lundi 30 avril 2012

Intermède. Suite 8. Feux les calumets...

On y arrive, on y arrive, aux calumets. Du moins on s'en approche, il y a de la fumée dans l'air... J'ai ouvert le gros dictionnaire historique, celui qui nous dit comment parlaient les ancêtres, et ce qui en reste (pas des ancêtres).  Tentez l'expérience, ouvrez ce mastodonte au mot "tabac".

Ça nous conduit à deux endroits ensoleillés: Haïti et le Brésil. Deux places où nos explorateurs de la belle époque de Jacques Cartier, vers 1550, regardent les Indiens fumer leurs pipes et leurs grands cigares. Les Arouaks d'Haïti parlent de Tsibatl en montrant leurs pipes allumées, et les voyageurs européens entendent Tabacco.

Au Brésil, les Indiens nomment Petyn ce qui deviendra Petun, pour désigner ce qu'on fume. André Thevet, en 1557, en rapporte des plants pour cultiver et fumer dans le vieux continent. "On pétune"... Écoutez la tirade de Cyrano de Bergerac:
" Cà, monsieur, lorsque vous pétunez,
" la vapeur du tabac vous sort-elle du nez
" sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée?"

Au nord de la France, Bretons et Normands gardent ce mot de petun jusque tard au 19ième siècle. Pas étonnant que les colons au Québec, venus de ces coins de France, aient gardé le mot.

Mais c'est Tabacco qui gagne. Est-ce dû à Jean Nicot, ambassadeur français au Portugal, qui popularise " l'herbe à Nicot" (la nicotine) auprès de la Cour royale? Chose certaine, André Thevet est furieux de se faire voler le crédit par ce Nicot. Ces Messieurs de la Noblesse fumeront le tabac.

Autre singularité... Vous savez que fumer, c'est silencieux, calme, apaisant. D'où vient alors qu'on parle de tabasser les étudiants qui manifestent, de passer à tabac ceux qu'on veut intimider? Le tabac a-t-il une violence cachée?

Les continents dérivent, et les mots aussi se permettent des glissements. Taba existait avant Tabac. C'était au moins trois siècles avant le tabac d'Haïti et le Petun du Brésil. Du temps de Jeanne d'Arc. Tabu, tabuster, tabaster... ça signifiait du tapage: frapper, faire du tumulte, secouer.

On peut dire que la main de fer (tabu) s'est glissée dans le gant de velours (tabac): c'est aussi au 19ième siècle que l'argot français parle de tabac pour violence. On peut dire que le Gaulois se glisse dans le Français. Tabac devient paradoxal, apaisant et belliqueux à la fois. (à suivre)



dimanche 29 avril 2012

Intermède. Suite 7. Feux les calumets...

J'ai tordu le bras à mon ami Gilles, pour qu'il m'envoie un texte sur le tabac. Il tient parole, Gilles. Je ne garde pas son texte pour moi, je vous le partage. Le titre:  Le tabac et Roméo.

... De mes yeux d'enfant, le tabac a toujours fait partie de la routine quotidienne de mon père Roméo. Chaque soir, après le souper, Roméo restait au bout de la table (c'était "sa" place dans la maison), sortait sa boîte en métal, son long papier blanc et sa machine à cigarette. Dans moins d'une heure, il "roulait" une vingtaine de cigarettes. C'est à ce moment qu'il jasait de tout et de rien. Je connais sa production parce que je prenais plaisir à compter ses grandes cigarettes. Parce qu'elles étaient très longues, ses cigarettes!

La machine comportait en effet deux rouleaux de toile d'environ 20 pouces (50 cm) de long. Le mécanisme enserrait le tabac, le roulait dans un papier aussi long que la machine puis crachait une interminable cigarette sur un tablier mobile muni de quatre lames de rasoir disposées à égale distance. En actionnant le tablier vers l'avant, la cigarette était alors sectionnée en cinq parties égales, formant ainsi autant de cigarettes prêtes à allumer.

Mon père n'avait installé que deux lames sur cinq. À chaque mouvement du tablier, il se retrouvait donc avec deux cigarettes "double longueur" et une cigarette de longueur normale. Les cigarettes normales étaient réservées aux rencontres civilisées, tandis qu'il fumait ses longues à l'usine.

Toutes coupées au format standard, ça aurait fait une centaine de cigarettes par jour. La statistique et sa machine ont eu raison de lui: à 65 ans, Roméo mourait d'un cancer de la gorge. Il avait sûrement les poumons aussi noirs que le charbon, mais l'histoire ne le dit pas. Quant à moi, le jour de sa mort, j'avais déjà entamé mon troisième paquet de cigarettes vers l'heure du souper. La mort de mon père m'a convaincu d'arrêter. J'ai choisi une méthode efficace et violente pour y arriver, mais c'est une autre histoire de tabac."

(...et voilà... si seulement ce blog devenait interactif, il y aurait des cadeaux semblables qu'on se partagerait... j'en rêve!)



jeudi 26 avril 2012

Intermède. Suite 6. Feux les calumets...

Il y a plusieurs façons d'aborder "le tabac", d'en parler. Ce qui m'intéresse d'abord (dans le tabac), c'est notre vie imprégnée par ce tabac. Les souvenirs que nous en avons, et qui nous habitent encore. Beaucoup de nos parents et grand-parents fumaient la pipe, la cigarette, le cigare. Parler du tabac nous ramène à eux. Tout le passé est sépia, couleur de tabac...

Une deuxième façon, c'est d'en faire une vraie étude: l'histoire du tabac, de son industrie. J'ai mis un pied dans cette étude ce soir, en lisant les premières lignes dans Wikipédia... il y était question de la déforestation en Afrique du nord: 12% de ce ravage (140,000 hectares par année) sert de combustible pour faire sécher le tabac.

Mais je préfère en rester, pour tout de suite, au human interest, aux souvenirs que nous en avons, à la vraie vie, à notre sang chargé de nicotine. J'ai reçu un commentaire de mon amie Isabelle, qui raconte un souvenir de tabac...C'était à Arthabaska. Avec sa permission, je vous communique ces images qu'elle partage:

"moi, le tabac du pays, ça me rappelle la cordonnerie où on allait porter nos souliers à réparer. Le vieux cordonnier avait un banc près de la porte et ses amis venaient jaser et fumer en le regardant travailler.

