dimanche 31 juillet 2011

spécial Tonneau

La preuve de l'existence des tonneaux
en Grèce, c'est le retsina, ce vin jaune
qu'on nous sert dans les petites tavernes
et qui goûte cette résine des tonneaux
où on l'entrepose. Mais Diogène n'a pas
humé, à longueur de nuit, les vapeurs
du vin retsina dans un tonneau qui lui
aurait servi de motel. Les tonneaux
n'existaient pas à son époque.
On avait mieux:  d'immenses vases
en terre cuite.

On raconte qu'un ami avait promis à
Diogène de lui prêter une modeste
demeure pour l'hiver qui approchait.
Arrivent les nuits froides alors que
l'ami tarde à tenir sa promesse.
Diogène n'a jamais aimé dépendre
des autres pour survivre: il s'est
déniché un de ces vases, pour l'habiter.
À condition de l'isoler avec des
couvertures de laine, une peau de
fourrure ou de la paille, il pouvait
très bien conserver la chaleur et
protéger des intempéries.

Quel nom lui donner? Je pense qu'on parle du tonneau de Diogène, à défaut de savoir nommer ces immenses réceptacles en terre cuite. Quand on invente un nouvel objet, on invente aussi le mot qui le nomme. Si l'objet nous arrive de l'étranger, on l'adopte avec le nom qu'il a déjà. Mais si l'objet tombe en désuétude, si on ne le trouve plus qu'au marché aux puces, il y a des chances que son nom aussi va être retiré des dictionnaires usuels. Seuls les experts du scrabble vont le connaître. Il nous reste un tonneau inexistant pour y faire dormir Diogène, qui nous tourne le dos.

samedi 30 juillet 2011

Grecs et Egyptiens

S'il rencontre Diogène en
336 av J-C, c'est 2 ans plus tard,
à la mort de Philippe,
qu'Alexandre devient Roi des
Grecs. Il a 22 ans. Tout de suite
il met à exécution les projets de
conquête de son père.  En -332,
son armée chasse les Perses
du royaume d'Egypte: il est
sacré Pharaon à Memphis.

Il trace les plans d'une ville
nouvelle, au bord de la mer:
Alexandrie. Cette ville va
devenir la capitale du savoir
mondial. Sa bibliothèque va
rassembler les manuscrits du
monde entier: les chercheurs
de toutes les disciplines vont
aller y poursuivre leurs études.

Mais Alexandre ne reste pas
assis sur ses lauriers: il a tout
l'Orient à conquérir.  Jamais
on n'a vu une ambition aussi
large. Il n'a que 9 ans devant
lui.

vendredi 29 juillet 2011

L'ombudsman

Pour comprendre l'épisode de la rencontre
entre le jeune prince et le vieux Diogène,
il faut savoir que le nom Alexandre
signifie "protecteur de l'homme",
l'équivalent de notre ombudsman.

Il a le coeur en fête, Alexandre.  Enfin
il va faire une bonne surprise à Diogène
car il le connait déjà par réputation.
- "Demande-moi ce que tu veux, ça me
fera plaisir de te l'offrir".  Un cadeau
d'amitié.  Mais Diogène c'est Diogène.
- "Ce que je te demande, c'est de te tasser,
tu bloques le soleil que je suis en train
de prendre".  Électrochoc.

Le prince n'est pas habitué à cette sorte
de brimade impertinente, il est au bord
du meurtre:  " Tu n'as pas peur que je te
fasse exécuter, pour cette réponse?"

Diogène répond avec un sourire.
- "Dis-moi, prince, ce nom d'Alexandre,
ça signifie que tu apportes le bien ou le mal?"
- "le bien"
- "Alors il n'y a pas de peur à avoir quand on rencontre l'homme qui apporte le bien!"
Alexandre est heureux: ça valait le coup de le rencontrer, cet homme qui ne doit rien à personne.
Deux astres se sont croisés et chacun a fait briller l'autre.

Je gagerais que ce soir-là, un officier est venu apporter une carafe d'excellent vin à Diogène, de la part du jeune prince.

Mais le tonneau?  On y arrive bientôt, pas de bousculade!

L'hégémon: commandant en chef

Ce blog me fait aller là où je ne pensais pas aller. Je me retrouve à Corinthe. Pourquoi? Je voulais raconter un peu mieux cette rencontre entre Diogène et Alexandre, en dire plus que les deux phrases qui sont répétées dans les manuels, l'offre d'Alexandre et la réponse de Diogène.  Je ne suis pas familier avec cette ville, je m'y suis perdu pendant des heures.
En premier lieu, je me demandais à quel moment Alexandre était allé à Corinthe... Vous avez lu la vie d'Alexandre le Grand? Ce blog me fait plonger dans cette aventure extraordinaire.  C'est dommage que ce blog ne soit pas davantage interactif: vous m'apprendriez un tas de choses, vous me donneriez des pistes. Enfin, je continue quand même, si vous êtes là. Ne quittez pas le sentier, faites confiance. 

Il faut jouer au détective
pour situer ce voyage
d'Alexandre à Corinthe, 
ce qu'il allait y faire
et pourquoi il tenait à
rencontrer Diogène.

Le futur empereur est
aussi fringant que son
cheval. Le jeune prince
a 19 ans.  On est en l'an
337 av J-C.

Il tient à rencontrer
Diogène, car Aristote
lui a bien parlé du
philosophe exceptionnel.
Imaginez la chance qu'il
a eu, cet Alexandre:
avoir Aristote comme
professeur privé: il lui
a enseigné la guerre de
Troie, l'Iliade. Il lui a
enseigné l'art de la politique.

