mercredi 30 novembre 2011

science et religion -1

Allez voir Hésiode et Homère.

Les poètes grecs fabulaient beaucoup. Ils avaient toute liberté pour créer et enjoliver leurs histoires. Le merveilleux se multipliait, comme un feu d'artifice. Le bon sens des paysans de l'époque faisait la différence entre cette poésie aventureuse et la dure réalité de la survie sur ces terres de roche.

Toute cette mythologie, toutes ces légendes qui se racontaient et se transformaient selon le talent et l'imagination des conteurs, formaient comme une scène de théâtre pour les personnages divins, semi-divins, de toutes grandeurs. Ces poésies avaient la liberté qu'ont les rêves.

Il n'y avait pas de pape pour déclarer: ce rêve n'est pas un rêve qui dit vrai. Les gens ne prenaient pas de chance: si les dieux existent et peuvent nous nuire ou nous aider, faut être gentils avec eux. Les cadeaux étaient apportés aux temples, et les dieux donnaient leurs avis sur les décisions à prendre: on consultait leurs oracles.

Cette sorte de religion à base de poésies n'empêchait pas les chercheurs de chercher. Toutes les techniques et toutes les sciences pouvaient librement se développer. Le commerce des biens et des idées brassait tout ce monde en transformation.


lundi 28 novembre 2011

Héraclite avec ou sans s

On ne connait pas grand chose de la vie d'Héraclite. Ce qu'on en connait n'est pas jojo. Pour m'instruire sur sa biographie, comme de raison je suis allé sur Wikipédia. La version anglaise sur Heraclites (avec un s) est plus consistante que la version française (Héraclite). Ce ne sont pas des traductions l'une de l'autre. Sans doute qu'on gagne à lire les deux versions.

S'il faut trouver un roi des paradoxes, Héraclite (ou Heraclites) sera un des candidats sérieux. Il était d'ailleurs de descendance royale. On dit qu'il méprisait la démocratie: il avait l'ascendance aristocrate marquée.

Il disait que les contraires ne forment qu'un seul être. Hésiode et ses compères n'avaient rien compris en séparant le jour de la nuit: ça ne formait qu'un. Alors Héraclite jouait avec les contraires, comme avec une pièce de monnaie qui a deux côtés. La vie contient la mort et la mort contient la vie. Ce qui est visible tourne à l'invisible, puis l'invisible réapparait. Le bien? le mal?  Tout dépend, c'est bien pour lui et mal pour l'autre. (Les requins aiment l'eau de mer, mais les marins ont intérêt à ne pas en boire).

Héraclite s'exprimait sous forme d'images, avec des formules dignes du Sphinx: on met ça dans sa pipe, et on réfléchit longtemps. Le grand Aristote citait toujours Héraclite avec colère, ce qui est un bon point pour Héraclite. Mes professeurs thomistes buvaient les paroles d'Aristote, ils ne se sont pas attardés dans les paradoxes d'Héraclite.

Socrate disait d'Héraclite que ce qu'il en avait compris était merveilleux, et que ce qu'il n'en avait pas compris était sans doute merveilleux aussi.


dimanche 27 novembre 2011

Laconisme 6. sur le bavardage

On dit que les citoyens d'Ephèse, à l'époque où Héraclite y habitait, ne se privaient de rien. C'étaient de gros consommateurs, qui aimaient discutailler. Ils avaient de quoi discuter, car la ville avait de gros problèmes à régler, et ils n'arrivaient pas à s'entendre pour prendre les décisions politiques. Ils invitent donc leur concitoyen philosophe, Héraclite, à donner son opinion. Ils font silence car il va parler.

Héraclite verse un peu de farine d'avoine dans un bol d'eau, et brasse lentement le mélange. Puis il boit lentement son gruau. C'est tout: il s'en va.

Cet épisode semble avoir beaucoup frappé l'auditoire (qui n'a rien entendu). On dirait du cinéma muet. Six siècles plus tard, on en parle encore:  Plutarque raconte  l'anecdote dans son traité sur le bavardage.

Comme si ce n'était pas assez, un autre historien, Thémistius, reprend cette histoire, mais il s'est passé trois siècles entre les deux récits. Le gruau d'Héraclite, on en parle donc mille ans après qu'il l'a avalé.

Imaginez la force de ce discours silencieux d'Héraclite:  c'était il y a 26 siècles. Pour avoir le contexte de ce déjeûner-causerie, vous allez sur Google et vous tapez:  le gruau d'Héraclite. Ou bien: Plutarque, sur le bavardage (une richesse d'anecdotes). Je vous laisse le plaisir de la découverte. Vous aimez le gruau?


samedi 26 novembre 2011

surprise

J'aime beaucoup lire Italo Calvino. J'ai donc emprunté un recueil d'essais de Calvino: La machine littérature. Je me dis: ça semble éloigné de ma recherche sur le monde grec, mais toujours ça aide à comprendre.

Surprise!  Dans un petit chapitre où Calvino parle de la lecture des classiques, (ceux qu'on aime vraiment lire, qui sont nos classiques personnels), il termine avec ce petit bijou d'une attitude aristocrate, d'une attitude de liberté. Ça rejoint l'image du noble qu'on allait guillotiner, à la révolution française, et qui lisait Don Quichotte, en prenant soin de corner la page comme s'il allait reprendre sa lecture après une brève distraction...

