Ce soir mes amis Isabelle et Michel m'ont invité à la Taverna, un petit resto grec à Québec. Michel est un musicien réputé. Trois de ses amis y jouaient de la guitare, de l'accordéon et de la clarinette. À guichet fermé. Mon petit cousin Louis et sa conjointe Monia étaient de passage: je les ai invités. Nous avons fait voile, l'ouzo et la retsina aidant. C'était l'idée d'Isabelle et Michel de fêter les épisodes grecs du blog.
C'est pas très gentil de ma part de laisser poirotter Socrate et Galilée dans leurs prisons, pendant qu'on les oublie sur des airs grecs. Faut dire qu'on a beaucoup d'entraînement à les oublier. Il faut un vrai effort d'imagination pour se réveiller au fait qu'ils vivaient tout comme nous vivons, au jour le jour. Le passé a une tendance à prendre des airs d'irréel.
Demain je me propose de continuer à lire sur Wikipedia la vie de Giordano Bruno: j'ai l'intuition qu'il est important dans la vie de Galilée. Cela semble nous éloigner du destin de Socrate, mais qui sait. Il me faudra mieux connaître aussi la vie de Virginia, la fille aînée de Galilée. Je suis comme un cuisinier qui vous prépare un plat grec. À très bientôt.
chaque jour, un court texte et un dessin. vous pouvez envoyer un courriel à l'adresse: hubertbeaudry@videotron.ca ou, cliquer sur commentaire. ce blog expérimente et va se transformer comme toute plante, avec une dose de photosynthèse
mercredi 31 août 2011
20- Bruno et Virginia
Si vous avez à porter un coup terrible, faites-le sans hésitation. Je trouve cruel d'arracher lentement un pansement collé sur une plaie. Évitez de faire mourir à petit feu. Pendant que je mijotais ces pensées, le vieux Galilée me regardait venir.
"Professeur, expliquez-moi. Vous vous êtes mis à genoux devant les cardinaux. La main sur les évangiles, vous avez abjuré. Vous avez mis votre âme immortelle dans la balance, en affirmant sous serment que vous étiez dans l'erreur, alors que vous saviez que c'était le contraire. Professeur, est-ce que c'était pour sauver votre vie?"
Il ne répondait pas. Mes paroles étaient un acide brûlant qui creusait son chemin. Étrangement, son visage s'apaisait. J'hésitais à croire ce que je voyais: son oeil valide, son oeil gauche, pleurait des larmes qu'il ne cherchait pas à retenir. J'avais la gorge serrée par l'émotion.
"J'y pense chaque jour, vous savez: votre question, si c'en est une, elle ne me surprend pas, elle m'habite. Pourquoi moi, Galilée, j'ai apostasié publiquement et solennellement la vérité de mon âme?" Il a gardé un long silence. Ému, j'attendais la suite.
"Nous, les scientifiques, nous cherchons à savoir le réel de chaque chose. Nous ne cherchons pas ce qu'une chose devrait être, pour qu'elle corresponde à l'idée supposée révélée par Dieu ou enseignée par son Eglise infaillible. Toute ma vie, j'ai été un homme de science, qui cherche le réel des choses. Alors je vous dis que le réel de cette chose que je suis, c'est de la peur et c'est de l'amour. Retenez deux noms, un pour la peur et un pour l'amour. Mon ami Bruno, et ma fille Virginia. "
"Vous, les Grecs, vous attendez de l'héroïsme. Vos personnages des tragédies sont prêts à immoler leurs enfants pour obéir aux dieux, comme Agamemnon ou Abraham. Ou bien vous les faites marcher vers leur supplice, comme des sacrifiés volontaires, des martyrs. Moi, monsieur, je suis de la peur, et je suis de l'amour. Votre ami Sophocle n'aura pas d'estime pour moi. ¨
"Je vais d'abord vous décrire, en scientifique, cette peur que je suis..." Jamais je n'avais rien entendu de semblable. Je pressentais qu'il était solide comme le roc.
"Professeur, expliquez-moi. Vous vous êtes mis à genoux devant les cardinaux. La main sur les évangiles, vous avez abjuré. Vous avez mis votre âme immortelle dans la balance, en affirmant sous serment que vous étiez dans l'erreur, alors que vous saviez que c'était le contraire. Professeur, est-ce que c'était pour sauver votre vie?"
Il ne répondait pas. Mes paroles étaient un acide brûlant qui creusait son chemin. Étrangement, son visage s'apaisait. J'hésitais à croire ce que je voyais: son oeil valide, son oeil gauche, pleurait des larmes qu'il ne cherchait pas à retenir. J'avais la gorge serrée par l'émotion.
"J'y pense chaque jour, vous savez: votre question, si c'en est une, elle ne me surprend pas, elle m'habite. Pourquoi moi, Galilée, j'ai apostasié publiquement et solennellement la vérité de mon âme?" Il a gardé un long silence. Ému, j'attendais la suite.
"Nous, les scientifiques, nous cherchons à savoir le réel de chaque chose. Nous ne cherchons pas ce qu'une chose devrait être, pour qu'elle corresponde à l'idée supposée révélée par Dieu ou enseignée par son Eglise infaillible. Toute ma vie, j'ai été un homme de science, qui cherche le réel des choses. Alors je vous dis que le réel de cette chose que je suis, c'est de la peur et c'est de l'amour. Retenez deux noms, un pour la peur et un pour l'amour. Mon ami Bruno, et ma fille Virginia. "
"Vous, les Grecs, vous attendez de l'héroïsme. Vos personnages des tragédies sont prêts à immoler leurs enfants pour obéir aux dieux, comme Agamemnon ou Abraham. Ou bien vous les faites marcher vers leur supplice, comme des sacrifiés volontaires, des martyrs. Moi, monsieur, je suis de la peur, et je suis de l'amour. Votre ami Sophocle n'aura pas d'estime pour moi. ¨
"Je vais d'abord vous décrire, en scientifique, cette peur que je suis..." Jamais je n'avais rien entendu de semblable. Je pressentais qu'il était solide comme le roc.
lundi 29 août 2011
19- visite de l'inquisiteur
Il était en résidence surveillée et c'était exclus de demander une autorisation de visite. Dans ces cas-là, vous choisissez l'heure où tout le monde rentre à la maison, fin d'après-midi, vous vous mêlez à la cohue, avec votre sac de provisions pour le souper. Sans encombre, j'ai frappé à la porte du 42, via del Pian del Giullari. On m'a fait rapidement entrer: dans cette maison, il était coutumier de recevoir les étrangers clandestins, sans poser de questions.
"Prenez un siège, je reviens à l'instant: je vais prévenir le professeur..." J'ai tendu ma carte de visite, le type a quitté la pièce en refermant la porte. Un grand pas avait été fait. Je me suis croisé les doigts. Quelques minutes plus tard, cet homme qui m'avait ouvert était de retour, cette fois accompagné d'un vieil érudit qui se déplaçait lentement.
"Excusez mon allure", m'a dit le professeur, " j'ai de gros problèmes de vision et ça ne s'améliore pas. Je crois avoir perdu l'usage de mon oeil droit. J'ai maintenant de la difficulté à évaluer les distances, chaque marche que je monte ou que je descends devient une aventure!" Nous nous sommes installés dans un petit boudoir silencieux. Il me regardait attentivement, de son oeil gauche: "Je vous écoute".
Je risquais de le blesser par ma demande, mais il s'agissait d'aider Socrate. "Professeur, vous excuserez mon audace. N'y voyez pas un jugement de ma part. Au moment de votre procès à Rome, vous aviez 70 ans, l'âge de mon ami Socrate. Le Saint Office vous accusait d'hérésie et de rébellion. Malgré l'avertissement formel que vous aviez reçu, de ne pas enseigner la théorie subversive de Copernic, vous aviez publié un volume qui donnait la bonne place à cette hypothèse scientifique condamnée par l'Eglise."
Le professeur opinait de la tête: "Oui, il y a quatre ans, je m'en souviens comme si c'était hier. J'étais à Florence, on m'avait dit de me présenter au tribunal sans plus tarder, sinon on irait me chercher, en me traînant dans les chaînes. Ils ne riaient pas. Que voulez-vous savoir?" J'arrivais au coeur du sujet. J'allais faire sursauter le professeur Galilée.
"Prenez un siège, je reviens à l'instant: je vais prévenir le professeur..." J'ai tendu ma carte de visite, le type a quitté la pièce en refermant la porte. Un grand pas avait été fait. Je me suis croisé les doigts. Quelques minutes plus tard, cet homme qui m'avait ouvert était de retour, cette fois accompagné d'un vieil érudit qui se déplaçait lentement.
"Excusez mon allure", m'a dit le professeur, " j'ai de gros problèmes de vision et ça ne s'améliore pas. Je crois avoir perdu l'usage de mon oeil droit. J'ai maintenant de la difficulté à évaluer les distances, chaque marche que je monte ou que je descends devient une aventure!" Nous nous sommes installés dans un petit boudoir silencieux. Il me regardait attentivement, de son oeil gauche: "Je vous écoute".
Je risquais de le blesser par ma demande, mais il s'agissait d'aider Socrate. "Professeur, vous excuserez mon audace. N'y voyez pas un jugement de ma part. Au moment de votre procès à Rome, vous aviez 70 ans, l'âge de mon ami Socrate. Le Saint Office vous accusait d'hérésie et de rébellion. Malgré l'avertissement formel que vous aviez reçu, de ne pas enseigner la théorie subversive de Copernic, vous aviez publié un volume qui donnait la bonne place à cette hypothèse scientifique condamnée par l'Eglise."
Le professeur opinait de la tête: "Oui, il y a quatre ans, je m'en souviens comme si c'était hier. J'étais à Florence, on m'avait dit de me présenter au tribunal sans plus tarder, sinon on irait me chercher, en me traînant dans les chaînes. Ils ne riaient pas. Que voulez-vous savoir?" J'arrivais au coeur du sujet. J'allais faire sursauter le professeur Galilée.
dimanche 28 août 2011
Inter-Mèdes #2
J'y prends goût, aux intermissions! Souhaitons que ce soit partagé par les valeureux lecteurs! Cette fois, c'est justifiable de vous donner un peu d'explications sur ce qui se brasse, dans ce procès de Socrate. Il est accusé, en premier lieu, d'impiété.
Chez les Athéniens, du temps de Socrate, ces procès pour impiété étaient fréquents. Je ne suis pas historien: je ne peux pas vous dire combien de procès pour impiété ont occupé les tribunaux d'Athènes. Mais simplement à parcourir une partie du répertoire des écrivains-philosophes de son époque, ça nous saute aux yeux: il y en a eu beaucoup. Quelques exemples: un des professeurs de Socrate, Anaxagore (il avait eu aussi comme élèves Périclès et Euripide), après 30 ans d'enseignement, il est condamné pour impiété. Retenez que c'était permis d'échapper à la peine de mort en s'exilant. Il quitte donc Athènes pour l'Asie. Vous en voulez un autre cas? Protagoras, un ami de Périclès. On l'accuse d'impiété, il s'exile pour la Sicile (il meurt dans un naufrage). Alcibiade, élève de Socrate: condamné lui-aussi pour impiété: il s'exile en Asie auprès des Perses, avant d'être assassiné. Le fils de Périclès, un amiral de la flotte athénienne: condamné à mort pour impiété. On le punissait parce que la sépulture n'avait pas été donnée à des noyés, pendant une tempête.
Je me dis: Ils étaient comme les Américains, ces Athéniens: farouchement patriotiques et religieux. Pour les Athéniens, participer aux cultes avec tout le monde, c'était une obligation civile.
Ce qui me chicotte, c'est ce qui pousse Socrate à ne pas s'évader, à ne pas partir en exil. Il entend des voix: il a un daemon intérieur, un guide spirituel qui lui demande de rester en prison et d'avaler le poison mortel. Sa décision se base sur cette voix divine, intérieure. Ensuite Socrate raisonne: il philosophe, il veut donner une justification rationnelle à sa décision irrationnelle, religieuse. Si son daemon lui disait de ficher le camp, il réussirait à justifier cette autre décision. Socrate est imbattable pour l'argumentation.
Comment les amis de Socrate, qui n'en reviennent pas de ce procès et de cette condamnation absurde, peuvent-ils contrer cette autre condamnation à mort, celle que Socrate se donne à lui-même? Au fond, qu'est-ce qui pousse ainsi Socrate à se suicider?
Chez les Athéniens, du temps de Socrate, ces procès pour impiété étaient fréquents. Je ne suis pas historien: je ne peux pas vous dire combien de procès pour impiété ont occupé les tribunaux d'Athènes. Mais simplement à parcourir une partie du répertoire des écrivains-philosophes de son époque, ça nous saute aux yeux: il y en a eu beaucoup. Quelques exemples: un des professeurs de Socrate, Anaxagore (il avait eu aussi comme élèves Périclès et Euripide), après 30 ans d'enseignement, il est condamné pour impiété. Retenez que c'était permis d'échapper à la peine de mort en s'exilant. Il quitte donc Athènes pour l'Asie. Vous en voulez un autre cas? Protagoras, un ami de Périclès. On l'accuse d'impiété, il s'exile pour la Sicile (il meurt dans un naufrage). Alcibiade, élève de Socrate: condamné lui-aussi pour impiété: il s'exile en Asie auprès des Perses, avant d'être assassiné. Le fils de Périclès, un amiral de la flotte athénienne: condamné à mort pour impiété. On le punissait parce que la sépulture n'avait pas été donnée à des noyés, pendant une tempête.
Je me dis: Ils étaient comme les Américains, ces Athéniens: farouchement patriotiques et religieux. Pour les Athéniens, participer aux cultes avec tout le monde, c'était une obligation civile.
Ce qui me chicotte, c'est ce qui pousse Socrate à ne pas s'évader, à ne pas partir en exil. Il entend des voix: il a un daemon intérieur, un guide spirituel qui lui demande de rester en prison et d'avaler le poison mortel. Sa décision se base sur cette voix divine, intérieure. Ensuite Socrate raisonne: il philosophe, il veut donner une justification rationnelle à sa décision irrationnelle, religieuse. Si son daemon lui disait de ficher le camp, il réussirait à justifier cette autre décision. Socrate est imbattable pour l'argumentation.
