mardi 31 mai 2011

Jeanne d'Arc runs again

Rien de plus gentil qu'une association
catholique comme les Lacordaire ou
les Jeanne d'Arc: du bien bon monde.
Ma mère en faisait partie. Mon père
était un mécréant, il n'avait pas été
recruté. Pas de blâme.
Dans ces associations paroissiales,
on s'engageait simplement à ne pas
laisser entrer une goutte d'alcool dans
sa maison. Sauf l"alcool à friction,
je suppose.
Sur semaine, mon père ne touchait
pas à l'alcool. En fin de semaine, il
descendait à la cave, et remontait les
marches avec une physionomie
différente. Pas de blâme.
Gabrielle avait le sens du devoir: elle
dénichait le gros gin caché dans la
cave, ou bien la cruche de vin
St-Georges:  elle les vidait
religieusement dans le lavabo de la
cuisine. Pas de blâme.
Moïse a bien brisé les tables de la
Loi, dans sa colère contre les fêtards.
Il les a aussi fait mettre à mort,  car il
faut donner des exemples en éducation.  Bref, chez les Jeanne d'Arc, on n'avait pas peur de mettre le feu aux poudres. Alors Charles marchait et marchait, dans le corridor de la maison, ne sachant pas ce qu'il allait faire de toute sa colère.  J'avais quatre ans et je craignais un meurtre. Jeanne d'Arc priait.  Pas de blâme.

lundi 30 mai 2011

le pouvoir des mots

Peut-être est-ce l'information, à la BBC,
concernant le Pakistan et ses lois qui
prévoient la peine de mort pour le délit
de blasphème, peut-être que c'est cette
sorte d'atrocité qui vient me souffler
d'en parler ici. Vous vous en doutez,
je suis allé consulter Wikipedia sur ce
mot. Je vous suggère d'en faire autant,
car je n'ai pas l'ambition de répéter ce
qui a été bien expliqué ailleurs.

Au Québec, c'est le châtiment éternel
qui tombait sur la tête de celui qui
blasphémait. Si la colère vous prenait
c'était hautement préférable de ne pas
vous en prendre au Très-Haut pour
faire sortir la vapeur.

Les mots font beaucoup plus que
nommer les gens et les choses. Les
paroles peuvent guérir. Elles peuvent
aussi détruire, anéantir. Autrefois
il y avait les bénédictions et les
malédictions:  on usait alors
carrément du pouvoir des mots!

dimanche 29 mai 2011

la croix noire

 Ce blog m'oblige à m'instruire,
vous n'en avez pas idée.
En voici un exemple:  je voulais
commenter un trait des ancêtres,
suite à la conférence de l'autre
soir: en Nouvelle-France,
en 1742,
on buvait du vin aux trois repas!

Au siècle suivant, l'alcool était
devenu un péché pour les curés
et un crime pour le législateur.
Tout un revirement!

il m'est revenu en mémoire
un nom, un fantôme: le fameux
Chiniquy...

Mon grand-père Alexandre se
souvenait du passage de Chiniquy
dans les rangs au nord de Joliette.
C'était la grande croisade de la
tempérance. Les habitants
faisaient le serment de ne plus
toucher un seul verre de boisson. Une croix noire était clouée sur le mur du salon. Chiniquy... quel personnage, à travers tout le Québec et aux Etats! Un rebelle excommunié. Je n'en savais pas plus.

Je me suis donc immergé de nouveau dans Wikipédia. Il y en a pour des heures tellement c'est captivant:  l'histoire de la boisson, des Lacordaire et Jeanne d'Arc, de la prohibition, des alambics!  C'est la petite histoire de nos familles, une histoire dont nos parents ne racontaient que des bribes...  Comme les bulles d'une coupe de champagne, ça me remonte en mémoire, à l'occasion de ce blog!

samedi 28 mai 2011

le chapelet en famille

J'ai la naîveté de croire que je n'ai plus
de naîveté.  Car cette croyance que j'ai
de ne plus être naïf, c'est encore une
croyance, et toutes les croyances sont
naïvetés d'enfant.

J'avalais tout, absolument tout. On me
faisait avaler cuillérée après cuillérée:
c'était du sirop pour le rhume, ou bien
un tonique amer. Plus il était amer,
plus il allait me guérir. Le meilleur pour
la santé, et le pire à avaler, c'était cette
cuillérée d'huile de ricin, ou bien l'huile
de castor. Plus tard, l'huile de foie de
morue, une cuillérée aussi. On se pinçait
le nez et on avalait.