"Pour l'enfant que j'étais, c'était un peu épeurant, tous ces messieurs qui se taisaient quand j'arrivais...  Ça sentait fort: le tabac du pays, le cuir, le harnais, les vieux souliers, la vieille pipe, les vieux messieurs. C'était impressionnant comme odeur.

"Et puis la boutique était sombre et pleine de choses, machines, brosses, étagères... On devinait des secrets dans les coins sombres".

Merçi Isabelle!  Voilà qu'on est partis à rêver. C'est mieux que de savoir la quantité d'hectares de déforestation en Afrique du Nord. Pourquoi c'est mieux? Qui dira pourquoi c'est mieux?

Une connaissance est morte quand on en fait rien. Elle sédimente sur le tas de connaissances accumulées, elle vire en fossile. Il y a tellement d'accumulations mortes, dans toutes ces informations versées sur nos écrans. Elles sont mortes si on en fait rien, si on ne les mâche pas, si on ne les digère pas, si on ne les transforme pas en nourriture vivante, en énergie qui bouge. En racontant ce souvenir, Isabelle alimente notre capacité à observer, à sentir les odeurs, à deviner tout le mystère des choses. Elle nous ramène à ces lenteurs d'autrefois.  (à suivre:  pleins d'expressions qui nous viennent du tabac...)





mercredi 25 avril 2012

Intermède. Suite 5. Feux les calumets...

Je sens que ça va venir: je devrai bientôt consulter Wikipédia pour m'instruire sérieusement sur le tabac. Pour le moment je tourne autour, dans une enquête qui suit le hasard des rencontres du jour. Je n'ai jamais approfondi la question du tabac: c'est ce blog qui m'y entraîne.

Ce matin, au coin de la rue St-Vallier, j'ai croisé Michel qui avait l'air très pressé. "Comment ça va, Michel?" "Mal", qu'il me répond. Depuis quatre jours, il avait un vrai mal de tête: il s'est frotté la tête en le disant. Ce mal de tête? Parce qu'il avait arrêté de fumer!

Je ne lui ai pas dit "tu as bien fait" et autres commentaires habituels. J'ai fait mon enquête, pour vous. "Pourquoi tu arrêtes de fumer?"  C'est l'argent que ça coûte. Il a calculé qu'il dépense plus de 225 $ par mois. (C'est pas loin de la moitié du coût d'un loyer). Il achète des paquets à $7.50   (Du mauvais tabac, m'a commenté Albert. C'est confirmé par Suzanne: les marques connues se vendent à $10 le paquet. On arrive alors à la moitié du coût du loyer). Faut pas s'étonner si certains choisissent de vivre sur la rue, ainsi ils peuvent fumer.

"Tu es au courant qu'on ne produira plus de tabac au Québec cette année?"  Michel ne connaissait pas la nouvelle. Il m'a parlé de la production en Ontario... Dans les années 70, il y était allé travailler, comme employé saisonnier. Ils étaient cinq travailleurs sur cette ferme de tabac, à cueillir les feuilles mûres, en commençant par celles du bas de la tige. "Le premier soir, j'étais tellement fatigué, je suis allé dormir sans prendre le temps de souper". "Un travail d'esclave", commente Albert, qui a vu ces travailleurs dans les champs de tabac d'Ontario: à suivre rapidement un petit tracteur entre les rangs de plants, arrachant les feuilles mûres pour les empiler sous leur bras, pour ensuite en faire des paquets attachés avec une feuille de tabac... "Le midi, ils étaient tout gommés par la nicotine. Affreux. Je suis allé travailler ailleurs, dans les vergers" dit Albert.

Et l'enquête continue. J'ai appris le nom donné par les Indiens à leur tabac: le petun (ou petoun). Les vieilles indiennes fumaient la pipe, devant le wigwam.

Il y avait de gros fumeurs... Mon ami Florent fumait "comme un engin" (Les engins, c'étaient les locomotives à vapeur, chauffées au charbon: un beau nuage noir les suivaient). Florent ne terminait pas une cigarette sans en rallumer une autre, avec la braise de celle qu'il terminait. Il fumait beaucoup, vraiment beaucoup.

Une amie, Louise, fumait "pour respirer à fond". Elle insistait sur cette information paradoxale... Sans cigarette, elle respirait en superficie seulement. Pour bien remplir ses poumons d'air, il lui fallait  fumer une cigarette. Elle goûtait alors le plaisir de respirer. Ce qui équivaut au plaisir de vivre...  (à suivre)



mardi 24 avril 2012

Intermède. Suite 4: Feux les calumets

On me disait: faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Tout de suite je vois le dessin qu'on pourrait en faire! L'eau du bain, l'eau sale, polluée, c'est le cancer causé par le tabac. Le bébé qu'on jette dans la cuvette, c'est le tabac. En résumé, faut pas jeter le tabac sous prétexte qu'on connait maintenant son incidence sur le cancer.

On perd beaucoup, en crachant sur le tabac comme si c'était la peste en personne. Le tabac c'est nous autres. Faut pas se jeter nous-mêmes dans la cuvette. S'encourager à ne plus fumer? Pas de problème. Mais sans renier notre identité d'enfant du tabac.

Supposons qu'on aurait des parents illettrés, qui nous aurait payé un cours universitaire... Faudrait tout de même pas les regarder de haut, ces parents. À moins que le cours universitaire nous aie enlevé toute jugeotte, on les apprécie. Le parent illettré, c'est notre passé qui fréquentait le tabac.

Ils se berçaient sur la galerie, en fumant leurs pipes, et ça éloignait les moustiques! Ils pouvaient philosopher à leur manière: fumer, ça portait à se donner des silences, ça laissait porter. C'était comme donner un coup d'aviron, et le canot glisse sur la rivière. J'imagine d'ailleurs cette sagesse des amérindiens qui fumaient:  ils ne parlaient pas pour ne rien dire.