Calvino termine donc ce chapitre en citant Cioran:
"Alors qu'on préparait la cigüe, Socrate était en train d'apprendre un air de flûte.
À quoi cela servira-t-il, lui demande-t-on.
À savoir cet air, avant de mourir".


jeudi 24 novembre 2011

Un coq pour Asclépios

Socrate est entré dans son agonie, dans sa "lutte finale". Le poison fait son effet, il sent l'engourdissement, le froid, la paralysie. Comme c'est la coutume, il s'est recouvert le visage: c'est la pudeur de ceux qui partent. Puis il le découvre, car il lui vient quelque chose d'important à dire, qu'il allait oublier. "Criton, tu te souviendras, on doit un coq à Asclépios".
- "Oui, Socrate, j'y penserai. Y a-t-il autre chose que tu veux nous dire?"
Socrate s'est recouvert le visage de nouveau, il ne parlera plus, il est parti.

Cela me fait penser à la dernière journée d'une jeune femme qui avait décidé de partir, elle-aussi. Elle avait laissé un message à la gardienne, pour qu'elle n'oublie pas de reconduire l'enfant chez les grand-parents, à la fin de l'après-midi. Puis elle avait cueilli les petites fèves de son jardin, les avait mises au frigo. Elle avait sans doute jeté un coup d'oeil sur le comptoir de la cuisine, pour voir à ce que rien ne traîne. Le souci d'une femme qui tient bien sa maison, qui range les choses à leur place. Puis elle était allé se donner la mort.

Ce coq pour Asclépios, on peut se creuser les méninges pour y trouver un message important. Imaginez: les derniers mots de Socrate. Le testament ultime. Mais ça me plaît de penser que c'est trivial, que c'est un détail de la vie très ordinaire.  " Le loyer du mois n'est pas payé, tu y penseras".  "Mes souliers sont encore chez le cordonnier, passe les chercher".  "Il reste une soupe dans le frigo, elle est encore bonne".  Ce coq, ça faisait une mèche de temps qu'on le devait à Asclépios, c'est pas une raison pour qu'on continue à remettre ça à plus tard, il faut régler ses comptes.

Cette sorte de non-dramatisation, celle qui colle à la vie, elle affirme beaucoup. Le sens de la vie? C'est de vivre. Cette bouchée mordue dans la pomme.

Cet aristocrate qu'on a sorti du cachot pour le conduire à la guillotine, il continue à lire les aventures de Don Quichotte. Il monte les marches, attentif à ce qu'il lit,  s'approche du bourreau, repli le coin de la page qu'il vient de lire, car il faut interrompre n'est-ce pas, et remet le livre.

Cette noblesse, qui se moque de la mort en s'occupant de la vie.


mercredi 23 novembre 2011

Laconisme 5. Le flot de paroles

Comment savoir si nous parlons trop ou pas assez?

Il y avait cette très belle publicité sur la parole: on nous montrait une oreille.

Rien de pire que de parler alors que l'autre a la tête ailleurs, n'écoute pas.

Un concert débute par une plage de silence. Plus on respecte ce musicien qui va jouer, plus on entre dans un vrai silence. Comme une nuit qui prépare le lever du soleil.

Quand Krishnamurti s'avançait sur une scène pour donner une conférence, il s'assoyait sur une chaise et attendait. Les gens faisaient silence mais lui ne parlait toujours pas:  lui-aussi se mettait en écoute. Il attendait que vienne une vraie parole, en lui.

Rien de pire que de parler quand on a soi-même la tête ailleurs et qu'on n'écoute pas.

Voilà pourquoi c'est destructeur d'installer radios et télévisions dans les endroits publics pour déverser un flot d'informations et d'images en continu. Cela atteint l'humain. Cela dit: "Je n'ai pas besoin que vous entendiez pour parler. Je n'ai pas besoin de votre silence pour jouer ma musique."  Cela dit: "vous n'êtes pas là, je parle mais je ne vous parle pas."  Il n'y a pas de parole humaine, dans cet environnement.


mardi 22 novembre 2011

Laconisme 4. Grand parleur, p'tit faiseur

Les deux plateaux de la balance doivent s'équilibrer, d'un côté la parole, de l'autre, l'action. Il est plus difficile d'agir que de parler. "On juge un homme à ses actes, non à ses paroles".

Je devais être encore au primaire quand j'ai vu le film "Le père tranquille". (1946, réalisé par René Clément. Comédien: Noël Noël). Ça se passe dans un village de France pendant l'occupation allemande. Les maquisards organisent des opérations de sabotage. Mais qui est la tête du réseau de résistants?  Ce vieux qui n'a l'air de rien, on ne le soupçonnerait jamais. Je me souviens de son laconisme:  il accompagne un type qui trahit les résistants en les vendant à la Gestapo. Le vieux l'accompagne pour l'éliminer. Il lui offre une cigarette, que l'autre ne prend pas. Le vieux insiste:  "la dernière".

C'était il y a plusieurs années: un député de l'assemblée nationale devait prendre la parole à Place-Royale. Il remplaçait la ministre de la culture, empêchée d'être là vu qu'elle était ailleurs. Je connaissais ce politicien: il aimait parler. Cette fois-là, j'ai été gêné pour lui:  il n'avait rien préparé, se fiant à son talent d'improvisateur. Il avait brodé et brodé, manquant plusieurs bonnes occasions de terminer. Comme disait mon père Charles d'un autre politicien:  "Il n'a rien dit, et l'a très bien dit".

