samedi 15 octobre 2011

L'érudition toxique

" Cet avant-midi, j'ai."  J'ai quoi? Pour compléter cette phrase, quel verbe conviendrait le mieux?  J'ai trouvé ce verbe: " cet avant-midi, j'ai subi."  Qu'est-ce qu'on peut subir?  Une opération chirurgicale. Une visite désagréable. Un malaise, une contrainte, un dégât. Qu'est-ce qui m'est arrivé de fâcheux, cet avant-midi?

En fin d'été je me suis inscrit à deux cours pour cet automne. Le premier cours, celui du mercredi, me fait étudier trois dialogues de Platon. Le deuxième cours, celui de cet avant-midi, me fait profiter d'une série de conférences: un professeur différent chaque semaine. Ce professeur différent et érudit vous entretient de ce qu'il a fouillé en profondeur, dans le vaste univers de l'antiquité.

Cette formule m'est toxique. Je dois bien être le seul, parmi les respectables auditeurs qui remplissent cette salle de cours, à avoir cet esprit tordu. Je prends de travers toute cette érudition qu'on met dans mon assiette. " J'ai donc subi cet avant-midi une érudition indigeste"  qui me reste coincée dans l'estomac

Cette façon de transmettre le savoir, elle contredit cette d'un dialogue de Socrate: il n'y a ni dialogue ni sage Socrate. Pour caricaturer avec méchanceté, cette pratique universitaire ressemble à une benne qui déverse sur vous une tonne de gravelle. Vous subissez un enterrement, un empierrement. Pourtant c'est de la très belle érudition: il faut un esprit tordu et malveillant comme le mien pour prendre de travers et critiquer un cadeau si précieux, réservé à l'élite des esprits cultivés.

Vous êtes dans une salle d'attente, dans une clinique, dans un hôpital: on vous impose d'entendre le flot ininterrompu de paroles qui coulent d'une télévision: elle parle et elle parle. Ou bien, vous êtes assis dans un autobus à côté d'un gros type qui fume un gros cigare: ça aussi ça m'est arrivé de le subir. Vous êtes dans une salle de cours universitaire et vous subissez un déversement d'érudition, qui étouffe votre désir d'apprendre au lieu de le nourrir. Une pollution honorable.

Connaître: naître avec. Une naissance accompagnée. Exactement ce à quoi s'employait Socrate. Il dialoguait pour faire naître. Respirer:  inspirer l'oxygène et expirer le gaz carbonique. Emplir ses poumons, puis les vider. À la naissance, l'enfant se met à respirer. Mais pas n'importe comment: l'oxygène est un gaz toxique, mortel.

On parle à l'enfant, il nous parle. Transmission d'une culture. On n'évalue pas la qualité d'une transmission culturelle à la quantité de robinets ouverts en même temps. Fréquenter Socrate n'est pas fréquenter un érudit qui sait tout et un peu plus:  ces érudits étaient les ennemis de Socrate, on les appelait les sophistes. Subir la vie, ou subir l'érudition, c'est une mauvaise idée. Une idée diplômée.



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