jeudi 30 juin 2011

Avant Mao

Je consulte le gros bouquin:  The
Timetables of History.  Sur 7 colonnes,
page après page, le volume redit
les événements marquants sur les
aspects politiques, littéraires,
philosophiques et religieux,
arts visuels, musique, science et
technologie, vie quotidienne.
Les informations débutent
5,000 ans avant l'ère chrétienne.

Suis allé voir les faits marquants pour l'an
1911, il y a un siècle.  J'y trouve l'énorme
bouleversement de la société chinoise.

Pourquoi ce cataclysme social arrive-t-il
en 1911?  Les révolutions de cet ordre de
grandeur ne sont pas des accidents du
hasard. Quand ces incendies éclatent,
il faut savoir que le feu a couvé un bon
moment avant de se manifester.

La globalisation n'est pas un phénomène
récent:  les grands courants
révolutionnaires ont embrasé toute la planète, tous les empires. Le vent des émotions passe par dessus les frontières et fait claquer tous les drapeaux, sans égard aux couleurs des tissus.

Nous sommes fin juin. Dans un peu plus de trois mois, en octobre, tout va basculer dans cet empire qui semblait immuable, éternel, hors du temps.  Pour connaître l'histoire, il faut reculer avant les événements, les sentir venir, en entendre le grondement lointain. Le ciel s'obscurcit.

mercredi 29 juin 2011

Rêver à plusieurs. Prise 4

Si vous m'avez suivi d'épave en
épave, à mesure que le Merrimac
sombrait puis reprenait ses esprits
en cale sèche, pour sombrer de
nouveau, plombé par un karma
inexorable, vous vous retrouvez
comme moi devant une tâche à
terminer. Fini le farniente, faut
se retrousser les manches de
chemise.

Je vous partage les dernières infos
sur Georges Charrette, avant qu'on
se lance ensemble dans notre folle
enquête.

Sur Google, on visionne un court
video: le monument inauguré en
2009 à Lowell pour célébrer notre
héros.  J'y ai fait une trouvaille et
je dois rectifier le récit des derniers
jours. Je me suis fourvoyé et vous
ai mis dans la tête des idées pas
catholiques sur la vie romantique
de Georges. Il n'a pas épousé une princesse chinoise. Elle était russe.

Elle s'appelait Nadajda.  Née en 1891. Au moment de la révolution bolchévique, je suppose que sa famille a dû fuir, si elle était de l'aristocratie. Elle avait alors 26 ans et Georges, qui l'a épousé, en avait 50. Je n'en sais pas plus.

Votre tâche est simple:  vous trouvez, pour nous le partager, le vrai récit.  Celui que narrait Georges, quand il bourrait sa pipe et racontait sa vie de bourlingueur. Comment il a rencontré cette Nadajda et ce qu'il savait de cette révolution russe. Son tour du monde, à répétition, à mesure que l'histoire mondiale colorait les continents. Est-il retourné à Cuba? A-t-il revu les Espagnols? Comment a-t-il vécu la première guerre mondiale?

Il y a des sources officielles, les sociétés historiques. Mais j'ai l'intuition qu'il y a eu des récits, quand c'était le jour de l'An à Lowell, à Suffolk ou à Plymouth, qui peuvent nous ouvrir des pistes.

Oui, on est maintenant à plusieurs pour retrouver cette histoire. Ce que vous me partagez, je le mettrai sur le blog. Notre aventure fera moins de dégât qu'une croisade, elle est complètement farfelue.  En attendant que vous rapportiez vos trésors, je vais fureter sur d'autres sujets, mais toujours avec cette attente, en arrière de la tête:  la suite des aventures du héros du Merrimac.

mardi 28 juin 2011

une picouille flottante. prise 3

Ce Merrimac était plombé par le destin:
à répétition il sombrait, et toujours on le
renflouait.  Je le cherchais dans la liste
des navires participant à la guerre contre
l'Espagne, en 1898.  Pas de mention du
Merrimac. Pourtant Georges Charrette
avait allumé la mèche, et on l'appelait
le héros du Merrimac.

Le récit de cette guerre, pour libérer Cuba
de l'emprise espagnole, est fascinant. On
apprend comment les journaux ont forcé
la main des politiciens qui ne voulaient
pas de cette aventure. J'en lisais les
péripéties quasi rocambolesques, tout en
cherchant à l'horizon mon Merrimac.

Horreur! aucune mention d'un chenail
obstrué par l'épave héroïque! La flotte
espagnole avait quitté le port de Santiago
le matin du 13 juillet. Ils étaient en
mauvais état pour combattre. Les navires
américains les avaient pris en chasse et les
avaient détruits en quelques heures.

J'avais la gorge sèche. Le journal La Presse avait-il raconté des sornettes, en célébrant Georges Charrette, le héros qui avait précipité la défaite espagnole?  En tout cas, jusqu'à la dernière ligne, Wikipédia gardait un silence poli sur le fond de l'affaire.

J'ai cessé de tourner autour du pot et suis allé à la recherche de Georges Charrette, vu l'absence du Merrimac dans le récit de cette guerre. Ouf!  Enfin!  Le héros sortait de l'ombre. Mettez votre ceinture de sécurité, on décolle.

C'est l'histoire d'une picouille agonisante, un cargo chargé de charbon, toujours en panne mécanique.  Il avait usurpé un nom glorieux, celui de Merrimac. Evidemment qu'on ne mentionne pas son nom parmi les gloires de la flotte de guerre. Une grosse barge de ravitaillement, tellement problématique qu'on a songé tout de suite à l'utiliser pour une opération kamikaze.  Un suicide, du moins pour la brochette de jeunes marins qui avaient à l'échouer dans cette embouchure du port de Santiago. L'opération eut lieu dans la nuit du 3 juin 1898.