Alexandre est maintenant un chef d'armée.  Son père, le roi Philippe de Macédoine, vient de défaire l'armée des Grecs, la Ligue des Hellènes, que pilotait la ville d'Athènes. Maintenant s'établit cette paix obligatoire au pays des Grecs. Les règles du jeu politique sont clairement dictées: chaque ville participe à la Ligue de Corinthe. Plus question pour les cités grecques de continuer les petites guerres entre elles. On se prépare à attaquer l'immense empire Perse, qui s'étend de l'Egypte jusqu'en Inde.

C'est cet hégémon, ce commandant en chef, qui guide son cheval jusqu'à Diogène qui ne se lève pas pour accueillir le glorieux.

Bon, on continue la randonnée un autre jour, vous êtes d'accord?


mercredi 27 juillet 2011

Fanal et tonneau

C'est de la perte de temps,
disait Diogène
aux citoyens qui allaient
entendre Platon.
Faut croire que
les théories
sur le monde idéal
mettait notre Diogène
en rogne.
À ses disciples,
Platon avait présenté
une définition
de l'homme:
c'est un bipède
qui n'a pas
de plumes
ni de sabots.
C'était offrir à Diogène
une occasion en or
pour se moquer
du grand maître.
Le lendemain,
Diogène plume un coq
et lui enlève les ergots,
puis le lance vivant
parmi les auditeurs: Voici l'homme de Platon! dit-il, et tout le monde a bien ri.

Ce Platon, la tête lui flottait dans les nuages, il lévitait. Pour lui, ce qu'on voyait c'était de pauvres images de ce qui existe ailleurs sous une forme parfaite, abstraite et réelle. Nos tables et nos chaises, elles nous disent que les idées d'une table parfaite et d'une chaise parfaite existent quelque part. Dans cet autre monde des idées, existent le chat idéal, le chien et l'homme parfaits.

En plein marché public, sous un soleil de plomb, est arrivé Diogène, brandissant son fanal allumé.  Il savait bien ce qu'il faisait, ce Diogène.  La question attendue est venue: qu'est-ce que tu cherches, Diogène?  Moi? Mais je cherche cet homme parfait dont parle Platon! Vous l'avez vu quelque part?

C'était comme se moquer de Don Quichotte, avec le gros bon sens. Une farce sublime, digne de Molière. L'image nous est parvenue, elle a tenu le coup pendant ces 23 siècles...

Et le tonneau, lui?  C'est une autre histoire, pour une autre fois!

mardi 26 juillet 2011

le maître-esclave

Ce blog, ça ressemble pour moi à une
cueillette de bleuets dans un champ: on
ne sait plus comment arrêter la récolte!
Aujourd'hui j'ai consulté mon vieux
dictionnaire grec pour y trouver Diogène.
Ça signifie: né du dieu Jupiter. Au Québec,
on l'aurait baptisé Dieudonné.

Lyon est jumelé à Sinope, en Turquie,
cette ville où est né Diogène. Son père,
Ecésios, y était agent de change.
Sinope était un port actif, sur la mer Noire
et le commerce y transitait entre la Grèce
et le nord de l'Euphrate. Sinope frappait
sa propre monnaie: voilà le décor.

Le drame:  la mise en accusation du père de
Diogène, comme faussaire. On sait que le
jeune Diogène a décampé à temps,vers
Athènes. Il est resté itinérant toute sa vie.
Certains disent que son père, Ecesios,
avait fui avec son fils, pour échapper
à la prison.

Un jour, ce sont les pirates qui ont attrapé Diogène. Il était sur un bateau qui se rendait à Egine. Les pirates l'ont mis en vente au marché des esclaves, en Crète. Les badauds, sur le marché, lui demandait s'il avait un métier, des habiletés: il a répondu qu'on devrait l'acheter si on avait besoin d'un maître, car il savait commander aux hommes. Un riche Corinthien a déboursé le prix d'achat, pour qu'il soit professeur privé chez-lui à Corinthe. Plus tard, il a rendu sa liberté à Diogène.

J'ai vu, sur Wikipedia, qu'il y a un monument qui présente Diogène, avec son chien et son fanal. Je reviendrai donc pour en parler, de ce fanal!

lundi 25 juillet 2011

chienne de vie

Mon amie Michelle en avait gros
sur le coeur. Troubles de santé,
puis cette mauvaise surprise: leur
nouvelle maison infestée de
moisissures, de champignons...
Quand elle a tout résumé avec
ces mots:  ¨chienne de vie¨,
ça signifiait qu'il faut s'attendre
aux coups durs et se tenir solide
sur ses deux jambes. Ça disait
qu'il faut être un guerrier.

Les chiens ont cette sorte
d'endurance. On peut se fier
sur leur loyauté. C'est du solide.
Ils ont une sensibilité étonnante:
Ils observent, ils entendent, ils
sentent ce qui se passe. Ils sont
tout entiers à ce qu'ils font.
Ça m'a fait plaisir quand j'ai
appris que Diogène s'identifiait
à un chien. C'était un choix de vie
très exigeant.

Le philosophe Diogène, une
sorte de clochard, a vécu autour
de 80 ans. Il ne se tenait pas à
l'écart: il avait toujours le goût
d'être sur la place publique, avec son franc-parler, ses réparties qui faisaient rire tout le monde.  Aucune modestie chez Diogène, aucune flatterie pour les riches et puissants. Il quêtait sa nourriture en engueulant ceux qui ne donnaient pas, avec une verve à faire fuir ceux qui hésitaient à partager.