La parole atteint son maximum de force quand on l'utilise au minimum. Ce devait être l'art des Spartiates.


lundi 21 novembre 2011

Laconisme 3

Chez les hommes-guerriers de Sparte, le laconisme n'est pas dû à l'absence de vocabulaire ou au manque d'instruction. Leur économie de mots ne vient pas d'une peur de dire ce qu'ils pensent. Je les vois comme des samouraïs japonais, ou comme des guerriers Sioux. Leur silence et leurs paroles viennent d'une même force.

Je ne sais pas si le mutisme des hommes au Québec a été étudié, analysé. Est-ce que les hommes se retenaient de dire ce qu'ils pensaient, ou bien ils n'avaient tout simplement rien à dire?

Durant les siècles d'Inquisition religieuse, en Espagne et en Italie, les hommes sont-ils tombés en silence, pour éviter d'être dénoncés pour un propos hasardeux? Et pendant toutes ces années récentes de dictature fasciste, les Portugais et les Espagnols ont-ils appris le mutisme?

Les hommes parlaient-ils, en Allemagne nazie?  Hitler avait conclu un pacte avec le pape Pie 12:  l'Eglise catholique interdisait à ses évêques et son clergé toute activité syndicale, sociale, politique. Le clergé s'engageait à ne s'occuper que de liturgie et de sacrements. En échange, Hitler allait payer le salaire de tout ce monde: les membres du clergé devenaient fonctionnaires de l'état nazi. En grande pompe à Rome, le pape avait signé cet accord avec Hitler. Ainsi avait été muselée la conscience chrétienne.

Et durant ce bon demi-siècle de dictature communiste, sous l'empire soviétique, avec toutes ces purges et tout ce climat de dénonciations, avec cette déportation vers le goulag de tous ceux qui se risquaient à penser tout haut, comment était la parole des hommes?

Nous oublions si facilement que nous avons vécu ici l'équivalent du fondamentalisme qui nous étonne chez les musulmans. Le Moyen-Age. c'était il y a si peu de temps au Québec.


dimanche 20 novembre 2011

Laconisme 2

Voici trois exemples de réparties laconiques. Elles sont du roi spartiate Léonidas.
Avec son armée il s'en va bloquer le défilé des Thermopyles pour stopper l'invasion de l'armée de Xerxès. Le contingent de Léonidas: 7,000 hommes. On lui dit que c'est bien peu pour affronter l'armée perse, qui compte 250,000 soldats selon l'estimation des historiens, mais qu'Hérodote estimait à 1,700,000.  Léonidas répond:  "J'ai tous les hommes qu'il me faut, puisqu'ils vont tous mourir". (La bataille durera 7 jours. Les Perses perdront 20,000 hommes.)

Xerxès sait bien qu'il a l'avantage du nombre, il offre à Léonidas de capituler et de rendre les armes, ainsi les Spartiates auront la vie sauve. Réponse de Léonidas:  "Viens les chercher".

Au matin du dernier jour de combat, Léonidas harrangue ses guerriers: "Mangez bien.  Ce soir nous soupons en enfer".

Autre exemple. Toujours avant cet affrontement aux Thermopyles. On informe le spartiate Dionékès que les archers perses sont si nombreux que leurs volées de flèches forment un nuage qui cache le soleil.  Dionékès:  "Tant mieux, on va se battre à l'ombre".

À Athènes, les aristocrates avaient beaucoup d'affinités avec cette culture de Sparte. Il n'était pas rare pour eux de passer du côté de l'armée spartiate, comme Alcibiade l'a fait, puis Xénophon. Les démocrates, parti populaire, palabraient indéfiniment en assemblées, chaque jour. Ils distribuaient les charges en tirant au sort, plutôt que de reconnaître la valeur et l'expertise. Les décisions se prenaient facilement sous le coup de l'émotion.

Quand on demandait à Charilaos, un roi de Sparte, pourquoi la liste des lois était si courte dans sa ville, il répondait:  "Les hommes de peu de mots ont besoin de peu de lois".


samedi 19 novembre 2011

Laconisme 1

Synonymes de laconique:  concis, abrégé, court, lapidaire, succinct, télégraphique, sommaire.  (voir Wikipédia)

Les hommes de Sparte (les Lacédémoniens) cultivaient cette attitude de parler peu. Comme des guerriers, ils préféraient agir. Ils étaient célèbres pour leur laconisme, leurs réponses brèves, ramassées, étonnantes. Un humour cinglant.

Mon père Charles parlait très peu. Le jour, il lui fallait être affable au travail, dans ce bureau d'assurances-vie, la Metropolitan Life. Le soir, il exprimait sa fatigue, son exaspération même, d'avoir eu à endurer le cacassement des filles qui travaillaient aussi dans ce bureau. Il méprisait profondément cette façon de vivre. "Elles ont des cervelles d'oiseaux, elles cacassent sans arrêt".

Je vais sans doute caricaturer, dans ce que je vais dire ici. Mais allons-y. Depuis 250 ans, les hommes ont cessé de parler au Québec. Avec la conquête par l'Angleterre et la disparition de la Nouvelle-France, tous les hommes de pouvoir et d'argent sont rentrés en France. Les colons sont demeurés et le clergé. Tous les hommes n'ont pas cessé de parler: certains ont eu la parole facile, mais dans un espace féminin. Un espace qui ne porte pas à conséquence (à moins de croire à l'enfer, qui est une lourde conséquence).  Je me souviens du silence interminable, celui de l'auditoire des grand-messes, et des homélies à n'en plus finir, du haut de la chaire. Le langage fleuri du cardinal Paul-Emile Léger qui s'écoutait parler, pieusement.

