jeudi 29 mars 2012

Genèse 45. Le vent se lève

" Juda prit une femme pour son premier né Er: elle se nommait Tamar. Mais Er, premier-né de Juda, déplut à Yahvé qui le fit mourir. Alors Juda dit à Onân: "Va vers la femme de ton frère, remplis avec elle ton devoir de beau-frère et assure une postérité à ton frère."  Ce qu'il faisait déplut à Yahvé, qui le fit mourir lui-aussi".  (Genèse, Bible de Jérusalem).
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... Le cousin rentre, et reste très surpris, à regarder sa femme Milka et la femme de Caïn, Déborah.  Les deux cousines ont terminé leur besogne de la journée: elles roulent les deux couvertures qu'elles ont tissées.

Le cousin: " Vous avez tissé des couvertures!  Je vais passer pour un beau menteur!"
Son épouse Milka: " Tu pensais qu'on ne faisait rien de la journée?"
Le cousin: " Ce midi, à l'auberge, Caïn m'a demandé quels travaux étaient en cours... il me parlait de tissage de couvertures... Je lui ai dit que vous mettiez des cornichons dans le gros sel, et que les couvertures, c'était le mois passé".

... Déborah, l'épouse de Caïn, ouvre de grands yeux...

Déborah:  " Tu lui as dit ça ce midi?  Ça y est, les drames de jalousie vont recommencer!  Il vérifiait, comme c'est son habitude,  si c'était vrai, ce que je lui ai dit ce matin... Cousin, vous m'avez mis dans de beaux draps, en répondant de travers!"

Le cousin: " C'est si grave que ça? "
Déborah: " Caïn est jaloux comme un coq, il passe son temps à me surveiller, à me soupçonner.  Je me sens toujours comme une brebis enfermée dans un enclos, surveillée par un chien policier..."

Le cousin: " Quelle différence, si vous faites des couvertures, alors que j'ai dit que vous mettiez des cornichons dans le gros sel?"
Déborah:  " Quelle différence? Caïn va être certain que je lui ai menti, et que je suis allé rejoindre un amant. C'est son obsession."

Le cousin: " Tu n'auras qu'à lui dire, demain, que j'ai répondu sans savoir, que je me suis trompé, simplement!"

Déborah: " Simplement! Simplement!... C'est vite dit! ... Non, je ne peux plus rester ici pour la nuit, il faut que je rentre chez-moi tout de suite. Même si je sens que ça va barder, ça va être pire si je rentre demain seulement."

... À la hâte, Déborah ramasse ses affaires, noue son baluchon...

La cousine Milka:  " J'y vais avec toi ".
Le cousin:  " La nuit est tombée maintenant. Les femmes, vous ne pouvez pas sortir toutes seules. Je vais y aller avec vous, comme ça Caïn va se calmer"

... Tous les trois, ils quittent en hâte la maison...


mardi 27 mars 2012

Genèse 44. Pleine lune

" David écrivit une lettre à Joab et la fit porter par Urie.  Il écrivait dans cette lettre:  " Mettez Urie au plus fort de la mêlée et reculez derrière lui: qu'il soit frappé et qu'il meure."  (Deuxième livre de Samuel, Bible de Jérusalem)
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Le souper est terminé. Sous la tente des bergers-nomades, la jeune Agar déroule maintenant  les tapis, pour la nuit. À l'écart, Abel enfile ses longues bottes en chevreau.
Agar:  " Qu'est-ce que tu fais?"
Abel: " Je m'en vais chez Caïn. Il m'a fait dire qu'il veut me voir."

Agar: " Tu n'as plus qu'une sandale? "
Abel: " C'est quand j'ai traversé ce fichu marais, ce midi. La glaise a englouti mon pied gauche, et la sandale a disparu."
Agar: " Tu es retourné au marais?"
Abel: " Oui, je voulais être certain de mon affaire. J'ai vérifié: ce marais va nous donner toutes les briques dont on a besoin pour notre future maison. On va le réaliser, ton rêve: on va s'installer au village, et nos enfants pourront apprendre un vrai métier"

... Agar est devenue toute pâle.  "Abel, reste ici.  Ne sors pas"

Abel regarde sa jeune épouse. Il est visiblement contrarié: " Qu'est-ce qu'il y a?"
Agar:  " Ce midi j'ai fait un rêve terrible à ton sujet. Toute la journée ensuite, un pressentiment de malheur ne m'a pas lâché. Ne sors pas."
Abel en a soupé, des pressentiments de son Égyptienne:  " À quoi as-tu rêvé, encore?"

Agar: " Tu avais mis le pied gauche dans un piège à ours. Tu n'arrivais plus à dégager ta jambe.  Puis un ours en colère s'est rué sur toi. Il allait te déchirer, t'aplatir... J'ai eu tellement peur que je me suis réveillée, toute en sueurs..."
Abel:  " C'est des lubies de femme, Agar. Vous autres, les gens du Nil, vous vous racontez toujours des peurs. "

Agar:  " Dans mon rêve, tu avais le pied gauche pris dans un piège. Aujourd'hui, c'est bien ton pied gauche qui s'est enfoncé dans la glaise, et la sandale y a disparu!  Ne sors pas ce soir."

Abel:  " Il n'y a pas de piège à ours sur le sentier qui mène à la maison de Caïn. On n'est pas dans le désert, ici. Et puis, c'est la pleine lune, on voit comme en plein jour. "
Agar: " Abel, le rêve prémonitoire que j'ai fait, il faut l'écouter. Reste ici ce soir."