Jusqu'à la fin, ce Merrimac a été pitoyable: il n'a même pas réussi à se positionner correctement pour mourir dignement. Il a été copieusement mitraillé par les batteries espagnoles. Au petit matin, cramponnés au canot de sauvetage qui flottait à l'envers, les huit héros ont été rescapés par une vedette espagnole, puis  emprisonnés. Un mois plus tard, après la destruction de leur flotte de guerre, les Espagnols capitulaient et libéraient les braves.

Ce serait bien de connaître la suite: les quarante années de vie qui ont suivi l'épisode du Merrimac. Toute cette famille des Magnan et des Charrette, à Lowell...  Dans mon imaginaire d'enfant, il y a toujours la princesse chinoise, et le tour du chapeau: Georges Charette faisant trois fois le tour du monde...

lundi 27 juin 2011

le vrai Merrimac. Prise 2

Sous le titre ¨100 ans d'actualités¨
le journal La Presse, il y a 25 ans,
publiait des manchettes d'autrefois.
Une édition du journal célébrait le
héros dont je m'étais moqué, ce
petit cousin de ma mère. Le dimanche
21 août 1898, La Presse n'avait pas
lésiné: on avait donné à Georges
Charrette la première page.


On racontait le sabordage du Merrimac
à l'embouchure du port de Santiago
de Cuba. Quelques volontaires avaient
risqué leur vie dans cet exploit.  Sous le
feu de la mitraille ennemie, il leur fallait
faire exploser leur navire pour obstruer
le chenail. La flottille espagnole s'était
retrouvé bloquée au fond de l'entonnoir.

Georges Charrette était de chez-nous:  son père, Alexandre, avait épousé Joséphine Magnan. Tous deux venaient de Ste Elizabeth, un petit village au nord de Joliette. Joséphine, c'était la soeur d'Élie, mon arrière grand-père maternel qui élevait ses abeilles derrière sa maison de ferme.  Ça ne faisait pas de différence que Georges soit né à Lowell, Mass. C'était une petite ville industrielle à majorité canadienne-française.

Cette fois-ci, je pouvais compter sur Wikipédia pour en savoir plus. J'ai donc lancé la recherche en tapant le nom du Merrimac.  Il s'agissait d'une frégate, un trois-mâts, pris dans la tourmente de la guerre civile entre Confédérés du Sud et Unionistes du Nord. Les troupes de l'Union avaient incendié le Merrimac alors qu'il était en réparation, en Virginie. Les confédérés avaient récupéré l'épave, l'avait bardé de plaques de métal, l'avait équipé d'un éperon de fer, puis l'avait rebaptisé Virginia.  Dans ses premiers combats, ce monstre de fer avait terrorisé l'ennemi. Il avait affronté le Monitor, pour un match nul. Finalement les confédérés l'avaient sabordé: c'était en 1862.

Y avait-il eu un autre navire de guerre du même nom?  J'ai donc replongé dans l'histoire d'une autre guerre, menée une trentaine d'années après la victoire de l'Union sur la Confédération.  Décidément, le Merrimac tenait du sous-marin!  Je n'étais pas au bout de mes lectures!

Le héros du Merrimac, scène 1

À chaque dîner du Jour de l'An, c'était
le rituel obligé:  je demandais à ma
mère Gabrielle de nous raconter
l'exploit de Georges Charrette,
le héros du Merrimac.

C'était un peu méchant de ma part.
Le récit permettait d'en rire, car
Gabrielle s'enflammait toujours
pour célébrer son petit cousin de
Lowell, Mass. Il reposait au
cimetière national d'Arlington.

Ma mère n'avait aucun document
pour étoffer les prouesses de son
héros. Elle était la seule de la
famille à en parler.  Il faut dire
qu'elle seule avait visité toute
cette parenté émigrée aux Etats,
quand elle avait vingt ans.

Du récit de ma mère, j'ai retenu
des images de bande dessinée.
Notre héros de famille avait allumé la mèche d'une charge explosive pour couler son bateau, une fois parti le reste de l'équipage. Le sabordage du Merrimac avait bloqué la route à la flotte ennemie. Puis, après cette guerre,  Georges Charrette avait épousé une princesse chinoise et il avait fait trois fois le tour du monde.

À l'époque je croyais le mot à mot de la Bible: c'était du sérieux. Personne n'aurait mis en doute la résurrection de Lazare et ça ne prêtait pas à rire.  Le héros du Merrimac, lui,  il n'ajoutait rien à l'histoire sainte et je pouvais en rigoler. Je ne cherchais même pas à savoir quelle était cette guerre où il avait fallu couler le Merrimac.

Pour ne pas dire trop de sottises dans ce blog, j'ai fouillé un peu plus cette histoire. Cette recherche m'a donné de vraies surprises...   Vous vous en doutez, comme pour les Lucky Luke, c'est en quelques épisodes...

samedi 25 juin 2011

Pianissimo

Dans le salon, le dos au mur, mon vieux
piano attend. Un piano, c'est quelqu'un
de vivant, avec une naissance et une
mort. Quand on le fréquente, on entend
une voix qui est la sienne, une voix
différente des autres voix.

Personne n'a autant de patience, dans
cette maison, que mon piano. Les chats
n'ont aucune patience: quand ils veulent
entrer ou sortir, ils ne mâchent pas leurs
mots. Si leur plat est vide, j'entends
clairement leurs commentaires sur ma
négligence.  S'il y avait un concours de
patience, mon bouvier Charlot se
classerait très bien, mais il lui faudrait
concéder au piano la médaille du premier
prix de patience.

Pâtir, c'est souffrir. La patience, c'est la capacité d'endurer longtemps.  Mon piano endure le silence depuis des mois: depuis la visite de Roger qui s'était installé sur le petit banc pour jouer une mélodie. Avant cette visite de Roger, pour entendre les vibrations du piano, il faut remonter le temps jusqu'à  la visite de Gilles: lui-aussi se laisse aller à réveiller la musique.