Quand il est mort, la ville de Corinthe lui a fait des funérailles superbes. Ses amis ont fait élever un monument sur sa sépulture: une colonne surmontée d'un chien sculpté dans le marbre précieux. Diogène... ce n'est pas une légende, il a vraiment vécu. Sans doute que nous profitons encore des espaces de liberté qu'il a inventé, en bon philosophe. Il aurait pu dire:  chienne de vie!

dimanche 24 juillet 2011

Le porteur de bâton

,
Non, il n'est plus,
le porteur de bâton,
au manteau plié en deux,
qui mangeait son pain
en plein air,
il est monté au ciel
Oui, tu étais vraiment
fils de Zeus
tout autant que
chien céleste
(c'est l'épitaphe écrit
par Cercidas
pour Diogène)

C'est pas mal impressionnant,
je vous assure, de lire sur ce
Diogène. Il était enfant quand
Socrate a été condamné à mort.
Platon connaissait bien Diogène
tous deux philosophaient à
Athènes. Platon disait de lui
qu'il était un Socrate délirant.
Un Socrate qui saute une coche.

À lire ce qu'on dit de lui, les 23 siècles qui nous séparent s'en vont en fumée: Diogène est notre contemporain. Ce qu'il croyait, ce qu'il disait, il le vivait complètement. Il se moquait des théories de Platon. Il trouvait que les humains ne suivaient plus la nature, qu'ils se compliquaient la vie et celle des autres. Un chien ne s'embarrasse pas de conventions absurdes, il a la franchise de ce qu'il vit.

Diogène serait à l'aise avec l'évolution de notre culture. L'égalité entre hommes et femmes, l'auto-suffisance, la liberté sexuelle, la suppression des armes, de la monnaie.  Nul doute que nous serions secoués par lui, tout comme ceux qui vivaient autour de lui ont été secoués.

Alexandre le Grand était allé le voir, à Corinthe. Une fameuse rencontre. Plus tard, Alexandre avait dit que s'il n'était pas Alexandre, c'est Diogène qu'il voudrait être. Tout un paradoxe.

samedi 23 juillet 2011

bâton fort

Une vieille branche d'arbre, bonne
à jeter dans le fossé, était appuyée
contre le mur, près de la porte de la
maison. Comme j'étais pour m'en
débarrasser, je l'ai reconnu: le bâton
magique.

Le petit Loïc l'avait choisi comme
bâton de marche, avant-hier, quand
on s'était rendu jusqu'au ruisseau, au
bout du sentier. Loïc l'avait trempé
dans le ruisseau, son bâton magique,
sachant que cette opération, avec
les formules appropriées, lui donnait
de la force.

Sur le chemin du retour, quand un
petit cours d'eau se présentait, il
répétait son rituel, pour devenir
de plus en plus fort: son ami Olivier
allait rencontrer tout un adversaire,
quand ils allaient se revoir!

Évidemment que je n'ai pas jeté ce
bâton de magie. Je ne peux pas m'en
servir car je n'ai pas les mots magiques.
N'empêche, je sens que ce pouvoir
continue d'agir: il me donne une grande
émotion.

vendredi 22 juillet 2011

la glace salée

Est-ce un effet de l'extrême
chaleur qui nous tombe
dessus, ou l'effet de cette
visite de mes filles et de
leurs petits? Il me vient une
tristesse qui cherche son
chemin dans la gorge: cette
émotion remonte à la surface.

Quand j'ai demandé à ma fille
Elsa de me suggérer des idées
pour ce blog, elle m'a dit:
parle de toi. Peut-être que ces
paroles ont ouvert un loquet
qui ferme habituellement une
clôture.

Tantôt j'étais sur la plage, à
regarder le fleuve avec Charlot.
Un yacht rapide est passé
dans une orgie d'écume et de
bruit. De nouveau j'ai senti
cette poussée d'un sanglot
dans la gorge. J'ai compris la
nature de cette tristesse: elle
vient de tout ce qui n'a pas été
vécu. Pas de blâme.

Autrefois les murs de l'église et de l'école suintaient d'une humidité où poussaient des champignons malsains. Je veux parler de cette atmosphère de culpabilité, de peur et de reproche qui pénétrait toute notre éducation. On nous répétait qu'on aurait à payer le prix fort pour chaque plaisir à vivre.
Je crois que la culture des générations précédentes a laissé des blessures profondes qui prendront des générations à se guérir.

jeudi 21 juillet 2011

galériens demandés

j'ai déjà plus de 150 textes
et dessins sur ce blog qui
s'invente un chemin  et se
promène dans plusieurs
directions, au gré du
caprice des vents.

Je tends la perche: si vous
avez des sujets, des thèmes
à me suggérer, ils sont les
bienvenus. Vous pouvez
entrer dans l'aventure de
ce blog, c'est gratuit de
part et d'autre.

Pour communiquer plus
facilement vos idées, je
vous suggère d'utiliser
mon adresse courriel, car
ça semble compliqué
d'utiliser le chemin proposé,
celui des commentaires.
L'adresse:
hubertbeaudry@videotron.ca

mercredi 20 juillet 2011

lapinot

Ce petit lapin
il courait
partout
je l'ai donc
dessiné
partout
cela a pu
lui donner
des idées
pour son
avenir
mais les
lapins
n'ont pas
besoin de
ces idées
pour
peupler.


Si les gens
d'ici se
mettaient
à dessiner
plein d'enfants alors les idées nous viendraient car nous ne sommes pas des lapins il faut nous faire un dessin pour qu'on comprenne.

mardi 19 juillet 2011

la chaise de Van Gogh

Il y a deux toiles de Van Gogh,
peintes en décembre 1888, qui
disent le paradoxe de la présence.
Le portrait de sa chaise, où sont
déposés sa pipe et son tabac,
et le portrait du fauteuil de
Gauguin, avec une chandelle
allumée et deux volumes.
Gauguin est sur le point de
quitter la maison jaune. Ces
deux chaises disent aussi
l'absence.

Dans une lettre écrite avant le
drame, Gauguin exprime cette
séparation: "Vincent et moi
sommes généralement très peu
à l'unisson, surtout en ce qui
concerne la peinture." Leurs
goûts sont à l'opposé. Van Gogh
aime des  artistes que Gauguin
ne peut pas sentir, et rejette ceux
que Gauguin admire.