Abel: " Faut que j'y aille. Caïn va être frustré si je n'y vais pas. Ensuite je ne pourrai jamais lui offrir d'acheter le marais pour faire les briques de notre maison. Je ne serai pas longtemps, je reviens tout de suite."
...
Abel ne veut plus discuter. Il se glisse en dehors de la tente.


lundi 26 mars 2012

Genèse 43. Avant-nuit

" (David) aperçut, de la terrasse, une femme qui se baignait. Cette femme était très belle. David fit prendre des informations sur cette femme et on répondit: "Mais c'est Bethsabée, fille d'Eliam et femme d'Urie le Hittite!"  Alors David envoya des émissaires et la fit chercher".
(Deuxième livre de Samuel, Bible de Jérusalem).
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C'est le soir.  Dans la cuisine, une chandelle fumante éclaire des ombres. Assis au bout de la table, avec des gestes lents, Caïn nettoie lentement le fond de son assiette, en y frottant un quignon de pain: il ne veut rien perdre de cette bonne platée de lentilles.

Maintenant le repas fini, Caïn repousse son assiette vide, et approche de lui cette sandale que son chien Tobi lui a rapportée du marécage.  Toute débarrassée de cette glaise dans laquelle elle s'était noyée, la sandale de son frère Abel a retrouvé son élégance:  ces fleurs brodées, ces ornements de verrerie colorée... Elle a du talent, la jeune Agar, elle qui confectionne les sandales de roseau selon la mode de son pays.

Il avait eu du flair, le jeune Abel, d'aller dénicher cette jeune femme sur les bords du Nil. Il en avait eu moins, en osant venir lui voler son épouse. Quelle folie l'avait possédé?  Il n'avait pas assez de sa jeune concubine égyptienne?

Caïn rêvasse, tout en tournant entre ses doigts la jolie sandale. La loi est stricte:  Abel disparu, son frère aîné sera chargé de donner une postérité à la jeune veuve.  Et puis, le beau troupeau de brebis et de chèvres, tous les biens de son jeune frère, tout ça va lui revenir.  C'est la justice de la tribu.

Caïn repousse la belle sandale et dépose tout à côté son poignard de bronze bien poli.


dimanche 25 mars 2012

intermède: où sont passées les femmes?

Il me fallait nommer cette cousine, celle que va retrouver la femme de Caïn, pour tisser des couvertures de laine. J'ai donc cherché un nom de femme dans ce récit biblique de la Genèse. Je m'étais dit: j'aurai le choix parmi tous ces noms. Cet exercice m'a appris que les femmes sont quasi absentes de ce récit biblique, aux origines de notre culture.

Dans le récit de la création du monde (en fait, il y a deux récits différents), on parle de "l'homme", puis de "la femme". Ne cherchez pas le nom d'Adam, il n'y est pas, dans ces premières pages. Après l'épisode de la chute (quand "la femme"  mange du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, et que son mari en mange aussi), et après la colère de Dieu, l'homme donne un nom à sa femme. "L'homme appela sa femme Eve parce qu'elle fut la mère de tous les vivants". Adam n'est pas encore nommé.

Arrivent les noms de Caïn et Abel. Après le meurtre d'Abel, la Bible nomme la descendance de Caïn, sur cinq générations. Aucune fille n'est nommée. Puis arrive Lamek:  il a deux épouses: Ada et Çilla. (Ada enfante Yubal le musicien, Çilla enfante Tubal-Caïn le forgeron). Voici une exception:  on nomme la soeur de Tubal-Caïn: Naama.   Puis, enfin, Adam est nommé! C'est qu'on nous donne une nouvelle généalogie de descendants.

"Sa femme" (Eve n'est pas nommée) enfante Seth, qui remplace Abel. La descendance:  tous des hommes, jusqu'à Noé et ses trois fils. Suit le récit du déluge... les fils de Noé ont des épouses qui n'ont pas de nom, mais les descendants mâles sont nommés: il y en a une bonne série que je vous laisse compter (une cinquantaine). Finalement on arrive à Abram (le futur Abraham) et son épouse Saraï (la future Sara). Le frère d'Abram, Nahor, a une épouse: Milka.

C'est une longue recherche, pour arriver à nommer cette cousine qui tisse des couverture de laine avec l'épouse de Caïn. Mais cette enquête m'a instruit sur l'aspect patriarcal de nos origines judéo-chrétiennes. Une absence quasi totale des noms des femmes. (Quand on sait que, dans ces lointaines cultures, c'est le nom qui donne une réalité aux êtres).


samedi 24 mars 2012

Intermède : la première écriture

Je vous suggère ce livre de Jean Bottéro:  La Mésopotamie.  Dans ce petit volume, Bottéro nous dit ce qu'était l'écriture cunéiforme, celle des Sumériens puis celle des Akkadiens et Assyriens. Ces trois mille ans qui ont précédé notre ère. La grande époque de Babylone, de Ninive...

Ils avaient inventé l'écriture, nos ancêtres très lointains. Nous avons retrouvé leurs bibliothèques: nous possédons plus d'un demi-million de documents écrits en cunéiforme. Nous avons trouvé le code de cette écriture, nous la lisons.

Nous utilisons un tout petit nombre de signes comparé aux signes de leur écriture. Notre alphabet, d'origine Phénicienne, est phonétique: chaque signe correspond à un son. Notre alphabet peut écrire la plupart des sons de toutes les langues parlées.