Le silence, pour un piano, c'est signe d'une mise en quarantaine. Il garde silence quand il n'a personne à qui parler. Il ressemble à un dissident qui n'a pas droit de parole dans un pays totalitaire.

Certainement qu'après cette écriture du blog je vais regarder autrement mon piano silencieux. Je l'ai traité comme s'il était un meuble, utile à supporter une horloge et une lampe, et décoratif vu son antiquité. ll va me falloir réparer l'injustice, me réconcilier avec lui.  Appeler l'accordeur de piano pour qu'il vienne ajuster les cordes vocales du vieux piano, lui refaire une beauté. Ce meuble redevient quelqu'un: voilà à quoi servent les blogs.

vendredi 24 juin 2011

Les ailes de Colombo

La BBC nous apprend le décès de
Peter Falk. Mon ami Colombo, le
détective qui n'avait l'air de rien.
Évidemment qu'il ne me connaissait
pas, mais j'étais son ami quand même.

Encore et encore, j'ai regardé le film
Les ailes du désir. Colombo nous y
livrait sa vraie nature:  il était un de
ces anges qui en ont eu assez d'être
des ange-gardiens. À force de nous
côtoyer,  il leur venait ce besoin de
connaître de l'intérieur ce que c'est,
une vie humaine. Quand la décision
avait bien mûri, ils franchissaient le
pas, ils atterrissaient dans la vraie vie.
Quelle extraordinaire fantaisie!

Dans ce film, Colombo venait à
Berlin pour un contrat de travail.
Il en profitait surtout pour penser tout haut. Il humait l'air, sentait la présence de ses anciens collègues, ces anges hésitant encore à s'incarner. Il leur tendait la main.

Et puis, surprise:  Colombo dessinait dans son calepin les gens autour de lui. J'étais encore plus son ami.

jeudi 23 juin 2011

À la sueur de ton front

La sueur est un bienfait: elle nous
permet de diminuer la chaleur du
corps, elle vient contrer la fièvre.
Depuis des millions d'années, les
primates ont cette chance de suer:
les chimpanzés et les gorilles
transpirent d'une façon semblable
à celle des humains.

La culture judéo-chrétienne nous a
transmis que le travail est un malheur,
un châtiment: Tu gagneras ton pain à la
sueur de ton front.  Selon cet étrange 
héritage culturel, le travail est une
punition divine qui afflige tous les
descendants du père Adam.  Comme il
a goûté au fruit de l'arbre
de la connaissance du bien et du mal,
nous sommes condamnés aux travaux
forcés.

Peut-être que cette histoire nous vient de très loin:  elle serait celle des humains devant l'invention de l'agriculture. Quitter la chasse et la cueillette pour s'atteler à une charrue, cela devait ressembler à une perte de liberté, une sorte d'asservissement, comme celle du boeuf qui aide au labour. Il y a une dizaine de milliers d'années, un changement aussi grand dans la façon de vivre a dû provoquer beaucoup de résistance.

Quelle étrange invention mentale: Yahvé punissant les hommes en les obligeant à suer dans le travail, pour avoir du pain sur la table. La preuve que les humains étaient punis:  les dieux, eux,  n'avaient pas à travailler. Ils festoyaient, allongés autour d'une table bien garnie. Ainsi nous avons absorbé religieusement, dévotement, que le travail est une déchéance, un goulag. Il a suffit d'une histoire, celle d'un paradis perdu à la suite d'une désobéissance.

Le groupe humain aurait pu choisir une histoire différente, sans la culpabilité, sans le châtiment de la sueur pour gagner son pain. Nous sommes encore habités par cette histoire. Pour en sortir, il faudra en écrire une autre. Il était une fois...

mercredi 22 juin 2011

le soleil se couche

Vous est-il arrivé de penser, en regardant le
soleil se coucher, que la planète terre,
doucement, basculait dans votre dos?
Toujours on le voit descendre, le soleil.
On a une sorte de regret à le voir ainsi
disparaître sous la ligne d'horizon.
Et pourtant c'est nous qui le quittons,
et c'est lui qui devrait ressentir la nostalgie
de notre départ pour la nuit.

C'est quand même étrange que l'Eglise
chrétienne aie torturé et assassiné les
hommes de science qui osaient contredire
les vieux textes bibliques. C'était écrit
qu'il y avait eu ce miracle, cette intervention
de Yahvé, pour stopper la descente du soleil
et permettre ainsi à l'armée juive de passer
au fil de l'épée l'ennemi qui pensait fuir
en profitant de la nuit... C'était une écriture
dictée par Dieu, oui ou non?

Nous n'avons toujours pas appris à nommer
correctement cette plongée, quand le sol
bascule vers l'est. Nous continuons à nous
sentir immobiles sous le ciel. Nous préférons habiter nos vieilles histoires plutôt qu'une réalité qu'il faudrait habiller de mots. Nous pensons savoir que la terre tourne autour du soleil, mais cette connaissance n'a pas fait ses racines en nous.

Nous savons qu'il y a des millions d'étoiles tout autour de la terre, dans toutes les directions, mais nous ne pensons qu'à celles que nous pouvons observer la nuit au-dessus de nos toits. Le jour, c'est tout comme si les étoiles n'existaient plus.  Notre connaissance est une mince pelure, elle n'est pas profonde.

Une carrière voisine nous vend des pierres vieilles de 60 millions d'années. La Bible enseignait un passé vieux de 4,000 ans:  c'est comme si notre imaginaire s'était figé sur cette dimension. On a beau savoir que ce caillou a été formé il y a des millions d'années, cette connaissance est un fantôme vide, habillé de draps. Nous n'habitons pas ce que nous pensons connaître. C'est comme visiter un musée prétentieux, dans une ville étrangère: ça nous éblouit seulement.