Toute ma vie, j'ai été sensible
aux toiles de Van Gogh. Je suis
de plus en plus chez-moi, quand
je les regarde. Pourquoi est-ce important? Pourquoi ce besoin que j'ai, d'insister sur la place de l'artiste qui était Vincent Van Gogh? Je sais seulement que c'est là.

Quand on veut se faire connaître, on raconte les films qui nous ont touché, les livres, les musiques, les endroits visités. On raconte ce qu'on aime et ce qu'on déteste. Ainsi les chaises se regardent et décident si elles sont appareillées ou non.

lundi 18 juillet 2011

parfois c'est maintenant

J'ai la visite de mes deux
filles et des petits enfants.
C'est la fin du jour, et je
viens vous rendre visite.
Il n'y a rien de plus
sérieux que la fantaisie!

J'ai demandé à mes filles
leur suggestion pour ce
blog. En voici deux: la
machine à pain, puis la
machine à crème glacée
Ce sont des extrêmes!

D'abord, cette machine à
pain. Elle est encore dans
sa boîte d'origine, je l'ai
achetée chez Canadian
Tire il y a un mois. Cela
ne surprend pas mes filles,
elles savent que les grands
projets prennent le temps
qu'il faut pour aboutir.
Si tout va bien, nous ferons une tentative de boulange cette semaine. Sinon, pas de blâme.

La machine à crème glacée, c'est du vieux passé rare. C'était le dimanche, à Joliette, chez le grand-père Alexandre, dans sa cuisine. Ce devait être le Jour de l'An, car on n'était pas à la maison d'été.  Alexandre s'était accroupi devant la merveilleuse machine:  un cylindre dans un autre cylindre. Le contenant intérieur pouvait tenir deux pintes de bonne crème d'habitant, épaisse et jaune. Il y avait un bon espace entre ce premier tuyau de métal, celui de la crème, et le deuxième cylindre. Dans cet espace, Alexandre tassait des fragments de glaçons, à coups de petit poinçon, puis il soupoudrait de gros sel toute cette glace. Un couvercle enfermait le tout.

Puis commençait l'alchimie:  Alexandre, en bras de chemise, tournait la grosse manivelle et les cylindres tournoyaient.  Cela demandait un gros effort, je me souviens que chacun allait donner un coup de roue avec plus ou moins de succès:  c'était Alexandre qui avait du muscle.  Je ne regardais que lui, mon héros.

On ouvrait ensuite les couvercles de métal:  la crème glacée était en cristaux. Il faudrait y goûter maintenant pour reculer dans le temps, sur le tapis magique de cette saveur d'autrefois. Je réentendrais cette façon de parler, ce ton de la voix, de tout ce monde autour de la grande table. Si j'avais huit ans, il y a des chances que mes cousins Jacques et Rodolphe y soient venus, dans leur uniforme militaire.  Dehors il y avait plein de neige. Dans l'animation d'un repas de famille, à ce moment précis.

.

dimanche 17 juillet 2011

Le Vieil Homme et la Mer

Santiago n'attrapait rien. Cela durait
depuis 84 jours. La malchance collait
à sa barque de pêche. Ce soir j'ai pensé
à ce vieil homme qui m'a tellement
impressionné.

Écrire, c'est quitter la plage, ramer vers
le large, et jeter sa ligne à l'eau.  La main
guette s'il y aura la vibration nerveuse,
cette petite secousse qui tend la ligne,
quand un poisson vient mordre l'appât.

Il y a cette attente, quand on écrit. On
guette comme si on était un prédateur.
On est à l'affût. Il faut du silence autour.
On s'immobilise.

Le roman d'Hemingway saisit à la gorge.
Cette fameuse victoire de Santiago sur
le fabuleux espadon, dans un combat qui
s'éternise. Puis la tragédie, quand le vieux
met la voile pour rentrer, avec sa prise en
remorque: l'arrivée de la bande des
requins.

C'était à Cuba, 50 ans après l'exploit
manqué du héros du Merrimac, près de
Santiago.

samedi 16 juillet 2011

pourquoi tenir

On tient parce qu'on tient. Les raisons
de tenir, elles viennent ensuite, comme
des justifications, pour se donner raison.
Je tiens à rédiger ce texte du blog, voilà.

Pourquoi tous les jours? Il me semble
qu'on devrait écrire quand on a quelque
chose à dire, plutôt que chercher ce qu'on
va dire. J'y tiens tous les jours, parce que
j'y tiens.

Je me connais: si je commence
à sauter des jours, je ne tiendrai plus.
C'est tout le blog qui va sauter. C'est par
faiblesse qu'il faut que je sois tenace.
J'ai si souvent abandonné ces sortes
d'exercices en pensant que c'était pour
une brève interruption.

Savoir qu'il y a quelques amis, connus
ou non connus, qui s'attendent à cette visite quotidienne, cela consolide aussi ma décision de tenir. Il y a une sorte d'engagement tacite envers vous.  Cela devient une sorte d'aventure à plusieurs.

C'est un autre paradoxe de la vie humaine. On est vraiment seul, à mesure qu'on approfondit cette vie.  On est aussi vraiment relié aux autres, de plus en plus, parce que c'est ainsi. Les oies migrent en groupes. Les étoiles forment des galaxies, et même les galaxies se regroupent. Ce qui existe tient à se rapprocher de ce qui existe, tout en inventant des chemins jamais parcourus.

vendredi 15 juillet 2011

Le marque-temps

Hier je cherchais mon bouquin  Les Découvreurs
(par Daniel Boorstin). J'avais beau regarder là où
il aurait dû se trouver, niet, disparu. Oui, j'aurais
grand intérêt à ranger tout mon désordre.  Les
dieux sont bons: j'ai aperçu le volume sur un coin
de table, aujourd'hui!  Je savais qu'on y trouve
plein d'informations sur les horloges chinoises...