Au début, ils ont fait des dessins, des pictogrammes. Les Sumériens dressaient des listes de biens, des inventaires: les moutons, les pains, les esclaves. Les dessins se sont ensuite shématisés, ils sont devenus quelques lignes, et se sont enrichis de possibilités. Un pied ne signifiait plus seulement un pied, mais aussi voyager, ou se tenir debout... tout dépendait de l'histoire tout autour du mot, le contexte.

Il y avait donc plusieurs centaines de signes, dans leur écriture, et chaque signe pouvait avoir plusieurs interprétations.

Nos mots sont comme des index qui pointent vers des choses ou des émotions. Nos mots écrits ne sont que des paroles regardées plutôt qu'entendues. Leurs mots étaient des outils d'observation, comme des loupes posées sur les choses, comme des microscopes ou des lunettes astronomiques, pour étudier tout l'univers. On pouvait ouvrir un mot, comme on ouvre un fruit, et découvrir tout ce qu'il y avait dedans. Le mot était la réalité.

Et puis, toute cette réalité de tout ce qui les entourait, de tout ce qu'ils vivaient, c'était l'écriture des dieux. Car tout ce qui arrivait venait d'une décision des dieux. Alors, si on observait bien, on apprenait l'intention des dieux, on connaissait le destin.


jeudi 22 mars 2012

Genèse 42. Septième ciel

" Israël partit et planta sa tente au delà de Migdal-Edèr.  Pendant qu'Israël habitait dans cette région, Ruben alla coucher avec Bilha, la concubine de son père, et Israël l'apprit." ( Genèse, Bible de Jérusalem)
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Ce matin-là, son épouse Déborah avait noué son baluchon:  " Je vais chez ma cousine",  qu'elle avait dit, en nouant le noeud du baluchon.  "On a décidé de faire une corvée ensemble, on va tisser des couvertures de laine. Je trouve qu'on manque de couvertures ici. Je reviens demain! Tu peux te débrouiller pour le souper?"

" Pas de problème", avait répondu Caïn, " je me débrouille souvent."  Il s'était dirigé vers l'étable pour soigner les bêtes. Tout en s'occupant à ses besognes, il avait un sentiment bizarre: celui de ne pas voir l'évidence.

En après-midi, à l'heure où le soleil tape tellement fort qu'on suspend les travaux, Caïn s'était rendu à l'auberge, au bord de la grand-route. Il savait qu'il allait y retrouver son cousin par alliance, à la table du fond, comme à l'habituel. Caïn se commanda une cruche de bière et s'attabla.

" Alors, cousin, vous vous occupez à quoi, ces jours-ci?  Vous tissez des couvertures de laine? Vous salez des petits cornichons?"

- " Les couvertures, c'était le mois passé qu'on les a tissés", répondit le cousin, " mais tu vises dans le mille pour les petits cornichons: la récolte est abondante, on fait de bonnes provisions! Et toi, tu fais quoi?"

- " J'ai un marécage à drainer, pour agrandir le pacage des boeufs de labour.  Ça n'arrête jamais, les travaux d'une ferme!"
... Ils échangeaient sur un ton lent, tout en buvant leur cruchon de bière. L'air de rien, Caïn avait appris du cousin ce qu'il voulait savoir.

En silence, il réfléchissait. C'était cousu de fil blanc, les mensonges de Déborah. Qu'est-ce qu'elle fabriquait, chaque fois qu'elle quittait la maison, sur un nouveau prétexte? C'était un amoureux, qu'elle allait retrouver? Il y avait eu ces empreintes de sandales, à l'arrière de la maison:  qui donc venait fureter chez-lui?   Sa bière terminée, Caïn partit pour le marécage, précédé par Tobi, son grand lévrier.

Le marais en question était une glaise grise, bonne à fabriquer des briques. " Encore un projet", pensa Caïn. Il vit son chien partir sur une piste, le nez au ras du sol...

Voilà que Tobi revenait, avec sa proie entre les mâchoires.  "Tobi, donne!"  dit Caïn.  Le chien ouvrit la gueule et laissa tomber sa trouvaille.  Caïn se pencha et examina la sandale en roseau:  il la reconnaissait bien.


mercredi 21 mars 2012

genèse 41. Cinéparc

" Au bout de dix ans qu'Abram résidait au pays de Canaan, sa femme Saraï prit Agar l'Egyptienne, sa servante, et la donna pour femme à son mari, Abram. Celui-ci alla vers Agar, qui devint enceinte."  (Genèse, Bible de Jérusalem)
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" Enfin ils sont revenus!" soupira la tortue, en voyant Tubal-Caïn et Dieu pénétrer dans sa grotte. Elle respira profondément. Mais comme elle savait les règles de l'antique politesse, elle remis à plus tard de les interroger: il fallait d'abord les abreuver, les nourrir.

Elle leur servit donc un plat de beaux fruits: des raisins, des mangues. "C'est moi qui les ai cueillis!"  précisa Yubal, qui tenait à ce qu'on reconnaisse sa contribution. "Il y a aussi un gâteau de miel, apporté par notre hibou souriant", ajouta la tortue.

Le souper avalé, Tubal-Caïn sortit préparer le feu de camp: c'était sa spécialité, en tant que forgeron. Il monta le foyer mais sans y mettre le feu: Dieu lui avait suggéré d'attendre. C'est donc dans la pénombre, sous les étoiles, que tout le monde se retrouva assis, devant un foyer éteint. La chauve-souris, bien réveillée, voletait à gauche à droite, en chasse de papillons de nuit.