Il y avait des espaces-soupape, pour lâcher la vapeur. À la taverne et dans les salons de barbiers, les hommes parlaient entre eux. Quelques-uns devenaient bavards. Lourdement, bruyamment bavards.

Ce monde des hommes silencieux du Québec était à l'opposé des hommes laconiques de Spartes:  eux étaient des guerriers.


vendredi 18 novembre 2011

Macho

J'ai vécu dans cet autrefois où les femmes étaient recluses ailleurs, dans un ghetto à elles. C'était une normalité, les générations précédentes avaient sans doute vécu aussi cette séparation.  Durant cette vingtaine d'années d'études, pas une fille n'a été présente dans ces classes, ou même dans ces immeubles:   uniquement  un monde d'hommes.

Les métiers des hommes n'étaient pas les métiers des femmes. Les pompiers, les policiers, les soldats, les prêtres, les avocats, les hôteliers, les barbiers, les livreurs de pain, de lait, de glace.  En fait les femmes avaient quelques métiers seulement, et très précis: infirmières, institutrices pour les tout-petits, secrétaires-dactylos. Ma mère Gabrielle était ménagère: elle tenait ménage.

Ce monde extérieur a changé, mes filles vivent une tout autre  expérience. Mon monde intérieur a-t-il changé? J'en doute beaucoup.

Ainsi, j'ai lu toutes ces pages sur Socrate, sur Xénophon, sur tout ce monde des Grecs d'autrefois, sans jamais remarquer l'absence des filles, des femmes. Absentes des dialogues de Platon (du moins, pour ce que j'en connais). Absentes de ce monde des scientifiques ou philosophes. Absentes de ces assemblées où s'affrontent démocrates et aristocrates.  Absentes de ces guerres incessantes, mangeuses de vies.

Je suis celui qui a été façonné par cet autrefois. Pas de blâme.


jeudi 17 novembre 2011

Homère et fils

À 12 ans, je suis "rentré pensionnaire" au petit séminaire, avec ma grosse valise, celle qui avait voyagé autour de monde avec tante Margot. Il y avait plein d'affiches collées sur cette valise, elle était comme un passeport estampillé à toutes les pages.

Chacun de nous avait un "directeur de conscience".  C'était une sorte de tuteur. On pouvait demander un rendez-vous à ce tuteur, et un billet nous disait l'heure où on était attendu. C'est toute une initiation dans la vie d'un enfant. Le prêtre qui m'avait été assigné comme directeur était un vieil abbé, du nom de Bourassa. Je l'ai vu très peu de fois. Peut-être que c'était sa dernière année d'enseignement. En pensant à lui pour ce blog, j'ai réalisé comme j'ai eu peu de curiosité: je ne sais rien de lui.

Pourtant je me souviendrai toujours d'un événement marquant: c'est lui qui m'a prêté le premier livre que j'ai lu. Les autres livres que j'avais lus auparavant, ce n'était pas de vrais livres, comparé à celui-là. J'ai eu l'impression, tout au long des pages de l'Iliade, d'entrer dans un monde incroyable,  fascinant, qui ne me prenait pas pour un enfant. l'Iliade d'Homère: je l'ai lu, la bouche ouverte.

Il va me falloir relire l'Iliade.  L'Odyssée, c'est autre chose. Ce n'est pas Homère qui a écrit l'Odyssée, du moins pas le même Homère, ça se voit tout de suite. L'Iliade... Des guerriers.  Chacun avait un nom écrit en feu ardent. Ajax, Achille, Agamemnon, Hector, Priam.  Cette lecture était plus saisissante qu'un film:  c'est l'effet magique des mots, sur notre imagination.


Le mouvement des marées

C'est une expérience qui n'est pas banale, celle de fréquenter ainsi Socrate, Xénophon, Héraclite, Diogène et tout ce monde.

Il y a le plaisir du jeu de l'esprit, le plaisir des mots. Il y a aussi un changement, une transformation:  je change par ces rencontres. 

Sans doute que ça caractérise chaque parcelle qui existe, cette sensibilité à tout ce qui existe autour. Ce champ magnétique.  D'une façon imagée, on pourrait dire que même les cailloux qui ont l'air isolés entre eux, ils se tiennent par la main. Toutes les molécules sont en interaction. 

Chez les humains, ce magnétisme se moque du temps: le passé n'a pas d'épaisseur. Nous sommes touchés, une vague nous soulève et nous déporte. Nous sommes comme des planètes dont la trajectoire est déviée par la rencontre d'autres planètes qui semblaient lointaines, étrangères.

Mon chien Charlot et mes chats me suivent, ils changent de pièce quand je me déplace dans la maison. La présence des autres nous attire. 

Entre humains, cette présence agit par les mots qui sont dits et entendus, écrits et lus. Elle agit par une musique. Elle nous rejoint même par les silences, quand ils sont chargés d'intensité.







mardi 15 novembre 2011

Héraclite, Einstein, et les autres

" Le feu se change en toutes choses, et toutes choses se changent en feu".  Je n'aurais jamais eu cette intuition. Il a fallu 26 siècles pour qu'on lui donne raison, à cet Héraclite.

La physique contemporaine comblerait les scientifiques grecs du sixième siècle avant l'ère chrétienne. Ils discutaient d'atomes, de mouvement, ils interrogeaient le cosmos, les étoiles. Héraclite ne voulait rien savoir de toutes ces explications mythologiques, les dieux et les déesses tirant les ficelles de l'univers.

La matière se change en énergie:  e = m v2
(la masse multipliée par le carré de la vitesse de la lumière).
Heureusement pour Einstein, la reconnaissance de ses intuitions n'a pas eu à attendre une flopée de siècles.

