samedi 17 septembre 2011

33- l'accolade

J'allais décevoir Galilée: il aurait voulu apprendre un truc pour visiter de lointains amis! Une fois qu'on a brisé les vieux dogmes d'autrefois et qu'on a fait le saut Copernic dans le monde des sciences, on a la souplesse d'esprit pour s'ouvrir à d'autres surprises. J'ai répondu de mon mieux au professeur, tout en sachant que je ne lui répondais pas:

" Pour voyager à travers les siècles,  il faut d'abord lâcher prise. C'est ce que vous faites quand vous rêvez, la nuit: vous vagabondez sans tenir compte des époques, vous visitez le passé et le futur. Votre contemporain, Shakespeare, il s'en rend bien compte. Pour lui, ce qui se passe le jour pourrait bien être un rêve, alors que les rêves de la nuit pourraient bien être la vraie réalité. Comment savoir?  Peut-être même que ces deux réalités peuvent coexister, sans qu'on aie à choisir!

" Vous me demandez si je suis un des vôtres... J'essaie, professeur, j'essaie! C'est un long apprentissage, pour chacun, d'être moins isolé des autres. Je crois que plus on devient soi-même et capable de quitter le troupeau, comme vous l'avez fait, plus on a des chances de rejoindre l'autre. En surface, nous sommes tous séparés, comme des arbres. Nous nous effleurons seulement.  C'est seulement par nos racines les plus profondes que nous touchons les racines des autres...

"  Je dirais que tous nos discours servent à créer une pelure d'isolement, surtout ces discours qui parlent de fraternité humaine: ils donnent l'illusion d'une fusion, tout comme une foule qui applaudit.  Il faut descendre dans le silence. Je parle d'un véritable silence, celui d'un cerveau qui garde silence.

" Professeur, ce temps que nous avons passé ensemble nous a rapprochés un peu.  À travers moi, Socrate mange à votre table, il dort sous votre toit... les séparations s'amincissent!"

J'ai vu le visage de Galilée se détendre. Son oeil valide souriait. Il m'a dit une chose étonnante, en me reconduisant gentiment vers la sortie de sa villa:

" Ma fille Virginia parlait comme vous le faites. J'ai l'impression étrange d'avoir reçu une visite d'elle. Vous savez, quand on établit la formule algébrique de l'accélération d'un corps en mouvement, on est rassuré. Tenir un caillou dans sa main, ça nous rassure aussi. Je me demande si tout l'effort scientifique ne tend pas simplement à nous rassurer!

Nous nous sommes donnés une accolade d'adieu.

" Vous savez bien, professeur, que c'est aussi le contraire! On est chercheur, pour quitter une croyance, pour enfin perdre pied!"
Je me suis engouffré dans la rue. C'était la pénombre.



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