C'est bien discrètement qu'apparurent les premières vagues de lumière. Puis, subitement, ce fut l'orgie: de grands rideaux lumineux roulaient dans le ciel, viraient du vert au rouge, s'effaçaient pour réapparaître en danse frénétique. Arrivaient des cavalcades de chevaliers blancs, qui bousculaient des murailles d'or: le ciel était en transe.

"Faut calmer les démons! Faut un sacrifice! " cria Yubal, affolé.
- " Calme-toi!" lui dit son frère Tubal-Caïn. " Ya pas de démons, c'est l'orage sur le soleil, et les langues de feu, tu n'as rien appris dans ta vie?"
- " Les langues de feu?" répéta Yubal
- " Hé oui, le forgeron en Haut, il a attisé sa forge du soleil, alors ça crée des reflets, comme dans mon atelier, c'est tout pareil!" expliqua Tubal-Caïn, fier d'en savoir autant.

... Au bout d'un long temps d'émerveillement, la féérie se calma, et les étoiles réapparurent pour occuper le ciel.
" Tu peux maintenant allumer ton foyer..." dit Dieu à Tubal-Caïn.
De sont côté, la tortue s'activa à verser le thé à tout son monde.

" C'est du thé pour rêver?"  demanda Dieu.
- " Oui " dit la tortue, " toi et Tubal-Caïn vous allez partager les mêmes rêves, cette nuit. Et si vous permettez, je vais rêver avec vous", annonça-t-elle.

" Je vois, c'est le Grand Soir!"  dit Dieu, en vidant son gobelet. Il rentra ensuite s'étendre dans la grotte. La tortue vida aussi le contenu de sa coupe, et le suivit.


mardi 20 mars 2012

Intermède : pendant que mijote le bouilli

J'aimerais bien vous donner maintenant l'épisode 41 (de la série Genèse), mais parfois il faut laisser mijoter. Je vous avoue que c'est délicat, écrire ces dialogues: je vous défie de réussir à vous mettre dans la peau de Dieu! Si vous avez une idée de ce qu'il peut dire ou faire, votre idée est nécessairement humaine et... ne convient pas.  Seuls peuvent réussir les tortues et serpents quasi immortels, avec un peu de chance.

Pour m'inspirer sur la divinité, je relis Commentaires sur la vie, par Krishnamurti. Il ne faut pas le croire, quand il dit quelque chose. Pourquoi? Du moins, c'est ce qu'il nous demande avec insistance: chacun doit quitter la paresse et regarder ce qui se passe, au lieu de répéter les leçons apprises par coeur.

Donc voici une phrase-choc de K (Krishnamurti):  " La pensée est invariablement la négation de l'amour"... et plus loin:  " La pensée ne cultive pas l'amour, car l'amour ne peut pas être cultivé comme une plante dans un jardin".

Autre trouvaille, dans Stephen Hawking (The Grand Design): il explique que notre cerveau construit toujours une interprétation de la réalité. Si on met à une personne des lunettes qui trafiquent la vision, en faisant tout voir à l'envers, après un temps, le cerveau corrige cette vision et remet l'image à l'endroit.  Puis, si on enlève ces lunettes truquées, la personne continue à voir tout à l'envers (le cerveau continuant à corriger) puis le cerveau rétablit une vision normale, à l'endroit. Vous me suivez? Autrement dit, le cerveau décide de ce qu'on va voir, quitte à virer les choses à l'envers, s'il juge que ça n'a pas d'allure.

Vous voyez que ça mijote dans la marmite: l'épisode 41 approche! Déjà il y a un fumet dans l'air!


dimanche 18 mars 2012

Genèse 40. les grandes questions philosophiques

" Yahvé Dieu appela l'homme: "Où es-tu?"  dit-il. "
(Genèse, Bible de Jérusalem)

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Tubal-Caïn: "Je ne peux pas parler pour les humains: jamais ils me choisiraient pour les représenter! En plus, je n'ai pas idée de ce qu'ils voudraient te dire! "
Dieu: " Alors toi? De quoi veux-tu qu'on parle, vu que la tortue veut qu'on se parle..."

Tubal-Caïn:  " Je suis forgeron. Je ne connais que ça, m'occuper du feu, taper sur le fer rougi. J'aime toujours regarder le feu, c'est quelqu'un, le feu. J'aime aussi l'odeur du brûlé, dans ma forge"
Dieu:  " Je m'attendais que tu questionnes sur l'origine du monde, ou bien sur la vie après la mort, et tu me parles du feu de ta forge!"

Tubal-Caïn: " Les questions dont tu parles, je les laisse aux autres. Je m'occupe de ce que j'aime. Toi, comment occupe-tu tes journées?"
Dieu: " Je vis dans le silence. Tiens, ça va t'intéresser!  Justement ces jours-ci, il y avait de grandes langues de feu sur le soleil"

Tubal-Caïn:  " Des langues de feu sur le soleil?"
Dieu: " Oui, un orage solaire. Les jours suivants, il se passe plein de choses sur les planètes. Tu n'as rien remarqué?"

Tubal-Caïn: " Mon frère Yubal criait au miracle, il avait vu des nuages de papillons. Il y a aussi un vieux hibou qui clignotte des deux yeux. Tu dis que c'est à cause des langues de feu sur le soleil?"
Dieu: " Les papillons peuvent avoir saisi un signe pour commencer leur migration, c'est possible. Mais ce soir, tiens-toi bien, tu vas voir mieux que ça!"

Tubal-Caïn: " Quoi?"
Dieu: " Je veux pas gâcher ta surprise, faut attendre à ce soir!"