Comment les amis de Socrate, qui n'en reviennent pas de ce procès et de cette condamnation absurde, peuvent-ils contrer cette autre condamnation à mort, celle que Socrate se donne à lui-même? Au fond, qu'est-ce qui pousse ainsi Socrate à se suicider?
samedi 27 août 2011
inter-Mèdes
(ici on voit l'auteur du feuilleton s'avancer sur la scène pour dire quelques mots: )
Quand j'étais petit, on avait du cinéma (rarement) dans la salle de récréation du collège commercial de St-Jérôme. On s'entassaient tous, assis par terre. Il n'y avait pas de chaises. Certainement que ça sentait les pieds, mais c'était de l'habituel (de sentir les pieds, pas de s'asseoir par terre pour du cinéma). Un frère des Écoles chrétiennes s'occupait du projecteur... Le film? On a eu Tarzan. On a eu Rintintin. On a eu La fille des marais. Mais le souvenir dont je veux parler, c'est ce moment très spécial qui arrivait toujours: le changement de bobines. Les lumières s'allumaient, le frère devait embobiner la nouvelle bobine de film. Un bon film en avait trois, de ces bobines. Tout le monde criait " Fermez les lumières" quand ça recommençait sans avertissement.
Vous me voyez venir: je suis en train de me ré-embobiner. C'est toute une exploration, toute une aventure, ce feuilleton sur la mort de Socrate. Si vous me voyiez sortir de la bibliothèque, chargé de livres, c'est du sérieux! Charcot, l'hystérie, Freud, Nietzsche (que de consonnes), Siri Hustvedt, Michel Onfray, Michel Foucault... bref, jamais je n'ai été aussi ignorant, ni aussi assoiffé de savoir. Et puis, il y a des pages et des pages sur internet, quand on va sur Google ou sur Wikipedia. Faites l'expérience: tapez ce titre: principaux auteurs grecs.
Ce blog, vous le savez, je l'invente à mesure. Après 18 petits épisodes de ce feuilleton, faut que je me fasse un plan de ce qui s'est dit! et puis, voir les sentiers possibles, avant de foncer. Mais selon la bonne méthode, je vais sans doute remettre le canot dans la rivière sans trop savoir où le courant va nous mener. Shéhérazade ne savait pas, une nuit d'avance, ce qu'elle allait inventer comme histoire le lendemain! La seule façon d'arriver à l'histoire du lendemain, c'était d'inventer l'histoire d'aujourd'hui.
Maintenant que je vous ai rassurés, ça me permet un petit répit! Je pense donc revenir au feuilleton demain ou après-demain. Croisons-nous les doigts! Et tant pis pour Socrate dans sa cellule. C'est sa faute, après tout, s'il se retrouve coincé là. Même que, si je prenais un peu plus de liberté avec l'histoire, je pense que je le laisserais croupir quelques jours de plus. Comme il sait qu'il est immortel, il a de la patience, ce Socrate.
huberlulu
Quand j'étais petit, on avait du cinéma (rarement) dans la salle de récréation du collège commercial de St-Jérôme. On s'entassaient tous, assis par terre. Il n'y avait pas de chaises. Certainement que ça sentait les pieds, mais c'était de l'habituel (de sentir les pieds, pas de s'asseoir par terre pour du cinéma). Un frère des Écoles chrétiennes s'occupait du projecteur... Le film? On a eu Tarzan. On a eu Rintintin. On a eu La fille des marais. Mais le souvenir dont je veux parler, c'est ce moment très spécial qui arrivait toujours: le changement de bobines. Les lumières s'allumaient, le frère devait embobiner la nouvelle bobine de film. Un bon film en avait trois, de ces bobines. Tout le monde criait " Fermez les lumières" quand ça recommençait sans avertissement.
Vous me voyez venir: je suis en train de me ré-embobiner. C'est toute une exploration, toute une aventure, ce feuilleton sur la mort de Socrate. Si vous me voyiez sortir de la bibliothèque, chargé de livres, c'est du sérieux! Charcot, l'hystérie, Freud, Nietzsche (que de consonnes), Siri Hustvedt, Michel Onfray, Michel Foucault... bref, jamais je n'ai été aussi ignorant, ni aussi assoiffé de savoir. Et puis, il y a des pages et des pages sur internet, quand on va sur Google ou sur Wikipedia. Faites l'expérience: tapez ce titre: principaux auteurs grecs.
Ce blog, vous le savez, je l'invente à mesure. Après 18 petits épisodes de ce feuilleton, faut que je me fasse un plan de ce qui s'est dit! et puis, voir les sentiers possibles, avant de foncer. Mais selon la bonne méthode, je vais sans doute remettre le canot dans la rivière sans trop savoir où le courant va nous mener. Shéhérazade ne savait pas, une nuit d'avance, ce qu'elle allait inventer comme histoire le lendemain! La seule façon d'arriver à l'histoire du lendemain, c'était d'inventer l'histoire d'aujourd'hui.
Maintenant que je vous ai rassurés, ça me permet un petit répit! Je pense donc revenir au feuilleton demain ou après-demain. Croisons-nous les doigts! Et tant pis pour Socrate dans sa cellule. C'est sa faute, après tout, s'il se retrouve coincé là. Même que, si je prenais un peu plus de liberté avec l'histoire, je pense que je le laisserais croupir quelques jours de plus. Comme il sait qu'il est immortel, il a de la patience, ce Socrate.
huberlulu
mercredi 24 août 2011
18- volcan et tsunami
"Pouvez-vous m'expliquer à quel fou on a affaire?" C'est ainsi que le gardien de prison avait apostrophé Ctésippe et ses amis, quand ils s'étaient présentés en avant-midi devant la cellule. " Un fou furieux, je vous le dis!"
Par bribes, Ctésippe avait démêlé l'histoire: ce gardien avait reçu des instructions, en prenant son tour de garde: il fallait prévoir la sortie de prison du détenu Socrate. Oui, il y avait changement de nom: de condamné à mort, il était maintenant un détenu. La cellule allait probablement être libérée pour un autre prisonnier, en fin d'après-midi ou en soirée, quand les formalités seraient terminées.
Ce gardien était un bon bougre: il avait hâte de voir l'air ahuri du prisonnier, quand il allait apprendre son amnistie. Il était allé secouer Socrate, sur sa paillasse: "Hé, réveille-toi, c'est ta dernière journée dans cette auberge de luxe!" Socrate avait interprété qu'il se donnerait la mort cette journée-là: "Je suis prêt pour le grand voyage. Prévenez mes amis pour que je leur fasse mes adieux..." Le garde avait éclaté de rire: "Pas question de faire vos adieux! Vous avez tiré le gros lot, monsieur le détenu! Pas de descente aux enfers pour vous. Seulement un exil en dehors d'Athènes. La chaloupe du vieux Charron ne viendra pas accoster sur la rive du Styx pour vous traverser de l'autre côté, chez les morts!"
"En exil en dehors d'Athènes?" avait éclaté Socrate, " J'aime mieux avaler la cigüe dix fois, vous m'entendez?" ...le garde racontait: "pour l'entendre, je l'entendais: il me criait dans les oreilles. Heureusement qu'il était enchaîné, il m'aurait tabassé... les yeux lui sortaient de la tête, je ne l'avais jamais vu comme ça, votre ami. Tout ce qu'il pouvait attraper, il le lançait sur le mur."
"J'ai une mission divine, moi, vous m'entendez? C'est-tu assez pour vous? Divine, une mission divine! Et c'est à Athènes, ma mission, pas à Babylone, imbécile de triple idiot! Jamais je ne bougerai d'ici, jamais, c'est clair ou c'est pas clair?"
Le gardien en était encore tout secoué, de cette explosion de rage incompréhensible. "Imaginez! Vous annoncez à un type qu'il vient d'échapper à sa condamnation à mort, et il vous crache au visage! Il avait une tête à faire peur, heureusement qu'il était dans les chaînes... mais il les secouait joliment!"
La collecte des 30 drachmes s'était faite rondement, mais le sol venait de trembler.
Par bribes, Ctésippe avait démêlé l'histoire: ce gardien avait reçu des instructions, en prenant son tour de garde: il fallait prévoir la sortie de prison du détenu Socrate. Oui, il y avait changement de nom: de condamné à mort, il était maintenant un détenu. La cellule allait probablement être libérée pour un autre prisonnier, en fin d'après-midi ou en soirée, quand les formalités seraient terminées.
Ce gardien était un bon bougre: il avait hâte de voir l'air ahuri du prisonnier, quand il allait apprendre son amnistie. Il était allé secouer Socrate, sur sa paillasse: "Hé, réveille-toi, c'est ta dernière journée dans cette auberge de luxe!" Socrate avait interprété qu'il se donnerait la mort cette journée-là: "Je suis prêt pour le grand voyage. Prévenez mes amis pour que je leur fasse mes adieux..." Le garde avait éclaté de rire: "Pas question de faire vos adieux! Vous avez tiré le gros lot, monsieur le détenu! Pas de descente aux enfers pour vous. Seulement un exil en dehors d'Athènes. La chaloupe du vieux Charron ne viendra pas accoster sur la rive du Styx pour vous traverser de l'autre côté, chez les morts!"
"En exil en dehors d'Athènes?" avait éclaté Socrate, " J'aime mieux avaler la cigüe dix fois, vous m'entendez?" ...le garde racontait: "pour l'entendre, je l'entendais: il me criait dans les oreilles. Heureusement qu'il était enchaîné, il m'aurait tabassé... les yeux lui sortaient de la tête, je ne l'avais jamais vu comme ça, votre ami. Tout ce qu'il pouvait attraper, il le lançait sur le mur."
"J'ai une mission divine, moi, vous m'entendez? C'est-tu assez pour vous? Divine, une mission divine! Et c'est à Athènes, ma mission, pas à Babylone, imbécile de triple idiot! Jamais je ne bougerai d'ici, jamais, c'est clair ou c'est pas clair?"
Le gardien en était encore tout secoué, de cette explosion de rage incompréhensible. "Imaginez! Vous annoncez à un type qu'il vient d'échapper à sa condamnation à mort, et il vous crache au visage! Il avait une tête à faire peur, heureusement qu'il était dans les chaînes... mais il les secouait joliment!"
La collecte des 30 drachmes s'était faite rondement, mais le sol venait de trembler.
mardi 23 août 2011
17- Demain est un autre jour
Personne n'avait encore formulé cette acceptation que Lysias devait transmettre à Thrasybule le soir-même. Ctésippe a pris le taureau par les cornes: "Si je comprends bien, nous sommes tous d'accord pour saisir cette chance de sauver Socrate." II s'est tu un moment, pour une éventuelle intervention, mais notre silence disait bien notre appui unanime. Ctésippe a donc repris la parole: "Il reste maintenant à se partager les tâches."
Je suis intervenu: "Si cela vous convient, je me charge demain de collecter la somme pour payer l'amende. Plusieurs se sont manifestés pendant le procès, qui étaient prêts à participer. Je vais faire la tournée. En fin d'après-midi, je pense pouvoir passer chez-vous, Lysias, pour vous remettre les 30 drachmes . "
De nouveau Ctésippe a pris l'initiative: "Excellent! Maintenant, qui viendra m'accompagner demain pour annoncer à Socrate sa libération? Je propose qu'on se rejoigne en matinée, devant la prison, à l'heure prévue pour les visites." Les gens étaient tous volontaires. L'heure avançait, Lysias s'est levé: il lui restait à rendre compte de sa mission à Thrasybule.
Dehors, le vent continuait à battre sauvagement les tuiles des toits et à secouer les palmes des arbres, comme pour les arracher. J'étais d'humeur à y voir un mauvais présage.
Je suis intervenu: "Si cela vous convient, je me charge demain de collecter la somme pour payer l'amende. Plusieurs se sont manifestés pendant le procès, qui étaient prêts à participer. Je vais faire la tournée. En fin d'après-midi, je pense pouvoir passer chez-vous, Lysias, pour vous remettre les 30 drachmes . "
De nouveau Ctésippe a pris l'initiative: "Excellent! Maintenant, qui viendra m'accompagner demain pour annoncer à Socrate sa libération? Je propose qu'on se rejoigne en matinée, devant la prison, à l'heure prévue pour les visites." Les gens étaient tous volontaires. L'heure avançait, Lysias s'est levé: il lui restait à rendre compte de sa mission à Thrasybule.
Dehors, le vent continuait à battre sauvagement les tuiles des toits et à secouer les palmes des arbres, comme pour les arracher. J'étais d'humeur à y voir un mauvais présage.
lundi 22 août 2011
16- un os dans la soupe
À force de fréquenter Socrate, nous avions développé une habileté à bien peser le pour et le contre d'une proposition. Mais qui aurait pu s'opposer à cette offre qui nous tombait du ciel? J'ai bien senti que je devais casser la glace, prendre la parole: " Lysias, si nous restons silencieux, c'est que l'émotion est trop grande. Vous et Thrasybule, vous êtes une formidable machine de guerre. On comprend mieux comment vous avez réussi, et rapidement, à déloger la tyrannie des Trente et nous redonner la démocratie. Si vous le permettez, nous allons examiner comme il se doit cette proposition. Ensuite nous pourrons vous donner notre réponse."
Je me suis ensuite adressé à mes amis, attablés tout autour. " On demande à Socrate, qui n'a pas un sou vaillant, d'acquitter une amende de 60 drachmes. C'est donc nous qui devons trouver cette somme, dans un délai extrêmement court. Durant le procès, il avait été question d'une amende raisonnable de 30 drachmes. Pourquoi faut-il la doubler maintenant? Qu'en pensez-vous, Lysias?"
Il nous a surpris encore une fois: "Vous avez raison, moi-aussi j'ai trouvé qu'ils pesaient fort sur le crayon. Thrasybule aussi l'a pensé. Alors je crois que personne ne fera difficulté à ce qu'on revienne à ce montant de 30 drachmes, celui qui était mentionné au procès. Ce sera plus facile à collecter, en très peu de temps. "
J'ai donc enchaîné sur le deuxième volet de la négociation: "On demande à Socrate de s'exiler pour quatre années. Nous savons qu'il est pratiquement au bout de sa carrière de philosophe itinérant, il a 70 ans, sa santé est beaucoup plus fragile. Un exil de quatre ans, ce n'est rien pour un jeune, c'est même une aubaine pour aller voir du pays. Mais pour Socrate, ça peut ressembler à un départ sans retour. Est-il prêt à aller mourir loin d'Athènes? Qu'est-ce qui arrive s'il refuse de partir?"