C'est bête, l'intolérance hargneuse vis-à-vis ceux qui fument encore. C'est de l'ordre de la culpabilité religieuse fanatique. Ça vient de la peur. Avant il y avait plein d'intolérances, et ça nous colle encore à la peau.

Tout ça pour dire qu'on gagne à connaître notre passé de fumeurs, pour l'aimer. Ce n'était pas un monde de violence, fumer: les amis fumaient ensemble. Le calumet de paix, ça se fumait à plusieurs. C'était pas la hache de guerre.

Et puis on montrait aux enfants comment on pouvait faire monter des beignes de fumée: tout un art! Suivre des yeux la fumée qui écrit son chemin, c'est comme regarder un cerf-volant. C'est du rêve qui fait du bien.

Grand-père Alexandre me laissait me confectionner des pipes: je creusais un gland pour en faire un fourneau, et un roseau servait de tige. Je bourrais cette petite pipe avec des cheveux de blé d'inde, et j'allumais fièrement ma pipe d'enfant. Puis je m'étouffais:  c'était une boucane infecte. Alexandre devait rire.



lundi 23 avril 2012

Intermède. Suite 3: Feux les calumets

Ici, il ventait à écorner les boeufs, aujourd'hui. Pas étonnant que l'électricité soit disparue toute la journée. Bref, dehors c'était un bruit d'enfer, les grands arbres se balançaient. Au bord du fleuve, les vagues ont débordé sur la route. J'ai passé beaucoup de temps à ne rien faire, emmitouflé comme en hiver dans la maison froide.

En début de soirée, l'ami Albert a téléphoné. Albert "connait le tabac". Connaître le tabac, ça signifie être connaissant, habile. Justement, je l'ai questionné sur le tabac, pour valider un peu ce que je vous raconte.

Albert donne un autre nom aux gourmands qu'on enlève sur les plantes: des ch'tons.  Le verbe: éch'ter.  Tout un vocabulaire va disparaître en même temps que chaque métier enterré... (Ch'ton doit venir de "rejeton").  On disait, d'un type pas fiable, qu'il était un faux ch'ton. (un faux jeton).

Alors, Albert, faut se réjouir de voir s'éteindre l'industrie du tabac? Pas du tout!  Premièrement, les fumeurs continuent de fumer, mais avec un tabac de moins bonne qualité que le nôtre. Qui va contrôler les chimies qu'on va ajouter au tabac produit au Mexique, ou en Polynésie? Deuxièmement, le tabac c'était une plante médicinale.

(Si seulement ce blog était interactif, je m'instruirais rapidement, et vous aussi! On saurait si le tabac de Joliette était bon pour les vieux fumeurs de pipe).

J'ai appris à Albert, qui ne sait pas tout même s'il connait le tabac, que la moitié de la production du sirop d'érable était (autrefois) vendue en Virginie pour aromatiser les cigares et le tabac à pipe... La moitié? N'allez pas tout croire, sans vérifier.

Et puis, on ne faisait pas seulement fumer le tabac: on le chiquait, on le prisait. Quand Alexandre était jeune adulte, il tenait un salon de barbier: trois fauteuils attendaient sa clientèle. Devant chaque fauteuil, un crachoir étincelant, frais nettoyé par la grand-mère Élizabeth. Les gens n'avalaient pas leur chique, ils la crachaient. C'était l'époque des saloons.

J'ai déjà vu un vieil aumônier priser le tabac. Il avait ouvert le couvercle d'une menue tabatière, pour y prendre une pincée de poudre, et se l'introduire dans le nez, en inspirant fort. Je n'ai aucune idée de l'effet, mais on m'a dit que ça brûlait les tissus. Pourtant, on lui donnait du prix, on le prisait!   (à suivre)



dimanche 22 avril 2012

Intermède. Suite 2: Feux les calumets...

C'est évident que je n'avais pas le privilège de cueillir les grandes feuilles de tabac: il fallait s'y connaître pour savoir si elles étaient mûries à point, et seul de la tribu, Alexandre les cueillait une après l'autre, les choisissant au pied de la plante.

Il en faisait ensuite de petits fagots qu'il allait suspendre au plafond du grenier, la tête en bas, comme des stalactites. Ça devenait un véritable séchoir.  À quel moment Alexandre allait-il les décrocher du plafond, ces précieuses feuilles de tabac? Je ne le sais pas: à la fin de l'été je n'étais plus là pour m'instruire des choses de la vie. Je ne l'ai pas vu actionner son hachoir, ni remplir sa tabatière.

J'ai ce trésor sous les yeux: un bel hachoir artisanal. Est-ce bien le sien? Je me persuade que oui, pour lui donner sa vraie valeur de souvenir. C'est une guillotine, un coutelas dont la lame pivote en arc de cercle sur une planche très épaisse, en bois franc, lourd.

Je possède aussi sa tabatière de métal. Elle a de l'âge, elle est même percée, mais elle brille encore. Hachoir et tabatière: des reliques étranges, qui passeront pour des vieilleries inutiles et bizarres, bientôt. Grand-père Alexandre devait les soigner, ces beaux objets qui lui servaient à alimenter sa pipe. Il ne les voyait pas comme des antiquités pour musée de la civilisation, pas plus que son tabac!  (à suivre)



samedi 21 avril 2012

Intermède: feux les calumets de paix

La Presse, dans l'édition d'aujourd'hui, sonne le glas: ils abandonnent. Terminé, après mille ans!  Tiens, je ne nous connaissais pas cette ancienneté. Il s'agit de l'industrie du tabac au Québec. La vraie nouvelle, c'est que les deux derniers cultivateurs qui plantaient du tabac, ils laisseront leur machinerie au garage. La raison: il n'y a plus d'acheteurs pour le tabac cultivé ici.

Grand-père Alexandre n'aurait pas apprécié. Il vivait à Joliette, dans le pays sablonneux qui a prospéré grâce au tabac. Alexandre Dugas fumait la pipe. Il en avait plusieurs: il les laissait refroidir, les unes après les autres. Il fumait son tabac, celui qu'il cultivait dans son jardin.

