lundi 22 août 2011

16- un os dans la soupe

À force de fréquenter Socrate, nous avions développé une habileté à bien peser le pour et le contre d'une proposition. Mais qui aurait pu s'opposer à cette offre qui nous tombait du ciel?  J'ai bien senti que je devais casser la glace, prendre la parole:  " Lysias, si nous restons silencieux, c'est que l'émotion est trop grande. Vous et Thrasybule, vous êtes une formidable machine de guerre. On comprend mieux comment vous avez réussi, et rapidement, à déloger la tyrannie des Trente et nous redonner la démocratie.  Si vous le permettez, nous allons examiner comme il se doit cette proposition. Ensuite nous pourrons vous donner notre réponse."

Je me suis ensuite adressé à mes amis, attablés tout autour.  " On demande à Socrate, qui n'a pas un sou vaillant, d'acquitter une amende de 60 drachmes.  C'est donc nous qui devons trouver cette somme, dans un délai extrêmement court.  Durant le procès, il avait été question d'une amende raisonnable de 30 drachmes.  Pourquoi faut-il la doubler maintenant?  Qu'en pensez-vous, Lysias?"

Il nous a surpris encore une fois:  "Vous avez raison, moi-aussi j'ai trouvé qu'ils pesaient fort sur le crayon.  Thrasybule aussi l'a pensé.  Alors je crois que personne ne fera difficulté à ce qu'on revienne à ce montant de 30 drachmes, celui qui était mentionné au procès.  Ce sera plus facile à collecter, en très peu de temps. "

J'ai donc enchaîné sur le deuxième volet de la négociation:  "On demande à Socrate de s'exiler pour quatre années.  Nous savons qu'il est pratiquement au bout de sa carrière de philosophe itinérant, il a 70 ans, sa santé est beaucoup plus fragile.  Un exil de quatre ans, ce n'est rien pour un jeune, c'est même une aubaine pour aller voir du pays. Mais pour Socrate, ça peut ressembler à un départ sans retour. Est-il prêt à aller mourir loin d'Athènes?  Qu'est-ce qui arrive s'il refuse de partir?"

Cette fois, Lysias ne pouvait pas couper la poire en deux. Il a été catégorique:  "L'exil de quatre ans n'est pas négociable. Imaginez un peu.  Un jury de 500 personnes vient de le condamner à mort, puis, comme si de rien n'était, ils voient leur homme flâner comme d'habitude sur la place du marché!  En plus, ils l'entendent harceler les gens, comme Socrate le fait toujours, pour leur prouver qu'ils sont des ignorants. Personne ne va comprendre ce qui se passe avec notre institution de justice. Vous rêvez en couleur.  Le plus qu'on peut obtenir, c'est qu'on ne le voit plus, qu'il aille respirer ailleurs."

C'était évident qu'on ne pouvait pas faire comme si elle n'avait pas eu lieu, cette condamnation à mort.






Aucun commentaire: