jeudi 17 mai 2012

Bouscouyou breton

Dans tous les dictionnaires possibles et impossibles, j'ai cherché  Bouscouyou. Il existe, ce mot: en Louisiane, au bout du Mississippi, ce mot désignait ces étranges racines aériennes des cyprès de là-bas. Je vous assure qu'il n'est pas question de racines d'arbres ni de branchages, dans le bouscouyou que je cherche.

Charles, mon père, y tenait à ce mot: c'était un lien qui le rattachait à sa grand-mère Henriette. Charles me disait qu'Henriette se coiffait d'une capine de dentelle pour dormir. Les nuits étaient froides dans cette maison de Belle-Rivière, tout près de Ste-Scolastique. Il parlait en témoin qui n'invente pas, Charles: il avait été élevé par la grand-mère. Je ne sais pas pourquoi Clémentine et Ferdinand, les parents de Charles, l'avaient expédié, bébé, chez Henriette.

Elle s'appelait Henriette Fauvel dit Bigras. En lisant un volume où Julien Bigras raconte ses ancêtres, j'ai compris: elles avaient acquis un fichu caractère, il le fallait bien. Leurs dignes époux étaient toujours absents: coureurs des bois comme Pierre-Esprit Radisson (un autre de mes ancêtres) et coureurs d'indiennes.

C'est en 1867, dans l'église de Ste-Scholastique, qu'Henriette avait épousé Clément Poirier. Dans la même église, en 1899, leur fille Clémentine épousait un gars de Québec, Charles-Ferdinand, accordeur de piano. Je vous assure que Clémentine, ma grand-mère, même si elle portait le nom de Poirier, c'était une Bigras.

Clémentine, qui me chantait des chansons en Iroquois... elle aurait pu m'instruire sur les bouscouyous que mettait Henriette pour dormir l'hiver. J'aurais appris s'il faut consulter un dictionnaire iroquois ou breton pour retrouver le mot. Pour le moment j'en suis réduit à lire que ça désigne des branches d'arbres, des racines en Louisiane! Henriette n'apprécierait pas.



lundi 14 mai 2012

Panne sèche ou humide

Faut-il continuer ce blog? Je vois bien que je mets les freins, comme si je boudais cette écriture. " Je suis ce frein, pas de blâme".

Mon amie Isabelle s'inquiète pour moi. Elle a raison, car je suis inquiet moi-aussi, de cette tendance à quitter cette communication du blog.

Il y a un peu plus d'un an, Isabelle m'avait fait un cadeau: le volume de Patti Dight : Life is a verb.  Ce geste d'Isabelle m'avait relancé dans le dessin et l'écriture. Je m'étais remis aux exercices d'écriture automatique (les trois pages chaque jour) et au dessin: j'avais rempli toutes les pages d'un bouquin de sudoku avec ces dessins... Vous voyez, on ne sait jamais comment un geste d'amitié nous lance dans une aventure de créativité. Merçi Isabelle.

Ce soir elle me communique de nouveau l'idée d'un exercice qui se trouve dans ce bouquin (Life is a verb). Il s'agit de marcher lentement, avec les mains ouvertes, des mains qui reçoivent. Comme de raison, j'ai suivi le conseil d'Isabelle, et j'ai fait l'exercice.

Mon chien Charlot s'est mis à me lécher les mains. J'ai reçu son affection! Recevoir ce qui est.

Sans doute qu'il est plus difficile de recevoir que de donner. J'envoie des ondes aux gens auxquels je pense: "cette personne existe maintenant quelque part", et cet envoi la rejoint. Ça m'est facile, cet exercice qui me ramène au présent quand l'imagination vagabonde. Mais recevoir?

Se souvenir de ce qu'on a reçu, ou bien espérer recevoir dans un avenir, c'est risquer gros, vu que ça n'existe pas. J'aime mieux recevoir ce qui existe en ce moment précis de tout de suite. C'est le seul point d'appui sur ce merveilleux cadeau d'exister. Merveilleux dans le sens de grandiose.

Le dessin que j'inclus dans ce blog d'aujourd'hui, je l'avais fait dans un caféteria commercial: les Halles sur la rue Cartier à Québec. Tout un espace étonnant, et le va et vient des cabarets... L'heure du midi, les travailleurs du coin. Si on regarde derrière soi, il y a une fleuriste: j'y avais acheté des fleurs après ce dîner rapide. En faisant ce dessin, je n'étais pas encore conscient de ces fleurs derrière moi. C'est seulement en quittant le coin de bouffe que je m'étais approché des fleurs.

Il est plus facile de donner des fleurs que d'en recevoir. Pour les recevoir, il faut s'en approcher, s'arrêter, en avoir la surprise. C'est ça, recevoir des fleurs, du moins celles qui existent ces jours-ci, car c'est le printemps. J'ai vu une trille étonnante, blanche avec lizéré rouge, qui me regardait en pleine face. C'était à la fin de la marche avec Charlot, à l'heure du souper, au bout du sentier.



lundi 7 mai 2012

Le chinois

Je suis à lire le roman d'Henning Mankell: Le chinois  (the man from Beijing).  Mais c'est autre chose qu'une lecture. Quel mot utiliser? Quel mot vous viendrait à l'esprit pour décrire cette sorte de plongée dans ce monde?  Une sorte de transe où la peur est présente. Pas cette sorte de peur habituelle, celle des suspenses policiers. Autre chose de plus sérieux. La peur quand toute une société est inhumaine. Se peut-il que ce soit nous?  Il est fort, Mankell, pour écrire un tel roman. Je suppose que les grands romanciers du 19 ième siècle, ceux qui décrivaient la misère crasse des familles exploitées par l'industrie naissante, ils avaient le même souffle, la même tourmente.

