calepin)... J'ai fait le détour pour aller voir cet homme qui était devenu un proche, je lui ai donné la main. Comme si on se reconnaissait, sans rien pour l'expliquer. Il était content, moi-aussi.  Au sortir du rendez-vous, je suis retourné dans ce corridor, pour le saluer de nouveau.

En écrivant ce paragraphe, je me souviens d'un épisode du film "Les ailes du désir".  Deux "anciens anges" se reconnaissent... Ils ont perdu leurs ailes, pour vivre une vie humaine. La rencontre de deux émigrés. 

Ça doit venir de là, l'émotion devant un visage:  on se retrouve. On s'identifie à l'autre. Pas besoin de traduction, d'intermédiaire... c'est immédiat.