Un humain, pour connaître, doit se raconter une histoire vivante d'émotion. Il faut toucher et être touché. Il faudra un jour apprendre bien autrement la science de l'univers.

Le plancher vibre sous l'orchestre

Je sais tellement peu le monde
que connaît mon chien Charlot,
et celui que connaissent mes chats.
Ce qu'ils observent, ce qu'ils
entendent avec plein d'attention,
et ces odeurs qu'ils identifient
en y mettant tellement de temps,
c'est un univers où je me déplace
comme un robot bien insensible.
Qu'est-ce que je sais de leurs
rêves, car ils rêvent beaucoup?

J'apprends dans les livres cet
autre sens qui niche dans les
yeux de tout ce qui regarde,
et qui peut s'ouvrir, selon les
besoins des espèces, à voir
les chemins que dessinent les
pulsations magnétiques de la
planète.
Nous avons bien ce sens musical qui niche dans nos oreilles pour construire les mélodies incroyables de beauté dans notre cerveau...

C'est tout neuf, cette validation par des expériences très fines, très subtiles:  une vingtaine d'années seulement. Ce sont des faits vérifiés: les bactéries, les plantes, les insectes, les mammifères, nous inclus, nous avons à des degrés divers cette sensibilité à cette force magnétique qui nous traverse.
Un aimant aligne la limaille de fer... La terre aligne aussi des chemins qui sont évidents aux pigeons voyageurs, aux sternes qui migrent du pôle nord au pôle sud. Notre inconscient doit le savoir depuis longtemps.
Les ondes qui circulent entre nous sous forme d'intuitions, comme des appels à nous souvenir de l'autre, ces ondes sans doute utilisent ces routes magnétiques, comme le font les messages électroniques qui se glissent dans les câbles sous-marins.
D'une façon, tout ce qui vit se balance sur une seule toile d'araignée qui a un rythme, une cadence, un battement de coeur. Sans le savoir, nous accordons nos violons, nous tapons du pied. Sans le savoir encore.

lundi 20 juin 2011

ponctualité d'autrefois

 C'était à la bonne époque romaine. Les
messagers étaient partis dans toutes les
directions, donnant l'ordre à tous les
hommes en âge de combattre, de se
réunir.  C'était avant Alésia, avant la
défaite de Vercingétorix.
Il me faudra relire La guerre des Gaules
pour retrouver les détails de cette
fameuse assemblée des braves. Ce dont
je me souviens aujourd'hui, c'est de
l'obligation qui était faite à chacun
d'y aller à l'instant, en quittant
tout le reste..

C'est à frémir, quand on y pense:
Le dernier à se présenter à la réunion,
on lui coupait la tête, pour la ficher
au bout d'un piquet. Ensuite seulement
commençaient les délibérations.

Quand un lion attaque une troupe de
gazelles, celle qui est plus lente, parce
qu'elle est affaiblie ou blessée, c'est elle
qui tombera sous les griffes du prédateur.
Le lion ne pose pas de question, et cette
coutume des Gaulois n'en posait pas.
Quelle férocité, quand même.

Vingt siècles plus tard, c'est l'inverse:  on perd la tête à tâcher d'être le premier.

dimanche 19 juin 2011

une tête de cochon

Gabrielle, ma douce mère, ne lâchait jamais
le morceau. Je ne sais pas si elle avait
hérité cette force de caractère de la lignée
Magnan, celle de sa mère, ou de la lignée
paternelle, les Dugas.
Selon le point de vue, cette sorte
d'entêtement passe pour une qualité
respectable, ou bien pour un sacré défaut.
Mon père Charles frappait un mur
s'il voulait négocier un compromis avec
Gabrielle:   Il n'y avait aucun espace pour
une discussion où chacun entendrait
la pensée de l'autre. Jamais on n'aurait pu
convaincre ma mère d'un point de vue
différent du sien.  Si elle voulait obtenir
qu'une fenêtre soit percée dans le mur,
elle revenait à la charge, encore et encore,
des années durant.

Je tiens de mes deux parents:  parfois je suis buté comme les ânes sont supposés l'être, parfois je hausse les épaules, je laisse aller, comme Charles le ferait.
Quand on grandit avec une mère aussi entêtée, on développe une capacité spéciale, une inertie au moins égale à la pression qu'elle met. Mon gros bouvier fait la même chose: il s'accroupit de tout son long, pour bien dire qu'il n'ira pas plus loin.
L'autre façon de tenir son bout consiste à devenir secret, à faire à sa tête tout en évitant l'affrontement.
J'ai connu ainsi un homme qui vivait toute la journée dans sa cave, où il avait installé son atelier.  Son épouse ne le voyait qu'à l'heure des repas.  Ainsi il avait la sainte paix.

Les stratégies de survie qui nous collent à la peau deviennent parfois des armures bien encombrantes en temps de paix.

samedi 18 juin 2011

message ailé du destin

Si vous vous retrouvez avec un oiseau
qui voltige dans la maison, ça annonce 
un malheur.  Ma mère en était certaine. 
Le jour où sa petite fille de 3 mois était 
morte, il y avait un oiseau qui se butait 
contre les murs. 
Je n'aime pas quand mes chats rapportent 
un oiseau et le regardent se débattre au 
milieu du solarium. Je fais fuir les chats, 
j'enveloppe l'oiseau blessé dans une
serviette et le transporte à l'abri, dans
les buissons. 
Ça n'est pas arrivé, ces jours-ci.  Alors 
je me demande d'où me vient ce souvenir
de l'oiseau qui était présage de malheur
du temps de l'enfance.
Les pensées surgissent de l'inconscient 
sous forme d'images. Je ne sais pas quel 
chat est descendu dans cette cave obscure
pour en remonter avec ces battements 
d'ailes dans son bec.