Alexandre avait une maison d'été au bord de la rivière l'Assomption. Maintenant c'est en pleine ville. À l'époque, c'était la campagne: les voisins étaient des cultivateurs sur des fermes laitières. Devant la maison d'été, il y avait une route de terre, poussiéreuse, qu'on traversait sans grand danger d'être frappé par une auto. On accédait alors au jardin du grand-père. Un jardin immense.

Du moins, mes yeux d'enfant le voyait immense, ce jardin. Il y avait ce carré de plants de tabac sur votre gauche, puis tout cet espace pour le blé d'inde, et tous ces rangs de framboisiers. À votre droite, ajoutez tous les légumes: les tomates, les petites fèves, les radis, les oignons, la ciboulette, les pommes de terre, les choux, la laitue, et tout ce que j'oublie. Un très grand jardin, à s'y perdre, si on est un enfant qui voit grand. J'avais le privilège d'y travailler, avec toute la maisonnée: j'enlevais les gourmands sur les plants de tabac.

Les gourmands, ce sont des pousses qui se développent entre la tige principale et les grandes feuilles de tabac... C'est le même phénomène, avec les plants de tomates. Les gourmands empêchent la récolte sérieuse de mûrir. C'est comme un éparpillement dans la production de la plante, c'est comme si elle menait douze projets à la fois, au lieu de faire aboutir ce qu'elle a entrepris.

Si un jour vous avez un plant de tabac qui fait des gourmands, voici comment vous procéderez. Evidemment ce sera votre petit-fils qui fera le travail, et vous aurez à lui expliquer: avec l'ongle du pouce, on pince le gourmand, à sa base. Il se détache, mais vous tache. Il dégouline de lait caoutchouté, gommeux, collant au possible, et ce lait noircit très vite. Ça prouve que vous êtes un vrai travailleur si vous avez les mains goudronnées au lait de gourmand.  (à suivre)



vendredi 20 avril 2012

Intermède: le dieu de l'eau douce

La BBC m'instruit. Mais ce n'est pas tout, de s'instruire: il faut digérer ce qu'on apprend, le faire sien. En produire quelque chose de personnel.

Sous la chronique scientifique, on apprenait qu'on vient de cartographier les nappes d'eau souterraine du continent africain. Avec surprise, on apprend qu'il y a beaucoup d'eau potable, dans le sous-sol. Ainsi, en Lybie, en Algérie et au Chad, cette couche d'eau a une épaisseur moyenne de 75 mètres. De quoi étancher la soif, de quoi arroser les potagers.

En produisant cette information, les scientifiques disent: attention! N'allez pas forer n'importe comment, pour extraire cette eau précieuse. Ils préconisent des puits modestes, comme ces bonnes vieilles pompes à l'eau manuelles, comme chez mon grand-père Alexandre autrefois. Ainsi cette eau ne sera pas gaspillée, ni épuisée rapidement.

Il y a 10,000 ans, c'était le printemps, la fin d'une époque glaciaire. Là où j'habite, près du fleuve St-Laurent, il y avait une couche de glace d'une épaisseur d'un kilomètre. Un long printemps...

Il y a 5,000 ans, c'est le début de la civilisation, en Mésopotamie. Les gens s'occupent du Tigre et de l'Euphrate, en creusant des canaux pour l'irrigation des terres. Ainsi ils évitent l'inondation, puis la sécheresse. Les mêmes travaux se font en Egypte, pour maîtriser les crues du Nil. Le changement climatique s'accentue: la désertification s'installe en Afrique. Mais toute l'eau accumulée dans le sous-sol se tient en réserve: cette eau dont les scientifiques viennent de mesurer l'importance.

Les Sumériens (en Mésopotamie) attribuaient au dieu Enlil le rôle d'instructeur des humains: c'est lui qui nous avait appris à creuser des puits, à canaliser l'eau douce. Ainsi commençait l'agriculture, la culture des céréales. Une bien grande révolution s'amorçait, avec l'écriture.



jeudi 19 avril 2012

Intermède: l'attente

Aujourd'hui j'ai fait six dessins. Je dessinais quand j'attendais.

Dans l'avant-midi, j'avais quinze minutes d'avance avant ma rencontre chez Marcel. Le temps d'un dessin.  L'après-midi, j'ai fait la navette entre une clinique d'ophtalmologie et l'urgence de l'Hôpital St-Sacrement. Beaucoup de route en automobile. Quinze minutes dans la salle d'attente à l'urgence (j'aurai finalement un rendez-vous dans cinq jours, ce qui n'est pas si mal). Je n'ai pas dessiné. J'ai écrit sur les possibilités de Genèse: Dieu continuera-t-il son périple sur la planète?

Ce soir, assemblée annuelle d'une association d'artistes de l'ile d'Orléans... rapport annuel, budget, bref: tout l'ordre du jour.  Heureusement que je dessinais. Cinq dessins. Celui que je présente ici convient bien: je regardais l'heure, sur une vieille horloge d'autrefois. Les chiffres étaient beaux à regarder. Je regardais l'heure, espérant que ça achève.

Dessiner, c'est comme tricher. C'est comme ne pas y être, tout en y étant. C'est ne plus attendre, d'une façon. C'est en faire autre chose, de ce temps immobilisé. C'est vraiment s'évader de l'ailleurs, pour être ici. Il y a une sorte de protestation polie: vous ne m'avez pas, c'est moi qui vous ai. Je vous dessine: c'est vous qui aurez à vous évader.


mercredi 18 avril 2012

Intermède: deux volumes

Paule m'a prêté un beau volume:  "Démons quotidiens".  Elle savait bien que j'allais le lui voler, alors elle a pris les devants en me le prêtant. Ce livre, je ne vois pas comment j'aurais pu résister à le prendre. Imaginez: il y a un dessin à chaque page!  Et puis, il est écrit par Nancy Huston.  "Démons quotidiens", vu que c'est un recueil de pages écrites chaque jour. Ça ressemble, pour le format, à un blog.