Et Diogène, dans tout ça?  Je crois qu'il est aussi un ancêtre d'Einstein. Par sa capacité à ne pas suivre le régiment, à ne pas penser comme tout le monde, Einstein est un héritier de Diogène. Quand on sait à quel point nous sommes des suiveux, des gens qui gobent tout ce qu'on dit sans aller vérifier, il faut avoir l'ADN de Diogène pour oser penser autrement et contredire le grand Newton.

Dans cette exploration du monde grec d'autrefois, je tourne en rond. Comme un tire-bouchon qui s'enfonce en spirale, avec l'espoir du bon vin.


lundi 14 novembre 2011

Comme une mouche à feu

C'était autour du 22 juillet dernier: je me demandais quelle suite donner à ce blog. J'étais comme un promeneur dans une gare, je n'avais pas encore choisi de destination. Ma fille Elsa me donnait comme suggestion: "parle de toi".  Je ne sais pas si j'ai suivi cette direction.

Cette journée-là, nous étions quatre à marcher le sentier, dans le bois d'à-côté:  Elsa et son petit Loïc, moi et Charlot (le bouvier-bernois). Le petit Loïc avait inventé un jeu comme il en invente toujours: il avait pris une branche et la trempait dans toutes les flaques d'eau qu'on rencontrait, dans un rituel extraordinaire. Il utilisait une formule magique à réciter quand on trempe le bâton dans l'eau, en sachant que ça lui donnait davantage de force. Il devenait de plus en plus fort, à chaque incantation magique.  Loïc avait besoin d'un surplus de force, pour être vainqueur dans ces combats avec son ami Antoine.

Je crois que ce bâton magique était aussi une branche de sourcier. Dès le lendemain de cet épisode, j'ai parlé de Diogène, de son bâton de marche. Un bâton célèbre, dont parle l'épitaphe rédigée sur le monument de Diogène, à Corinthe.

Là, à Corinthe, les jours suivants, est arrivé Alexandre le Grand. Je dis "les jours suivants", en parlant de mon blog. Alexandre le Grand, c'était du vivant de Diogène qu'il était allé à Corinthe. Vous comprenez ce qui m'arrive: j'écris à rebours, je marche de reculons.

Depuis, la magie de cette branche de sourcier continue à faire sourdre une source inattendue, qui vient de loin et se moque des chronologies. Ce bâton de Loïc, il m'a fait pénétrer dans une grotte quasi préhistorique, et je n'en sors plus. Une errance semblable aux zigzags des mouches à feu. L'errance des mercenaires de Xénophon.


dimanche 13 novembre 2011

Je ne trouve plus le fleuve d'hier

Le dramaturge Euripide, un ami de Socrate, serait allé à Ephèse. Beaucoup de Grecs y allaient pour consulter l'oracle. Dans ce temple d'Ephèse il y avait aussi des livres: les auteurs y déposaient leurs manuscrits (une bibliothèque nationale de l'époque). Euripide y aurait lu les textes d'Héraclite et les aurait appris par coeur.  De retour à Athènes, il les aurait récités à Socrate.

"Qu'en penses-tu?"  aurait-il demandé à Socrate.
" Il y a une partie que je comprends et une autre partie que je ne comprends pas " dit Socrate. " La partie que je comprends, elle me semble venir d'une bonne source.  La partie qui m'échappe, je pense qu'elle-aussi surgit d'une source de grande valeur. Mais tu sais, il faut être comme un plongeur de l'île de Délos pour atteindre la pensée d'Héraclite: c'est profond!"

Mon amie Isabelle, qui a enseigné la philosophie, me disait qu'elle avait adoré les pré-socratiques, ces savants qui ont précédé Platon et Aristote. De fil en aiguille j'ai donc abordé la lecture des textes d'Héraclite (ce sont des fragments, de courtes phrases).

Mes professeurs de philosophie thomiste ne juraient que par Aristote, et ce très logique Aristote vomissait sur Héraclite. C'était sa façon de rejeter Platon, d'une façon déguisée. Et Platon, c'était Socrate et Héraclite. Je réapprends donc la philosophie à partir de zéro.

(Héraclite: "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve")


samedi 12 novembre 2011

Je n'aurai pas le temps

Ai commencé la lecture du volume d'Hubert Reeves: "Je n'aurai pas le temps".  Un titre dangereux. Dangereux du moins pour moi.

Cette phrase me saisit comme si j'apercevais un piège à ours dans un sentier:  faut pas y mettre la main ni le pied.

Ça ne se compte pas, toutes les choses que je n'aurai pas le temps de faire. Mais c'est une phrase assassine, si je lui donne trop d'espace dans ma vie. La phrase "je n'aurai pas le temps"  devient vite:  "à quoi bon y penser, ça ne vaut pas la peine".  "Vas-y pas, t'as pas le temps".

Évidemment que je n'aurai pas le temps de finir: n'empêche que j'ai le temps de commencer, et c'est bien ce qui me plaît.

Vivre, ce n'est pas terminer les choses, mais les créer, les entreprendre.

Hubert Reeves donne un autre sens à cette phrase.  "Le monde est tellement merveilleux, on n'aura jamais le temps d'en faire tout le tour". C'est une manière de dire l'immensité, la quasi démesure de l'univers.


jeudi 10 novembre 2011

Les quatre saisons

Chaque vie est une aventure. C'est vrai pour tous les vivants, pas seulement pour les humains. Quand on a des animaux domestiques, on le sait bien qu'ils ont beaucoup de sensibilité: ils ont du plaisir à nous retrouver quand on rentre chez-soi. Nous faisons partie de leur aventure.