C'était une fameuse horloge que Su Sung avait
construite pour son empereur, en l'an 1090.  Il
fallu treize ans pour la construire: c'était un
édifice de cinq étages!  Des personnages
apparaissaient à chaque heure, et même aux
quart-d'heures!  Ils sonnaient cloches et gongs!
Mais c'était une horloge astronomique, conçue
pour établir le calendrier de tout ce qui doit
arriver dans le ciel. Un calendrier qui permettait
au souverain de gérer toute l'activité du pays.

Quatre ans plus tard, il y eut un nouvel empereur.
Selon la coutume, il fallu un nouveau calendrier,
et l'horloge céleste de Su Sung fut abandonnée.
Seuls en avaient eu connaissance quelques favoris
admis par l'empereur... Elle avait été tenue dans
le secret comme une arme qui ne doit pas tomber
dans les mains d'ennemis. Un secret militaire.

Je vous assure qu'il vous faut, vous aussi, trouver
ou retrouver le bouquin de Boorstin.

jeudi 14 juillet 2011

le chat dans le parc

Vous pique-niquez sur la colline qui domine
le Vieux-Québec.  Le soleil se couche, les
nuages s'effilochent dans le rose. C'est le
Festival d'Eté, les orchestres font trembler
et vibrer comme des appels de tams-tams.

Un petit chat vient vous retrouver, il est
chez lui sur la nappe, il flaire les fromages,
la mousse de saumon, les croûtons. Il a
une belle fourrure, une queue en panache,
mais on n'arrive pas à savoir s'il est en
balade, ou abandonné.

La lune, toute ronde, se lève dans le ciel.
Le groupe d'amis échange les dernières
amitiés, chacun rentre chez-soi. Le petit
chat n'est plus là, il fait sa vie quelque part.

Chacun de nous est celui qu'il est. Pour
un chat, on suppose que ça lui est simple
d'être dans cette vie qui est la sienne.
Pour moi qui ne suis pas encore un chat,
c'est bien mystérieux d'être cette personne
que je suis.

la voleuse d'eau

Le système est simple: un bol d'eau, troué
à sa base.  À l'intérieur du vase, des encoches
indiquent les niveaux d'eau qui sont atteints
à mesure que le récipient se vide: les niveaux
donnent l'heure qu'il est.

Les Grecs nommait cette horloge: la klepsydre.
(Hydros, l'eau. Klep, voler, dérober)  Pour eux,
le temps ne s'envolait pas, on se le faisait voler.
Vous trouvez sur Wikipedia les formidables
améliorations qui avaient été apportées à cette
horloge d'eau par l'ingénieur Clésibios.

Il avait à son crédit l'invention d'un monte-
charge hydraulique, d'une horloge musicale
animée par des personnages, d'une orgue
hydraulique très puissante, à clavier, et d'un
canon à eau catapultant des projectiles...

Mais c'est de Su Song qu'il faudra parler.
Wi (wikipedia) énumère onze professions
exercées par l'incroyable Su Song. Je vous les recopie: astronome, cartographe, horloger, pharmacologue, géologue, zoologiste, botaniste, ingénieur en mécanique, architecte, poète et ambassadeur! On devrait écrire un roman avec ce personnage plus doué que James Bond.
Vous me comprenez, j'en garde pour les jours suivants, je vous donne les informations au compte-gouttes, comme une klepsydre avare de son eau.

En attendant la suite, rebaptisez votre réveille-matin. On a démasqué sa vraie nature: c'est un voleur de sommeil, dont la mère était la voleuse d'eau.

mardi 12 juillet 2011

L'horloge à eau

Ceux qui me connaissent le savent bien:
j'ai cette tendance à redire, à radoter
alors que vous aviez compris dès la
première fois. Je tiens de ma mère
Gabrielle cette manie fatigante pour
les autres, mais qui me surprend car
je m'endure très bien!
Tout ça pour vous encourager encore
une fois à tenter l'expérience du blog.
Faire un peu de recherche, griffonner
un court texte, ça n'a rien d'excitant et
on abandonne vite l'exercice. Mais si
vous publiez, d'une façon ou d'une
autre, votre petite trouvaille, il se passe
un changement de niveau. Avoir un
out put, un babillard qui vous affiche,
cela change tout. Le désir de connaître
se rallume. Une sorte d'aventure se met
en branle.
Si j'avais des étudiants, je leur jouerais
ce tour: ils écriraient des blogs. Plus
besoin d'examens, de contrôles, de
pressions: c'est leur propre passion qui
les pousserait à ouvrir les livres, à
questionner, à s'investir complètement.

Je n'invente rien: il y a eu ces écoles où les étudiants publiaient un livre. Disons que je redécouvre à mon compte l'effet extraordinaire de la publication sur tout l'exercice de recherche et d'écriture. Vous voulez un exemple?  Je suis allé fouiller et retrouver un vieux bouquin autrefois lu avec étonnement, puis abandonné:  La science chinoise et l'Occident, par Joseph Needham.  S'il n'y avait pas cette aventure de ce blog, je ne pense pas que je me fatiguerais les yeux sur ces petits caractères d'imprimerie.  L'horloge à eau, dans tout ça? Fascinante invention... J'y reviens bientôt!

lundi 11 juillet 2011

Le balancier

Au temps de son empire, l'Angleterre impose sa loi commerciale:  les pays assujettis lui vendent à bas prix leurs matières premières, et achètent à gros prix les produits manufacturés par la métropole. C'est ce qui arrive en Chine après la guerre de l'opium. L'écart entre les revenus et les dépenses produit un déficit national. La Chine s'appauvrit pour enrichir l'Angleterre. 

Toute la structure sociale est ébranlée: les artisans chinois, en chômage, font faillite. Les agriculteurs ne sont plus capables de payer leurs dettes et perdent la possession de leurs terres. Des soulèvements populaires bouleversent la Chine. Cette énorme frustration nationale aboutit à la révolution de 1911.