Comme cette romancière a fait ce volume en collaboration avec un dessinateur, c'est plus facile pour chacun.  Deux démons font plus de travail qu'un démon isolé!

Et puis, j'ai trouvé au Salon du Livre cet album de Sempé:  Enfances.  C'est très étonnant (pour moi), ce récit de l'enfance de Sempé.  Très attachant aussi. Un bien bel album...


lundi 16 avril 2012

Genèse 51. Magie blanche, magie noire

" Dans ma colère, dans ma jalousie, dans l'ardeur de ma fureur, je le dis: ce jour-là, je le jure, il y aura un grand tremblement au pays d'Israël. Alors trembleront devant moi les poissons de la mer et les oiseaux du ciel, les bêtes sauvages et tous les reptiles qui rampent sur le sol, et tous les hommes qui sont sur la terre. Les montagnes s'écrouleront, les parois des rochers tomberont, toutes les murailles tomberont par terre. J'appellerai contre lui toute espèce de terreur, oracle du Seigneur Yahvé." ( Ezéchiel, Bible de Jérusalem).
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...S'il se laissait aller, Dieu partirait à rire, mais Tubal-Caïn pourrait croire que Dieu se moque, alors Dieu sourit seulement...

Dieu: " Tantôt tu me demandais à quoi je sers, si je ne suis pas capable de répondre à tes prières?"
Tubal-Caïn: " Je me suis emporté, excuse-moi. Mais dis-moi quand même pourquoi tu ne fais pas revenir ma femme chez-moi. On m'a dit qu'il n'y avait rien d'impossible pour toi."

Dieu: " Quand tu travailles à ta forge, aimerais-tu qu'un de tes voisins, qui ne connait rien à ton métier,  vienne te dire comment manipuler tes outils? Peut-être qu'il est connaisseur pour les labours, mais le métal, le feu, tes outils, il n'y connait rien."
Tubal-Caïn: " Te faire des prières, c'est te dire comment travailler?"

Dieu: " Chacun son métier, chacun son travail".
Tubal-Caïn: " N'empêche que ce serait apprécié, si tu faisais revenir ma femme à la maison."

... Dieu réfléchit. Faire de la magie noire, ça ne l'intéresse pas. Qu'est-ce qu'il pourrait dire, qui aiderait son ami?...

Dieu: " C'est le feu qui fait le vrai travail, dans une forge. Un bon forgeron laisse travailler le feu..."
Tubal-Caïn: " Je ne comprends pas ce que le feu vient faire là-dedans".

Dieu: " Tu sais respecter la nature du feu. Respecte aussi la nature de ta  femme. C'est sa vie, ça lui appartient. Elle n'est pas une tige de fer que tu dois courber, plier, tabasser et aplatir. Ouvre la porte, laisse ta femme partir."
Tubal-Caïn: " Est-ce qu'elle va revenir?"

Dieu:  " Ce sera son choix. Toi, tu vas retrouver le plaisir dans tout ce que tu fais. Arrête de respirer de la cendre."

...Tubal-Caïn se lève. Il va ajouter une bûche sur le foyer, qui se remet à pétiller de plaisir. Il rapproche les tisons qui fument à l'écart, il s'occupe longuement du feu... Puis il regarde Dieu mais sa vision est  embrouillée vu qu'il a pleuré. Tous les deux savent que c'est fait... Ils écoutent les craquements du bois, ses éclatements, puis regardent les gerbes d'étincelles...

Tubal-Caïn: " À qui je vais pouvoir raconter cela?"
Dieu: " À personne. C'est un secret entre toi et le feu."

... ils se sentent bien vivants, tous les trois: Tubal-Caïn, Dieu et le feu...


samedi 14 avril 2012

Intermède. Les prophètes

Quand j'écris la série Genèse, je me trouve à chercher un court texte dans la Bible de Jérusalem. Ce soir je cherchais un texte qui parle du Dieu vengeur, un Dieu qui punit son peuple.

Au petit hasard, je tournais les pages de la Bible, en parcourant les courts textes attribués à des petits prophètes, comme Amos, Osée et quelques autres. J'ai trouvé des phrases terribles de destruction, de tuerie, prêtées au Dieu d'Israël, contre son peuple.

Mais j'ai trouvé autre chose aussi, de bien étonnant. Chez ces prophètes, cette terrible colère divine est celle d'un amoureux abandonné, trahi.  Dans ces pages écrites il y a si longtemps, on trouve un drame passionnel. (C'est très proche de la colère meurtrière de Tubal-Caïn contre son épouse qui l'a quitté pour suivre un amant)

Dans la série Genèse, j'invente une histoire où Dieu visite la planète, et se demande qui sont les hommes. Dans ce que j'invente, ce Dieu n'est pas raconté par les auteurs de la Bible, mais qui est-il?

Dans les pages de l'Ancien Testament (La Bible sans les Evangiles), je découvre le récit d'une grande histoire d'amour, une histoire tragique, excessive, violente comme un drame.

Les penseurs grecs avaient découvert que les humains ne peuvent pas se passer d'histoires. Le cerveau humain passe son temps à imaginer des histoires. Il ressemble à une araignée qui ne sait rien faire d'autre: tisser une toile d'araignée. Le cerveau tisse des histoires, toujours. Chaque nouvelle information est une petite pièce qui cherche sa place dans un casse-tête: nous sommes des obsédés dans cette construction mentale.

Est-ce qu'on peut penser l'univers sans en faire un récit avec des personnages?  Si on en fait un récit, ce sera un cerveau humain qui fera ce récit, à sa manière de cerveau humain.  Il le fera avec les couleurs d'une culture, d'une civilisation. À la ressemblance de sa famille humaine.

Dans la Bible juive, les rôles sont inversés: Dieu y ressemble au personnage de Tubal-Caïn. Je ne m'attendais pas à cette surprise.


jeudi 12 avril 2012

Genèse 50. Mercredi des cendres

" Rachel, voyant qu'elle même ne donnait pas d'enfants à Jacob, devint jalouse de sa soeur et elle dit à Jacob: " Fais-moi avoir des enfants, ou je meurs!" (Genèse, Bible de Jérusalem)
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...Tubal-Caïn se sentait soulagé d'avoir parlé de sa vraie colère. Jamais il n'aurait cru Dieu capable de plaisanter: cette histoire de forgeron dans l'enfer, elle lui plaisait beaucoup...

