vendredi 5 août 2011

Antiquités chez Freud

Le lendemain, quand je me suis pointé à la demeure luxueuse du Dr Freud, je n'ai pas eu à actionner la sonnette d'entrée:  la porte s'est ouverte. La tenue vestimentaire du docteur était aussi impeccable que la veille: veston et gilet d'habit. On aurait dit qu'une maquilleuse l'avait peigné et poudré pour une entrevue à la télé. Il m'a guidé cette fois vers son fumoir.

Mon anxiété grimpait: j'allais apprendre si notre ami Socrate avait une chance d'être sauvé de sa sentence de mort. Le Dr Freud m'a indiqué un fauteuil de cuir, puis m'a présenté un coffret avec des cigares. J'ai décliné l'offre. Comme un célébrant qui s'absorbe dans un rituel rigoureux, il s'est occupé à allumer son cigare avec un briquet d'orfèvrerie. Longuement il a savouré les premières bouffées, avec un air de communiant aux saintes espèces. J'attendais. Il était comme ces chefs d'orchestre qui laissent s'appesantir le silence avant de lancer les musiciens dans l'attaque d'une symphonie. J'ai décliné aussi son offre d'un verre de porto.  Il savourait lentement, à petites lampées.

"Je vais être franc et direct avec vous", qu'il m'a dit.  Cela présageait une mauvaise nouvelle.  Il a continué en détachant bien les mots:
"Vous savez, il faut des années d'entrevues régulières,  pour une psychanalyse. Et puis, à vous seul je vais le confier, sachant que personne ne vous croira si vous allez le répéter:  les psychanalyses n'ont jamais guéri personne. Au mieux, elles ont un effet placebo. " Il avait joint les mains comme pour une prière.
"Vous connaissez les techniques de l'hypnose?"  qu'il m'a demandé.  On m'avait raconté que les chamans prenaient possession de l'esprit du malade qu'on leur présentait, pour le diriger comme on manipule une marionnette. Je ne voyais pas comment on allait manipuler ainsi l'irréductible Socrate.

"Il faut que vous réussissiez un enlèvement, avec sa pleine collaboration. S'il est hypnotisé, il va vous suivre docilement en dehors de la prison, sans faire d'histoire. "  Puis le docteur m'a remis le manuel du professeur Charcot,  décrivant les étapes d'une séance d'hypnotisme. "C'est simple, faites-le."

Il m'a ensuite conduit devant une vitrine aux étagères remplies de bibelots. J'ai reconnu les figurines égyptiennes qu'on nous vend dans les souks. Le message du docteur se passait de mots: il souhaitait être payé en nature, en objets d'antiquités.  J'ai sorti une pièce de monnaie, un drachme à l'effigie de Périclès, et l'ai déposée sur la tablette. Le docteur a apprécié, silencieusement.

"Revenez dans quelques jours, quand vous aurez expérimenté les techniques de Charcot. Vous me direz comment avance la préparation de l'évasion. Revenez le soir, en fin de soirée, vous n'êtes pas un patient ordinaire. "  Je me suis retrouvé dans la rue. J'étais loin de me douter des événements du lendemain.

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