mardi 27 septembre 2011

39- la boucane dans l'air

C'est maintenant dit: je voyage à travers les siècles. J'ai ajouté que ce n'était pas simple. Je ne vais pas n'importe où, ni n'importe quand: je n'ai pas ce luxe du flâneur. Mes allées et venues, dans le temps, ont la précision du geste d'un chirurgien quand il opère avec son scalpel.

Comment je décide d'une visite à rendre?  C'est tout comme si je n'avais pas le choix de répondre à ce qui se passe. Une image pourra vous aider à comprendre:  ce qui me décide à partir, c'est quand je sens l'intense vibration sur le fil d'un destin.

Vous comprendrez maintenant ce qui m'a poussé à retourner voir le docteur Freud, à Vienne.  Ma dernière visite remontait à quelques jours: vous vous souvenez, Freud m'avait prêté un volume du docteur Charcot sur l'hypnotisme, me suggérant d'utiliser cette technique pour sortir mon ami Socrate de sa prison.  Après cette visite chez Freud, j'étais allé voir Galilée prisonnier chez-lui, près de Florence. J'ai dit que ma dernière rencontre de Freud remontait à moins d'une semaine: c'est vrai pour moi seulement. Pour Freud, tenez-vous bien, c'était il y a une trentaine d'années. Sa surprise serait grande de me retrouver chez-lui.

Vienne n'était plus Vienne. De grandes banderoles rouges, flanquées de croix gammées, pendaient à tous les réverbères des boulevards. Nous étions début juin:  depuis deux mois l'Autriche n'était plus un pays, mais une province de la grande Allemagne du Troisième Reich. Je retrouvais la sensation très vive que j'avais connue en traversant des villes frappées par la peste noire, au Moyen-Âge. Je levais instinctivement les yeux vers le ciel, m'attendant au passage des vautours noirs au-dessus des toits.

La riche demeure du docteur Freud avait été sauvagement badigeonnée de peinture jaune. Cela disait clairement qu'on abordait un nid juif, à ses risques et périls. J'ai sonné à la porte d'entrée.



1 commentaire:

Michel à Isabelle a dit…

Quel coup de théatre!
Ça montre combien on peut aller loin sans bouger d'un poil...
Platon a, paraît-il inventé Socrate, mais...qui donc a inventé le temps?
Platon aussi? lui qu'on a surnommé "L'Homme des Cavernes"...