" Je veux qu'on parle encore du feu", dit Dieu. " Avec de la cendre, es-tu capable de faire du feu?"
Tubal-Caïn: " Avec de la braise, je le fais tous les jours".

Dieu: " Mais avec de la cendre?"
Tubal-Caïn: " Je ne suis pas magicien. Pourquoi tu me demandes cela?"

Dieu: " Vous autres, les humains, vous vous occupez de la cendre comme si c'était encore du feu".
Tubal-Caïn: " Où as-tu vu cela?"

Dieu: " Vos souvenirs, c'est de la cendre. Vous traitez vos souvenirs comme s'ils étaient vivants, comme s'ils étaient du feu. Le passé est mort, Tubal-Caïn, c'est de la cendre".
Tubal-Caïn: " De quels souvenirs veux-tu parler?"

Dieu: " Ta femme est partie avec son amant: c'est du passé. C'est de la cendre. Tu en parles comme si ça te brûlait encore"
Tubal-Caïn: " Comment veux-tu que ça ne me brûle pas?  Je n'arrête pas d'y penser, ça me revient toujours".

Dieu: " C'est ça, votre maladie, les humains. Vous soufflez sur la cendre, vous l'entretenez comme on entretient le feu."
Tubal-Caïn: " Et comment tu peux guérir cette maladie?"

Dieu: " Tu es forgeron, Tubal-Caïn. Occupe-toi du feu, laisse la cendre de côté. Le passé n'existe pas."
Tubal-Caïn: " Tu veux dire que toi, tu n'as pas de passé?"

Dieu: " Je ne connais pas ce qui n'existe pas".
Tubal-Caïn: "Mais tu es Dieu... Tu serais capable de faire revenir ma femme à la maison?"

Dieu: " Tu me demandes de souffler sur la cendre".
Tubal-Caïn: " Alors à quoi tu sers, si on ne peut pas te faire des prières?"


mardi 10 avril 2012

Genèse 49. Liturgie du feu

" Les fils d'Aaron, Nadab et Abihu, prirent chacun leur encensoir. Ils y mirent du feu sur lequel ils posèrent de l'encens, et ils présentèrent devant Yahvé un feu irrégulier qu'il ne leur avait pas prescrit. De devant Yahvé jaillit alors une flamme qui les dévora, et ils périrent en présence de Yahvé."  (Livre du Lévitique, Bible de Jérusalem).
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... Ils sont devant le feu, que Tubal-Caïn s'occupe à ranimer. C'est son métier, comme forgeron, de rendre le feu à son meilleur. Il rapproche les bûches: les flammes reprennent du mordant. Satisfait, Tubal-Caïn vient se rasseoir près de Dieu, qui contemple le feu...

Dieu:  " Tu as vraiment le tour avec le feu!
Tubal-Caïn: " C'est facile.  On soigne le feu aux petits oignons, ensuite il ne se fait pas prier pour donner de belles flammes."

Dieu:  " Explique-moi encore."
Tubal-Caïn: " T'expliquer le feu?"

Dieu: " Le feu je le comprends très bien. Ce que je ne comprends pas, c'est Caïn, dans ton rêve. Pourquoi cherche-t-il à tuer Abel? Pour avoir ses troupeaux et sa jeune femme?  C'est ça?"
Tubal-Caïn: " Tu oublies qu'Abel cherchait à lui voler Déborah. Abel rôdait autour de sa maison..."

Dieu: " On a appris pourquoi il rôdait: il venait vérifier si la glaise du marais pouvait lui donner de bonnes briques d'argile. Abel voulait se construire une maison au village: sa femme Agar ne voulait plus vivre sous la tente."
Tubal-Caïn: " C'est ce que racontait Abel, mais moi je crois mon ancêtre Caïn. "

Dieu: " Toi, à la place de Caïn, tu aurais tué Abel, après avoir trouvé sa sandale de roseau?"
Tubal-Caïn:  " Oui, je l'aurais tué. J'ai du Caïn dans le sang. (Il se tait un moment, puis continue...) Je n'ai pas fait ce rêve pour rien."

... Dieu garde silence... Il comprend que son ami est au bord d'une révélation...  Dieu reprend la conversation:

Dieu: " Tu m'as demandé tantôt si j'avais une femme... Toi, tu en as une?"
Tubal-Caïn:  " J'en avais une, mais elle est partie avec un autre"

Dieu: " Et ça te fait quoi?"
Tubal-Caïn: "Tu l'as vu dans mon rêve: j'ai le goût de tuer."

Dieu:  " Et tu l'as fait? Tu as tué ta femme et son amant?"
Tubal-Caïn: " Non, mais tu as vu que j'en rêve... (À la blague:) Vas-tu m'envoyer en enfer?"
Dieu (qui entend à rire): " En enfer?  Ça te ferait trop plaisir! Imagine, un forgeron comme toi, un spécialiste du feu! Tu te sentirais chez-toi!"

... Dieu reprend la contemplation du feu. Ils gardent silence.
Après un temps, Dieu réfléchit tout haut:
" Vous les humains, vous avez un vrai problème."


lundi 9 avril 2012

Intermède: le Maikotron

Mon amie Isabelle vous invite à visiter le nouveau site qu'elle a produit, sur ce trio d'invention époustouflante, le Maikotron Unit.

voici l'adresse du site: http://www.maikotron.net/


bonne visite!

samedi 7 avril 2012

Genèse 48. En tisonnant les braises

" Yahvé dit: Je vais conclure avec toi une alliance. (......)
" Garde-toi de pactiser avec les habitants du pays où tu vas entrer. (.....)
" Vous démolirez leurs autels, vous mettrez leurs stèles en pièces et vous couperez leurs pieux sacrés. Tu ne te prosterneras pas devant un autre dieu car Yahvé s'appelle Jaloux. Il est un Dieu jaloux."
( Livre de l'Exode, Bible de Jérusalem)
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Dieu:  " As-tu vu comment ton ancêtre Caïn est malade dans la tête? Il trouve une sandale de son frère Abel, et ça lui suffit pour le condamner à mort! Tu as vu ça toi-aussi?"
Tubal-Caïn: " À la place de Caïn, moi-aussi je me serais méfié du jeune Abel..."