... ils continuèrent la route. Le soleil descendait à l'horizon. Tubal-Caïn reprit la conversation: " Ça fait longtemps que tu es Dieu?"

Dieu: " Non, certainement pas. Aujourd'hui seulement.
Tubal-Caïn: " Tu blagues!  Je t'ai vu hier soir près du feu...

Dieu: " C'était hier pour toi. Moi, c'est toujours aujourd'hui.
Tubal-Caïn: " Tu veux dire que tu es Dieu seulement depuis aujourd'hui?"

Dieu: " Depuis aujourd'hui, oui."
Tubal-Caïn: " Mais hier, qu'est-ce que tu étais?"

Dieu: " Je te l'ai dit.  Vous autres, vous avez un passé, des souvenirs. Moi, je suis aujourd'hui."
Tubal-Caïn: " Hé ben... Hé ben..."

... le soleil baissait de plus en plus... heureusement ils approchaient de la grotte.


samedi 17 mars 2012

Genèse 39. Pas d'éducation religieuse

" Quand Mathusalem eut cent quatre-vingt-sept ans, il engendra Lamek. Après la naissance de Lamek, Mathusalem vécut sept cent quatre-vingt-deux ans, et il engendra des fils et des filles. Toute la durée de vie de Mathusalem fut de neuf cent soixante-neuf ans, puis il mourut."  (Genèse, Bible de Jérusalem)
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Dieu: " Pourquoi tu n'es pas à ta forge, en train de fabriquer des épées qui se vendent si bien?"
Tubal-Caïn:  " J'y étais justement, quand la tortue m'a prévenu d'aller la retrouver au plus vite"

Dieu: " Qu'est-ce qui pressait autant?"
Tubal-Caïn: " La tortue avait ta visite. Elle tenait mordicus à ce que tu rencontres les humains."
Dieu: " Il y a beaucoup d'humains. Pourquoi toi, plutôt qu'un autre?"

Oui, c'était une vraie question. Tubal-Caïn prit le temps de réfléchir. Pourquoi lui?  

Tubal-Caïn: " Nous, les descendants de Caïn, depuis que tu nous a bannis, on est marqués par un signe, paraît-il. On est des parias, des maudits. On vit à l'écart des villages, on n'a pas le droit d'habiter avec les autres. Nos enfants ne vont pas avec les autres enfants. On ne va jamais aux cérémonies dans les temples. " 
Dieu: " et alors? "

Tubal-Caïn: " Alors, ceux des villages, ils ont appris des prières, ils te chantent des hymnes de louange. Je suppose qu'ils font très attention quand ils te parlent" 
Dieu: " Et toi, tu ne fais pas attention quand tu me parles?" 

Tubal-Caïn: " Les Caïn, on a rien à perdre. On peut dire tout ce qu'on pense. "
Dieu: " Je donne raison à la tortue, de t'avoir choisi. Il n'y a pas d'intérêt à parler, si on ne dit pas ce qu'on pense vraiment".

Tubal-Caïn: " Alors tu ne seras pas en colère si je te dis carrément les choses?" 
Dieu:  " Est-ce que tu as peur de moi?" 
Tubal-Caïn: " Quand j'étais petit, ma grand-mère me parlait d'un Dieu terrible. Je suppose que ça l'aidait à me faire tenir tranquille!

Dieu, qui répète sa question: " Est-ce que tu as peur de moi?" 
Tubal-Caïn: " Je ne sens pas que tu vas m'écraser. J'ai le droit d'être celui que je suis. "
Dieu: " Alors vas-y. Qu'est-ce que les humains veulent me dire?" 





vendredi 16 mars 2012

Genèse 38. Acier trempé

" Il prit une des pierres du lieu, la mit sous sa tête et dormit en ce lieu. Il eut un songe: voilà qu'une échelle était plantée en terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient."  (Genèse, Bible de Jérusalem)
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" Faut que je rentre chez-moi", dit subitement le jeune. L'instant d'après, il avait déguerpi. Laissé seul, Dieu regarda longuement le château de sable: il était devenu une ville fortifiée derrière des remparts de sable roux.

Lentement, en s'aidant d'un bout de bois, Dieu anéantit toute cette construction, la nivelant jusqu'au sol.
" Pourquoi tu fais ça?"
Dieu regarda d'où lui venait cette question: c'était Tubal-Caïn le forgeron, rencontré la veille, chez la tortue.

"Tu es ici, toi?"  dit Dieu.
- " Comme tu vois", répondit Tubal-Caïn qui reprit sa question:  "Pourquoi tu défais ça?"

" Je veux voir s'il y a du plaisir à démolir", dit Dieu, "mais c'est comme effacer une ardoise. Le plaisir serait de recommencer une construction. Je n'ai pas trouvé de plaisir à tout défaire"..

- "Pourtant il y a beaucoup de passion et de fureur, quand on détruit une ville", dit Tubal-Caïn, " heureusement que les gens adorent faire la guerre, ça donne du travail à ma forge. Je leur fais des épées, des boucliers, des casques. Je fournis des armes aux deux tribus qui se combattent et s'entretuent. "
- "Tu aimes vraiment la guerre?" s'étonna Dieu

- "Pourquoi pas?" dit Tubal-Caïn, " la demande est forte pour les armes. Les outils de labour durent trop longtemps, c'est la guerre qui est payante. Es-tu un dieu de la guerre?"
- " Votre existence n'est pas très longue", dit Dieu, " je ne vois pas pourquoi vous tenez à vous mutiler et vous assassiner"

- " Alors tu n'es pas un dieu de la guerre" conclut Tubal-Caïn, " tu es le dieu de quoi?"
- " Il faut que je sois le dieu de quelque chose?" dit Dieu, qui ajouta:
" Je propose qu'on rentre à la grotte, retrouver nos amis"

- "Je venais justement te chercher" dit Tubal-Caïn. " Tout le monde là-bas est inquiet pour toi, depuis que tu as disparu"
- " Inquiets pour moi? Qu'est-ce qui pourrait bien m'arriver? J'ai l'impression que c'est à vous qu'il peut arriver des choses!"

