jeudi 8 septembre 2011

25- un vent de folie

À ce moment, Galilée a gardé le silence. Cela marquait un tournant dans son histoire. Quand il a repris son récit, même sa voix avait baissé de registre:

" C'est alors que nous est arrivée de Hollande la description d'une lunette astronomique qui grossissait trois fois: on en disait des merveilles.  Dans mon atelier, j'en ai fabriqué une semblable, mais qui grossissait six fois. Je ne me suis pas arrêté, je perfectionnais, j'innovais, j'en ai fabriqué des dizaines, toujours en les rendant plus performantes, jusqu'à atteindre un grossissement de vingt fois.

" J'ai installé une de ces lunettes miraculeuses sur la Place saint Marc, à Venise.  J'ai invité les notables du Sénat à venir voir l'invention. J'avais braqué l'objectif sur la lointaine île de Murano:  voilà que Murano nous devenait toute proche. Et puis j'ai offert cette précieuse lunette à la Cité de Venise. Ils en voyaient bien la précieuse utilisation militaire.

" Je suis devenu la vedette du jour. Partout les conférences, les invitations, les démonstrations, les commandes. Une apothéose. On m'a doublé mes appointements, on m'a garanti à vie mon emploi.  C'était comme une tornade médiatique:  le succès est dangereux, vous savez. J'ai perdu pied.

" Avec cette lunette astronomique, je me suis mis à observer le ciel, à faire d'étonnantes découvertes. J'avais la tête dans les nuages, et j'ai perdu le sens du danger. Avec tous ces protecteurs, tous ces louangeurs,  j'ai cru que je pouvais respirer large, me permettre de penser à voix haute. J'ai été bien présomptueux. J'ai bien mal calculé la résistance au changement de ce monde du Moyen-Âge.

" L'Église venait de vivre la contestation de Luther, la séparation entre catholiques romains et protestants. Rome s'est durcie autour d'un noyau de dogmes, au Concile de Trente. Elle s'est mise à tout contrôler, tout censurer. Je n'ai pas compris à temps qu'il était dangereux de m'éloigner de Venise. Mes amis me prévenaient mais j'étais sourd. "

On a frappé discrètement à la porte.  Un serviteur discret, celui qui m'avait accueilli en début de soirée,  s'est approché de Galilée, lui a parlé à l'oreille. Galilée a acquiescé et s'est levé:

" Nous continuerons demain matin, si vous voulez bien. Demeurez avec nous cette nuit, on vous a préparé une chambre. Ce serait imprudent d'ailleurs de quitter maintenant la villa: nous sommes sous surveillance policière. "  Il a quitté à pas lents, handicapé par ses rhumatismes.

Cette nuit-là, je n'ai pas dormi. On m'avait prêté les cahiers où Galilée avait noté, au fil des jours et des années, toute l'activité scientifique qui le rejoignait. C'était époustouflant. À l'aube seulement j'ai fermé les yeux.




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