Dieu: " Toi-aussi?  Tu serais capable d'être jaloux comme Caïn l'était, dans le rêve de cette nuit?"
Tubal-Caïn: " Tu oublies que c'est moi qui l'ai fait, ce rêve... J'étais dans la peau de Caïn!"

Dieu:  " Je n'en reviens pas... Tu serais capable des mêmes folies que ton ancêtre!"
Tubal-Caïn: " C'est normal d'être jaloux. La Bible n'arrête pas de dire que tu es un dieu jaloux. Tu vois, on est tous pareils."

Dieu: " Je n'ai aucune idée de la jalousie dont tu parles"
Tubal-Caïn:  " Tu n'es pas un Dieu jaloux?"

Dieu:  " De qui veux-tu que je sois jaloux?  D'un autre dieu? C'est complètement farfelu!"
Tubal-Caïn: " Et si on te volait ta femme?"

Dieu:  " C'est vous autres, les humains, qui avez des femmes. Moi je n'ai rien. J'existe, c'est tout."
Tubal-Caïn: " Tu n'as jamais eu de femme!? "

Dieu: " On est différents tous les deux, tu devrais le savoir. Vous autres, vous m'imaginez à votre façon."
Tubal-Caïn: " ... Tu n'as pas l'impression que tu passes à côté de quelque chose d'important, et qu'il te manque quelque chose?"

Dieu: " À vous voir, prêts à vous égorger parce que vous imaginez que votre femme va en aimer un autre, je ne vois pas ce que je manque!"
Tubal-Caïn:  " Toi, tu ne te racontes jamais d'histoires?"

Dieu: " Non.  L'univers est exactement ce qu'il est."

... Tubal-Caïn se leva pour s'occuper du feu... Toutes ces paroles lui fatiguaient la tête, c'était un homme pratique...


jeudi 5 avril 2012

Intermède: Sacrifices humains

La BBC, dans ses nouvelles, rapportait une découverte archéologique récente au Pérou. Encore une fois, il s'agit de sacrifices humains...

Ces rituels se retrouvent dans bien des civilisations péruviennes, au cours des siècles où ces civilisations apparaissent et disparaissent. Cette fois, il s'agit d'un autel sur une petite montagne, au sud de Lima. Au solstice d'été, les gens adoraient cette montagne, une divinité pour eux, en décapitant des humains.

Les dessins décoratifs, sur les céramiques des Mochicas, nous montrent ces sacrifices. Maintenant on a trouvé l'autel des sacrifices, et les ossements des sacrifiés.

Ce qui est troublant, c'est le manque de réflexion sur l'humain. Comment expliquer ce que nous sommes? Car il s'agit de nous (de toi et de moi) quand on lit ces informations qui semblent parler d'étrangers d'autrefois. Il s'agit bien de notre espèce, homo sapiens, et d'une pratique qui n'est pas du tout exclusive à ces populations disparues.

Si vous parcourez les articles qui parlent de sacrifices humains, dans wikipedia et autres sources, vous en aurez pour tous les continents et tous les siècles. Les autres espèces animales ne sacrifient pas. L'espèce animale humaine sacrifie: c'est même central dans notre culture.

Nos croyances se nourrissent de sacrifices. Pourquoi avons-nous des dieux et des déesses qui ont soif de sang, faim de victimes? Pourquoi pensons-nous apaiser les volcans, les sécheresses, et toutes nos peurs, avec des sacrifices sur des autels?

Est-ce nécessaire à l'évolution de notre cerveau, de notre capacité à réfléchir, à imaginer, à créer, d'aboutir à ces rituels? Qu'est-ce que cela nous enseigne sur nous-mêmes?


mercredi 4 avril 2012

Intermède: historia

Héraclite disait que tout ce qui arrive, on le traduit sous forme d'histoire. Les humains, on est comme des araignées qui tissent des toiles. On ne sait rien faire d'autre: toujours on tisse une histoire, sur laquelle on habite. Chacun de nous est sa propre histoire. C'est une toile d'araignée, car on est collé à cette histoire, on la quitte difficilement pour une autre histoire, ce serait comme se quitter soi-même.

C'est pire que ça, à bien y penser. Cette toile d'araignée, on permet difficilement à quelqu'un d'autre de la tisser sur un autre modèle que notre modèle de toile d'araignée. Crois ou meurs. Les faiseurs d'histoires différentes, faut brûler ces histoires et obliger les raconteurs à les ravaler.

On croit davantage aux toiles d'araignée dont on ne voit pas les fils qui les accrochent en haut:  elles nous viennent du ciel. Les araignées ont la nostalgie des grandes hauteurs, celles du septième ciel.

C'est déjà tout un exercice, celui de se rendre compte que nous faisons une histoire avec toute chose qui arrive. Ainsi pensait Héraclite. Une histoire qui se donne un passé et un futur. Pour bien accrocher la toile d'araignée.

mardi 3 avril 2012

Genèse 47. Ce qui n'est pas

" Environ trois mois après, on avertit Juda: "ta belle-fille Tamar, lui dit-on, s'est prostituée, elle est même enceinte par suite de son inconduite". Alors Juda ordonna: " Qu'elle soit amenée dehors et brûlée vive!" Mais comme on l'amenait, elle envoya dire à son beau-père: " C'est l'homme à qui appartient cela que je suis enceinte. Examine donc, dit-elle, à qui sont le sceau, le cordon et cette canne."  (Genèse, Bible de Jérusalem)
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" Ouf "  dit Dieu.
" C'est seulement partie remise..."  ajouta Tubal-Caïn.

Dieu:  " Vous vivez souvent des drames comme celui-là?"
Tubal-Caïn: " En fait, c'est souvent le même drame qui couve longtemps, tout le temps qu'il faut, avant d'exploser".