C'est maintenant au tour des pays de l'Occident de connaître un énorme déficit commercial vis-à-vis la Chine. Elle importe les ressources mondiales et produit tout ce que produisaient les usines d'ici.

Ma boule de cristal devient opaque: je ne vois pas si les prochains chapitres de l'histoire du monde vont s'écrire en lettres colorées ou en noir et blanc.

dimanche 10 juillet 2011

gentillesses au Portugal






















C'était à Lisbonne. Il y avait une voie ferrée qui traversait une rue. Sur la voie ferrée, une vieille dame avait installé une couverture et ses légumes à vendre. Le vieux tramway était arrivé, il avait ralentit, sonné une cloche, puis avait fait un arrêt. Sans un regard pour cet intrus, la dame s'était levée, avait ramassé ses paquets et laissé le tramway reprendre doucement sa route. Tout s'était passé dans le calme et la discrétion.

À Lisbonne aussi. Au restaurant, les deux petites étaient choyées, d'une table à l'autre.  Nous, les parents, on n'avait pas à craindre qu'elles dérangent, qu'elles brisent des assiettes. C'était comme si une noce les avait accueillies.

Sur la rue, à Albufeira, j'avais crié à ma plus petite de ne pas faire de caprices: elle refusait de donner la main et on avait à traverser parmi les autos. Tout le monde m'avait regardé, moi le monstre qui criait après ses enfants.

Le voyage en train qui nous ramenait à Lisbonne se termine par un trajet sur le traversier.  Un groupe de jeunes avait adopté nos petites, c'était la fête dans leur compartiment de train. Rendu en gare, tout le monde nous avait donné un coup de main pour descendre les valises et trouver un taxi.

Les Portuguais: un peuple exceptionnel, qui aime les enfants. Du vrai bon monde.

samedi 9 juillet 2011

qui va piano

Je n'ai pas rabattu le couvert sur les
touches du piano: cela m'a surpris.
Il y a des gestes qu'on fait, qui nous
disent ce qui se passe en nous. Des
gestes spontanés, qui nous prennent
par surprise. Ils nous échappent. Les
jours précédents, je refermais le
piano après en avoir joué un peu.

C'est comme cette première fois où
vous laissez votre brosse à dents
chez cette amie: vous prenez racine.
Mon piano et moi, on s'adopte, on
dirait. Ça n'était pas prévu.

Il faut dire qu'il vient de se refaire
une beauté. Hier, le meilleur
accordeur de piano, Thomas
Boissinot, est venu redonner à
chaque note sa beauté de vibration.
Aujourd'hui, mon amie Isabelle
avait apporté ses cahiers de musique:
elle a joué les compositions de
Maria-Magdaléna, la deuxième
épouse de Jean-Sébastien Bach.
Je goûtais une redécouverte importante. Il va me falloir réentendre Glen Gould, comme on retourne voir les toiles de Van Gogh à Amsterdam. Thomas Boissinot m'a recommandé aussi Angela Hewitt: il en parlait avec gourmandise, comme s'il avait laissé sa brosse à dents chez Angela. Il m'a convaincu.

vendredi 8 juillet 2011

Ça pue

On allait quitter la plage, Charlot et moi.
Il avait encore de l'énergie à dépenser:
je l'ai vu qui se précipitait sur des bois de
grève, apportés par la dernière marée.
Comme il est en train de muer, ça ne m'a
pas surpris de le voir se rouler sur tous ces
débris. Il avait l'air d'en raffoler.

Charlot n'arrêtait pas de se trémousser
le dos sur ce tas de branches. C'était
l'heure de revenir à la maison, je l'ai
appelé, mais sans résultat. Vous le
constatez, je suis un éducateur négligent.
Je suis donc allé le chercher, pour le
ramener avec la laisse. Ouf!  Quelle
puanteur!

Charlot s'était roulé sur la carcasse
d'une grosse carpe en décomposition.
Le cadavre s'était camouflé en vieille
planche patinée par le temps.

C'est l'heure du shampoing obligé.
J'y vais, personne n'ira à ma place
donner ce savonnage au beau
Charlot. Il n'a aucune idée du niveau de déchéance qu'il vient d'atteindre. Je ne lui ferai pas la morale.

jeudi 7 juillet 2011

Chemises et cravates


St-Jérôme, durant les années 50.
Des manufactures à petits salaires,
la Regent Knitting, la Dominion
Rubber, la Eagle Lumber.
Charles était commis-comptable,
derrière le guichet vitré de la
Metropolitan Life. Cette mutuelle
d'assurance-vie, pendant la crise
économique des années 30, avait
fait fortune en Amérique. Ses agents
collectaient une prime que tout le
monde pouvait se payer: cinq sous
par semaine.

Les vendredis soirs, Charles devenait
commis-vendeur à la Mercerie
Castonguay: il s'occupait du rayon
des chemises et cravates. D'ailleurs,
on le payait en chemises et en
cravates!

Chez Castonguay comme au bureau
d'assurances, Charles a dû être
apprécié pour sa politesse envers ses
clients. Je suis persuadé qu'il avait
de la gentillesse, toujours maintenue dans le strict espace du service professionnel. La politesse est un outil paradoxal, qui bâtit des ponts ou bien creuse des fossés.  Dans un premier temps, la politesse exprime le respect qu'on a pour l'autre. Si on accentue cette politesse, elle devient une arme qui repousse l'autre et le maintient à distance.

Mon père a été derrière ce guichet de la Metropolitaine durant 40 ans. J'ai cette forte impression qu'il n'avait aucune curiosité pour le quotidien de ses clients. Il était ainsi, il ne forçait pas la note. Pour lui, cela aurait été inconvenant d'entrer dans la vie des autres en s'informant des projets de vacances, de la santé de chacun, des études des enfants. Charles évitait tout ce bavardage. Cela lui permettait d'être efficace dans ce qu'il faisait, tout en restant en retrait. Il protégeait jalousement sa vie privée.

Depuis sa mort, je fais connaissance avec lui. J'aurais aimé qu'il écrive ses mémoires, tout ce qu'il avait vécu.  Très tôt dans sa vie, il s'était enfermé dans ses secrets, puis il avait perdu la clé.  Maintenant je le découvre dans son silence. Il écoutait longuement le chant des oiseaux. Il passait des heures à bêcher son jardin, à s'occuper des bulbilles de glaïeuls, à parcourir les catalogues de semis. Il était simplement lui-même.

mercredi 6 juillet 2011

Ça pousse tout croche

La nature est farcie de paradoxes. Le prévisible et
l'imprévisible: deux faces de la même médaille.
Ma fille Eve m'a suggéré d'examiner cela dans ce
blog, (Vos suggestions sont aussi les
bienvenues!)
La science moderne procède ainsi:  à partir
d'observations multiples, on se risque à bâtir
une hypothèse.  Puis on fait une série
d'expériences pour vérifier si l'hypothèse
tient le coup. Quand l'hypothèse fonctionne, on
en déduit une loi abstraite. Le jour où cette loi
n'arrive pas à expliquer ce qui se passe, il faut
risquer une hypothèse nouvelle, la valider par
des expériences puis formuler une nouvelle loi.
Tout cela est dans le domaine des idées. La
nature n'obéit pas aux lois que nous formulons.
Elle obéit à elle-même. Les lois naturelles ne
sont que des constructions abstraites, des idées
humaines  pour saisir ce qui se passe.

Les arbres poussent tout croche. Chaque branche
tend ses feuilles vers la lumière en cherchant la
position la plus favorable, parmi les autres
branches affamées de photons.  Et puis il y a
le vent dominant à cet endroit précis. C'est une
danse constante, une chorégraphie à plusieurs. Les ruisseaux aussi s'inventent des chemins sinueux. Ils s'adaptent à ce qui se présente, quitte à contourner longuement un obstacle. Les humains rêvent de lignes droites. Elles sont idéales:  du domaine des idées. En géométrie, même les lignes courbes sont raisonnées comme des séries de petites lignes droites. Ainsi on peut fabriquer les voies ferrées, aux courbes bien calculées.

Il y a donc un tiraillement continuel dans notre cerveau. À chaque pas nous rencontrons un foisonnement d'êtres, dans un chaos apparent. Notre cerveau nomme les couleurs, les formes, les utilités, il catalogue, collectionne. Nous imaginons la suite du voyage et cette histoire inventée suit une ligne droite. Notre cerveau est ainsi. Il fonctionne comme un mathématicien qui se base sur des statistiques. Le ruisseau n'a pas ce problème, nous avons ce problème: celui d'habiter deux univers, celui de notre pensée abstraite, qui prévoit des lignes droites, et celui du réel, qui pousse tout croche.

mardi 5 juillet 2011

Divagations

Donnons-nous mutuellement le droit de divaguer,
de fabuler, de penser librement, pour le plaisir de
donner de l'espace à l'imaginaire. Vous allez
comprendre: ce préambule installe un filet de
sécurité.
À quoi pensent les morts? Ils ont du temps,
beaucoup de temps. À quoi pensent-ils?
Ils ont quitté le temps. Terminée, cette alternance
du jour et de la nuit, et celle des saisons. Ils
n'attendent pas le printemps, ni la première
neige.
Les morts ont-ils des émotions?  Ont-ils de la
tristesse de ne plus être avec nous?
Est-ce qu'enfin ils voient tout cet univers
avec les myriades de galaxies qui naissent
et disparaissent?
Est-ce que les morts continuent d'être les
personnes qu'ils ont été?
Parfois on devient la musique qu'on entend,
elle nous fait danser. Parfois on devient
ce qu'on regarde avec intensité. Est-ce ainsi
pour les morts?
Est-ce comme une naissance à tout ce qui
existe?  Comme les papillons qui ont terminé
ce temps d'être une chenille?

C'est un grand luxe qu'on se paie,  une grande liberté qu'on s'offre, de se permettre de ne pas savoir. Les enfants posent directement ces questions:  c'est comment, la mort?  Où est-ce qu'il est parti? Les adultes paniquent, se précipitent sur des réponses apprises. Les réponses sont comme des tapis sous lesquels on cache les questions embarrassantes, pour ne pas les voir.

Ces derniers mois, les astrophysiciens ont analysé une lumière qui a voyagé douze milliards d'année. Ils en ont vu des choses, ces photons!  Un esprit humain, est-ce comme une lumière, comme une onde vibrante?
Le merveilleux, qui caractérise tout ce qui existe, il annonce tellement plus que ce qu'on peut imaginer... Pourquoi on ne ferait pas confiance à cette générosité d'existence?

lundi 4 juillet 2011

Un très beau voyage

C'était dans le testament de Claude Lefebvre.
Une lettre qui remerciait Dieu pour cette vie
qui avait été un voyage de plus en plus beau.

J'ai appris aujourd'hui le décès de Claude.
Je le connaissais depuis une cinquantaine
d'années. Il avait été prêtre ouvrier, dans la
construction, à Brooklyn. Un curé très
spécial, Fils de la Charité. Hors norme.
Je le rencontrais une fois par année, autour
d'un bon souper et d'une bouteille de rouge.

Il avait découvert que le plus important,
pour un croyant, ce n'était pas l'aplatissement
devant l'autorité, comme le voulaient les
jésuites, mais la liberté. Pour Claude,
il fallait que l'Eglise réapprenne la liberté.