Il y a sans doute bien des façons, chez les vivants, pour "vivre à plusieurs" cette aventure qu'est la vie. Les oies qui migrent ensemble dans le ciel, elles se racontent des choses à leur façon, quand elles passent en jappant leurs cris au-dessus de nos toits. Ce ne sont pas des robots: chaque animal a sa personnalité.

Les humains nous nous sommes inventés des langues pour communiquer. Cette invention est sans doute récente, dans notre longue histoire qui s'étend sur des millénaires. Ce soir j'ai profité de cette invention du langage, je suis allé entendre une conférence de l'historien Jean Provencher. Mon père Charles aurait adoré entendre cette causerie tellement riche. Jean Provencher était l'invité, à la bibliothèque de St-Laurent à l'ile d'Orléans. C'est un conteur merveilleux. Il nous racontait tout ce qui pimentait la vie de nos grand-parents.

J'ai appris qu'il fait un blog, alors le cadeau va se prolonger: je vais fréquenter ce qu'il écrit. Il y a de bons côtés, à vivre maintenant!  Comme les oies migrantes, nous avons nos façons de nous raconter nos histoires.


mardi 8 novembre 2011

Pour votre plaisir et le mien

Les arbres font à leur tête. Ils réfléchissent en silence, parfois ils sifflotent mais ça passe pour être le vent. À force qu'ils sont là, on oublie qu'ils ont, eux-aussi, une aventure d'existence. Sans que ça paraisse, les émotions les travaillent.

Il y a deux mois, après un été où il pleuvait tous les jours, mon cerisier d'automne en a eu assez. Il s'est incliné très bas, comme un voilier tout près à chavirer. Vu qu'il était dans la trentaine avancée, mon cerisier était haut sur pattes: les branches sont venues s'appuyer sur le toit de la maison.

Je me suis improvisé tailleur de branches, j'ai grimpé, j'ai scié à la sciotte les branches à ma portée.  Le gros de l'arbre était encore imposant, et menaçant. J'ai donné le contrat d'abattre le cerisier à un voisin dont c'est le métier: avec ses cordages, il laissait glisser les grosses branches, à mesure que sa scie mécanique les libérait.

J'ai conservé deux bonnes longueurs du tronc d'arbre: mon idée est d'en faire quelques planches. Un peu en retard, je me suis pris d'affection pour mon cerisier. Qui va me tailler ces deux billots qui pèsent une tonne?

J'ai téléphoné à la scierie du village voisin. Non, ils ne font pas ce genre de travaux, je ne peux pas leur apporter mes deux billots. Je me suis renseigné auprès de deux artisans qui tournent des pièces de bois: ils m'ont conseillé de chercher une entreprise qui opère une scie mobile: ils viennent à domicile...

La chance m'a sourit, comme le chat de Chester sur une branche. Un opérateur de scie mobile viendra justement dans mon village la semaine prochaine. Il va donc tailler mes billots, à moins que le chat de Chester disparaisse, puis son sourire accroché en l'air.

Sans doute que j'ai entendu, avec le retard qui m'est coutumier, la dernière volonté de mon cerisier. Ils ont des fantasmes et des fantaisies, ces arbres. De mon côté, j'ai hâte de caresser ces petites planches.


lundi 7 novembre 2011

Xenophon: tout ce qui n'est pas écrit

Je suis tout proche de terminer la lecture de "Xenophon's Retreat", par Robin Waterfield. Ce volume, quelle richesse!

Par le travail de recherche et d'écriture de cet historien, on a accès à l'héritage que nous laisse Xénophon.  Fréquenter cette histoire des Grecs, ce n'est pas une simple distraction ou un amusement: c'est tourner les pages de notre album de famille. Nous ne sommes pas seulement judéo-chrétiens!

Les 10,000 mercenaires ont marché environ 2,750 kilomètres pour "rentrer au pays", pour sortir d'Asie. Pendant tous ces mois, toutes ces saisons, il leur fallait piller village après village, pour trouver l'approvisionnement quotidien. Ils sont devenus des pirates forcenés. À leur approche, les villes fermaient leurs portes, les gens fuyaient ou se barricadaient. Ils ont terrorisé toutes les régions qu'ils ont traversées.

Ce que Xénophon n'a pas écrit de cette Expédition de Cyrus, ce qu'il ne pouvait pas écrire, c'est l'incroyable foisonnement de tout ce qui a été vécu par chacun de ces hommes, jour après jour. Cette histoire de chacun d'eux, l'histoire que chacun se raconte dans sa tête. Le cerveau humain toujours se raconte une histoire.


dimanche 6 novembre 2011

le temps humain

En Amérique, c'est maintenant qu'on recule d'une heure. Evidemment, personne ne recule ni n'avance. Et pourtant, qui sait. Il y a toutes sortes d'espaces de temps. Un de ces espaces nostalgiques ressemble à un écho: il rebondit en retard et ça donne une deuxième chance d'entendre le même appel.  Un autre espace, visité par la peur, se replie comme un soufflet d'accordéon : on reste accroché à la répétition d'un souvenir, on le revit de cauchemar en cauchemar. . Un troisième espace, plus prétentieux, se targue de prophétie: il voit d'avance une catastrophe souhaitée et grimpe sur une caisse de bois pour l'annoncer aux gens qui adorent frémir.


samedi 5 novembre 2011

L'éternuement. suite 2

Xénophon avait très mal dormi. Il se retrouvait dans un cul-de-sac. Cette campagne militaire, c'était sur l'invitation d'un grand ami qu'il s'y était embarqué, Proxénus, un des neuf généraux de l'armée de mercenaires.  Cet ami général, il était tombé dans les griffes de l'ennemi, et allait finir exécuté à Babylone. Xénophon, survivant, se demandait quel rôle il allait maintenant jouer dans cette armée en déroute.

