jeudi 29 septembre 2011

Interlude: un long cauchemar

Écrire ce blog m'entraîne dans l'imprévisible. Ça me semblait une bonne idée de retrouver Freud: une sorte de visite de politesse. Après tout, je lui en avais fait la promesse. Mais quand j'ai voulu préciser mon travail, il m'est venu que ces visites à travers les siècles devaient répondre à une tension, la vibration d'un destin. Elles ne seraient pas des promenades gentilles.

Décrire cette visite chez Freud à Vienne, début juin 1938, c'est comme manipuler une bombe à retardement. J'entre dans un espace mental empoisonné.  Tous ces volumes écrits sur l'Holocauste, ce ne sont pas des thrillers palpitants, ils pèsent lourd sur l'âme.

Pourquoi Freud n'a-t-il pas quitté Vienne avant juin 38? J'ai pensé à ces six millions de juifs assassinés par les nazis, dans ces quelques années. Quatre des soeurs de Freud sont mortes dans les camps d'extermination. Freud, son épouse Martha, sa fille Anna:  ils ont été à un cheveu d'y passer, eux-aussi. Pourquoi avoir tenté le diable, en restant à Vienne jusqu'en juin 38?

Depuis 5 ans (en mars 33), Hitler avait pris le pouvoir en Allemagne. Dès le mois suivant, en avril, déjà s'organise la persécution des juifs allemands: violences, boycott des magasins dont les propriétaires sont juifs. Toutes les professions deviennent fermées, interdites aux juifs. Les nazis vandalisent la demeure d'Einstein: il a la sagesse de ne pas rentrer en Allemagne et s'expatrie à Princeton. En mai 33, Goebbels préside à Berlin un autodafé qui devrait sonner l'alarme chez Freud:  ses volumes sont jetés au bûcher avec ceux de Marx. Cette année-là, 35,000 juifs allemands vont quitter l'Allemagne. Combien pourtant hésitent à tout quitter, alors que les portes sont encore ouvertes?

Freud peut prétexter qu'il n'est pas en Allemagne mais en Autriche. La Société des Nations avait stipulé que l'Allemagne ne devait pas toucher à l'Autriche... mais que valait cette demande faite par des pays prêts à capituler, pour ne pas s'engager dans un affrontement armé?

Et puis Mussolini se déplace à Vienne pour rassurer les citoyens:  ne soyez pas inquiets, Hitler respectera la frontière, foi de Mussolini. Freud achète cette promesse, elle lui sert bien, pour rationaliser son refus de partir. Pourtant tous ses amis, toutes ses connaissances, l'incitent à boucler ses valises. Il fume ses cigares et se berce comme si le typhon annoncé n'allait pas frapper.

J'ai ressorti un bien bel album de photos, aussi belles que navrantes. L'auteur: Alter Kacyzne, de Varsovie. Le titre de l'album: Poyln. L'arrière-pays, celui des shetls, des villages juifs en Pologne. Les photos, en clair-obscur comme des peintures de Rembrandt, sont chargées d'une telle émotion quand on les regarde maintenant. J'aimerais bien vous en reparler une autre fois.  Non, ce voyage à travers le temps, ce n'est pas le Club Aventure.


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