mercredi 31 août 2011

20- Bruno et Virginia

Si vous avez à porter un coup terrible, faites-le sans hésitation. Je trouve cruel d'arracher lentement un pansement collé sur une plaie. Évitez de faire mourir à petit feu. Pendant que je mijotais ces pensées, le vieux Galilée me regardait venir.

"Professeur, expliquez-moi. Vous vous êtes mis à genoux devant les cardinaux. La main sur les évangiles, vous avez abjuré. Vous avez mis votre âme immortelle dans la balance, en affirmant sous serment que vous étiez dans l'erreur, alors que vous saviez que c'était le contraire. Professeur, est-ce que c'était pour sauver votre vie?"

Il ne répondait pas. Mes paroles étaient un acide brûlant qui creusait son chemin. Étrangement, son visage s'apaisait. J'hésitais à croire ce que je voyais: son oeil valide, son oeil gauche, pleurait des larmes qu'il ne cherchait pas à retenir. J'avais la gorge serrée par l'émotion.

"J'y pense chaque jour, vous savez: votre question, si c'en est une, elle ne me surprend pas, elle m'habite.  Pourquoi moi, Galilée, j'ai apostasié publiquement et solennellement la vérité de mon âme?"  Il a gardé un long silence.  Ému, j'attendais la suite.

"Nous, les scientifiques, nous cherchons à savoir le réel de chaque chose. Nous ne cherchons pas ce qu'une chose devrait être, pour qu'elle corresponde à l'idée supposée révélée par Dieu ou enseignée par son Eglise infaillible. Toute ma vie, j'ai été un homme de science, qui cherche le réel des choses. Alors je vous dis que le réel de cette chose que je suis, c'est de la peur et c'est de l'amour. Retenez deux noms, un pour la peur et un pour l'amour. Mon ami Bruno, et ma fille Virginia. "

"Vous, les Grecs, vous attendez de l'héroïsme.  Vos personnages des tragédies sont prêts à immoler leurs enfants pour obéir aux dieux, comme Agamemnon ou Abraham. Ou bien vous les faites marcher vers leur supplice, comme des sacrifiés volontaires, des martyrs. Moi, monsieur, je suis de la peur, et je suis de l'amour. Votre ami Sophocle n'aura pas d'estime pour moi. ¨

"Je vais d'abord vous décrire, en scientifique,  cette peur que je suis..."  Jamais je n'avais rien entendu de semblable. Je pressentais qu'il était solide comme le roc.







1 commentaire:

Michel à Isabelle a dit…

...Et vlan !
si c'est pas un K.O. c'est tout comme...heureusement que Socrate ne peut, comme notre narrateur, se promener dans le temps, sinon, gare à toi Huberlulu!
Le bras de la vengeance grecque n'est-il point réputé pour sa longueur et sa ténacité?