lundi 19 septembre 2011

34- Ce qui change sous l'écorce

Ce 24 heures d'absence me semblait avoir été une vacance de plus de quatre semaines:  je rentrais à Athènes tout oxygéné par cette rencontre avec le professeur Galilée.

Ma vieille ville, avec son  Parthénon tout neuf sur l'Acropole, n'avait pas changé d'un iota. Je retrouvais ce vent impitoyable que j'avais quitté la veille, un vent qui cherchait à plaquer aux murs tous ceux qui se risquaient à mettre le nez dehors. De toute évidence, Socrate allait encore bénéficier d'un sursis à son exécution capitale: les trirèmes n'allaient pas rentrer de Délos par un temps pareil.

Ce soir-là je me suis dirigé tout de suite à la taverne, pour y retrouver le groupe des fidèles.  Je vous le dis une fois de plus: il faut parfois s'éloigner pour mieux voir. Si la tempête continuait à souffler sa fureur dans la même direction, j'ai perçu que l'humeur de mes amis avait viré à 180 degrés. Il avait donc suffit de 24 heures pour qu'advienne un profond changement.

Comment le décrire?  C'était partout et nulle part: dans le ton de leurs voix, dans les gestes qu'ils ne faisaient plus, et même dans leur façon d'être là. Tenez, j'aurais juré qu'ils ne tenaient plus leur coupe de vin de la même manière. Je cherchais à mettre un mot sur cette nouvelle attitude qui avait gagné chacun d'eux. En musique, on aurait dit qu'ils étaient passés du dièse au bémol.

Ils racontaient que Socrate avait reçu la visite de son épouse et de ses deux grands escogriffes de fils. Il faut dire qu'il était un peu tard pour  commencer à s'occuper d'eux. Je crois que Socrate les avait toujours abandonnés à l'influence de leur mère, comme si lui, le philosophe chargé d'une mission, il avait eu mieux à faire, en allant éduquer les inconnus de l'agora.

L'émotion qui nous avait soulevés, quand nous avions organisé un comité de défense de Socrate, cette émotion avait disparu, comme soufflée par les grands vents. Ce qui se présentait maintenant était tout autre chose:  chacun, pour ainsi dire, faisait sa valise.

Xénophon retournait en Asie rejoindre ses mercenaires. Le jeune Platon, encore en convalescence, préparait son tour du monde, à commencer par l'Egypte. Thrasybule, de son côté, laissait entendre qu'il allait repartir en campagne contre Sparte à la première occasion. À bien les regarder, j'ai enfin compris ce qui se passait: c'était l'effet Socrate.  Tout partait de l'attitude nouvelle de notre ami:  Socrate quittait enfin le monde des discours, pour passer à l'acte, de la façon la plus drastique qui soit. Et voilà que chacun de ses amis, comme soulevé par une même vague, reprenait en main son destin, réorientait sa vie, sans plus attendre.

C'était bien ce que je lisais dans cette sorte de détermination  qui colorait les gestes et les paroles de mes amis. Pour ma part, je savais nettement que je me remettrais en route dès le lendemain.



1 commentaire:

Michel à Isabelle a dit…

Ça sent la fin pour notre ami Socrate!
Par contre on n'est pas près de l'oublier...la preuve, tout le monde le connaît au 21e siècle...à mon avis, dans un concours de popularité d'ex-vedettes historiques, il pourrait bien battre Barabas au fil d'arrivée!