Cela me ramène à celui que vous aimez avec moi: Vincent Van Gogh. Dans sa dernière lettre envoyée à son frère Théo, il disait l'intensité de son travail:

..." Eh bien, mon travail à moi, j'y risque ma vie, et ma raison y a sombré à moitié..."

Ce Van Gogh, il me fait penser à Marie Curie. Elle-aussi, elle risquait sa vie, en maniant ainsi le radium.

Ces oeuvres, celle de Van Gogh et celle de Marie Curie, elles n'auraient jamais abouti sans cette sorte de détermination. Tous les deux, ils habitaient le silence de leur travail. De véritables explorateurs.

Quand je lis Mankell, je sens qu'il y met le meilleur, comme un grand artiste.



dimanche 6 mai 2012

La pipe de Van Gogh

Finalement, ça prend peu de choses pour tenir à la vie... Vincent Van Gogh, qui lisait et admirait Dickens, avait recopié une recette de l'écrivain: un verre de vin, un morceau de pain, du fromage, et une pipe de tabac. Avec cette recette, on éloignait l'idée du suicide. À prendre tous les jours, disait Van Gogh.

Cette journée-là, la recette n'avait pas suffi. Le malheur était trop grand, trop pesant. C'était au bout de 70 jours où Van Gogh avait produit 70 toiles. Mais les gens n'appréciaient pas: absolument rien ne se vendait. Il y avait 550 de ces toiles qui étaient remisées, entreposées... Un tipping point... Il y avait une limite à être à la charge de son frère qui était sur le point de laisser son travail.

C'était absurde et cruel, disait Van Gogh: "les toiles des peintres prennent de la valeur quand les peintres meurent". Il le savait pour l'avoir constaté. Alors, ses toiles, est-ce qu'il fallait qu'il meure pour que les gens les apprécient?

Après sa mort, on a trouvé sur lui un brouillon de lettre non envoyée. Sur ce brouillon, il demandait à son frère s'il en était rendu à attendre sa mort qui allait donner du prix à tous ces tableaux qu'il possédait... C'était des pensées qui ne s'envoient pas: Vincent les avait omises dans la lettre jetée à la poste.

Le docteur Gachet était venu voir le grand blessé. Il avait jugé qu'il n'y avait plus rien à faire. Vincent lui avait demandé un service: celui de bourrer sa pipe et de l'allumer pour lui. Puis, en paix, Vincent avait fumé sa pipe.

Le lendemain, Théo était arrivé de Paris. Les deux frères avaient causé un peu. Puis Théo s'était étendu sur le lit, et Vincent avait posé sa tête sur les bras de son frère, comme un oreiller. C'est ainsi que Van Gogh est mort. Tout était très bien, à ce moment de fin de vie, pour Vincent.

Peu de vies me touchent autant que celle de Vincent Van Gogh.










mardi 1 mai 2012

Intermède. Suite 9. Feux les calumets...

 " Mets-ça dans ta pipe!"... (rentre-le dans ta caboche, et tâche d'y penser)... "Il s'est cassé la pipe"  (... il est mort...)  " Il y avait combien de têtes de pipe à cette assemblée?"  (combien de personnes?)  Ces expressions nous identifient au tabac... pourquoi?

Il ne faut pas ramener l'univers du tabac au tabagisme. Les campagnes si intensives qui tâchent de déraciner l'habitude de fumer, pour des raisons de santé, elles ont évidemment de bonnes intentions, mais elles sont facilement inhumaines. Vous trouvez que je charrie? Elles sont inhumaines, car l'humain vit son humanité, depuis des millénaires, avec la fumée.  Démoniser la fumée, cracher sur elle comme de la pollution, c'est aussi bête que de vouloir enlever le rêve, vouloir empêcher les humains de rêver.

Si vous ouvrez le Dictionnaire des symboles (collection Bouquins, éditeur Robert Laffont), lisez ces pages sur la fumée, le tabac, la pipe. Vous trouverez tout le sérieux de notre histoire "spirituelle", celle de tous les peuples depuis l'invention du feu, notre histoire d'amour avec l'univers, avec ce monde qui existe.

La fumée monte.  Nos ancêtres (les très anciens et les plus récents), d'instinct, ils faisaient monter des prières avec cette fumée. On en a fait autant dans nos églises, avec notre encens: à l'époque pas si lointaine, le thuriféraire était le servant de messe, l'enfant de choeur, qui tenait l'encensoir au bout de trois chaînes. Ça accompagnait les grands moments de la vie, les fêtes des saisons dans les cérémonies.

Heureusement qu'on connaissait aussi la fumée qui monte, en dehors des églises. D'une façon, cela civilisait: s'arrêter pour fumer tranquillement et regarder ces volutes de fumée. Ou mieux: rêver en regardant les flammes d'un feu de camp, un feu de foyer. Ça n'a pas besoin de mots. Ça nous rejoint directement.

La preuve que ça civilise: ça attire les chants, la musique. Réal sortait sa guitare, ou bien sa ruine-babine (son harmonica). Il avait même une bombarde! (Je vais dire une méchanceté: ça valait mieux que des discussions politiques). Ça touchait le coeur et pas seulement l'esprit.

Le feu, la fumée qui monte, ces rituels avec ou sans tabac, ça permet le rêve. Le cerveau humain aime bien respirer l'air frais, mais curieusement il savoure le rêve, depuis des millénaires, autour d'un feu.  Comme c'est le soir, il découvre des milliers d'étoiles, ce monde qu'on habite en aveugles. Il découvre du silence qui se regarde.