jeudi 24 novembre 2011

Un coq pour Asclépios

Socrate est entré dans son agonie, dans sa "lutte finale". Le poison fait son effet, il sent l'engourdissement, le froid, la paralysie. Comme c'est la coutume, il s'est recouvert le visage: c'est la pudeur de ceux qui partent. Puis il le découvre, car il lui vient quelque chose d'important à dire, qu'il allait oublier. "Criton, tu te souviendras, on doit un coq à Asclépios".
- "Oui, Socrate, j'y penserai. Y a-t-il autre chose que tu veux nous dire?"
Socrate s'est recouvert le visage de nouveau, il ne parlera plus, il est parti.

Cela me fait penser à la dernière journée d'une jeune femme qui avait décidé de partir, elle-aussi. Elle avait laissé un message à la gardienne, pour qu'elle n'oublie pas de reconduire l'enfant chez les grand-parents, à la fin de l'après-midi. Puis elle avait cueilli les petites fèves de son jardin, les avait mises au frigo. Elle avait sans doute jeté un coup d'oeil sur le comptoir de la cuisine, pour voir à ce que rien ne traîne. Le souci d'une femme qui tient bien sa maison, qui range les choses à leur place. Puis elle était allé se donner la mort.

Ce coq pour Asclépios, on peut se creuser les méninges pour y trouver un message important. Imaginez: les derniers mots de Socrate. Le testament ultime. Mais ça me plaît de penser que c'est trivial, que c'est un détail de la vie très ordinaire.  " Le loyer du mois n'est pas payé, tu y penseras".  "Mes souliers sont encore chez le cordonnier, passe les chercher".  "Il reste une soupe dans le frigo, elle est encore bonne".  Ce coq, ça faisait une mèche de temps qu'on le devait à Asclépios, c'est pas une raison pour qu'on continue à remettre ça à plus tard, il faut régler ses comptes.

Cette sorte de non-dramatisation, celle qui colle à la vie, elle affirme beaucoup. Le sens de la vie? C'est de vivre. Cette bouchée mordue dans la pomme.

Cet aristocrate qu'on a sorti du cachot pour le conduire à la guillotine, il continue à lire les aventures de Don Quichotte. Il monte les marches, attentif à ce qu'il lit,  s'approche du bourreau, repli le coin de la page qu'il vient de lire, car il faut interrompre n'est-ce pas, et remet le livre.

Cette noblesse, qui se moque de la mort en s'occupant de la vie.


1 commentaire:

Michel à Isabelle a dit…

Quelle belle finale pour l'épisode Socratique....ça mijotait dans son jus...et ça en valait la peine!