Quel chic type. Aucune prétention, aucune
enflure, chez lui. Il avait plein d'humour.
Le Dalaî Lama et lui, ça aurait fait deux
bons copains.

Pour me préparer à ce blog, je suis allé
écouter les vagues qui s'écrasaient sur la
plage, au bout de l'île. Mon chien Charlot
est entré jusqu'à mi-jambe dans le fleuve,
pour boire à sa soif.

Quel plaisir pour l'oreille, ce bruit renouvelé des vagues.  Pouvoir goûter cet extraordinaire privilège d'exister, dans cet univers qui existe, le temps d'un bon voyage: je sais que l'ami Claude vivait la même émotion.

dimanche 3 juillet 2011

Roncalli Jean 23

Je voulais faire un blog soufflé à l'hélium,
un blog qui nous allège, pour une fois.  Je
ne promets rien.  Si je manque mon coup,
pas de blâme.
Hier je racontais comment l'Angleterre
puritaine de la reine Victoria avait mené
deux guerres contre la Chine pour imposer
le commerce extrêmement lucratif de
l'opium.
Marx a écrit que la religion est l'opium des
peuples: en prêchant la soumission et
l'obéissance docile à toute autorité, les
églises se rangent habituellement du côté
du pouvoir établi.  Dans le cas de la Chine,
l'opium n'a pas endormi le peuple. C'est
un paradoxe: cet opium britannique a
affaibli l'économie nationale et le prestige
de l'empereur, obligeant la Chine à faire la
révolution.

Tout ça pour parler de Jean 23. Ce pape,
c'est de l'hélium. Il n'a pas besoin de
canonisation pour grimper au ciel. Oui,
c'était plus que de l'oxygène qu'il apportait
à l'Eglise catholique. Un souffle d'euphorie incroyable. Tout d'un coup, une transformation devenait possible. La statue de marbre s'animait et devenait vivante, capable d'entendre: elle descendait de son piédestal. Pour un temps très court, les fenêtres se sont ouvertes, poussées par un vent de liberté. Ça sentait le printemps. Puis les cardinaux ont éternué et les fenêtres se sont refermées.

C'est un paradoxe de plus: cette institution qui enseigne la possibilité des miracles,  elle a mis fin au miracle de sa transformation. Jean 23 me fait penser au pharaon Akhénaton, le père de Toutânkhamon.  Akhénaton avait révolutionné la religion égyptienne, proclamant un seul Dieu. Il avait aussi révolutionné l'art, permettant une façon toute nouvelle de peindre, de sculpter, de voir. À la mort du pharaon, on se hâta de revenir à la tradition millénaire.  Tout comme Akhénaton, le bon pape Jean 23 est une parenthèse exceptionnelle, un ballon soufflé à l'hélium, qui grimpe et se perd dans le ciel, sous le regard des enfants.

samedi 2 juillet 2011

l'opium obligatoire

J'ai donc continué à lire sur la Chine
d'avant Mao. Je croyais que la révolution
de 1911 était venue par contagion, une
sorte de printemps des changements,
dans la vague des révolutions russes,
allemandes, espagnoles, mexicaines.

Quand on remonte cent ans avant cette
révolution, on comprend mieux. On
saisit que la Chine a été malmenée,
secouée, appauvrie, humiliée, affaiblie
par l'Angleterre, puis par les autres
nations occidentales. Il faut lire et relire
le récit des deux guerres de l'opium. Il
faut connaître ces traités tellement
désavantageux pour la Chine, imposés
par les armes de l'Occident.

Cela me fait très étrange, d'apprendre
ce passé de la Chine. Je simplifiais en
pensant à une société rurale, féodale.
Ce sont les coups de bélier, les agressions
occidentales qui ont finalement brisé
l'ordre ancien, celui de l'Empire du
Milieu.

J'ai été tenté de traiter le sujet par un autre chemin:  j'aurais mis en scène la reine Victoria, à qui l'Empereur chinois avait écrit qu'il ne voulait pas d'opium sur le territoire de la Chine.  Cette reine Victoria, chef de l'Eglise anglicane, représentante de la morale chrétienne, elle n'était pas passive dans la gestion de l'Empire britannique. Les énormes profits de la Compagnie des Indes Orientales pesaient davantage que des considérations humaines et morales.

vendredi 1 juillet 2011

Le jour de l'humiliation

Incroyable comme l'aventure de ce blog
me fait ouvrir des portes et des fenêtres.
Jamais je n'aurais deviné ce goût d'en
savoir plus et encore plus, à mesure que
les sujets traités ouvrent des pistes.

Ainsi, la révolution chinoise de 1911...
Je n'en connaissais rien. D'ailleurs, dans
nos années d'étude, toute l'histoire de la
Chine restait  dans le noir, comme si
n'avaient existé que la Grèce, Rome,
le Moyen-Âge européen, et les
transformations en Occident.  J'essaie
donc rapidement de suppléer un peu
à toute cette ignorance que j'ai.

Il m'est venu l'idée de chercher du côté
de la construction du chemin de fer
pan-canadien: les Chinois y ont beaucoup
travaillé...Évidemment cela m'a conduit
ailleurs: c'est la magie des sources
inattendues sur internet.

Je me suis retrouvé sur Le Chemin, un
documentaire par Keith Lock, qui explore
la vie de Lem Wong, immigré chinois. Quelles belles réalisations: celle de la famille de Lem, et celle du cinéaste Keith Lock. (Et puis, il y aurait la cinquantaine de documentaires réalisés sur des familles d'immigrés, dans la collection Mémoires d'un pays).

J'apprends aussi en ce jour de la Fête du Canada, que cette date était La Journée de l'Humiliation pour la communauté chinoise canadienne. Le pays avait voté une loi d'exclusion, rendant l'immigration chinoise impossible,  pour protéger les Blancs d'ici contre la concurrence de gens bien décidés à travailler dur. Nous venons de loin.