...Ils venaient de sortir du sommeil. Ça n'avait pas été facile pour la tortue de les faire revenir: ses deux invités avaient été rivés à leur rêve, comme s'ils n'étaient plus capables de quitter l'horreur...

Dieu:  " Si tu veux, on va aller s'asseoir devant le feu. J'ai besoin que tu m'expliques..."
Tubal-Caïn:  " Expliquer quoi?"
Dieu:  " Pourquoi vous vivez des drames semblables..."

...Tubal-Caïn était un artiste du feu: le temps de le dire, il avait ajouté des brindilles, puis une bûchette: le feu ronronnait, pétillait, dansait de plaisir. Les deux compères s'étaient installés devant le foyer, et décompressaient.

Tubal-Caïn: " Tu me demandais pourquoi on vit des drames semblables?"
Dieu: " Ça me dépasse, ces histoires que vous fabriquez. Vous êtes terribles, je n'ai rien vu de semblable ailleurs dans l'univers. Pourtant, à vous voir, on ne se douterait jamais de ce qui peut bouillir dans la marmite".
Tubal-Caïn: " Tu veux dire que tu viens  tout juste de l'apprendre?"
Dieu: " À moins de le rêver comme je viens de le faire, ça ne me serait pas possible d'imaginer vos histoires. Vous êtes fous à lier."

... Tubal-Caïn tisonna le feu, et ajouta deux nouvelles bûches. Ils avaient beaucoup à se dire...


lundi 2 avril 2012

Intermède: Le maire suppléant

Dans mon village, à tour de rôle, les échevins élus (conseillers municipaux) sont désignés "maire suppléant".  En cas d'absence du maire, ils en occupent les fonctions. Les malheureux! Les inconscients! Ils ne savent pas le risque qu'ils prennent...

C'est une très vieille tradition: elle remonte aux débuts de l'existence des monarchies. Une tradition bien établie, solide, durable: elle a duré une bonne vingtaine de siècles (avant l'ère chrétienne). C'était en Mésopotamie, là où s'est inventé l'urbanisation, l'écriture, et les rois-suppléants.

À l'époque, pour le royaume, il n'y avait rien d'aussi dangereux qu'une éclipse de lune ou de soleil. Tout le monde en était persuadé:  le roi risquait de mourir.

Les savants de l'époque prévoyaient ces éclipses, ils étaient forts en astronomie. Quand une éclipse s'annonçait, on trouvait un roi de remplacement, et on faisait disparaître le véritable roi. Ce roi-suppléant prenait tous les signes extérieurs du roi: ses vêtements, son palais, son train de vie, ses fonctions liturgiques. On lui donnait même une jeune reine. Cette suppléance durait le temps que durait la menace de l'éclipse.

Puis ce roi-suppléant et sa reine étaient mis à mort. Les pleureuses officielles se lamentaient. Il y avait des funérailles royales, un deuil national. On priait le fantôme du roi-suppléant de rester au royaume des morts.  Et le roi-véritable reprenait ses charges, heureux d'avoir échappé à la malédiction de l'éclipse.  (à suivre...)

(Pour connaître tout le sérieux de cette pratique de nos ancêtres, il faut lire le volume de Jean Bottéro: La Mésopotamie, l'écriture, la raison et les dieux)


dimanche 1 avril 2012

Genèse 46. Le remous

" (Juda) demanda:  Quel gage te donnerai-je? et (Tamar) répondit: Ton sceau et ton cordon et la canne que tu as à la main.  Il les lui donna et alla avec elle, qui devint enceinte de lui."  (Genèse, Bible de Jérusalem)
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Caïn songe qu'il est temps d'agir.  À l'heure qu'il est, son frère Abel a reçu son message, il va bientôt prendre le sentier et s'en venir... Il n'y a qu'à aller l'attendre, en embuscade.  Caïn se lève de table, glisse son poignard dans sa ceinture, et quitte la maison, laissant son chien Tobi à l'intérieur.
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" Ça suffit de rêver!  Réveille-toi!"  dit la Tortue, en secouant vigoureusement Tubal-Caïn. Elle a beau le bousculer, il ne réagit pas, comme englouti dans son sommeil.
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Posté près du petit pont qui enjambe le ruisseau, à l'écart, dissimulé derrière les buissons, Caïn ne bouge pas. Il guette.
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La Tortue commence à s'affoler. Vitement elle va secouer son ami Serpent Gris:  'Hé, viens vite m'aider à réveiller Tubal-Caïn, c'est pressant!"

Serpent Gris: " Pourquoi le réveiller? Tu voulais donner à Dieu la chance de rêver avec Tubal-Caïn... Ça ne fonctionne pas?"

La Tortue: " Ça fonctionne trop:  le rêve tourne à la catastrophe. Il faut réveiller Tubal-Caïn pour que ça arrête."
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Au loin, une silhouette.  "Ça doit être Abel que je vois venir"  se dit Caïn.  "Il a dû mettre ses bottes de chevreau, il ne fait pas plus de bruit qu'un fantôme".
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Serpent Gris:  " Regarde: Tubal-Caïn dort comme un ivrogne, tu ne le réveilleras pas. As-tu pensé que tu pouvais intervenir, en le rejoignant dans son rêve? Je te connais, tu n'as qu'à te concentrer..."
La Tortue: " Tu as raison, il n'y a pas d'autre solution. Je fonce!"  Elle ferme les yeux, tombe en sommeil profond.
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" Caïn!!  Hohé!  Caïn!!! On te cherche!!!"

Caïn se retourne: les voix viennent de chez-lui. Il distingue trois ombres qui se dépêchent et s'approchent sur le sentier, mais c'est d'abord son chien Tobi qui le flaire et l'approche...

"Quoi faire maintenant?" se demande Caïn... " leur trancher la gorge à tout le monde? Non, pas maintenant".
Il rengaine son poignard et marche vers les arrivants. Il reconnait d'abord sa femme Déborah, puis sa cousine Milka, et le cousin.
"Déjà revenue?"  dit-il à Déborah.