Il y avait sans doute l'effet du porto, et aussi la voix chantonnante du vieux médecin: j'étais au bord de la somnolence, comme un chat qui s'est trouvé un coin de tapis pour s'allonger, pas loin du foyer. J'ai sursauté quand Démocédès s'est levé brusquement: " Je dois aller voir si tout va bien pour le prisonnier. Venez avec moi, nous allons continuer la causette le long du chemin". Les nuits sont douces à Athènes, en mai, mais nous avons mis notre himation sur nos épaules, pour ne pas prendre de refroidissement. . Le vieux docteur allait d'un bon pas.
"Qu'est-ce que vous vouliez savoir de plus, en venant me voir ce soir?" m'a-t-il demandé. C'était mon tour de déballer ce qui me pesait sur le coeur: " Ce procès qu'on a fait à Socrate, ça ne tient pas debout. Les accusations sont farfelues. Imaginez! Comme s'il pouvait corrompre la jeunesse d'Athènes! Ils ont dit que Socrate offensait les dieux de la cité: c'est ridicule. Socrate a pu se moquer des superstitions, mais jamais il n'a manqué de respect pour ce qui est sacré. Non, ça ne fonctionne pas, et pourtant c'est bien sur ces fadaises qu'il a été condamné à mort! Vous pouvez m'expliquer cela?"
J'étais surpris d'en avoir dit autant. Ma pensée s'était précisée à mesure que les mots l'exprimaient. Au-dessus de nous. le premier quartier de lune éclairait suffisamment le chemin rocailleux qui grimpait à travers les pins. Démocédès a ralenti le pas, il m'a dit: " C'est exactement ce que pense aussi votre ami Xénophon. On en a causé au début de la semaine." Cela m'a piqué au vif: "Xénophon est venu vous voir? Il ne m'en a rien dit!" -"Et vous-même, est-ce que vous étiez pour lui raconter votre visite chez-moi?"
Nous allions bientôt arriver au poste de garde. Il y a eu le bruit d'une course, comme si quelqu'un dévalait une pente en vitesse, puis le silence de la nuit. Étrangement le coin où s'abrite la sentinelle était dans l'obscurité. Peut-être était-il parti faire une inspection autour. J'ai frissonné de surprise: c'était un battement d'ailes de chauve-souris. Nous nous sommes approchés de la prison. Un trou noir: la lourde porte était ouverte! Démocédès a foncé à l'intérieur. Je me demandais comment il pouvait se diriger dans une telle noirceur. Le coeur me battait. Je n'arrivais pas à y croire: Socrate s'était évadé! Comment avait-il fait son compte?
Du fond de la cellule, Démocédès m'appelait: "Approchez, j'ai besoin de votre aide". Mes yeux s'habituaient peu à peu à voir dans cette pénombre. Le docteur était penché sur quelqu'un. Il avait l'oreille sur la poitrine de cette personne, il l'auscultait. "Il est vivant, mais je crois qu'on a assommé votre ami. Vite, allez chercher de la lumière et du secours!" Je me suis précipité dehors, j'ai couru jusqu'à la première maison.
1 commentaire:
Les secrets de Socrate le philocrate sont dévoilés!
Tu rends l'histoire palpitante...
Vivement la suite.
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