Cette fois, Lysias ne pouvait pas couper la poire en deux. Il a été catégorique: "L'exil de quatre ans n'est pas négociable. Imaginez un peu. Un jury de 500 personnes vient de le condamner à mort, puis, comme si de rien n'était, ils voient leur homme flâner comme d'habitude sur la place du marché! En plus, ils l'entendent harceler les gens, comme Socrate le fait toujours, pour leur prouver qu'ils sont des ignorants. Personne ne va comprendre ce qui se passe avec notre institution de justice. Vous rêvez en couleur. Le plus qu'on peut obtenir, c'est qu'on ne le voit plus, qu'il aille respirer ailleurs."
C'était évident qu'on ne pouvait pas faire comme si elle n'avait pas eu lieu, cette condamnation à mort.
Je me suis ensuite adressé à mes amis, attablés tout autour. " On demande à Socrate, qui n'a pas un sou vaillant, d'acquitter une amende de 60 drachmes. C'est donc nous qui devons trouver cette somme, dans un délai extrêmement court. Durant le procès, il avait été question d'une amende raisonnable de 30 drachmes. Pourquoi faut-il la doubler maintenant? Qu'en pensez-vous, Lysias?"
Il nous a surpris encore une fois: "Vous avez raison, moi-aussi j'ai trouvé qu'ils pesaient fort sur le crayon. Thrasybule aussi l'a pensé. Alors je crois que personne ne fera difficulté à ce qu'on revienne à ce montant de 30 drachmes, celui qui était mentionné au procès. Ce sera plus facile à collecter, en très peu de temps. "
J'ai donc enchaîné sur le deuxième volet de la négociation: "On demande à Socrate de s'exiler pour quatre années. Nous savons qu'il est pratiquement au bout de sa carrière de philosophe itinérant, il a 70 ans, sa santé est beaucoup plus fragile. Un exil de quatre ans, ce n'est rien pour un jeune, c'est même une aubaine pour aller voir du pays. Mais pour Socrate, ça peut ressembler à un départ sans retour. Est-il prêt à aller mourir loin d'Athènes? Qu'est-ce qui arrive s'il refuse de partir?"
Cette fois, Lysias ne pouvait pas couper la poire en deux. Il a été catégorique: "L'exil de quatre ans n'est pas négociable. Imaginez un peu. Un jury de 500 personnes vient de le condamner à mort, puis, comme si de rien n'était, ils voient leur homme flâner comme d'habitude sur la place du marché! En plus, ils l'entendent harceler les gens, comme Socrate le fait toujours, pour leur prouver qu'ils sont des ignorants. Personne ne va comprendre ce qui se passe avec notre institution de justice. Vous rêvez en couleur. Le plus qu'on peut obtenir, c'est qu'on ne le voit plus, qu'il aille respirer ailleurs."
C'était évident qu'on ne pouvait pas faire comme si elle n'avait pas eu lieu, cette condamnation à mort.
dimanche 21 août 2011
15- Quand le vent tourne
Lysias avait une voix profonde. Il détachait chaque syllabe:
"Parfois le temps s'éternise, on attend un changement qui n'en finit plus de se faire désirer. Parfois c'est le contraire, tout se précipite, comme les jours où deux armées s'affrontent. Aujourd'hui est une journée où tout déboule rapidement."
Il a fait une pause, pour nous préparer à entendre la suite.
" Ce matin, Ctésippe, en votre nom, m'a offert de vous représenter légalement. J'ai donné mon accord. Tout de suite je suis allé frapper à la demeure de Thrasybule. Par chance, il était encore chez-lui. Je n'ai pas eu à lui raconter l'agression subie par Socrate dans sa prison: mon ami Thrasybule en connaissait chaque détail. Il m'a dit que ce n'était pas la peine de vous embarquer dans une coûteuse et longue enquête pour trouver le responsable de l'attentat: Thrasybule m'a assuré que ce type n'aurait jamais plus la possibilité d'assommer d'autres personnes... "
" Je lui ai parlé de votre comité de défense de Socrate, avec pour objectif de le sortir de prison. Thrasybule a sourit avec malice, comme il sait le faire. Il m'a dit: d'accord, je te dois bien cela, Lysias. Je vais voir tout de suite ce qui est réalisable. Nous nous sommes quittés. C'était cet avant-midi."
Lysias savait la valeur d'un silence. Il prenait le temps de nous regarder, comme s'il lisait nos émotions sur nos figures. Satisfait de ce qu'il voyait, il a continué:
" J'ai revu Thrasybule cet après-midi: il est venu me retrouver chez-moi. Je connaissais sa réputation d'homme d'action, mais il s'était surpassé. Voilà, il avait en main une proposition à vous transmettre, de la part des accusateurs de Socrate. L'attentat de l'autre nuit les compromettait sérieusement, ils le reconnaissaient. Voici cette proposition qu'ils vous font." Chacun de nous retenait sa respiration. Lysias a enchaîné:
" Ils sont prêts à laisser tomber cette peine de mort contre Socrate, votée par une majorité des jurés. En échange ils exigent deux choses: premièrement, qu'une amende sérieuse, de 60 drachmes, soit payée à la Cité. Deuxièmement, Socrate devra quitter Athènes pour une période de quatre ans: c'est un minimum de temps d'exil pour laisser les passions se refroidir."
"Ce soir, je transmettrai à Thrasybule votre réponse, si vous vous mettez d'accord. Je vous conseille d'accepter cette proposition, elle est raisonnable à mon avis. Mais ne tardez pas: si le mauvais temps se calme, les navires vont rentrer de Délos et la peine de mort sera appliquée sans délai, vous le savez." Lysias s'est tu. Le groupe des amis s'est tourné vers moi, pour que je dirige le débat.
"Parfois le temps s'éternise, on attend un changement qui n'en finit plus de se faire désirer. Parfois c'est le contraire, tout se précipite, comme les jours où deux armées s'affrontent. Aujourd'hui est une journée où tout déboule rapidement."
Il a fait une pause, pour nous préparer à entendre la suite.
" Ce matin, Ctésippe, en votre nom, m'a offert de vous représenter légalement. J'ai donné mon accord. Tout de suite je suis allé frapper à la demeure de Thrasybule. Par chance, il était encore chez-lui. Je n'ai pas eu à lui raconter l'agression subie par Socrate dans sa prison: mon ami Thrasybule en connaissait chaque détail. Il m'a dit que ce n'était pas la peine de vous embarquer dans une coûteuse et longue enquête pour trouver le responsable de l'attentat: Thrasybule m'a assuré que ce type n'aurait jamais plus la possibilité d'assommer d'autres personnes... "
" Je lui ai parlé de votre comité de défense de Socrate, avec pour objectif de le sortir de prison. Thrasybule a sourit avec malice, comme il sait le faire. Il m'a dit: d'accord, je te dois bien cela, Lysias. Je vais voir tout de suite ce qui est réalisable. Nous nous sommes quittés. C'était cet avant-midi."
Lysias savait la valeur d'un silence. Il prenait le temps de nous regarder, comme s'il lisait nos émotions sur nos figures. Satisfait de ce qu'il voyait, il a continué:
" J'ai revu Thrasybule cet après-midi: il est venu me retrouver chez-moi. Je connaissais sa réputation d'homme d'action, mais il s'était surpassé. Voilà, il avait en main une proposition à vous transmettre, de la part des accusateurs de Socrate. L'attentat de l'autre nuit les compromettait sérieusement, ils le reconnaissaient. Voici cette proposition qu'ils vous font." Chacun de nous retenait sa respiration. Lysias a enchaîné:
" Ils sont prêts à laisser tomber cette peine de mort contre Socrate, votée par une majorité des jurés. En échange ils exigent deux choses: premièrement, qu'une amende sérieuse, de 60 drachmes, soit payée à la Cité. Deuxièmement, Socrate devra quitter Athènes pour une période de quatre ans: c'est un minimum de temps d'exil pour laisser les passions se refroidir."
"Ce soir, je transmettrai à Thrasybule votre réponse, si vous vous mettez d'accord. Je vous conseille d'accepter cette proposition, elle est raisonnable à mon avis. Mais ne tardez pas: si le mauvais temps se calme, les navires vont rentrer de Délos et la peine de mort sera appliquée sans délai, vous le savez." Lysias s'est tu. Le groupe des amis s'est tourné vers moi, pour que je dirige le débat.
jeudi 18 août 2011
14. Avec sa gueule de métèque
La veille, nous nous étions entendu pour exiger une enquête sur cette tentative de meurtre. L'un de nous devait contacter l'avocat Lysias pour entamer ces démarches légales. Lysias, c'était tout un bonhomme. Il avait de qui tenir: son père Céphale, Périclès était allé le chercher à Syracuse, et l'avait fait venir à Athènes, tellement il en avait besoin. C'était un marchand d'armes de haute voltige. Il réussissait à trouver l'équipement nécessaire pour armer une trirème, même quand ça semblait impossible. Avec tout le remue-ménage des guerres du Péloponnèse, les ateliers du métèque ne chômaient pas. Les coffres de Céphale se remplissaient d'argent.
Ses fils avaient grandi avec la jeunesse dorée d'Athènes. L'un d'eux, le jeune Lysias, était parti suivre son cours de droit à Thourioi. La vie semblait être au beau fixe jusqu'au moment où il avait décidé, avec son frère Polémarque, de retourner à Athènes et prendre la relève du commerce paternel. Associés, les deux frères voyaient leur usine de boucliers doubler sa production. La prospérité attire les vautours...
La guerre n'apporte pas seulement des contrats aux usines d'armement. Parfois le vent tourne... C'était il y a cinq ans: Athènes assiégée par Sparte, affamée, avait dû capituler. Sparte avait ensuite mis en place les Trente Tyrans: un régime de terreur. Les riches métèques étaient particulièrement ciblés par les égorgeurs: pas besoin de procès, on tuait et on mettait la main sur les biens. La milice avait donc débarqué chez les frères Lysias et Polémarque. Seul Lysias avait réussi à prendre la fuite et gagner la ville de Mégare.
C'était un vaillant, ce Lysias, il rebondissait vite. Le groupe de démocrates qui avaient fui Athènes cherchaient à se regrouper. Le général Thrasybule avait pris les commandes et Lysias avait financé la solde des 300 mercenaires recrutés, l'achat des armes... Deux semaines plus tard, leur petite armée prenait pied au Pirée, attaquait la milice des Tyrans et libérait Athènes!
C'était ce valeureux que notre ami Ctésippe avait rencontré en début de matinée. Lysias l'avait écouté attentivement. Aucun détail ne lui échappait. S'il voulait prendre le dossier? Certainement. Déjà il avait en tête les démarches à faire. Avant de quitter Ctésippe, Lysias avait insisté pour participer à notre réunion du soir.
Ils étaient avec nous, tous les deux. Il s'est fait un grand silence. Lysias allait nous expliquer son statagème.
Ses fils avaient grandi avec la jeunesse dorée d'Athènes. L'un d'eux, le jeune Lysias, était parti suivre son cours de droit à Thourioi. La vie semblait être au beau fixe jusqu'au moment où il avait décidé, avec son frère Polémarque, de retourner à Athènes et prendre la relève du commerce paternel. Associés, les deux frères voyaient leur usine de boucliers doubler sa production. La prospérité attire les vautours...
La guerre n'apporte pas seulement des contrats aux usines d'armement. Parfois le vent tourne... C'était il y a cinq ans: Athènes assiégée par Sparte, affamée, avait dû capituler. Sparte avait ensuite mis en place les Trente Tyrans: un régime de terreur. Les riches métèques étaient particulièrement ciblés par les égorgeurs: pas besoin de procès, on tuait et on mettait la main sur les biens. La milice avait donc débarqué chez les frères Lysias et Polémarque. Seul Lysias avait réussi à prendre la fuite et gagner la ville de Mégare.
C'était un vaillant, ce Lysias, il rebondissait vite. Le groupe de démocrates qui avaient fui Athènes cherchaient à se regrouper. Le général Thrasybule avait pris les commandes et Lysias avait financé la solde des 300 mercenaires recrutés, l'achat des armes... Deux semaines plus tard, leur petite armée prenait pied au Pirée, attaquait la milice des Tyrans et libérait Athènes!
C'était ce valeureux que notre ami Ctésippe avait rencontré en début de matinée. Lysias l'avait écouté attentivement. Aucun détail ne lui échappait. S'il voulait prendre le dossier? Certainement. Déjà il avait en tête les démarches à faire. Avant de quitter Ctésippe, Lysias avait insisté pour participer à notre réunion du soir.
Ils étaient avec nous, tous les deux. Il s'est fait un grand silence. Lysias allait nous expliquer son statagème.
mardi 16 août 2011
13. la charge du sanglier
Depuis Homère, et certainement bien avant lui, nous, les Grecs, nous écoutons les messages de nos rêves. C'est durant notre sommeil que les dieux nous visitent, pour nous instruire de notre destin. J'ai bien pensé à cette visite d'un dieu, quand je me suis réveillé au petit matin, après une nuit agitée. Il faut dire que le vent mugissait. On entendait des tuiles, arrachées aux toits, qui allaient se fracasser dans les ruelles. Je me suis réveillé tout en sueur, assez paniqué.
Dans mon rêve, nous étions à plusieurs à chasser le sanglier. Il s'agissait de battre le tambour, de souffler dans les trompettes, de mener tout un boucan, tout en avançant dans la forêt. Je m'étais retrouvé isolé dans un taillis encombré de branchages, difficile à traverser, quand soudain un monstre de sanglier m'avait affronté. Ses yeux lançaient des éclairs de fureur. Il s'était élancé dans un énorme tapage de branches brisées. J'étais perdu... et me suis réveillé.
Tout de suite me sont revenues les paroles de Socrate, dans sa cellule, quand il avait repris conscience, la nuit où on l'avait assommé: ... le cochon...le cochon... Très certainement Socrate avait reconnu son agresseur, il pourrait l'identifier.