Finalement il avait sombré pour quelques heures dans un sommeil agité. La foudre l'avait réveillé! Il y a de ces rêves qui sont hallucinants, plus vrais que la réalité: Xénophon venait de voir la foudre tomber sur sa maison d'enfance, qui avait flambé sous ses yeux. Quel cauchemar! Réveillé et haletant, Xénophon avait tout de suite connu la signification de son rêve:  Xeus intervenait pour le secouer d'urgence: il fallait réagir immédiatement, sortir de cette léthargie qui avait saisi toute l'armée.

En pleine nuit, Xénophon avait donc réveillé les commandants survivants, et leur avait proposé de le nommer, lui, comme remplaçant du général Proxénus. Ils l'avaient élu à l'unanimité. Puis Xénophon avait rejoint les autres bataillons pour qu'ils remplacent, eux-aussi, les généraux disparus. La vague du sursaut gagnait toute l'armée, les rangs se reformaient. La nouvelle équipe de généraux s'était retrouvée en conseil de guerre, cette même nuit:  plus question de négociations avec ces Perses perfides. L'armée des 10,000 devait rentrer en Grèce, dans une guerre ouverte. La retraite devait être immédiate, dès l'aube.

Au petit matin, une grande assemblée des guerriers avait entendu le message. Dans son discours aux soldats, Xénophon leur avait rappelé que leurs grand-pères avaient été victorieux de l'armée des Perses: c'était le moment de prouver que les fils étaient de la même trempe de vainqueurs. Ils allaient donc en sortir et rentrer chez eux, en suivant une discipline de fer.

Dans le silence attentif, un soldat avait éternué.  C'était l'approbation des dieux.

(à suivre)



vendredi 4 novembre 2011

L'éternuement, un omen de Zeus. -1

Ce soir je suis allé dessiner à la brasserie " La Barberie" avec des amis (Tania, Isabelle et Pascal). Soudain Tania s'est mise à éternuer: j'ai expliqué que pour les Grecs d'autrefois, si quelqu'un éternuait, c'était un message des dieux, un omen.

Le récit de Xénophon, cette fameuse retraite des 10,000 mercenaires, raconte justement l'éternuement d'un soldat:

Le soleil se levait à peine. Il y avait de quoi frissonner et éternuer, après une courte nuit pour tout le monde. Une courte nuit d'épouvante, car comment dormir en paix, avec ce qui s'était passé?

La veille après-midi, le satrape Tissapherne, commandant en chef de l'armée perse, avait fait tomber cinq de leurs neuf généraux dans un piège mortel. Ils s'étaient fiés à la parole donnée sous serment, en acceptant l'invitation du satrape à aller négocier à l'écart, sous le pavillon du satrape.  Courte négociation: sur un claquement de doigts, les généraux s'étaient retrouvés saisis et enchaînés, pendant que les vingt commandants de bataillons, qui les attendaient à l'extérieur du pavillon, étaient assassinés.

Quand l'armée des mercenaires avait appris la disparition des chefs, un vent de panique avait glacé tout le monde. Ils s'attendaient maintenant à une attaque imminente. Tout le monde s'était précipité sur son armement.  Cette nuit-là, ils avaient dormi quelques heures seulement,  chacun revêtu de son armure, l'épée à la main.
  (à suivre!)


mercredi 2 novembre 2011

A quoi sert de lire Xénophon

Allez savoir pourquoi, je suis en guerre: j'en veux à tout ce qui ressemble à " la culture générale". Je veux que ça serve à quelque chose, ce que je lis, ce qui me tombe sous les yeux ou dans les oreilles.

Ce matin, en lisant cette étude par Robin Waterfield,  (Xenophon retreat), j'ai trouvé une première application. Un peu plus tôt, j'avais lu les informations sur la BBC, lu les analyses sur la dette de la Grèce et cette annonce d'un référendum.  Je me disais:  le pays qui a inventé la démocratie, voilà qu'il s'en sert dans un référendum, mais est-ce à propos?  Les analystes décriaient cette décision annoncée par le chef du gouvernement, puis votée à l'unanimité par l'assemblée grecque. J'avais lu aussi une analyse différente: on disait que ce référendum était la seule façon de ramener les gens au travail, d'arrêter cette vague incessante de grèves et de manifestations.

Une réponse limpide nous arrive de Xénophon. Dans son récit militaire, écrit au quatrième siècle avant l'ère chrétienne, il analyse les trois formes possibles de gouvernement:  la monarchie, l'oligarchie, la démocratie.  Ce n'est pas de la théorie vide: Xénophon est militaire, il a le poste de général. Son armée de 10,000 mercenaires se trouve dans une situation invraisemblable, elle doit traverser des pays ennemis pour revenir "à la maison" après la défaite militaire en Irak (qui ne s'appelait pas l'Irak mais la Perse). Cette épreuve d'endurance ressemble à la retraite des armées de Napoléon, après l'échec en Russie: mêmes conditions infernales d'hiver (le froid ça brûle),  même harcèlement constant par l'ennemi,  mêmes embûches tout le long du retour. L'épuisement, la faim.

