samedi 6 août 2011

3. Freud ou pas Freud

J'avais hâte de rentrer à Athènes, hâte de vérifier si on allait pouvoir sortir Socrate de prison en tâchant de l'endormir avec une drogue, ou bien en essayant ce truc du professeur Charcot, l'hypnotisme.  Quand j'ai retrouvé mes amis attablés à la taverne, ce soir-là, j'ai bien vu que ça n'allait plus du tout. Leur silence pesait: ils m'en voulaient d'avoir été absent. Comment leur expliquer mon voyage hors-temps chez le Dr Freud? J'ai attendu qu'ils débloquent, me suis servi un verre de rouge, j'ai croqué des olives.

Leur journée avait commencé par une catastrophe: les abords de la prison, sur la colline des Muses, étaient interdits, les gardes éloignaient les curieux.  Le mot passait que le célèbre Socrate s'était donné la mort durant la nuit. D'autres disaient que Socrate se mourait, empoisonné.  Le médecin légiste avait été appelé d'urgence, à l'aube.  Après une grosse heure, il était ressorti en vitesse, sans rien dire à personne.

Dans ces cas-là, il faut sortir sa bourse sans lésiner. En soudoyant un garde, mes amis avaient appris ce dont je me doutais bien:  Socrate s'était figé en statue de pierre, en momie glacée. Nous connaissions les crises de notre ami, elles étaient de plus en plus fréquentes:  il tombait en catatonie, et ces paralysies pouvaient durer jusqu'au lendemain. En douce, le gardien avait accepté de voir à hydrater Socrate.

Nous étions maintenant devant un fichu dilemme:  fallait-il contacter les magistrats pour les instruire de ce que nous savions de la santé de notre ami?  Jamais nous n'avions été devant un choix aussi difficile.  Aucun de nous n'était prêt à cette sorte de trahison. La vie de Socrate ne comptait plus pour Socrate: jamais il n'aurait pu vivre en dehors de sa mission de prophète, divinement inspiré, habité par son démon intérieur, son bon génie. Remettre en question sa santé mentale, c'était le vider de lui-même, c'était tuer son âme.

Nous étions tous d'accord:  il fallait laisser passer du temps, Socrate s'en sortirait lentement, comme chaque fois. Il ne fallait pas faire de vagues.  Je suis reparti chez-moi, avec sous le bras le document du professeur Charcot:  ce n'était pas le moment d'expérimenter l'hypnotisme sur Socrate.  Le Dr Freud allait attendre.

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