Tous deux, Dieu et Tubal-Caïn, prirent le sentier du retour. C'était ce moment qu'avait souhaité la tortue: une rencontre de Dieu avec les humains.


mardi 13 mars 2012

intermède du mardi soir

Voici deux dessins d'aujourd'hui.
J'étais dans une salle d'attente. Il y avait foule: plus de vingt personnes qui attendaient sagement. On nous a à l'oeil dans cette clinique de l'oeil! Quand on va à ces rendez-vous à la clinique, il faut avoir une personne qui nous accompagne: au retour, après ces examens où on dilate la pupille de l'oeil, on n'est pas apte à conduire l'auto pour rentrer chez-soi.  Il y avait donc une dizaine de patients-en-attente de leur examen, accompagnés d'une dizaine d'autres non-patients. J'explique cela, car cela va aider à comprendre les dessins du jour.

Les patients (et patientes) parlaient à la personne qui les accompagnait... cela faisait une vraie musique, de celles que Glen Gould écoutait en battant la mesure. Alors j'ai dessiné au gré de ces voix qui m'entouraient. Je dessinais ces voix. C'étaient des lignes, des hachures, et finalement quelques têtes. Ce dessin est patient, il attend.

l'autre dessin est éloquent: il parle de tous ceux qui sont là, en ne les montrant pas. J'ai senti que ça ne se faisait pas, de dessiner mes voisins et voisines: c'était comme prendre des photos. Du moins, ce matin, ça ne se faisait pas, je le sentais comme ça. Alors j'ai dessiné tout autour des gens, un corridor, des portes. On voit aussi les jambes d'une personne assise en dehors du dessin.

J'ai aussi écrit ce qui me passait par la tête, au sujet du blog: je ne peux pas errer indéfiniment comme dans les mille et une nuits, il faut prévoir une rentrée sur la planète, après cette excursion en orbite tout autour, avec Dieu à bord.

Mais pour vous dire que je ne vous abandonne pas, voici quand même les dessins du jour, qui me rappelleront les voix de toutes les jacasseries tout autour.



lundi 12 mars 2012

Intermède du lundi soir

Congé de Bible, ce soir!  Genèse au repos!

Je viens de vivre une semaine différente des semaines précédentes. J'ai renoué contact avec des amis précieux.  Puis, comme c'était la relâche pour les étudiants, ce congé a permis à ma famille de se regrouper, et j'ai passé du temps avec les petits enfants. C'était superbe, à l'aquarium de Québec. Les ours blancs étaient d'un beau jaune paille. La barbe des morses frisait, quand ils nageaient sur le dos. Une pieuvre ne montrait que ses ventouses.

Pendant ce temps, "cette autre famille" (comme la nomme mon ami Gilles), celle des personnages du blog, elle s'est faite discrète, acceptant cette pause du temps du théâtre,  du spectacle. Dieu, la tortue, le serpent, Tubal-Caïn et son frère Yubal, et quelques autres qui ont entendu parler des tisanes de la tortue: tout ce monde prend patience.

Faut comprendre qu'il n'y a pas le feu, pour eux. Dieu a l'éternité devant et derrière lui. La vieille tortue et Serpent Gris ont la précieuse plante qui  éloigne la mort, cette plante dérobée à Gilgamesh après sa visite chez Noé: alors ils ont la sécurité du temps.

Pour ma part, comme tous les humains, j'ai l'illusion d'avoir du temps. J'ai vu mon petit-fils dessiner un sablier: un filet de sable coloré glissait dans le contenant du bas, sans jamais que ce soit terminé. J'aimerais bien avoir un tel sablier magique.



mercredi 7 mars 2012

Genèse 37. Faut que jeunesse se passe

" Caïn connut sa femme, qui conçut et enfanta Hénok. Il devint un constructeur de ville".  (Genèse, Bible de Jérusalem)


Tandis que la tortue et ses amis se faisaient du mauvais sang, Dieu jouait sur la plage: il y faisait des châteaux de sable. Quand on est Dieu, on n'est pas de la brume, on ne s'évapore pas comme ça. On peut profiter d'être ailleurs sans que ce soit un drame. C'était donc pour lui une journée normale, c'est-à-dire extraordinaire.

Son château construit, Dieu s'était assis à quelque distance et soufflait consciencieusement des bulles de savon, à l'aide d'une paille.

Une série de coups de pieds nivelèrent le château de sable: un jeune venait de trouver où passer son énergie. Dieu se demanda pourquoi ce plaisir de détruire était une exclusivité humaine, un plaisir qu'il ne connaissait pas. Il continua donc à souffler des bulles de savon, qui s'en allèrent voltiger sous le nez du jeune délinquant. C'étaient des bulles iridescentes, nonchalantes, innocentes comme sont les appâts.
Le jeune mordit à l'hameçon: il creva une bulle, elle était de trop dans son univers.

Les bulles de savon, quand c'est Dieu qui les souffle, ne se laissent pas dégonfler aussi facilement... Comme il fallait s'y attendre, cette bulle divine, aussitôt crevée, se reforma en deux nouvelles bulles bien brillantes, qui retournèrent narguer le jeune, juste sous son nez.

Bientôt c'est un essaim de bulles qui lui tournaient autour de la tête: chaque bulle crevée en formait deux nouvelles, et le jeune enragé en crevait tant qu'il pouvait...Son jeu tournait au cauchemar. À la fin, exténué, aveuglé et pris de peur, le jeune s'accroupit en se protégeant la tête.

" Ça va?"  lui demanda Dieu, d'une voix un peu moqueuse.
- " Pourquoi elles repoussent, quand je les crève?" demanda le jeune.
- " Parce que ta faim est grande d'en pulvériser beaucoup", dit Dieu.
- " Et comment on fait pour que ça s'arrête? " demanda le jeune.
- " Facile!" dit Dieu, en lui tendant une paille: " Tu n'as qu'à en faire, au lieu de les crever. Vas-y, c'est à ton tour, souffles-en une belle! "

Les miracles sont coutumiers à Dieu... Cet après-midi là, sur la plage de sable roux, ils étaient deux à agrandir le château de sable, à lui ajouter des tours, des pavillons... L'architecte en chef, c'était le jeune. Dieu fournissait la main d'oeuvre...


lundi 5 mars 2012

Genèse 36. Les radotages de la vieille

" Ils se dirent entre eux: Voilà l'homme aux songes qui arrive! Maintenant, venez, tuons-le et jetons-le dans n'importe quelle citerne, nous dirons qu'une bête féroce l'a dévoré. Nous allons voir ce qu'il adviendra de ses songes!"  (Genèse, Bible de Jérusalem)


" Qui c'est, celui-là?"  demanda Serpent-Gris à son amie la tortue, en lui désignant un vieil hibou déplumé qui buvait le thé avec elle.

La tortue:  " C'est mon invité, Sourire-Vert. Il rêvait sur sa branche, dehors... moi, je m'étais endormie au fond de la grotte... Dans mon rêve je l'ai visité et on a causé... Quand il rêve, il est moins bavard, on peut enfin lui apprendre des choses..."
Serpent-Gris:  " Et tu lui a appris quoi?"
La tortue:  " La disparition de Dieu, et mon inquiétude!"

... le serpent se tourna vers le hibou et fit un effort pour se calmer:  ce grand sourire qui palpitait sur le visage du vieil hibou commençait à l'agacer...
Après une profonde respiration, le serpent expliqua: " La vieille, depuis ce matin, radote que Dieu est en crise... Je ne vois pas où elle va chercher cela!"

Sourire-Vert (le hibou):  "Elle est loin d'être folle, notre vieille amie! Je pense qu'elle a mis le doigt sur la faiblesse de Dieu... C'est un exploit, quand on sait qu'une faiblesse ne se peut pas, quand on est Dieu..."

La tortue:  " ... sauf si Dieu entre dans la peau d'une de ses créatures, par le rêve!  C'est terrible comme expérience!  ... J'ai peur pour lui..."
Serpent-Gris: " Ma vieille, tu es bien certaine que tu n'as pas rêvé tout ça?"
La tortue:  " C'est justement parce que je l'ai rêvé que j'en suis certaine!"

Serpent-Gris, en homme d'action:  " Alors, qu'est-ce qu'on fait?"

Sourire-Vert (le hibou):  " La vieille dit qu'il faut retrouver Dieu au plus vite, pour le rassurer... Tu as une idée de l'endroit où il peut se trouver maintenant?"
Serpent-Gris:  " Niet. Aucune idée. Tout ce que je sais, c'est que je suis en rogne sans savoir pourquoi. J'ai failli trucider Yubal, au bord du sentier, quand il voulait écraser le papillon noir..."

La tortue et Sourire-Vert (le hibou), ensemble:  " Le papillon noir!?"

Serpent-Gris:  " Si vous l'aviez vu... une merveille de papillon... un vrai roi! "
La tortue, s'adressant à Sourire-Vert (le hibou):  " C'est un signe de plus".
Serpent-Gris: " Un signe de quoi?"
La tortue:  " ... de la détresse de Dieu..."


dimanche 4 mars 2012

Genèse 35. Visa le noir tua le blanc

" Alors qu'en route Moïse avait fait halte pour la nuit, Yahvé le rencontra et tenta de le faire mourir".  (Genèse, Bible de Jérusalem)


... C'était au tour des papillons mauves de remplir le ciel... Yubal, complètement exalté par le spectacle, battait des mains et criait. Serpent-Gris pestait...
Yubal dit au serpent: " Tu es content que je sois avec toi?"
Le serpent lui jeta un regard assassin:  " On ne choisit pas son ombre", dit-il entre ses dents, en se dépêchant vers le ruisseau. Sitôt arrivé, il y plongea.

Quand Serpent-Gris ressortit la tête de l'eau, le ciel avait viré au doré: cette fois, un nuage de papillons jaunes s'envolait. Le serpent replongea et demeura sous l'eau aussi longtemps qu'il put tenir. Au bout de son souffle, il jaillit hors du ruisseau. Le ciel était rouge sang.

" Les papillons rouges!", dit Yubal, en lui montrant le nuage rouge.
Serpent-Gris lui jeta un regard mauvais, et rapidement prit le chemin du retour, décidé à voir au plus vite son amie tortue. Derrière lui, Yubal tentait de le rattraper.  " Une vraie tache" pensa le serpent.