Ce type aurait pu facilement égorger Socrate, mais ne l'avait pas fait. Pourquoi l'avait-il seulement assommé? Pourquoi avait-il eu besoin de l'assommer? Il m'apparaissait maintenant que cet homme-sanglier tenait mordicus à ce que Socrate ne boive pas la cigüe.
La journée m'a paru bien longue: j'avais hâte au soir, pour retrouver mes amis. J'allais apprendre si l'avocat Lysias allait s'engager avec nous, pour porter une plainte officielle et demander qu'on démarre une enquête pour tentative d'assassinat. Est-ce que les démarches pour former un comité de défense, auprès des amis de Socrate, avaient réussi à recruter une première clientèle?
Toutes sortes d'hypothèses contradictoires se culbutaient dans ma tête, comme autant d'intrigues policières. J'étais tout absorbé dans mes questionnements, quand j'ai réalisé que j'étais arrivé à destination. Mes amis aussi débouchaient de la rue, les uns après les autres.
Dans mon rêve, nous étions à plusieurs à chasser le sanglier. Il s'agissait de battre le tambour, de souffler dans les trompettes, de mener tout un boucan, tout en avançant dans la forêt. Je m'étais retrouvé isolé dans un taillis encombré de branchages, difficile à traverser, quand soudain un monstre de sanglier m'avait affronté. Ses yeux lançaient des éclairs de fureur. Il s'était élancé dans un énorme tapage de branches brisées. J'étais perdu... et me suis réveillé.
Tout de suite me sont revenues les paroles de Socrate, dans sa cellule, quand il avait repris conscience, la nuit où on l'avait assommé: ... le cochon...le cochon... Très certainement Socrate avait reconnu son agresseur, il pourrait l'identifier.
Ce type aurait pu facilement égorger Socrate, mais ne l'avait pas fait. Pourquoi l'avait-il seulement assommé? Pourquoi avait-il eu besoin de l'assommer? Il m'apparaissait maintenant que cet homme-sanglier tenait mordicus à ce que Socrate ne boive pas la cigüe.
La journée m'a paru bien longue: j'avais hâte au soir, pour retrouver mes amis. J'allais apprendre si l'avocat Lysias allait s'engager avec nous, pour porter une plainte officielle et demander qu'on démarre une enquête pour tentative d'assassinat. Est-ce que les démarches pour former un comité de défense, auprès des amis de Socrate, avaient réussi à recruter une première clientèle?
Toutes sortes d'hypothèses contradictoires se culbutaient dans ma tête, comme autant d'intrigues policières. J'étais tout absorbé dans mes questionnements, quand j'ai réalisé que j'étais arrivé à destination. Mes amis aussi débouchaient de la rue, les uns après les autres.
lundi 15 août 2011
12. la vipère
Nous étions attablés, réunis comme pour un conseil de guerre. La discussion ne s'était pas éternisée: nous étions tous convaincus qu'on avait tenté d'assassiner Socrate, la veille au soir. Ce n'était la vie de Socrate qui avait été visée. L'ennemi voyait venir les remous qui allait suivre l'exécution: la foule allait s'en prendre à ceux qui l'avaient accusé injustement. Faire mourir Socrate pendant une tentative d'évasion, cela mêlait les cartes et discréditait Socrate. Le hasard avait voulu que Démocédès passe à la prison au moment de l'attentat: de justesse Socrate avait été sauvé. Mais qui avait mené cette attaque?
Quand il s'agit de débusquer une vipère qui se cache dans un muret de pierres, il faut déplacer ces pierres et mener un bon tapage. Nous étions attaqués? La meilleure stratégie était la contre-offensive. Il fallait laisser croire à l'assaillant de Socrate qu'il avait été débusqué, reconnu. Il fallait le forcer à sortir de l'ombre.
Nous nous sommes répartis les tâches pour le lendemain. En premier lieu, l'un de nous devait retenir les services de l'avocat Lysias, à qui Thrasibule était tellement redevable: c'était Lysias qui avait financé et armé le groupe des démocrates, dirigés par Thrasibule, quand ils avaient délogé le groupe des Trente tyrans. Lysias devait porter une plainte officielle pour la tentative d'assassinat de Socrate, exigeant une enquête immédiate et l'arrestation du criminel.
En deuxième lieu, il fallait répandre la nouvelle que l'attaquant avait été identifié, la nuit de l'attaque contre Socrate: son arrestation était une question d'heures. Chacun de nous devait faire circuler cette information, la propager là où les gens se rassemblent: au marché public, dans les échoppes, puis au gymnase où s'entraînent les hommes.
Il fallait former un comité de défense de Socrate. Il ne manquait pas de gens qui seraient prêts à se compromettre pour lui. Nous avons pensé au citoyen Léon: Socrate lui avait sauvé la vie, alors que les Trente cherchaient à le faire périr.
Il y avait aussi le vieil ami d'enfance de Socrate, Chérébon: son rôle était important. C'est Chérébon qui avait consulté la prêtresse à Delphes, qui lui avait révélé que l'homme le plus sage, parmi les Grecs, c'était Socrate. Cette pythie avait ainsi confirmé la mission divine de Socrate, celle d'enseigner la sagesse aux gens. Il était temps de contrer l'accusation d'impiété qui avait fait condamner Socrate. Rejeter Socrate, c'était rejeter un élu du dieu Apollon. Chérébon devait se mettre en cabale, pour sauver son ami.
Nous avons ensuite convenu de nous retrouver le lendemain soir, pour faire part aux autres des résultats de notre campagne médiatique. Le temps d'apitoiement était terminé.
Quand il s'agit de débusquer une vipère qui se cache dans un muret de pierres, il faut déplacer ces pierres et mener un bon tapage. Nous étions attaqués? La meilleure stratégie était la contre-offensive. Il fallait laisser croire à l'assaillant de Socrate qu'il avait été débusqué, reconnu. Il fallait le forcer à sortir de l'ombre.
Nous nous sommes répartis les tâches pour le lendemain. En premier lieu, l'un de nous devait retenir les services de l'avocat Lysias, à qui Thrasibule était tellement redevable: c'était Lysias qui avait financé et armé le groupe des démocrates, dirigés par Thrasibule, quand ils avaient délogé le groupe des Trente tyrans. Lysias devait porter une plainte officielle pour la tentative d'assassinat de Socrate, exigeant une enquête immédiate et l'arrestation du criminel.
En deuxième lieu, il fallait répandre la nouvelle que l'attaquant avait été identifié, la nuit de l'attaque contre Socrate: son arrestation était une question d'heures. Chacun de nous devait faire circuler cette information, la propager là où les gens se rassemblent: au marché public, dans les échoppes, puis au gymnase où s'entraînent les hommes.
Il fallait former un comité de défense de Socrate. Il ne manquait pas de gens qui seraient prêts à se compromettre pour lui. Nous avons pensé au citoyen Léon: Socrate lui avait sauvé la vie, alors que les Trente cherchaient à le faire périr.
Il y avait aussi le vieil ami d'enfance de Socrate, Chérébon: son rôle était important. C'est Chérébon qui avait consulté la prêtresse à Delphes, qui lui avait révélé que l'homme le plus sage, parmi les Grecs, c'était Socrate. Cette pythie avait ainsi confirmé la mission divine de Socrate, celle d'enseigner la sagesse aux gens. Il était temps de contrer l'accusation d'impiété qui avait fait condamner Socrate. Rejeter Socrate, c'était rejeter un élu du dieu Apollon. Chérébon devait se mettre en cabale, pour sauver son ami.
Nous avons ensuite convenu de nous retrouver le lendemain soir, pour faire part aux autres des résultats de notre campagne médiatique. Le temps d'apitoiement était terminé.
dimanche 14 août 2011
11- Borée
Durant la nuit, un fort vent du nord s'était levé. Aucun navire n'allait se risquer à naviguer par un temps pareil. Cette tempête nous donnait un répit.
Cette journée-là, je n'ai pas bougé. On aurait dit que j'avais attrapé la catatonie de Socrate. Avant de décider d'aller à gauche ou à droite, j''attendais de voir plus clair dans ces événements. Si seulement la belle Aspasie avait été encore de ce monde, je serais allé la trouver.
Évidemment les amis sont venus aux nouvelles: ils voulaient savoir si les rumeurs étaient fondées, qui rapportaient des combats autour de la cellule de Socrate, la nuit précédente. Je leur ai raconté les événements. J'ai appris que la prison était fermée aux visiteurs cette journée-là.
Dans ma rencontre avec Démocédès, je n'avais pas pu terminer la discussion sur le procès de Socrate. Les accusations d'impiété et celle d'influence perverse sur la jeunesse, elles m'apparaissaient comme des paravents. Elles dissimulaient de vraies motivations. J'arrivais à cette conclusion: le procès de Socrate était un règlement de compte de la part des démocrates de la cité.
Athènes venait tout juste de sortir d'une guerre civile, entre partisans de la démocratie et ceux de l'aristocratie... Après la victoire de Sparte sur notre ville, le général Lysandre avait installé la tyrannie des Trente pour remplacer le gouvernement de la démocratie. Tout le monde savait que le chef des Trente, Critias, était un ancien du groupe de Socrate. De proches parents de Platon étaient aussi dans ce groupe de tyrans, responsable de l'exécution sommaire de plus de 1,500 citoyens. Socrate avait beau vouloir être au-dessus de la mêlée, les démocrates l'identifiaient à l'ennemi, à Sparte.
Nous vivions la pire époque de notre histoire, celle de la dégringolade. Dans ce climat de grande tension, les Athéniens se déchiraient entre eux à pleines dents. Les meilleurs d'entre nous s'exilaient, partaient s'enrôler dans les armées de mercenaires en partance pour l'Asie. Les 20,000 esclaves des mines d'argent venaient de déserter, il ne serait pas aisé de les rattraper.
Le vent soufflait toujours à pleine force, en soirée, quand j'ai quitté la maison. Je me suis rendu à la taverne où je savais retrouver mes amis. Une idée faisait son chemin dans ma tête.
Cette journée-là, je n'ai pas bougé. On aurait dit que j'avais attrapé la catatonie de Socrate. Avant de décider d'aller à gauche ou à droite, j''attendais de voir plus clair dans ces événements. Si seulement la belle Aspasie avait été encore de ce monde, je serais allé la trouver.
Évidemment les amis sont venus aux nouvelles: ils voulaient savoir si les rumeurs étaient fondées, qui rapportaient des combats autour de la cellule de Socrate, la nuit précédente. Je leur ai raconté les événements. J'ai appris que la prison était fermée aux visiteurs cette journée-là.
Dans ma rencontre avec Démocédès, je n'avais pas pu terminer la discussion sur le procès de Socrate. Les accusations d'impiété et celle d'influence perverse sur la jeunesse, elles m'apparaissaient comme des paravents. Elles dissimulaient de vraies motivations. J'arrivais à cette conclusion: le procès de Socrate était un règlement de compte de la part des démocrates de la cité.
Athènes venait tout juste de sortir d'une guerre civile, entre partisans de la démocratie et ceux de l'aristocratie... Après la victoire de Sparte sur notre ville, le général Lysandre avait installé la tyrannie des Trente pour remplacer le gouvernement de la démocratie. Tout le monde savait que le chef des Trente, Critias, était un ancien du groupe de Socrate. De proches parents de Platon étaient aussi dans ce groupe de tyrans, responsable de l'exécution sommaire de plus de 1,500 citoyens. Socrate avait beau vouloir être au-dessus de la mêlée, les démocrates l'identifiaient à l'ennemi, à Sparte.
Nous vivions la pire époque de notre histoire, celle de la dégringolade. Dans ce climat de grande tension, les Athéniens se déchiraient entre eux à pleines dents. Les meilleurs d'entre nous s'exilaient, partaient s'enrôler dans les armées de mercenaires en partance pour l'Asie. Les 20,000 esclaves des mines d'argent venaient de déserter, il ne serait pas aisé de les rattraper.
Le vent soufflait toujours à pleine force, en soirée, quand j'ai quitté la maison. Je me suis rendu à la taverne où je savais retrouver mes amis. Une idée faisait son chemin dans ma tête.
samedi 13 août 2011
10- Des yeux de fauve
Pas un instant je n'ai douté de la fidélité de Xénophon envers Socrate. Dans les heures tragiques de la tyrannie des Trente, si ce n'avait été de la protection de Xénophon pour son vieux maître, je crois bien que Socrate aurait été exécuté comme bien d'autres opposants. Cette nuit-là, c'est ce terrible guerrier qui attendait mon retour, confortablement installé sur un de mes divans.
"Dis-moi vite: qu'est-ce qui s'est passé cette nuit?" m'a-t-il demandé. J'avais les doigts poisseux, avec le sang de cette blessure de Socrate. "Patiente un peu, le temps que je me lave, je reviens". Dix minutes plus tard, lavé et parfumé, j'ai retrouvé Xénophon.
Il m'a écouté raconter les événements de la nuit. Aussitôt le récit terminé, il était prêt à tirer les conclusions: " C'était un enlèvement. S'il avait réussi, on aurait retrouvé Socrate mort, pas très loin dans un buisson. Le bruit aurait couru d'une lutte pendant qu'il s'évadait. Un scénario cousu de fil blanc. J'ai ma petite idée sur l'auteur du coup"...
J'avais des doutes: "Comment es-tu certain qu'on n'a pas vraiment tenté de sauver Socrate, en l'extirpant de sa cellule?"
-"Allons donc. Tu m'as dit que Socrate était assommé, avec cette blessure à la tête, quand vous l'avez trouvé au fond de sa cellule, et cette porte de la prison ouverte à tous les vents... Votre arrivée a pris de court l'agresseur, il a décampé pour ne pas être reconnu. Tu m'as bien dit que tu avais entendu le bruit de quelqu'un qui dévale une route, à l'approche de la prison..."
J'ai observé Xénophon. Lui seul, de tous mes amis, aurait pu tenter ce coup de force, mais lui, il l'aurait réussi. Mon ami avait lu dans mes pensées: "J'y ai pensé, oui, mais j'y ai renoncé. C'était il y a une semaine. J'en ai parlé à Socrate: il m'a interdit de le faire évader. Il n'était absolument pas question pour lui d'aller vivre en exil à Sparte ou ailleurs. Il se souvenait trop de toutes ces fuites d'Alcibiade, il y a six ans, pour finir assassiné quelque part à l'étranger. "
Xénophon continuait: " Socrate m'a dit que dans un discours, il y a le début, puis le corps du discours, puis sa conclusion. Quand tout a été dit, il faut se taire. Si l'orateur ne comprend pas que c'est terminé, l'auditoire se lève et quitte la place, laissant l'orateur dans la honte. Son discours à lui était terminé, qu'il m'a dit. Il n'allait plus bouger d'Athènes. Il m'a rappelé qu'un hoplite devait savoir mourir sans faire d'histoire. Je lui ai donné raison".
"Cette journée-là, Socrate m'a rappelé cette mort récente du fils de Périclès, condamné avec cinq autres généraux pour ne pas avoir repêché les cadavres des compagnons, après la défaite navale. Tu te souviens, une forte tempête les avait décidés à rentrer au plus vite. Socrate m'a dit que la cigüe ne lui faisait pas peur: des centaines d'autres citoyens avaient été forcés de passer par là, il n'y a pas si longtemps. Il voulait sortir honorablement de cette vie."
Xénophon s'est relevé, comme s'il partait en campagne militaire: "Je pense qu'il va falloir lui donner une sérieuse protection, d'ici l'exécution de la sentence. Je vais m'en occuper". Il a ouvert la porte et j'ai entendu ses pas s'éloigner. Le ciel avait blanchi, les chiens aboyaient, réveillés par les appels des coqs de basse-cour. Une autre journée commençait.
L'image me restait, de la carrure de Xénophon, de sa démarche de guerrier. À quel animal le docteur Démocédès l'aurait-il identifié? J'ai tout de suite pensé au tigre redoutable. Jamais Socrate n'allait être aussi protégé que pendant ses derniers jours.
"Dis-moi vite: qu'est-ce qui s'est passé cette nuit?" m'a-t-il demandé. J'avais les doigts poisseux, avec le sang de cette blessure de Socrate. "Patiente un peu, le temps que je me lave, je reviens". Dix minutes plus tard, lavé et parfumé, j'ai retrouvé Xénophon.
Il m'a écouté raconter les événements de la nuit. Aussitôt le récit terminé, il était prêt à tirer les conclusions: " C'était un enlèvement. S'il avait réussi, on aurait retrouvé Socrate mort, pas très loin dans un buisson. Le bruit aurait couru d'une lutte pendant qu'il s'évadait. Un scénario cousu de fil blanc. J'ai ma petite idée sur l'auteur du coup"...
J'avais des doutes: "Comment es-tu certain qu'on n'a pas vraiment tenté de sauver Socrate, en l'extirpant de sa cellule?"
-"Allons donc. Tu m'as dit que Socrate était assommé, avec cette blessure à la tête, quand vous l'avez trouvé au fond de sa cellule, et cette porte de la prison ouverte à tous les vents... Votre arrivée a pris de court l'agresseur, il a décampé pour ne pas être reconnu. Tu m'as bien dit que tu avais entendu le bruit de quelqu'un qui dévale une route, à l'approche de la prison..."
J'ai observé Xénophon. Lui seul, de tous mes amis, aurait pu tenter ce coup de force, mais lui, il l'aurait réussi. Mon ami avait lu dans mes pensées: "J'y ai pensé, oui, mais j'y ai renoncé. C'était il y a une semaine. J'en ai parlé à Socrate: il m'a interdit de le faire évader. Il n'était absolument pas question pour lui d'aller vivre en exil à Sparte ou ailleurs. Il se souvenait trop de toutes ces fuites d'Alcibiade, il y a six ans, pour finir assassiné quelque part à l'étranger. "
Xénophon continuait: " Socrate m'a dit que dans un discours, il y a le début, puis le corps du discours, puis sa conclusion. Quand tout a été dit, il faut se taire. Si l'orateur ne comprend pas que c'est terminé, l'auditoire se lève et quitte la place, laissant l'orateur dans la honte. Son discours à lui était terminé, qu'il m'a dit. Il n'allait plus bouger d'Athènes. Il m'a rappelé qu'un hoplite devait savoir mourir sans faire d'histoire. Je lui ai donné raison".
"Cette journée-là, Socrate m'a rappelé cette mort récente du fils de Périclès, condamné avec cinq autres généraux pour ne pas avoir repêché les cadavres des compagnons, après la défaite navale. Tu te souviens, une forte tempête les avait décidés à rentrer au plus vite. Socrate m'a dit que la cigüe ne lui faisait pas peur: des centaines d'autres citoyens avaient été forcés de passer par là, il n'y a pas si longtemps. Il voulait sortir honorablement de cette vie."
Xénophon s'est relevé, comme s'il partait en campagne militaire: "Je pense qu'il va falloir lui donner une sérieuse protection, d'ici l'exécution de la sentence. Je vais m'en occuper". Il a ouvert la porte et j'ai entendu ses pas s'éloigner. Le ciel avait blanchi, les chiens aboyaient, réveillés par les appels des coqs de basse-cour. Une autre journée commençait.
L'image me restait, de la carrure de Xénophon, de sa démarche de guerrier. À quel animal le docteur Démocédès l'aurait-il identifié? J'ai tout de suite pensé au tigre redoutable. Jamais Socrate n'allait être aussi protégé que pendant ses derniers jours.
vendredi 12 août 2011
9- L'animalerie s'agrandit
" Je suis médecin, je ne suis pas détective... Foutez-moi la paix avec vos questions et approchez votre lanterne, il faut que je vérifie cette blessure". Le porte-lanterne s'est tenu silencieux, le docteur lui avait coupé le sifflet. Moi, j'étais occupé à soutenir la tête grise du vieux Socrate. Du sang me collait aux doigts. Démocédès lavait la plaie avec précaution. Socrate avait saigné abondamment.
J'ai observé que Socrate n'était plus enchaîné. Celui qui avait agressé mon ami avait donc la clé du gros cadenas qui fixait cette chaîne. Moi qui caressait ce projet d'évasion de Socrate, j'avais bien du retard sur celui ou ceux qui avaient visité la prison ce soir-là.
"Le cochon... le cochon..." C'était Socrate qui reprenait conscience. Démocédès m'a jeté un coup d'oeil narquois: "Retenez cet indice! Il faut chercher un cochon!" qu'il m'a soufflé dans l'oreille.
Plus tard dans la nuit, Démocédès et moi sommes redescendus vers Athènes. La lune avait fait du chemin dans le ciel. Nous avions quitté Socrate qui ronflait maintenant. Les gardes lui avaient remis la chaîne aux pieds, et une sentinelle allait demeurer à l'intérieur de la cellule, cette nuit-là, pour entretenir le feu de charbon. Quand nous étions passé devant la guérite extérieure, trois gardes causaient avec animation.
Il faudrait attendre au lendemain pour savoir comment tout cela avait été possible. J'arrivais chez-moi, j'ai salué Démocédès qui habitait un peu plus loin. Certainement que nous allions nous revoir bientôt. En entrant à la maison j'ai fait de la lumière. À l'intérieur m'attendait un visiteur.
J'ai observé que Socrate n'était plus enchaîné. Celui qui avait agressé mon ami avait donc la clé du gros cadenas qui fixait cette chaîne. Moi qui caressait ce projet d'évasion de Socrate, j'avais bien du retard sur celui ou ceux qui avaient visité la prison ce soir-là.
"Le cochon... le cochon..." C'était Socrate qui reprenait conscience. Démocédès m'a jeté un coup d'oeil narquois: "Retenez cet indice! Il faut chercher un cochon!" qu'il m'a soufflé dans l'oreille.
Plus tard dans la nuit, Démocédès et moi sommes redescendus vers Athènes. La lune avait fait du chemin dans le ciel. Nous avions quitté Socrate qui ronflait maintenant. Les gardes lui avaient remis la chaîne aux pieds, et une sentinelle allait demeurer à l'intérieur de la cellule, cette nuit-là, pour entretenir le feu de charbon. Quand nous étions passé devant la guérite extérieure, trois gardes causaient avec animation.
Il faudrait attendre au lendemain pour savoir comment tout cela avait été possible. J'arrivais chez-moi, j'ai salué Démocédès qui habitait un peu plus loin. Certainement que nous allions nous revoir bientôt. En entrant à la maison j'ai fait de la lumière. À l'intérieur m'attendait un visiteur.
jeudi 11 août 2011
8- feux follets
Il y avait sans doute l'effet du porto, et aussi la voix chantonnante du vieux médecin: j'étais au bord de la somnolence, comme un chat qui s'est trouvé un coin de tapis pour s'allonger, pas loin du foyer. J'ai sursauté quand Démocédès s'est levé brusquement: " Je dois aller voir si tout va bien pour le prisonnier. Venez avec moi, nous allons continuer la causette le long du chemin". Les nuits sont douces à Athènes, en mai, mais nous avons mis notre himation sur nos épaules, pour ne pas prendre de refroidissement. . Le vieux docteur allait d'un bon pas.
"Qu'est-ce que vous vouliez savoir de plus, en venant me voir ce soir?" m'a-t-il demandé. C'était mon tour de déballer ce qui me pesait sur le coeur: " Ce procès qu'on a fait à Socrate, ça ne tient pas debout. Les accusations sont farfelues. Imaginez! Comme s'il pouvait corrompre la jeunesse d'Athènes! Ils ont dit que Socrate offensait les dieux de la cité: c'est ridicule. Socrate a pu se moquer des superstitions, mais jamais il n'a manqué de respect pour ce qui est sacré. Non, ça ne fonctionne pas, et pourtant c'est bien sur ces fadaises qu'il a été condamné à mort! Vous pouvez m'expliquer cela?"
J'étais surpris d'en avoir dit autant. Ma pensée s'était précisée à mesure que les mots l'exprimaient. Au-dessus de nous. le premier quartier de lune éclairait suffisamment le chemin rocailleux qui grimpait à travers les pins. Démocédès a ralenti le pas, il m'a dit: " C'est exactement ce que pense aussi votre ami Xénophon. On en a causé au début de la semaine." Cela m'a piqué au vif: "Xénophon est venu vous voir? Il ne m'en a rien dit!" -"Et vous-même, est-ce que vous étiez pour lui raconter votre visite chez-moi?"
Nous allions bientôt arriver au poste de garde. Il y a eu le bruit d'une course, comme si quelqu'un dévalait une pente en vitesse, puis le silence de la nuit. Étrangement le coin où s'abrite la sentinelle était dans l'obscurité. Peut-être était-il parti faire une inspection autour. J'ai frissonné de surprise: c'était un battement d'ailes de chauve-souris. Nous nous sommes approchés de la prison. Un trou noir: la lourde porte était ouverte! Démocédès a foncé à l'intérieur. Je me demandais comment il pouvait se diriger dans une telle noirceur. Le coeur me battait. Je n'arrivais pas à y croire: Socrate s'était évadé! Comment avait-il fait son compte?
Du fond de la cellule, Démocédès m'appelait: "Approchez, j'ai besoin de votre aide". Mes yeux s'habituaient peu à peu à voir dans cette pénombre. Le docteur était penché sur quelqu'un. Il avait l'oreille sur la poitrine de cette personne, il l'auscultait. "Il est vivant, mais je crois qu'on a assommé votre ami. Vite, allez chercher de la lumière et du secours!" Je me suis précipité dehors, j'ai couru jusqu'à la première maison.
"Qu'est-ce que vous vouliez savoir de plus, en venant me voir ce soir?" m'a-t-il demandé. C'était mon tour de déballer ce qui me pesait sur le coeur: " Ce procès qu'on a fait à Socrate, ça ne tient pas debout. Les accusations sont farfelues. Imaginez! Comme s'il pouvait corrompre la jeunesse d'Athènes! Ils ont dit que Socrate offensait les dieux de la cité: c'est ridicule. Socrate a pu se moquer des superstitions, mais jamais il n'a manqué de respect pour ce qui est sacré. Non, ça ne fonctionne pas, et pourtant c'est bien sur ces fadaises qu'il a été condamné à mort! Vous pouvez m'expliquer cela?"
J'étais surpris d'en avoir dit autant. Ma pensée s'était précisée à mesure que les mots l'exprimaient. Au-dessus de nous. le premier quartier de lune éclairait suffisamment le chemin rocailleux qui grimpait à travers les pins. Démocédès a ralenti le pas, il m'a dit: " C'est exactement ce que pense aussi votre ami Xénophon. On en a causé au début de la semaine." Cela m'a piqué au vif: "Xénophon est venu vous voir? Il ne m'en a rien dit!" -"Et vous-même, est-ce que vous étiez pour lui raconter votre visite chez-moi?"
Nous allions bientôt arriver au poste de garde. Il y a eu le bruit d'une course, comme si quelqu'un dévalait une pente en vitesse, puis le silence de la nuit. Étrangement le coin où s'abrite la sentinelle était dans l'obscurité. Peut-être était-il parti faire une inspection autour. J'ai frissonné de surprise: c'était un battement d'ailes de chauve-souris. Nous nous sommes approchés de la prison. Un trou noir: la lourde porte était ouverte! Démocédès a foncé à l'intérieur. Je me demandais comment il pouvait se diriger dans une telle noirceur. Le coeur me battait. Je n'arrivais pas à y croire: Socrate s'était évadé! Comment avait-il fait son compte?
Du fond de la cellule, Démocédès m'appelait: "Approchez, j'ai besoin de votre aide". Mes yeux s'habituaient peu à peu à voir dans cette pénombre. Le docteur était penché sur quelqu'un. Il avait l'oreille sur la poitrine de cette personne, il l'auscultait. "Il est vivant, mais je crois qu'on a assommé votre ami. Vite, allez chercher de la lumière et du secours!" Je me suis précipité dehors, j'ai couru jusqu'à la première maison.
mercredi 10 août 2011
7. totem et tabou
"J'ai une théorie qu'on ne trouvera pas dans le traité de médecine de mon cousin Hippocrate. On peut en rire mais cette théorie me permet de savoir à qui j'ai affaire. Parfois elle m'aide aussi à guérir un malade. C'est déjà bien comme résultat". Le docteur partait de loin. J'ai décidé de ne pas l'interrompre.
"On peut identifier chacun de nous à un animal. Diogène l'a bien compris, il était le chien errant, le chien libre. Prenez par exemple votre jeune ami Platon: c'est une poule qui picore tout ce qu'elle trouve sur son chemin. Une poule qui pond son oeuf tous les jours. Elle cacasse du haut de son perchoir, le plus haut possible. Cette poule se prend pour un coq, elle essaie d'imiter le cocorico mais il lui manque les ergots". Ça aurait bien fait rire toute la tribu, cette image de Platon-la-poule. Surtout Socrate aurait rigolé. Démocédès faisait durer le plaisir, il fignolait son tableau par petites touches...
"Votre Socrate? Évidemment c'est une tortue. Il a la laideur de ce reptile... Vous savez que cette laideur a failli coûter la vie au jeune Socrate? Sophronisque, son père, n'en revenait pas d'avoir engendré un monstre pareil. Il accusait un dieu farceur de lui avoir joué ce tour. Sa colère devait lui venir d'une petite ressemblance entre Socrate et lui! Toujours est-il qu'il traitait l'enfant à coups de pied. Le petit pensait que son père voulait jouer et revenait s'accrocher à ses jambes. Finalement le père l'a envoyé valser contre un mur. Le petit Socrate a été terrorisé. À partir de ce jour, quand son père était là, Socrate rentrait dans sa carapace. Si le père lui donnait des coups, Socrate faisait le mort, il retenait sa respiration: ainsi il ne sentait plus sa panique. Cela lui est resté: toujours Socrate s'est battu comme une brute, une bête fauve. Mais quand il se sent coincé, il meurt, il entre en catatonie."
"Vous vous demandez d'où je tiens cela? Je l'ai appris du meilleur témoin: le demi-frère de Socrate, le beau Patroclès. Lui, il avait l'allure d'un renard doré. Il était né d'un premier mariage de la mère de Socrate. Son père à lui n'était pas une brute comme Sophronisque. Patroclès et Socrate: deux inséparables, mais tellement différents! Au début, c'est le plus vieux qui protégeait le petit frère. Plus tard, les rôles ont changé, le costaud Socrate arrivait à la rescousse quand Patroclès avait des ennuis. J'ai été le médecin de Patroclès. Il était assis exactement sur ce fauteuil où vous êtes, quand il m'a raconté les crises de son petit frère."
Jamais je n'avais entendu rien de tel sur l'enfance de mon ami. Maintenant je comprenais mieux.
Démocédès n'avait pas terminé: "Cette crise de catatonie, à la prison, elle s'explique bien. Socrate l'a bien entendue, la sentence de mort. Il se sent coincé comme jamais. Alors la tortue rentre dans sa carapace. Socrate ne peut pas s'empêcher de faire le mort."
"Je pense même que le réflèxe de tortue a pris le dessus comme jamais auparavant. Socrate est un vieil homme, il a 70 ans. De plus en plus, il revient à son premier besoin d'enfant: il veut se rapprocher de son père. Dans ces crises, votre ami redevient l'enfant fragile d'autrefois, que son père pourrait épargner. Il se persuade qu'ils vont enfin se réconcilier, après le passage de la mort. Ça peut sembler une sorte de démence, mais allez savoir..."
Mon hôte a rempli nos verres, nous avions encore beaucoup à nous dire.
"On peut identifier chacun de nous à un animal. Diogène l'a bien compris, il était le chien errant, le chien libre. Prenez par exemple votre jeune ami Platon: c'est une poule qui picore tout ce qu'elle trouve sur son chemin. Une poule qui pond son oeuf tous les jours. Elle cacasse du haut de son perchoir, le plus haut possible. Cette poule se prend pour un coq, elle essaie d'imiter le cocorico mais il lui manque les ergots". Ça aurait bien fait rire toute la tribu, cette image de Platon-la-poule. Surtout Socrate aurait rigolé. Démocédès faisait durer le plaisir, il fignolait son tableau par petites touches...
"Votre Socrate? Évidemment c'est une tortue. Il a la laideur de ce reptile... Vous savez que cette laideur a failli coûter la vie au jeune Socrate? Sophronisque, son père, n'en revenait pas d'avoir engendré un monstre pareil. Il accusait un dieu farceur de lui avoir joué ce tour. Sa colère devait lui venir d'une petite ressemblance entre Socrate et lui! Toujours est-il qu'il traitait l'enfant à coups de pied. Le petit pensait que son père voulait jouer et revenait s'accrocher à ses jambes. Finalement le père l'a envoyé valser contre un mur. Le petit Socrate a été terrorisé. À partir de ce jour, quand son père était là, Socrate rentrait dans sa carapace. Si le père lui donnait des coups, Socrate faisait le mort, il retenait sa respiration: ainsi il ne sentait plus sa panique. Cela lui est resté: toujours Socrate s'est battu comme une brute, une bête fauve. Mais quand il se sent coincé, il meurt, il entre en catatonie."
"Vous vous demandez d'où je tiens cela? Je l'ai appris du meilleur témoin: le demi-frère de Socrate, le beau Patroclès. Lui, il avait l'allure d'un renard doré. Il était né d'un premier mariage de la mère de Socrate. Son père à lui n'était pas une brute comme Sophronisque. Patroclès et Socrate: deux inséparables, mais tellement différents! Au début, c'est le plus vieux qui protégeait le petit frère. Plus tard, les rôles ont changé, le costaud Socrate arrivait à la rescousse quand Patroclès avait des ennuis. J'ai été le médecin de Patroclès. Il était assis exactement sur ce fauteuil où vous êtes, quand il m'a raconté les crises de son petit frère."
Jamais je n'avais entendu rien de tel sur l'enfance de mon ami. Maintenant je comprenais mieux.
Démocédès n'avait pas terminé: "Cette crise de catatonie, à la prison, elle s'explique bien. Socrate l'a bien entendue, la sentence de mort. Il se sent coincé comme jamais. Alors la tortue rentre dans sa carapace. Socrate ne peut pas s'empêcher de faire le mort."
"Je pense même que le réflèxe de tortue a pris le dessus comme jamais auparavant. Socrate est un vieil homme, il a 70 ans. De plus en plus, il revient à son premier besoin d'enfant: il veut se rapprocher de son père. Dans ces crises, votre ami redevient l'enfant fragile d'autrefois, que son père pourrait épargner. Il se persuade qu'ils vont enfin se réconcilier, après le passage de la mort. Ça peut sembler une sorte de démence, mais allez savoir..."
Mon hôte a rempli nos verres, nous avions encore beaucoup à nous dire.
mardi 9 août 2011
6- Socrate: rien à comprendre
Le lendemain j'ai commencé par ne rien faire. Les propos du docteur Démocédès me revenaient et j'ai compris qu'il me fallait tour reprendre à zéro: chez lui, je n'avais formulé aucune des questions qui me trottaient dans la tête, il n'avait donc rien répondu. Je me souvenais maintenant des derniers échanges, de son air malicieux, quand il m'avait raccompagné sur le pan de sa porte: ¨À très bientôt, mon ami, ne vous gênez pas pour revenir". Le vieux docteur savait d'avance que je rebondirais chez-lui.
J'ai donc envoyé un mot par mon valet: Je demandais à Démocédès si je pouvais le revoir dans les meilleurs délais, si possible le soir-même. Pour ne pas le compromettre, je suggérais de retourner chez lui: j'apporterais le vin et un gâteau de miel. La réponse a été immédiate: il me recevrait avec plaisir.
Mes amis s'inquiétaient de ne pas me voir avec eux, puis ils ont pensé que je mettais au point la stratégie d'évasion de Socrate. La vérité c'est que j'avais besoin de recul, de solitude. L'enquête ne faisait que commencer. Le soir est vite arrivé, je me suis pointé chez Démocédès.
Nous avons moins perdu de temps dans les formalités de politesse. Quand la servante s'est éloignée, après nous avoir servi une assiette de pieuvre grillée, mon hôte est allé direct au but:
"Vous avez l'air bien tracassé, comme si vous aviez perdu vos clés... qu'est-ce que vous voulez savoir?"
Je n'avais pas le goût de tourner autour du pot, je me suis jeté à l'eau:
"Docteur, est-ce que Socrate est devenu fou, ou bien est-ce moi qui perd la carte?"
Démocédès avait l'humour facile: "Pourquoi voulez-vous que ce soit lui ou vous? "
Il m'a servi un verre de son porto, puis en a bu une rasade.
"Qu'est-ce qui vous fait dire qu'il n'a pas sa raison?"
J'ai donc dit les choses comme je les pensais: Socrate avait toujours été imprévisible, parfois bourru et fantasque. Mais cette fois, il avait plongé dans un drame de sa confection, complètement seul. Ce que nous pouvions en penser, ça n'avait pas d'importance pour lui, il n'entendait que son démon intérieur. Et puis cette nouvelle crise de catatonie, cette paralysie qui l'avait fait passer pour mort, à la prison... Qu'est-ce que Démocédès en pensait, comme médecin?
La soirée allait être longue. J'ai senti que le vieux médecin cherchait lui-aussi à aller au fond des choses.
J'ai donc envoyé un mot par mon valet: Je demandais à Démocédès si je pouvais le revoir dans les meilleurs délais, si possible le soir-même. Pour ne pas le compromettre, je suggérais de retourner chez lui: j'apporterais le vin et un gâteau de miel. La réponse a été immédiate: il me recevrait avec plaisir.
Mes amis s'inquiétaient de ne pas me voir avec eux, puis ils ont pensé que je mettais au point la stratégie d'évasion de Socrate. La vérité c'est que j'avais besoin de recul, de solitude. L'enquête ne faisait que commencer. Le soir est vite arrivé, je me suis pointé chez Démocédès.
Nous avons moins perdu de temps dans les formalités de politesse. Quand la servante s'est éloignée, après nous avoir servi une assiette de pieuvre grillée, mon hôte est allé direct au but:
"Vous avez l'air bien tracassé, comme si vous aviez perdu vos clés... qu'est-ce que vous voulez savoir?"
Je n'avais pas le goût de tourner autour du pot, je me suis jeté à l'eau:
"Docteur, est-ce que Socrate est devenu fou, ou bien est-ce moi qui perd la carte?"
Démocédès avait l'humour facile: "Pourquoi voulez-vous que ce soit lui ou vous? "
Il m'a servi un verre de son porto, puis en a bu une rasade.
"Qu'est-ce qui vous fait dire qu'il n'a pas sa raison?"
J'ai donc dit les choses comme je les pensais: Socrate avait toujours été imprévisible, parfois bourru et fantasque. Mais cette fois, il avait plongé dans un drame de sa confection, complètement seul. Ce que nous pouvions en penser, ça n'avait pas d'importance pour lui, il n'entendait que son démon intérieur. Et puis cette nouvelle crise de catatonie, cette paralysie qui l'avait fait passer pour mort, à la prison... Qu'est-ce que Démocédès en pensait, comme médecin?
La soirée allait être longue. J'ai senti que le vieux médecin cherchait lui-aussi à aller au fond des choses.
5. les figues comme dessert
Je connaissais Démocédès de réputation: ce vieux médecin avait vécu, vingt ans plus tôt, les mois de catastrophe quand la peste avait frappé Athènes. Il était maintenant immunisé à tous nos accès de fièvre. Pendant toutes ces années de guerre contre Spartes, il s'en était tenu à son rôle de médecin, au-dessus de la mêlée. J'ai été reçu très civilement chez-lui, ce soir-là.
Le souper était frugal comme je m'y attendais. Après une salade d'oignons et de choux, on nous a servi un espadon à la mode ancienne, salé. "Goûtez ce vin de Chios", m'a conseillé mon hôte. C'était le marchand Sarambos qui le fournissait avec les meilleurs crus. Il s'est informé de tous ces arrivages de produits qu'on avait débarqués sur les quais, au cours de la journée: sa curiosité était réelle, comme s'il était un négociant passionné des importations d'Egypte et d'Asie.
Dans notre pays, on ne traite jamais d'affaires sérieuses, le ventre vide: je connaissais le rituel, j'ai attendu poliment la fin du repas pour savoir ce que me voulait le vieux médecin. Nous avons finalement repoussé nos assiettes, grignoté quelques figues, but une fine liqueur de cassis. Nous arrivions au vif du sujet. "Vous tenez vraiment à faire évader votre ami?"
Ce n'était pas une question. J'ai attendu la suite. "Vous n'êtes pas le seul à souhaiter qu'il sorte de prison", a-t-il ajouté. "Ses accusateurs le souhaitent autant que vous". Cette fois, j'ai été soufflé! Démocédès était satisfait de son effet, il m'avait déstabilisé.
"Non, ils n'ont pas changé d'opinion sur Socrate. Seulement, ils s'aperçoivent que sa mort va les mettre dans un joli pétrin: déjà des groupes s'agitent pour demander qu'on les bannisse de la cité. Socrate leur a joué un sale tour, en les transformant en bourreaux d'un innocent. " Où voulait-il en venir, le cher docteur? Est-ce qu'il était l'intermédiaire des adversaires pour négocier l'évasion en douce de Socrate? Je ne le voyais pas dans ce rôle.
"Mais personne ne réussira cette évasion, ni vous ni le groupe qui l'a accusé. La porte de la prison aurait beau être laissée ouverte toute la nuit, sans aucun garde pour la surveiller, vous trouveriez votre Socrate assis confortablement dans sa cellule, au petit matin, attendant son café. Il vous suggèrerait de refermer la porte, pour les courants d'air!" Démocédès a rempli nos verres, ça m'a permis d'avaler tout ce qu'il avait dit.
Il a continué, pour aller au bout de sa pensée: "Votre Socrate, je l'ai bien observé pendant tout ce procès. Je le connais d'ailleurs depuis des années. Il a fait trois guerres, vous savez. Ça ne fait pas de doute qu'il veut mourir, mais sur une victoire. Vous auriez beau vous battre pour le sauver, c'est lui qui va l'emporter, vous pouvez en être certain."
J'ai compris que l'entrevue était terminée. Il m'a salué gentiment quand je l'ai quitté. Dehors la nuit était noire: j'ai pensé à la prison sur la colline des Muses, pas très loin. Mais il me fallait penser à voir quelqu'un d'autre.
Le souper était frugal comme je m'y attendais. Après une salade d'oignons et de choux, on nous a servi un espadon à la mode ancienne, salé. "Goûtez ce vin de Chios", m'a conseillé mon hôte. C'était le marchand Sarambos qui le fournissait avec les meilleurs crus. Il s'est informé de tous ces arrivages de produits qu'on avait débarqués sur les quais, au cours de la journée: sa curiosité était réelle, comme s'il était un négociant passionné des importations d'Egypte et d'Asie.
Dans notre pays, on ne traite jamais d'affaires sérieuses, le ventre vide: je connaissais le rituel, j'ai attendu poliment la fin du repas pour savoir ce que me voulait le vieux médecin. Nous avons finalement repoussé nos assiettes, grignoté quelques figues, but une fine liqueur de cassis. Nous arrivions au vif du sujet. "Vous tenez vraiment à faire évader votre ami?"
Ce n'était pas une question. J'ai attendu la suite. "Vous n'êtes pas le seul à souhaiter qu'il sorte de prison", a-t-il ajouté. "Ses accusateurs le souhaitent autant que vous". Cette fois, j'ai été soufflé! Démocédès était satisfait de son effet, il m'avait déstabilisé.
"Non, ils n'ont pas changé d'opinion sur Socrate. Seulement, ils s'aperçoivent que sa mort va les mettre dans un joli pétrin: déjà des groupes s'agitent pour demander qu'on les bannisse de la cité. Socrate leur a joué un sale tour, en les transformant en bourreaux d'un innocent. " Où voulait-il en venir, le cher docteur? Est-ce qu'il était l'intermédiaire des adversaires pour négocier l'évasion en douce de Socrate? Je ne le voyais pas dans ce rôle.
"Mais personne ne réussira cette évasion, ni vous ni le groupe qui l'a accusé. La porte de la prison aurait beau être laissée ouverte toute la nuit, sans aucun garde pour la surveiller, vous trouveriez votre Socrate assis confortablement dans sa cellule, au petit matin, attendant son café. Il vous suggèrerait de refermer la porte, pour les courants d'air!" Démocédès a rempli nos verres, ça m'a permis d'avaler tout ce qu'il avait dit.
Il a continué, pour aller au bout de sa pensée: "Votre Socrate, je l'ai bien observé pendant tout ce procès. Je le connais d'ailleurs depuis des années. Il a fait trois guerres, vous savez. Ça ne fait pas de doute qu'il veut mourir, mais sur une victoire. Vous auriez beau vous battre pour le sauver, c'est lui qui va l'emporter, vous pouvez en être certain."
J'ai compris que l'entrevue était terminée. Il m'a salué gentiment quand je l'ai quitté. Dehors la nuit était noire: j'ai pensé à la prison sur la colline des Muses, pas très loin. Mais il me fallait penser à voir quelqu'un d'autre.
lundi 8 août 2011
4-Pas de bateau à l'horizon
Quand nous nous sommes présentés à la prison, le lendemain, les gardes nous ont signifié que le prisonnier n'était plus autorisé à recevoir des visiteurs. Aucun colis ne pouvait lui être remis, ni même le repas que nous avions pour lui. Chacun est rentré chez soi.
En suivant les longs murs, je suis descendu au Pirée. J'avais besoin de flâner sur les quais, pour y voir clair dans la suite à donner. Des équipes de manoeuvres chargeaient des navires en partance pour la Crète, pour la Sicile. Toutes sortes de cargaisons étaient aussi déchargées: les quais étaient encombrés de toutes ces caisses, ces amphores, ces ballots. Il y avait aussi, comme chaque jour, des centaines d'esclaves dirigés vers le marché public. J'ai longuement regardé l'horizon: il faudrait encore plusieurs jours avant qu'apparaissent les deux navires sacrés, partis pour Délos avec l'offrande rituelle à Apollon. Aucune exécution capitale n'était permise avant leur retour. Avec un peu de chance, une bonne tempête dans les îles pourrait les empêcher de quitter le port de Délos.
Plus j'y pensais, plus il m'apparaissait que Socrate nous avait roulé dans la farine. Vraiment, il nous avait bien manipulés, comme un joueur d'échec qui mène le jeu. Ce procès valait une pièce de théâtre d'Eschyle. Socrate nous y avait fait joué un rôle qui ajoutait au spectacle. Il avait bel et bien provoqué ce procès. Il avait refusé d'être défendu par notre avocat, le meilleur de tous. Ensuite, son attitude lui avait fait perdre la sympathie des jurés. Quand il avait eu à proposer une sentence, Socrate avait poussé l'arrogance jusqu'à leur dire qu'on devait au contraire le traiter mieux qu'un héros des jeux olympiques et lui garantir ses repas gratuits, jusqu'à la fin de ses jours, dans l'édifice du prytanée.
J'en étais là dans mes réflexions quand un messager m'a remis un pli: c'était de la part du médecin légiste. Il tenait à me rencontrer le soir même et m'invitait à souper chez-lui. L'animation s'apaisait sur les quais, les gens rentraient à Athènes: j'ai pris le chemin du retour, il me fallait me préparer à cette rencontre.
En suivant les longs murs, je suis descendu au Pirée. J'avais besoin de flâner sur les quais, pour y voir clair dans la suite à donner. Des équipes de manoeuvres chargeaient des navires en partance pour la Crète, pour la Sicile. Toutes sortes de cargaisons étaient aussi déchargées: les quais étaient encombrés de toutes ces caisses, ces amphores, ces ballots. Il y avait aussi, comme chaque jour, des centaines d'esclaves dirigés vers le marché public. J'ai longuement regardé l'horizon: il faudrait encore plusieurs jours avant qu'apparaissent les deux navires sacrés, partis pour Délos avec l'offrande rituelle à Apollon. Aucune exécution capitale n'était permise avant leur retour. Avec un peu de chance, une bonne tempête dans les îles pourrait les empêcher de quitter le port de Délos.
Plus j'y pensais, plus il m'apparaissait que Socrate nous avait roulé dans la farine. Vraiment, il nous avait bien manipulés, comme un joueur d'échec qui mène le jeu. Ce procès valait une pièce de théâtre d'Eschyle. Socrate nous y avait fait joué un rôle qui ajoutait au spectacle. Il avait bel et bien provoqué ce procès. Il avait refusé d'être défendu par notre avocat, le meilleur de tous. Ensuite, son attitude lui avait fait perdre la sympathie des jurés. Quand il avait eu à proposer une sentence, Socrate avait poussé l'arrogance jusqu'à leur dire qu'on devait au contraire le traiter mieux qu'un héros des jeux olympiques et lui garantir ses repas gratuits, jusqu'à la fin de ses jours, dans l'édifice du prytanée.
J'en étais là dans mes réflexions quand un messager m'a remis un pli: c'était de la part du médecin légiste. Il tenait à me rencontrer le soir même et m'invitait à souper chez-lui. L'animation s'apaisait sur les quais, les gens rentraient à Athènes: j'ai pris le chemin du retour, il me fallait me préparer à cette rencontre.
samedi 6 août 2011
3. Freud ou pas Freud
J'avais hâte de rentrer à Athènes, hâte de vérifier si on allait pouvoir sortir Socrate de prison en tâchant de l'endormir avec une drogue, ou bien en essayant ce truc du professeur Charcot, l'hypnotisme. Quand j'ai retrouvé mes amis attablés à la taverne, ce soir-là, j'ai bien vu que ça n'allait plus du tout. Leur silence pesait: ils m'en voulaient d'avoir été absent. Comment leur expliquer mon voyage hors-temps chez le Dr Freud? J'ai attendu qu'ils débloquent, me suis servi un verre de rouge, j'ai croqué des olives.
Leur journée avait commencé par une catastrophe: les abords de la prison, sur la colline des Muses, étaient interdits, les gardes éloignaient les curieux. Le mot passait que le célèbre Socrate s'était donné la mort durant la nuit. D'autres disaient que Socrate se mourait, empoisonné. Le médecin légiste avait été appelé d'urgence, à l'aube. Après une grosse heure, il était ressorti en vitesse, sans rien dire à personne.
Dans ces cas-là, il faut sortir sa bourse sans lésiner. En soudoyant un garde, mes amis avaient appris ce dont je me doutais bien: Socrate s'était figé en statue de pierre, en momie glacée. Nous connaissions les crises de notre ami, elles étaient de plus en plus fréquentes: il tombait en catatonie, et ces paralysies pouvaient durer jusqu'au lendemain. En douce, le gardien avait accepté de voir à hydrater Socrate.
Nous étions maintenant devant un fichu dilemme: fallait-il contacter les magistrats pour les instruire de ce que nous savions de la santé de notre ami? Jamais nous n'avions été devant un choix aussi difficile. Aucun de nous n'était prêt à cette sorte de trahison. La vie de Socrate ne comptait plus pour Socrate: jamais il n'aurait pu vivre en dehors de sa mission de prophète, divinement inspiré, habité par son démon intérieur, son bon génie. Remettre en question sa santé mentale, c'était le vider de lui-même, c'était tuer son âme.
Nous étions tous d'accord: il fallait laisser passer du temps, Socrate s'en sortirait lentement, comme chaque fois. Il ne fallait pas faire de vagues. Je suis reparti chez-moi, avec sous le bras le document du professeur Charcot: ce n'était pas le moment d'expérimenter l'hypnotisme sur Socrate. Le Dr Freud allait attendre.
Leur journée avait commencé par une catastrophe: les abords de la prison, sur la colline des Muses, étaient interdits, les gardes éloignaient les curieux. Le mot passait que le célèbre Socrate s'était donné la mort durant la nuit. D'autres disaient que Socrate se mourait, empoisonné. Le médecin légiste avait été appelé d'urgence, à l'aube. Après une grosse heure, il était ressorti en vitesse, sans rien dire à personne.
Dans ces cas-là, il faut sortir sa bourse sans lésiner. En soudoyant un garde, mes amis avaient appris ce dont je me doutais bien: Socrate s'était figé en statue de pierre, en momie glacée. Nous connaissions les crises de notre ami, elles étaient de plus en plus fréquentes: il tombait en catatonie, et ces paralysies pouvaient durer jusqu'au lendemain. En douce, le gardien avait accepté de voir à hydrater Socrate.
Nous étions maintenant devant un fichu dilemme: fallait-il contacter les magistrats pour les instruire de ce que nous savions de la santé de notre ami? Jamais nous n'avions été devant un choix aussi difficile. Aucun de nous n'était prêt à cette sorte de trahison. La vie de Socrate ne comptait plus pour Socrate: jamais il n'aurait pu vivre en dehors de sa mission de prophète, divinement inspiré, habité par son démon intérieur, son bon génie. Remettre en question sa santé mentale, c'était le vider de lui-même, c'était tuer son âme.
Nous étions tous d'accord: il fallait laisser passer du temps, Socrate s'en sortirait lentement, comme chaque fois. Il ne fallait pas faire de vagues. Je suis reparti chez-moi, avec sous le bras le document du professeur Charcot: ce n'était pas le moment d'expérimenter l'hypnotisme sur Socrate. Le Dr Freud allait attendre.
vendredi 5 août 2011
Antiquités chez Freud
Le lendemain, quand je me suis pointé à la demeure luxueuse du Dr Freud, je n'ai pas eu à actionner la sonnette d'entrée: la porte s'est ouverte. La tenue vestimentaire du docteur était aussi impeccable que la veille: veston et gilet d'habit. On aurait dit qu'une maquilleuse l'avait peigné et poudré pour une entrevue à la télé. Il m'a guidé cette fois vers son fumoir.
Mon anxiété grimpait: j'allais apprendre si notre ami Socrate avait une chance d'être sauvé de sa sentence de mort. Le Dr Freud m'a indiqué un fauteuil de cuir, puis m'a présenté un coffret avec des cigares. J'ai décliné l'offre. Comme un célébrant qui s'absorbe dans un rituel rigoureux, il s'est occupé à allumer son cigare avec un briquet d'orfèvrerie. Longuement il a savouré les premières bouffées, avec un air de communiant aux saintes espèces. J'attendais. Il était comme ces chefs d'orchestre qui laissent s'appesantir le silence avant de lancer les musiciens dans l'attaque d'une symphonie. J'ai décliné aussi son offre d'un verre de porto. Il savourait lentement, à petites lampées.
"Je vais être franc et direct avec vous", qu'il m'a dit. Cela présageait une mauvaise nouvelle. Il a continué en détachant bien les mots:
"Vous savez, il faut des années d'entrevues régulières, pour une psychanalyse. Et puis, à vous seul je vais le confier, sachant que personne ne vous croira si vous allez le répéter: les psychanalyses n'ont jamais guéri personne. Au mieux, elles ont un effet placebo. " Il avait joint les mains comme pour une prière.
"Vous connaissez les techniques de l'hypnose?" qu'il m'a demandé. On m'avait raconté que les chamans prenaient possession de l'esprit du malade qu'on leur présentait, pour le diriger comme on manipule une marionnette. Je ne voyais pas comment on allait manipuler ainsi l'irréductible Socrate.
"Il faut que vous réussissiez un enlèvement, avec sa pleine collaboration. S'il est hypnotisé, il va vous suivre docilement en dehors de la prison, sans faire d'histoire. " Puis le docteur m'a remis le manuel du professeur Charcot, décrivant les étapes d'une séance d'hypnotisme. "C'est simple, faites-le."
Il m'a ensuite conduit devant une vitrine aux étagères remplies de bibelots. J'ai reconnu les figurines égyptiennes qu'on nous vend dans les souks. Le message du docteur se passait de mots: il souhaitait être payé en nature, en objets d'antiquités. J'ai sorti une pièce de monnaie, un drachme à l'effigie de Périclès, et l'ai déposée sur la tablette. Le docteur a apprécié, silencieusement.
"Revenez dans quelques jours, quand vous aurez expérimenté les techniques de Charcot. Vous me direz comment avance la préparation de l'évasion. Revenez le soir, en fin de soirée, vous n'êtes pas un patient ordinaire. " Je me suis retrouvé dans la rue. J'étais loin de me douter des événements du lendemain.
Mon anxiété grimpait: j'allais apprendre si notre ami Socrate avait une chance d'être sauvé de sa sentence de mort. Le Dr Freud m'a indiqué un fauteuil de cuir, puis m'a présenté un coffret avec des cigares. J'ai décliné l'offre. Comme un célébrant qui s'absorbe dans un rituel rigoureux, il s'est occupé à allumer son cigare avec un briquet d'orfèvrerie. Longuement il a savouré les premières bouffées, avec un air de communiant aux saintes espèces. J'attendais. Il était comme ces chefs d'orchestre qui laissent s'appesantir le silence avant de lancer les musiciens dans l'attaque d'une symphonie. J'ai décliné aussi son offre d'un verre de porto. Il savourait lentement, à petites lampées.
"Je vais être franc et direct avec vous", qu'il m'a dit. Cela présageait une mauvaise nouvelle. Il a continué en détachant bien les mots:
"Vous savez, il faut des années d'entrevues régulières, pour une psychanalyse. Et puis, à vous seul je vais le confier, sachant que personne ne vous croira si vous allez le répéter: les psychanalyses n'ont jamais guéri personne. Au mieux, elles ont un effet placebo. " Il avait joint les mains comme pour une prière.
"Vous connaissez les techniques de l'hypnose?" qu'il m'a demandé. On m'avait raconté que les chamans prenaient possession de l'esprit du malade qu'on leur présentait, pour le diriger comme on manipule une marionnette. Je ne voyais pas comment on allait manipuler ainsi l'irréductible Socrate.
"Il faut que vous réussissiez un enlèvement, avec sa pleine collaboration. S'il est hypnotisé, il va vous suivre docilement en dehors de la prison, sans faire d'histoire. " Puis le docteur m'a remis le manuel du professeur Charcot, décrivant les étapes d'une séance d'hypnotisme. "C'est simple, faites-le."
Il m'a ensuite conduit devant une vitrine aux étagères remplies de bibelots. J'ai reconnu les figurines égyptiennes qu'on nous vend dans les souks. Le message du docteur se passait de mots: il souhaitait être payé en nature, en objets d'antiquités. J'ai sorti une pièce de monnaie, un drachme à l'effigie de Périclès, et l'ai déposée sur la tablette. Le docteur a apprécié, silencieusement.
"Revenez dans quelques jours, quand vous aurez expérimenté les techniques de Charcot. Vous me direz comment avance la préparation de l'évasion. Revenez le soir, en fin de soirée, vous n'êtes pas un patient ordinaire. " Je me suis retrouvé dans la rue. J'étais loin de me douter des événements du lendemain.
jeudi 4 août 2011
le Dr Freud en réflexion
Mes amis et moi, nous avions à peine trois semaines devant nous pour sauver Socrate de lui-même. Il y avait très peu de chances de réussir. Sur le plan de l'argumentation, Socrate n'avait pas d'égal, il nous mettait tous en boîte, avec un plaisir évident. Pour lui, avoir raison était une drogue dont il était accroc comme ceux qui gagent aux combats de coq. Nous étions désespérés.
L'idée loufoque m'était venue de demander l'aide du Dr Freud. C'était impossible, plus de 20 siècles séparaient Socrate et Freud. Mais justement Freud s'attaquait à ce qui avait toujours semblé impossible. Et puis, j'avais beau fouiller dans les siècles précédents, je ne trouvais personne capable de venir à bout de Socrate: il s'amuserait encore et encore à avoir raison de choisir la cigüe, envers et contre tous.
J'ai donc tenté ma chance, j'ai frappé à la porte du Dr Freud. Quand il a entendu qu'il s'agissait du célèbre Socrate, il m'a reçu, intrigué.
J'ai donc expliqué au docteur l'urgence d'agir. Notre groupe, les inconditionnels de Socrate, on se butait à un mur. Socrate avait dans les yeux le pétillant du fanatique qui ne doute de rien et qui se moque de nos efforts. Le Dr Freud, lui qui le premier avait révélé au monde que tout se passe dans l'inconscient, pourrait-il ouvrir les yeux du grand Socrate?
J'ai ajouté que chaque soir, notre groupe se retrouvait pour commenter les derniers échanges avec le prisonnier Socrate. Nous étions frustrés, déprimés au possible. Nous avions beau aimer Socrate depuis des années, il nous enrageait, tout en nous attristant. J'ai même avoué qu'on souhaitait que ça finisse au plus vite, et que c'était un jeu cruel.
Le célèbre docteur a pris des notes, comme à l'accoutumée. Il s'est gratté la tête, il a tourmenté sa barbiche, il a essuyé ses lunettes avec un mouchoir brodé à ses initiales. Le silence pesait. On peut dire que le temps s'était suspendu: on n'entendait plus les secondes s'égrener dans la grosse horloge du bureau. Finalement le Dr Freud m'a annoncé qu'il allait y penser sérieusement: "Revenez demain, je vous dirai où j'en suis". Il m'a tendu mon chapeau et m'a ouvert la porte.
Sur le chemin du retour, je me suis dit qu'il n'y avait rien de gagné, mais au moins j'aurais tenté l'impossible.
L'idée loufoque m'était venue de demander l'aide du Dr Freud. C'était impossible, plus de 20 siècles séparaient Socrate et Freud. Mais justement Freud s'attaquait à ce qui avait toujours semblé impossible. Et puis, j'avais beau fouiller dans les siècles précédents, je ne trouvais personne capable de venir à bout de Socrate: il s'amuserait encore et encore à avoir raison de choisir la cigüe, envers et contre tous.
J'ai donc tenté ma chance, j'ai frappé à la porte du Dr Freud. Quand il a entendu qu'il s'agissait du célèbre Socrate, il m'a reçu, intrigué.
J'ai donc expliqué au docteur l'urgence d'agir. Notre groupe, les inconditionnels de Socrate, on se butait à un mur. Socrate avait dans les yeux le pétillant du fanatique qui ne doute de rien et qui se moque de nos efforts. Le Dr Freud, lui qui le premier avait révélé au monde que tout se passe dans l'inconscient, pourrait-il ouvrir les yeux du grand Socrate?
J'ai ajouté que chaque soir, notre groupe se retrouvait pour commenter les derniers échanges avec le prisonnier Socrate. Nous étions frustrés, déprimés au possible. Nous avions beau aimer Socrate depuis des années, il nous enrageait, tout en nous attristant. J'ai même avoué qu'on souhaitait que ça finisse au plus vite, et que c'était un jeu cruel.
Le célèbre docteur a pris des notes, comme à l'accoutumée. Il s'est gratté la tête, il a tourmenté sa barbiche, il a essuyé ses lunettes avec un mouchoir brodé à ses initiales. Le silence pesait. On peut dire que le temps s'était suspendu: on n'entendait plus les secondes s'égrener dans la grosse horloge du bureau. Finalement le Dr Freud m'a annoncé qu'il allait y penser sérieusement: "Revenez demain, je vous dirai où j'en suis". Il m'a tendu mon chapeau et m'a ouvert la porte.
Sur le chemin du retour, je me suis dit qu'il n'y avait rien de gagné, mais au moins j'aurais tenté l'impossible.
mercredi 3 août 2011
Socrate chez le dr Freud
Hier j'ai lu ce qu'on raconte du procès de Socrate et de son emprisonnement après la sentence de mort. Il se passe un mois entre la sentence et l'application du châtiment. Platon raconte comment les amis de Socrate tentent de le convaincre de s'échapper de la prison et de partir en exil: c'était une pratique courante, si on payait les pots de vin. Socrate s'applique à convaincre ses amis qu'il est raisonnable de ne pas partir et de se laisser tuer.
Je n'aime pas qu'on soit dupes des beaux sermons de Socrate. Ses raisonnements pleins de moralité cachent autre chose: le vrai mobile de son suicide. Pourquoi choisit-il de mourir, tout en faisant porter l'odieux de sa mort aux personnes qui ont voté sa condamnation?
Pour comprendre un peu, il faut quitter le beau dialogue tricoté par Platon, et suivre une piste que nous donne Socrate. Il a parlé de son démon intérieur: un bon génie qui lui dit toujours ce qu'il ne faut pas entreprendre. Je ne suis pas certain qu'on doive installer une auréole sur la tête de cet ange-gardien de Socrate. On gagnerait à le démasquer.
Durant ce mois qui précède sa mort, ses amis le visitent en prison car ils ont de l'attachement pour lui. Socrate continue à jouer au professeur irréductible, expliquant par questions et réponses comment il est raisonnable d'obéir à des lois déraisonnables. Il me semble enfermé dans son personnage de raisonneur à tout crin. Sa grande force, il l'utilise contre lui-même, elle devient sa faiblesse. Il me fait penser à un pape qui ne peut plus sortir de la bouteille dogmatique dans laquelle il est allé s'enfermer, condamné à une vérité impossible.
Socrate gagnerait à se payer une visite chez le dr Freud. Ce serait un pas de plus, dans la bonne direction: celle du "connais-toi toi-même". Socrate pourrait reconnaître et accepter qu'il est ce besoin de mourir, sans avoir à se justifier à son ami Criton. Socrate nous toucherait parce qu'il deviendrait vrai. Et puis, il se reposerait un peu de cette mission de pédagogue qui le fait courir sans fin comme un écureuil dans une cage.
Je n'aime pas qu'on soit dupes des beaux sermons de Socrate. Ses raisonnements pleins de moralité cachent autre chose: le vrai mobile de son suicide. Pourquoi choisit-il de mourir, tout en faisant porter l'odieux de sa mort aux personnes qui ont voté sa condamnation?
Pour comprendre un peu, il faut quitter le beau dialogue tricoté par Platon, et suivre une piste que nous donne Socrate. Il a parlé de son démon intérieur: un bon génie qui lui dit toujours ce qu'il ne faut pas entreprendre. Je ne suis pas certain qu'on doive installer une auréole sur la tête de cet ange-gardien de Socrate. On gagnerait à le démasquer.
Durant ce mois qui précède sa mort, ses amis le visitent en prison car ils ont de l'attachement pour lui. Socrate continue à jouer au professeur irréductible, expliquant par questions et réponses comment il est raisonnable d'obéir à des lois déraisonnables. Il me semble enfermé dans son personnage de raisonneur à tout crin. Sa grande force, il l'utilise contre lui-même, elle devient sa faiblesse. Il me fait penser à un pape qui ne peut plus sortir de la bouteille dogmatique dans laquelle il est allé s'enfermer, condamné à une vérité impossible.
Socrate gagnerait à se payer une visite chez le dr Freud. Ce serait un pas de plus, dans la bonne direction: celle du "connais-toi toi-même". Socrate pourrait reconnaître et accepter qu'il est ce besoin de mourir, sans avoir à se justifier à son ami Criton. Socrate nous toucherait parce qu'il deviendrait vrai. Et puis, il se reposerait un peu de cette mission de pédagogue qui le fait courir sans fin comme un écureuil dans une cage.
mardi 2 août 2011
time-machine
Je vous avais prévenu: cette histoire du monde antique est un labyrinthe. La preuve, c'est que je me suis perdu pendant des heures, à lire sur la vie de Socrate, tout ce qu'on sait et tout ce qu'on ne sait pas sur lui. Puis je pensais m'en tirer par une pirouette, en relisant tout ce qu'a fait Théophraste, le successeur d'Aristote. C'est trop pour tout de suite, je prends une pause jusqu'à demain. Nous sommes des amis, je sais que vous m'approuvez. Notre devise: pas de blâme! Voici quand même un dessin, il a été fait dans la basilique de Québec.
lundi 1 août 2011
n'importe où et ailleurs
Aborder ce monde des Grecs d'autrefois
ressemble à explorer un cerveau plein de
ramifications. Chaque pas nous met devant
huit sentiers possibles. Lequel choisir?
Je me sens comme une luciole: vous en
voyez une apparaître dans la nuit, et voici
qu'elle s'est éteinte. Puis elle réapparait,
mais dans une autre direction, et s'éteint
de nouveau. Elle échappe à la mâchoire
de la chauve-souris en bifurquant
de façon imprévisible.
Je ne savais pas, en abordant Diogène,
que j'allais croiser Platon, dont il se
moque, puis Alexandre qui le visite à
Corinthe. Je ne savais pas qu'Aristote
était dans les bagages d'Alexandre.
Avant Platon, il y a eu Socrate. Après
Aristote, il y a eu Théophraste. De qui
allons-nous parler?
Ce sont des constellations dans un
nouveau ciel. L'âge génial de l'humanité.
Tout ce monde écrit, discute, explore,
invente la botanique, l'astronomie, la géométrie, le théâtre. C'est un feu d'artifice assourdissant.
... Peu après cette rencontre de Diogène, Alexandre rejoint son père Philippe: avant la grande expédition qu'ils préparent contre la Perse, il y a des noces, celles de la soeur d'Alexandre, Cléopatre. C'est la fête. Pendant la noce, Pausanias, un officier du roi, assassine Philippe... Alexandre écrit à Darius, le nouveau roi de Perse, pour le blâmer d'avoir organisé ce meurtre de son père. Commence la grande épopée, la grande chevauchée d'Alexandre...
ressemble à explorer un cerveau plein de
ramifications. Chaque pas nous met devant
huit sentiers possibles. Lequel choisir?
Je me sens comme une luciole: vous en
voyez une apparaître dans la nuit, et voici
qu'elle s'est éteinte. Puis elle réapparait,
mais dans une autre direction, et s'éteint
de nouveau. Elle échappe à la mâchoire
de la chauve-souris en bifurquant
de façon imprévisible.
Je ne savais pas, en abordant Diogène,
que j'allais croiser Platon, dont il se
moque, puis Alexandre qui le visite à
Corinthe. Je ne savais pas qu'Aristote
était dans les bagages d'Alexandre.
Avant Platon, il y a eu Socrate. Après
Aristote, il y a eu Théophraste. De qui
allons-nous parler?
Ce sont des constellations dans un
nouveau ciel. L'âge génial de l'humanité.
Tout ce monde écrit, discute, explore,
invente la botanique, l'astronomie, la géométrie, le théâtre. C'est un feu d'artifice assourdissant.
... Peu après cette rencontre de Diogène, Alexandre rejoint son père Philippe: avant la grande expédition qu'ils préparent contre la Perse, il y a des noces, celles de la soeur d'Alexandre, Cléopatre. C'est la fête. Pendant la noce, Pausanias, un officier du roi, assassine Philippe... Alexandre écrit à Darius, le nouveau roi de Perse, pour le blâmer d'avoir organisé ce meurtre de son père. Commence la grande épopée, la grande chevauchée d'Alexandre...
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