Dans notre vieux passé d'humanité,
les gens étaient persuadés qu'il fallait
prêter attention aux signes:  le vol des oiseaux était observé par le général romain en campagne militaire:  si l'oiseau de proie volait vers la droite, il fallait attaquer. S'il glissait dans le ciel vers la gauche, du côté sinistre, il fallait respecter cet augure et retraiter.

Nous apprenons l'alphabet, nous lisons les phrases écrites dans notre langue. Nous pouvons nous initier à d'autres alphabets, à d'autres langues écrites. Mais les signes préhistoriques qui nous habitent, il faut aussi y prêter attention, vu tout ce monde qui nous a précédé. Ils avaient notre intelligence, nos émotions, notre humour. 

jeudi 16 juin 2011

Lui et moi

Un vieux bibelot. 
Accroupi, un chinois 
joue de la flûte. 
L’index de 
sa main gauche 
bouche un trou 
de son instrument. 
Sa main droite 
allonge les doigts 
et s’appuie doucement 
sur la flûte, 
comme pour caresser 
le son qui passe.
Il incline un peu sa tête 
de côté. Je me dis : il est parti dans sa musique, celui-là.  Il ne joue pas pour un public, il n’a rien d’un soliste qui performe et s’attend qu’on l’applaudisse ensuite.

Depuis une bonne trentaine d’années j’ai cette statuette blanche. Elle me vient de tante Margot, la sœur de mon père. J’ai regardé sous le bibelot, c’est écrit Japan : mon vieux Chinois devient un moine japonais : avec son petit chignon noué derrière la tête, ça ne peut être qu’un moine. Il porte une tunique épaisse, une sorte de bure, et une veste cintrée par une ceinture. La petite statue a jauni comme si elle était en vieil ivoire. Les plis creux de son manteau ont ramassé une poussière fine qui ajoute une ombre.

D’habitude je jette seulement un coup d’œil distrait au vieux musicien. Pour être franc, je ne regarde jamais. Il est comme en pénitence, dans un coin où je l’oublie. La dernière fois que je l’ai vu, il me tournait le dos, ça ne le dérangeait pas et moi non plus. On est comme des aveugles, lui et moi : on ne voit pas si l’autre nous tourne le dos. Mais ce matin, je l’ai enlevé du fouillis où il disparaissait.
Au lieu de le déménager dans un autre fouillis, je l’ai installé sur la table de la cuisine, nettoyée de toute sa paperasse. Voici donc qu’il occupe seul tout l’espace.




Il joue une musique que je n’entends pas.  Je devine seulement que c’est une note grave, prolongée. Le moine souffle légèrement dans sa flûte. On dirait qu’il applique un long baiser sur un son grave.
Il est confortablement assis, tout droit, absenté dans cette musique qui se prolonge.  Ça ne peut pas durer toujours, cette immobilité. Il va finir par lever la tête vers moi ? Je vais voir son sourire ?
Il va se lever doucement, il va déposer sa flûte et s’approcher de mon chat Waterman pour le caresser. Il va penser à se faire du thé. Il va s’occuper à tisonner un peu le poêle, à rentrer un peu de bois de chauffage. Cette lettre qu’il a reçue, il va enfin la lire et s’installer pour y répondre.

Pour le moment il ne bouge toujours pas. Il est ailleurs, quelque part dans cette vibration d’une note de musique.  C’est un filet d’eau, un petit ruisseau de rien du tout, qui l’emporte. 

mercredi 15 juin 2011

Broyer du noir

Le noir et le blanc expriment bien des
émotions.  On regarde le noir et le blanc
à travers nos préjugés culturels, à travers
nos peurs et nos croyances.

Au Québec de mon enfance, le blanc
signifiait la pureté, l'âme en état de grâce.
Les petits cercueils des enfants étaient
peints en blanc. Les anges des
processions portaient des robes
blanches tout comme les jeunes
mariées.

Parfois le blanc se risquait à exprimer
l'absence:  un blanc de mémoire.  Une
nuit blanche, sans sommeil. Le drapeau
blanc de la reddition. Une page blanche,
sans écriture.

On portait le noir pour exprimer le deuil.
On mangeait son pain noir si on était trop
pauvre pour s'acheter du pain blanc de
boulangerie. La vraie misère noire. La nuit
de l'ignorance, l'absence de lumière.
C'était l'espace des forces de l'ombre,
le territoire du diable maléfique.

Le noir aussi s'aventurait à exprimer son contraire:  la liberté des anarchistes se disait dans leur drapeau noir. L'oeuvre au noir, paradoxe des alchimistes.

La nature est riche du noir et du blanc. Nous vivons ici ensevelis sous la neige pendant la moitié de l'année...
Au centre des galaxies, les trous noirs aspirent et siphonent inexorablement les étoiles qui gravitent autour d'eux: même la lumière s'y engouffre sans retour.

Le noir contient toutes les couleurs. Question de goût:  je le préfère au blanc.

mardi 14 juin 2011

le renégat

C'est maintenant un vieux bouquin, édité
en 1975. L'époque hippie. Je le relis avec
délectation. Changements, paradoxes et
psychothérapie.  Sans doute est-ce le mot
paradoxe qui m'a poussé à l'ouvrir de
nouveau. Imaginez: il cite Lao Tseu et
Héraclite. Une perle, je vous le dis.

Je viens de comprendre (il était temps)
que l'Eglise catholique ne peut pas
changer.  La raison n'est pas un manque
d'honnêteté ou un manque d'intelligence
de la part des dirigeants de l'Eglise.
Malheureusement des personnes
admirables continuent à penser que c'est
une question de temps, de maturation,
de nouvelles générations d'évêques,
et que la chenille va muer en papillon.
Il faut leur dire que l'Eglise de Dieu
n'est pas une chenille.