Soudain le serpent s'immobilisa dans sa course: sur la gauche, il avait aperçu il ne savait trop quoi, mais l'intuition lui disait l'urgence d'y aller voir de proche. Il rebroussa chemin, et s'approcha doucement d'un coin d'ombre. C'était là.

" Tasse-toi, je vais l'écraser! C'est un démon! " cria Yubal derrière lui.
Serpent-Gris se dressa menaçant, sous le nez de Yubal:  " N'y touche surtout pas, imbécile, sinon je te paralyse à tout jamais!"

Devant eux, un simple papillon noir battait doucement des ailes. Le serpent s'adressa au papillon:  " Ils t'ont abandonné parce que tu es différent d'eux... mais tu n'es pas un démon: tu es le plus beau! Tiens, goûte à ce champignon..." et  il lui tendit le champignon qu'il avait.

Le papillon noir marcha délicatement sur le champignon, en le tâtant de ses antennes... Ce fut très lent... D'abord apparurent sur ses ailes des anneaux de nacre, puis des taches somptueuses s'étendirent, en velours rouge, orange, bleu, vert...
" À couper le souffle, tellement c'est beau" murmura Serpent-Gris...
... très lentement le papillon royal s'envola...

" Un miracle! Un miracle!" criait Yubal en se prosternant le front dans le sable.
" Imbécile!" dit le serpent, " le miracle ce serait qu'il y ait moins de courant d'air entre tes deux oreilles!"
Yubal, prosterné, continuait ses dévotions. Serpent-Gris, bien réveillé, fila rapidement vers la grotte.


samedi 3 mars 2012

Genèse 34. Tralalidéra

" Yahvé s'était dit: Vais-je cacher à Abraham ce que je vais faire?"
(Genèse, Bible de Jérusalem)


Le grand efflanqué, Yubal le musicien, déboucha du sentier. Il chantait à tue-tête comme s'il revenait de noces bien arrosées, en balançant un panier d'osier sous le bras gauche.

Yubal: " La vie est belle!  Ça va, Serpent Gris?"
Le serpent:  " Qu'est-ce que tu as dans ton panier?"

Yubal:  " Hé Hé! Si je t'en donne, tu vas te mettre à chanter toi-aussi!"

... il tendit un champignon au serpent...
" Ça s'est mis à pousser de partout dans le sous-bois, du jamais-vu! La vie est belle!  Croque dedans, puis on va chanter en duo!"

... le serpent empoche le champignon mais se garde d'y goûter...

Le serpent: " Merçi Yubal. Je vais le garder pour la collation. Pour le moment j'ai surtout soif. Je vais descendre au ruisseau"
Yubal:  " Je t'acompagne! La vie est belle! "

Ils avaient à peine fait quelques pas... tout devint bleu autour d'eux. C'était un nuage vivant qui montait du sol... Le serpent s'était figé, la bouche ouverte.

Le serpent:  " Qu'est-ce que c'est que cette vision? Je n'ai pourtant pas mangé de ton champignon!"
Yubal:  " Les papillons bleus, mon cher, les papillons bleus! La vie est belle!  Ils s'en vont ailleurs!"

... Ils reprirent le sentier qui descendait au ruisseau. De nouveau, un nuage s'éleva, et cette fois le ciel devint tout vert.

Yubal, en grand connaisseur:  " Ce sont les papillons verts qui rejoignent la procession!"
Le serpent, en rogne:  " Je ne t'ai pas demandé ce que c'était" siffla-t-il, " ne me prends pas pour un idiot"
( " Je suis d'une humeur exécrable",  pensa-t-il, " qu'est-ce qui me prend?" )


vendredi 2 mars 2012

Genèse 33. Beauté troublante

" Il arriva que Dieu éprouva Abraham et lui dit: Abraham! Abraham! Il répondit: Me voici! Dieu dit: Prends ton fils, ton unique, que tu chéris, Isaac, et va-t'en au pays de Moriyya et là tu l'offriras en holocauste sur une montagne que je t'indiquerai".  (Genèse, Bible de Jérusalem)


Le vieil hibou déplumé: " Tu marmonnes, je ne t'entends pas, parle plus fort, la vieille!  Qu'est-ce que tu disais?"
La tortue, toujours à voix basse: " Je disais que j'ai des palpitations au coeur, je disais que j'ai peur pour lui..."

Le vieil hibou: " Peur pour lui?  De qui tu parles, la vieille?"
La tortue:  " Dieu. Je te parle de Dieu... Tu me regardes comme si j'étais folle... On a le droit de parler de Dieu, non?"

Le vieil hibou: " Tu as peur pour Dieu?  Tu m'inquiètes, la vieille... J'ai l'impression que tu fais du chapeau!"
La tortue, qui en a plein sa claque: " Ton histoire de cortège royal qui s'en vient par ici, ça me traumatise. J'ai des sueurs froides et ça me papillonne dans les yeux!  À plus tard: je vais m'étendre un peu"

... La tortue disparut dans sa grotte. Le vieil hibou jaune safran respira l'air brûlant: le soleil tapait dur.  Il se remit à marmonner ses prières tibétaines.
La multitude de papillons battaient des ailes: cela produisait une vibration d'air en spirales.
 "C'est l'heure d'une sieste" pensa le vieil hibou qui s'endormit aussitôt, tout en gardant les yeux ouverts.

À trois pas de là, tout trempé de sueur, Serpent Gris arrêta sa danse et déposa par terre son ballon de plage. Il prêta l'oreille:  quelqu'un s'approchait, qui remontait le sentier: on l'entendait chanter et s'esclaffer...