Selon la réflexion de Xénophon, à quoi sont bonnes ces formes de gouvernement?  Faut-il les choisir?

Monarchie?  Oui, dans les situations urgentes, un seul homme doit décider rapidement. Un capitaine de pompiers. Les pleins pouvoirs au président.

Oligarchie?  (Petit groupe d'administrateurs)  Oui, dans les temps normaux:  pour l'efficacité, pour la sagesse des décisions, une équipe de sages, de spécialistes, c'est la solution.

Démocratie? (consultation et vote populaire de tous les citoyens)
Oui, "quand il s'agit d'apaiser, de calmer les soulèvements populaires".
L'autre façon est toujours tentante:  envoyer l'armée et les chars d'assaut pour écraser les manifestants, comme en Chine à Tianenmen, comme en Lybie sous Kadafi, ou comme en Syrie sous Assad.

Ça m'a bien surpris de tomber sur ces réflexions de Xénophon, qui me semblent si à propos. Il faut dire que les Grecs, ils mûrissent cette réflexion politique depuis 2,500 ans. Monarchie? Oligarchie? Démocratie?  Tout dépend des situations, et elles changent, se dit Xénophon.





mardi 1 novembre 2011

À contre-courant

Ma mère Gabrielle "restait à la maison" et c'était ennuyant pour elle. La radio était donc "ouverte" toute la journée: les émissions se succédaient. Puis la télévision a supplanté la radio: du moins pour la soirée. Ça enrageait mon père Charles: il voulait du silence pour lire son journal. Ma mère protestait si Charles se levait pour fermer la tv:  "ça va être ben trop ennuyant!"

Cet après-midi j'ai pensé à mon père, quand je suis allé demander qu'on ferme la grosse tv. C'était dans la salle d'attente du garage Subaru, nous étions quatre clients à ce moment-là. (D'autres se sont ajoutés ensuite: il y a foule, quand arrive le temps de la pose des pneus d'hiver). Chacun s'occupait à lire. J'avais dans les oreilles ce flot de paroles incessantes qui coulaient à gros robinet. J'ai d'abord demandé à mes voisins de la salle d'attente s'ils étaient d'accord qu'on ferme cette tv que personne ne regardait: ils étaient tous d'accord. Alors je suis allé voir le vendeur d'autos, dans son petit bureau vitré.

Il n'était pas trop content de ma demande, cet employé de Subaru. Je lui ai dit qu'on étaient quatre clients et qu'on souhaitait lire en paix. Il a fermé la tv et s'est enfui. On s'est retrouvé sans la pollution sonore.

Je ne sais pas si j'aurai l'audace de demander qu'on ferme l'énorme tv très sonore à la pharmacie. On y est comme au cinéma. Ou bien ces tv qui sont indispensables dans les salles d'attente des hôpitaux. Personne ne m'a demandé de partir en croisade.

Le problème c'est qu'on n'en fait rien, de toutes ces informations. On baigne dedans et c'est malsain. C'est l'équivalent de la fumée de cigarettes qui remplissait tous les espaces publics dans cet autrefois très récent. Ça me préoccupe:  qu'est-ce que je fais, de ce que je lis?


Samedi, puis dimanche

Il serait tentant de prendre "congé de blog", congé d'écriture, pour quitter cet espace exigeant et s'en reposer. Je sens bien ce tiraillement, ce combat entre la gauche et la droite. Les Grecs anciens donnaient le nom d'agonie à ce combat, à cette compétition qui les caractérisait tellement. Ils ne pouvaient pas s'empêcher d'agoniser entre eux. Depuis, le mot s'est figé autour d'une image, autour d'une seule histoire, pour désigner ce mauvais quart d'heure, cette dernière nuit de vie, celle qu'on passe à trépasser. Entrer en agonie nous mène directement au jardin des oliviers, un vendredi saint.

Pourquoi est-ce aussi agonisant, entrer dans ce travail d'écriture? La Bible en faisait une punition, un châtiment:  tu accoucheras dans la douleur. Dans cette histoire de punition, il fallait bien inventer aussi ce qui mérite la punition. Il fallait inventer la désobéissance. Je souffre à accoucher d'une page d'écriture, parce que j'ai désobéis quelque part. Les créateurs d'une page de musique, de danse, ou d'un plan d'architecture, ils entrent en agonie mais n'en meurent pas.

Prendre congé de création, c'est aussi une vieille histoire vénérable: la Bible, dans son récit de la création de l'univers en six jours, raconte bien que Yahvé prend congé de création le septième jour. Il inaugure la fin de semaine, le sabbat. Notre dimanche chrétien a tourné le dos à cette genèse de l'univers. Toute la pensée religieuse change d'histoire. Terminée, cette lecture du roman de la création du monde. La main se tend vers un autre roman, qui raconte un nouvel univers, ailleurs. L'image n'est plus celle du travail des six jours créatifs suivis du samedi reposant, mais celle d'un dimanche de résurrection des morts. Le héros n'est plus Yahvé mais un fils qui monte sur le trône céleste, sorti du tombeau.

Tout ce qui existe a celle couleur d'origine, ce besoin de combiner autrement les atomes, de varier la recette en tentant d'autres attaches, d'autres associations. Des vagues d'énergie viennent brasser toutes les molécules comme on brasse les dés. Quels sont les chiffres gagnants?

Si on existe, on est comme une phrase qui s'écrit. Le cerveau en fait des histoires que réclament les enfants avant d'aller dormir.