Un système ne peut pas engendrer de
l'intérieur les conditions de son propre
changement. Il ne peut pas produire les
règles qui permettraient de changer les
règles.  (fin de la citation)

L'Eglise est un paradoxe:  elle est un outil de changement des personnes par la conversion, le retournement d'âme. Elle redonne la paix intérieure. Mais elle-même ne peut pas se convertir, car elle s'est peinturée dans le coin, en se déclarant infaillible, divinement dans la vérité. Elle n'a pas de processus pour décanoniser un saint, pour dédogmatiser un dogme. Les saintes écritures sont la parole de Dieu, les conciles font dans le définitif.

La pensée scientifique procède par hypothèses, pour aboutir à des lois naturelles, toujours amovibles et contestables. Einstein a pu remettre en question les grandes lois de Newton, et quelqu'un d'autre pourra remettre en question les lois de la relativité d'Einstein. L'Eglise est étrangère à la pensée scientifique. L'Eglise n'avait pas le choix: il fallait qu'elle condamne Bruno au bûcher et Galilée à la prison à vie, à moins de renoncer à occuper l'espace scientifique.  Au 17ième siècle, l'Eglise occupait tous les espaces.

lundi 13 juin 2011

La bouteille d'aquavit

Il faut bien tester l'utopie. Ainsi se
précisent les frontières de la réalité.
L'utopie de ce blog:  qu'il soit un vase
communiquant.  Comme ces cream-
sodas d'autrefois, qui se buvaient avec
deux pailles, une pour chacun!

J'hésite donc entre deux propos.
Soit d'explorer votre place dans ce blog
en vérifiant votre goût d'y participer
en y allant de vos suggestions...
Soit de me laisser aller à divaguer
à la dérive, sur ce qui me vient jour
après jour...

Ce qui m'a accaparé aujourd'hui: une
information sur les mutations dans le
génome humain: en quoi l'enfant est-il
différent de ses parents, génétiquement?
les calculs se précisent sur le nombre de
nucléotides  qui ne sont pas des copies
du père ou de la mère.

Il y a une forte dose d'alcool dans ces
chiffres:  ils donnent de l'ivresse. En
voici un petit verre à avaler cul-sec.

On a, semble-t-il, environ 100 mille milliards de cellules (et dix fois plus de bactéries) dans le corps. Chaque cellule peut dérouler 2 mètres d'ADN soit 64 milliards de nucléotides.  En tout cas, il y en a beaucoup, c'est de l'aquavit, du rince-boyau, à votre santé.  Il a bien fallu 13 ans pour établir les séquences de l'ADN, ces barreaux de l'échelle déroulante. Alors ces mutations inédites, qui ne sont pas héritées du père et de la mère: Un sur cent millions, comme ordre de grandeur de ce changement observé.

Plus ça va, plus je me sens ignorant.  L'effet est semblable, à lever la tête vers les galaxies: les grains de sable d'une immense plage d'étoiles.

dimanche 12 juin 2011

Emmuré par choix

Il y a bien des façons de vivre ou
de ne pas vivre ce voyage qu'est
notre durée de vie. C'est toujours
fascinant de lire un vrai récit de
vie, une autobiographie honnête.

Quelque part en Asie, c'est arrivé
et quelqu'un l'a raconté, il existe
l'équivalent de nos monastères:
un jeune homme  choisit de vivre
à l'écart du village. On lui construit
une maison d'une seule pièce.
Cette sorte de cellule monastique
a une porte et une fenêtre.

La porte s'ouvre quand le jeune
moine y entre. Ensuite cette porte
est murée. La fenêtre est faite de
deux panneaux: si l'un est ouvert,
l'autre est fermé. Ainsi les gens
apportent la nourriture au moine
sans jamais le voir ou l'entendre.

Les années passent. Un jour vient
où on voit que le moine n'a pas pris l'eau et la nourriture  déposés derrière le panneau coulissant:  on comprend que l'ermite est mort.

J'ai souvent pensé aux hallucinations que doit vivre cet homme emmuré pour la vie. Sa cellule se peuple de tous les personnages de son imagination. J'imagine que les taches et les fissures, sur les murs, deviennent des animaux fantastiques qui rampent ou qui voltigent. Ce monde virtuel n'est pas silencieux, il fait un vacarme assourdissant. Ce moine rêve qu'on va lui construire une autre cellule, où il pourra enfin connaître la paix du silence.

De cette vie, rien ne sera connu: le moine n'en laisse pas de récit. C'est tout comme s'il était parti en voyage solitaire sur une fusée perdue dans l'espace.

samedi 11 juin 2011

Idoumanagat alagatawichta

Mon père me chantait une chanson en
iroquois. Il tenait ça de son enfance,
quand il vivait chez la grand-mère
Poirier, à Belle-Rivière.  Je ne sais pas
si c'est le grand-père Taboum qui la
lui avait apprise.

Tout était flou dans la place que tenait
Taboum dans l'histoire de la famille.
J'ai un daguerréotype où ce vieux
monsieur a les pommettes bien saillantes.
Mon père n'en savait trop rien, ou
bien avait appris à désapprendre.

Idou managat, Charles avait un grand
plaisir à me chanter cette ritournelle et
son  drôle de refrain: kawin chichin,
chawinabè.

J'ai appris la chanson iroquoise comme
on retient une formule magique, mais
sans jamais savoir à quel moment je
pourrais l'utiliser.  C'est tout comme si
on m'avait donné une vieille clé  sans
me dire quelle coffre précieux elle peut
ouvrir.

Mieux que le sentier

 Chaque jour où ça m'est possible,
depuis ce printemps, je me rends
au boisé voisin avec mon bouvier
qui se nomme Charlot. Dès l'entrée
du sentier, je lui enlève sa laisse.
Il me suit ou bien me précède.
Parfois il s'attarde, je ne le vois
plus mais je continue à marcher
d'un pas rapide. Je fais comme si
je ne m'inquiétais pas. Toujours
il finit par me rattraper à la course.

De plus en plus, Charlot change
sa façon de suivre le sentier:
il aime le quitter. Il disparaît,
il fonce dans les broussailles,
j'entends les branches craquer.
Au bout de cette course, il me
rejoint à une boucle du sentier.

C'est dans la nature des bouviers
d'avoir cette personnalité, cette
autonomie. Ils aiment bien trouver
leur propre voie, inventer leur
chemin. J'ai du plaisir à observer
cette confiance toute neuve que Charlot développe.

Je ne vous dis pas que c'est la bonne manière d'élever un chien. Je suis paresseux, je ne lui ai même pas montré à rapporter un bout de bois.  Simplement, j'ai du plaisir à le voir prendre de l'assurance. J'aime bien le voir s'éloigner et revenir, et découvrir un peu tout ce qui entoure le sentier.

Je suis même tenté d'en faire autant:  quitter le sentier moi-aussi. On s'influence mutuellement, Charlot et moi.

jeudi 9 juin 2011

Vague après vague

Ce qui se passe dans la tête humaine
prend beaucoup d'importance. Nous
apprenons à regarder tout ce qui est
autour de nous avec les yeux du monde
qui nous a précédé. Nous pourrions
voir ce monde que nous habitons avec
des yeux tout différents si nous étions
nés dans une autre époque, dans un
autre monde.

Quand je lis et relis Lao Tseu,
je découvre une culture à l'opposée
de celle qui m'a mis au monde. C'est
énorme comme différence.
Écoutez comment on parle du Tao:

Il aime et nourrit tous les êtres, et ne
se regarde pas comme leur maître.
Il est constamment sans désirs.
On peut l'appeler petit.
Tous les êtres se soumettent à lui,
et il ne se regarde pas comme leur
maître: on peut l'appeler grand.

Non, il ne s'agit certainement pas du
Dieu d'Abraham.

Et c'est toute la gestion des affaires et toute la politique qui prennent la forme de ce moule différent. Notre culture est comme une histoire qui se raconte, et tout ce qui arrive, tout ce que nous faisons arriver, prend une forme qui s'ajuste à cette histoire transmise. Comme un morceau de casse-tête qui réclame une place pour s'insérer dans la grande image, quitte à forcer les coins du morceau.

Il faut un grand silence, une pause, pour qu'enfin une autre histoire vienne librement au monde.  Krishnamurti est un des maîtres qui peut enseigner l'art de faire silence.

mercredi 8 juin 2011

le Tao Te King

Hier je m'étais approché seulement
d'un souvenir confus: le livre des
enseignements de Lao Tseu.
Aujourd'hui j'ai cherché le livre
que j'en avais, je ne l'ai pas trouvé.

Finalement quelle surprise: on le
trouve tout entier sur notre écran,
grâce à Wikipédia. Je l'ai donc relu
lentement. Vous verrez, c'est tout
court, quelques pages...

Nous sommes très très loin de cette
antique sagesse chinoise, vieille
de 25 siècles. C'était une époque
médiévale. Et puis, l'occident
judéo-chrétien s'est donné une
culture si différente de la leur.

Nous sommes loin de cette forme
de sagesse, celle de Lao Tseu, par
notre culture de culpabilités et
d'accusations, une culture coupée
de tout ce qui existe qui n'est pas nous.

Mais elle s'est toute effilochée, notre culture: elle part au vent, aux quatre vents. Ce grand appauvrissement d'âme nous rend apte à recevoir un don, un cadeau lumineux, celui d'un silence apaisant. Ainsi nous sommes désencombrés, il y a enfin de la place en nous pour regarder avec étonnement. Les réponses nous quittent: enfin nous pouvons retrouver les questions. Celles que posent un enfant.

mardi 7 juin 2011

lao-tseu et le pouvoir

Le journal agit comme un haut-parleur,
il amplifie la nouvelle.  Une fois sur les
ondes, ou imprimée en manchettes du
quotidien, cette nouvelle devient un
cerf-volant qui grimpe pour s'ébattre
au bout de sa corde.

En politique, c'est l'amplification qui est
recherchée, la sonorité et l'éclat, le
retentissement.  Le cocorico du coq.

Si je me souviens bien, Lao-Tseu
suggérait tout le contraire. C'était un
grand maître du paradoxe.  Pour lui,
il ne fallait pas forcer la réalité.
À la limite, l'action la plus efficace
c'était celle de l'immobilité.

À ne pas confondre avec la peur,
la paralysie, ou le sommeil...

lundi 6 juin 2011

Hommage au Pissenlit

Les cultivateurs n'aiment pas les pissenlits.
Ils n'aiment pas les marguerites non plus.
La raison est lourde: les vaches n'en mangent
pas.
On trouve des marguerites hybrides chez
les fleuristes. On ne trouve pas de pissenlits
hybrides. C'est évident qu'il y a un parti-pris.
Alors il est grand temps de réparer un peu
l'injustice.
Il y a douze raisons d'aimer les pissenlits, mais
pourquoi faudrait-il justifier l'amour qu'on a?
Je les aime.
Les marguerites sont au féminin, alors
faisons la même faveur aux belles
pissenlits. Ou bien mettons les marguerites
au masculin, sur un pied d'égalité.
Ciel purgatoire enfer, J'me marie,
j'me marie pas, j'fais une soeur. Voilà:
les marguerites disaient l'avenir, quitte à
se dévêtir, pétale après pétale.
Les pissenlits nous fournissaient en
bracelets, en colliers, en bagues.  Et tous
ces parachutes qu'on soufflait sans savoir
que Larousse en ferait sa couverture de
dictionnaire...
Ce soir j'ai vu ces belles fleurs de pissenlits au bord de la rue: je les ai caressées, elles étaient très douces, et pas maussades pour un sou. Je comprends que les abeilles en raffolent.  Un peu plus loin, toujours sur le bord de la rue, j'ai cueilli des tiges de muguet:  toute la cuisine ce soir en est parfumée!

dimanche 5 juin 2011

le ruisseau tout neuf

Au bout du sentier on arrive à
un ponceau.  Charlot va
s'étendre dans le ruisseau et
se met à boire. Vu la pluie
abondante du printemps, les
cascades font de la musique.

J'ai demandé à ce ruisseau
bavard ce qu'il me suggérait
pour ce blog.  Ne pas retenir,
laisser couler...

Il sait de quoi il parle, ce
petit ruisseau: depuis le
temps qu'il charrie une eau
immémoriale: Une eau toute
fraîche, toute neuve, qui
s'invente une promenade
jusqu'au fleuve, et pourtant
une eau si vieille, si vieille...

Ces molécules d'eau ont
atterri sur la planète Terre
quand elle se formait, il y a
4,567,000,000 années...
L'eau qui passe en vapeur, gonfle les nuages, puis retombe en pluie, en grésil, en neige... Cette eau qui a connu, de l'intérieur, tout ce qui a poussé, tout ce qui a bougé, pendant ces millions d'années.  Toujours la même eau, en résonance de tout le vivant, comme une toile tendue sur un tambour...

samedi 4 juin 2011

La fête des voisins

Je crois que tout le monde
souhaite plus de chaleur
humaine, plus de contacts,
plus d'amitié. Mais quel est
le truc pour que ça existe?

S'il y a des enfants, ils
voyagent d'un terrain à
l'autre, ils ne sont pas
confinés comme les
adultes le sont. Par les
enfants, les liens
s'établissent entre
voisins.  Mais s'il n'y a
plus d'enfants?

Alors il reste à inventer.
Attendre est la pire
stratégie. Sans en faire
un programme politique
ni un plan quinquennal,
il faut un pas qui risque
cette visite, il faut des
mots qui saluent, il faut
des prétextes pour que
circulent des échanges.  Je crois que ça doit partir d'une intuition, d'un geste spontané. Comme les enfants le font:  avec légèreté, pour le plaisir du jeu.

vendredi 3 juin 2011

Taraboum taraboum

Dans quelques jours elle aura deux ans
Iris, ma petite-fille. Je suis passé la voir
fin d'après-midi, il faisait chaud, on est
sortis dans la cour. Tiens, Iris, on va
faire la parade! Elle m'a donné la main,
on a marché à pas saccadés, j'imitais le
tambour. On se rendait jusqu'au
pissenlit bien jaune, celui qui pousse
devant les tulipes. On le saluait.
Boum boum taraboum. Demi-tour,
on repartait jusqu'à l'autre talle de
pissenlits, bien jaunes eux aussi.
Re-salut, re-tambour.

Tout ça pour le privilège de tenir
cette petite main dans la mienne.

Depuis deux jours, elle accepte de dire
son nom. Avant, elle se nommait bébé,
comme les autres bébés rencontrés.
Maintenant elle est Iris. Aussi, elle
nomme nos noms, à sa façon.

Je fais le même apprentissage que ma
petite-fille, en vous écrivant ce blog. Je parade en marquant le pas, je joue du tambour et je tiens la main à qui me prend par la main.

le fou-rire

Ma soeur avait quatre ans de plus que
moi: c'est toute une différence, quand
on est des enfants. Ses amies étaient
donc toutes trop vieilles pour être mes
amies.  Dit autrement, j'étais un bébé
pour elles.

Un jour, une des amies de ma soeur,
Esther ou Mance, était venue dans
notre petit salon. Il se passait quelque
chose d'inhabituel: Tout ce monde des
grands insistait pour l'entendre réciter
un poème.

C'était très beau. Sa voix était forte,
les émotions rebondissaient tout
autour, et moi j'avais éclaté de rire,
d'un fou-rire idiot, incontrôlable.
Je me demande même si nous
n'avions pas été quelques-uns à être
ainsi secoués par un rire étrange,
honteux, gênant
comme une puanteur.

Sans doute que ma mère avait félicité cette voisine pleine de talent dramatique. Je me souviens que cette fille avait quitté rapidement notre salon.  Je n'ose pas imaginer l'effet qu'elle a dû ressentir de provoquer le rire alors que son texte devait nous faire pleurer.

Maintenant, après toutes ces années, je sais bien qu'il n'y avait pas d'autre issue pour moi que la culbute dans ce rire nerveux pour m'éviter cette trop grande vague d'émotion, ce tsunami pour l'âme.

mercredi 1 juin 2011

Coups de vent

Alerte en majuscules:  avertissement
de vents violents et d'un orage.  Je
me suis dépêché d'aller promener
Charlot,  avant cette fin du monde
annoncée. Au bord du fleuve, les
vagues se culbutaient sur les rochers
et sur le muret du quai. Des nuages
gris-jaunes dérapaient à plein ciel,
direction nord-est.

Charlot s'est précipité pour boire,
avançant et reculant selon la cadence
des vagues. Le pire du mauvais temps
passait plus au nord. en noir foncé.
Pour le moment, rien à craindre
sur cette plage.

Dans le tapage et le fracas, le nez en
l'air,  on s'est promenés comme si
de rien n'était,  Une vraie fête.
De grands oiseaux, très haut dans
le ciel, se laissaient glisser.

C'est quand même extraordinaire,
ce privilège de vivre, vous ne trouvez pas?