vendredi 21 octobre 2011

Allocution Steve Jobs -suite 4

" Tout a commencé avant ma naissance "... Steve Jobs cherche à comprendre pourquoi il s'est retrouvé sur les bancs de l'université, malheureux, forcé d'y être, à 17 ans. " Tout a commencé..." : une jeune fille, étudiante, enceinte, célibataire. Elle ne veut pas garder cet enfant qui va venir, elle ne veut pas être monoparentale, elle choisit de le donner en adoption. Mais pas à n'importe quels parents adoptifs: il faudra qu'ils soient d'une classe sociale fortunée, des professionnels. Un avocat et son épouse sont donc en attente de son bébé.

Horreur, c'est un garçon, l'avocat et son épouse n'en veulent pas, ils veulent une fille. Le bébé vient de perdre ses parents adoptifs. C'est la nuit, le téléphone réveille un autre couple dans une autre maison: "on a un bébé, ce n'était pas prévu pour vous, mais voilà il est disponible, en voulez-vous?"  - "Oui Oui, on va le chercher, attendez-nous! On arrive!"

On demande à la jeune fille, celle qui a accouché du bébé, de signer un document qui donne son enfant en adoption.  Elle s'informe:  "ce sont des professionnels?'  Le fonctionnaire ne sait pas, il va vérifier. La jeune fille ne signe pas. Les semaines passent... Les parents ne savent pas si on va leur enlever l'enfant, car ils ne sont pas comme ils devraient être, ils ne sont pas professionnels: la dame n'a pas été au collège, le monsieur n'a même pas terminé son secondaire. Ils sont inquiets. Ils sont très inquiets.

Dans la vie, ça change tout si on est quelqu'un. Un professionnel c'est quelqu'un. Avec un diplôme la porte s'ouvre sur un espace réservé aux privilégiés qui sont quelqu'un. C'est un dogme dans cette société, une croyance obligée.

Après des mois de ce mauvais suspense, la jeune fille exige un engagement des parents: ils devront envoyer l'enfant à l'université, c'est clair et net. Pas de problème, répondent les parents adoptifs qui deviennent des parents adoptifs à qui on n'enlèvera pas l'enfant. La jeune fille signe le document. ouf.

Dix-sept ans plus tard, Steve est malheureux. Depuis six mois il est dans cette université. Il se morfond pendant les cours qui ne l'intéressent pas du tout. Il lui faut passer à travers des volumes pour lesquels il n'a aucune curiosité. Ça ne va pas. Son cerveau ne veut pas de ce bourrage de crâne, les neurones protestent. C'est insensé d'être là quand profondément on ne veut pas être là.

Steve Jobs est doublement malheureux:  il n'a aucun appétit pour ce repas alors que le festin coûte les yeux de la tête à ses parents. Il est doublement coupable de ne pas s'acquitter de son devoir de réussir. Ses parents se sont saignés à blanc pour payer son inscription, son hébergement, sa pension... mais il en fait une indigestion. Il les aime, voudrait être à la hauteur, remplir son devoir de reconnaissance, mais rien à faire, ça n'est pas vivable. Il faut renoncer. Tant pis pour le dogme, il ne deviendra pas quelqu'un. Steve Jobs quitte les cours obligatoires.

Pour être bien certain qu'il n'est pas un paresseux, un profiteur sans-coeur, Steve vit dans l'extrême pauvreté, sans aucune ressource. Il s'héberge sans que ça coûte un sou: il dort sur le plancher chez un ami. Il vend des bouteilles récupérées, pour se payer un minimum d'alimentation. Maintenant libre, loin de quitter l'université, il s'inscrit comme auditeur libre aux cours qui l'intéressent, qui le passionnent. Il respire profondément.

Quand Steve Jobs donne aux jeunes diplômés cette allocution, en 2005, il est socratique. Devant ces milliers de jeunes, on pourrait l'accuser de corrompre la jeunesse: il jette par terre un dogme de la société. Autour de lui, sur le podium, les doyens ont l'air de frémir. Ce sont de grand-prêtres, des pontifes, ils ont conduit ces jeunes jusqu'à ce moment où ils deviennent quelqu'un.  L'élite diplômée. Un drop-out vient d'affirmer qu'il a bien fait d'être drop-out, que c'était la bonne décision. Il vient d'affirmer qu'il faut suivre son intuition, sa curiosité. Qu'il faut avoir faim: ne pas manger si on n'a pas faim. Ne pas subir de cours si on n'a pas cette curiosité d'apprendre. Avoir cette folie. Il leur souhaite de rester fous, ou de le devenir s'ils ont tourné le dos à cette folie, qui est sagesse.


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