Tout ce qui m'était enseigné, je le croyais.
C'était ainsi à l'école primaire, et ainsi
au collège.  Il n'y avait pas d'espace pour
contredire ou pour demander des preuves.
Apprendre, cela signifiait mémoriser.
On apprenait par coeur les questions et
les réponses. Il s'agissait de bien réciter
nos leçons.

Tout cela marque profondément une culture.  Nous étions un peuple en procession de la Fête-Dieu.  Même Charles, qui n'y croyait pas, se mettait à genoux pour réciter le chapelet en famille, quand ma mère Gabrielle nous faisait agenouiller. Dans ces moments, il était l'enfant d'autrefois, le petit Charles.
Une famille qui prie est une famille unie, affirmait notre cardinal Léger. Nous étions cette naïveté. Pas de blâme.

vendredi 27 mai 2011

Les mangeurs de patates

Quand j'ai lu dans le Journal de l'Ile
que l'historien Jean-Marie Lebel
allait donner une conférence sur
la vie quotidienne de nos ancêtres,
je n'ai pas hésité une seconde.  j'y
suis allé et j'ai bien fait.
Impossible d'en faire ici un résumé:
c'était riche comme un vieil album
de photos d'autrefois: il faudrait
commenter chacune de ces images.

Ces colons qui venaient s'installer
en Nouvelle-France, très vite ce
n'étaient plus des Français.  Ils
l'affirmaient nettement: nous sommes
des Canadiens.  Pehr Kalm, dans son
récit de voyage en Amérique, décrit
nos traits de caractère:  nous sommes
indécis, partagés entre le oui et le non.
Ce qui occupe nos conversations c'est
la température qu'il fait!  Et puis, nous
n'aimons pas la chicane... C'était en
1749.

Dix ans plus tard, c'est la conquête:
victoire des Anglais sur les Français.
Les bourgeois et les nobles retournent en France, et le clergé prend toute la place laissée vacante.  Ce pouvoir de l'Eglise devient omniprésent, il n'est plus contesté par des esprits libres.

Et puis nous aurions pu inspirer les premières toiles de Van Gogh: nous sommes devenus des mangeurs de patates, à chaque repas!

Je vois bien que je suis très loin de vous transmettre ce que communique une conférence de Jean-Marie Lebel: un réveil de la curiosité, un désir d'aller fouiner dans ces livres rares.

jeudi 26 mai 2011

un peu de sérieux

Du temps que j'étais fringant, j'habitais
avec ma petite famille le long du rang
Sud, à Ste-Victoire-de-Sorel.  Un pays
plat où pousse le blé d'inde à vache.
Elles sont raffinées, les vaches:  elles
préfèrent ne pas goûter au blé d'inde
pour humains, question de goût.  Elles
s'y connaissent en blé d'inde, elles en
ont ruminé le pour et le contre.

Mon voisin Lionel avait un bon
troupeau de ces vaches laitières.
Parfois elles longeaient mes clôtures
et reluquaient les laitues de mon jardin.
Mais le délice des délices pour une
vache, m'avait confié Lionel, c'est le
trèfle du printemps.  Comme tous les
délices des délices,  ça peut leur être
fatal... J'écoutais Lionel, je m'instruisais
avec ferveur.

Au printemps les vaches quittent l'ennui
de l'étable. C'est tout un choc pour elles,
m'expliquait Lionel.  Mettez-vous à leur
place, pensez à tous ces mois de noirceur, avec seulement le  vent lugubre à entendre. Voilà qu'on les pousse dans la lumière! Faut comprendre ce qu'elles ressentent en retrouvant toutes ces odeurs, toutes ces saveurs,  et le plaisir d'avancer à mi-jambe dans le trèfle:  elles sont enivrées, elles s'empiffrent comme si elles allaient en manquer... Elles oublient toute sagesse, les vaches.

Faut les sauver à temps, m'a dit Lionel, et vite les ramener à l'étable, sinon elles vont exploser...  Imaginez tout ce gaz de fermentation, produit par leurs trois estomacs... Ce que j'ai appris de Lionel, je vous le redonne: c'est notre force, à nous les humains, de nous transmettre les trésors de la science. Alors vous serez prévenus: évitez les détonations!  Ne laissez pas vos vaches brouter le trèfle pendant des heures, ces premières journées du printemps.

mercredi 25 mai 2011

Paradoxes du philosophe

Toujours à cette unique et extraordinaire
librairie d'occasion L'Ancre des Mots,
le hasard (aucun classement dans cette
caverne d'Ali Baba) m'a fait découvrir
ce petit volume  L'amour La solitude
par André Comte-Sponville.

C'est bon comme du pain croûté avec
de la gelée de pommettes dessus.  En
voici une tartinade avec ses paradoxes:

¨...nous n'avons de bonheur
que dans ces moments de grâce
où nous n'espérons rien...

...nous n'avons de bonheur
qu'à proportion du désespoir
que nous sommes capable
de supporter...

...le bonheur reste notre but...
et cela veut dire que nous ne
l'atteindrons qu'à la condition
d'y renoncer...

Voilà pour votre collation.  Les pommettes,  je les trouve au kiosque de monsieur Plante, le long du chemin Royal.  Essuyez-vous le bec.  Je vous en donnerai un pot, de cette gelée.

mardi 24 mai 2011

Leçon numéro un

Je ne veux pas vous faire la leçon.
Si je tombe dans ce travers, vite,
poussez-moi du coude, pour que
je m'en aperçoive avant d'être trop
ridicule.

Je pensais à tous ces discours sur
la perte de la qualité de l'eau, du sol
et celle de l'air.  Les forums
internationaux tentent de limiter la
surcharge d'émissions de gaz
carbonique, l'empoisonnement des
fleuves par les décharges de produits
toxiques, la sur-pêche des espèces
menacées de disparition.   Les
expéditions scientifiques mesurent
la vitesse de fonte des glaciers, la
diminution de la couche d'ozone, la
hausse du niveau des océans.

Nous avons peur de perdre, c'est
évident. Pour bien sentir cette peur,
pour lui donner plus de force
ou pour réveiller la conscience du
public, nous ajoutons que nous ne
voulons pas laisser un héritage pourri
à nos enfants.

Le soleil se couche tard à cette période-ci de l'année,  j'ai vu que j'avais le temps, avant la noirceur, d'aller marcher tout le sentier, jusqu'au ponceau qui enjambe le petit ruisseau.  Charlot était d'accord.  Tous les deux, on y est allé d'un bon pas, chacun à sa manière:  Charlot s'arrêtait à tout bout de champ pour flairer toutes sortes de senteurs qui ne m'intéressent pas, puis il courrait me rattraper.

Arrivé au ruisseau, Charlot s'est précipité dedans pour y boire à grandes lampées sonores.  Il s'est même accroupi dedans, comme si c'était l'heure de prendre son bain avant qu'on lui lise l'histoire du chat botté et du marquis de Carabas.  J'écoutais cette musique des petites cascades. Je regardais la gentillesse des racines du bouleau qui habite à trois pouces du ruisseau. C'était très bon à respirer. Charlot est venu s'asseoir très droit, le dos contre moi, sur mes pieds.

lundi 23 mai 2011

la fête de Dollard

Aujourd'hui on fête les patriotes,
au Québec. Quand j'étais au collège,
c'est Dollard qu'on fêtait, pour ne pas
fêter la reine d'Angleterre. Mes
parents ne fêtaient ni la reine, ni
Dollard, ni les patriotes. Je suis
devenu comme eux, un non-croyant
en matière de patriotisme.

Dollard Desormeaux et ses amis
nous étaient présentés comme des
martyrs offrant leur vie pour la
grande cause.  Ils s'étaient d'abord
confessés, ils avaient entendu la
sainte messe dans le recueillement,
ils avaient communié. Puis ils étaient
partis dans le bois, occuper un
fortin pour bloquer l'avance d'une
troupe d'Iroquois.

Les Indiens avaient attaqué: on voyait
sur l'image plein de flèches traverser
le ciel. On voyait surtout un nuage de
fumée, suite à l'explosion d'une bombe:
les jeunes héros avaient tenté de catapulter par dessus la palissade un baril de poudre, ils avaient manqué leur coup,  le baril était retombé à l'intérieur, tuant tous les braves. Mais leur sacrifice avait porté fruit: devant tant de courage, les Iroquois avaient décidé de rentrer chez-eux.

D'une voix lente et solennelle, avec roulement de tambours et sonnerie de clairons, on nous lisait les noms des jeunes héros canadiens-français, et le drapeau était hissé en haut du mat.

dimanche 22 mai 2011

Parle commande règne

J'ai sous les yeux une image
troublante: Un homme se baisse
et tend la main vers un gros
caillou. Il n'est pas géologue.
Il ne prend pas cette roche pour
s'en servir dans la construction
d'un muret.

Ce qui me trouble surtout, c'est
de savoir qu'une écolière de
douze ans, pensionnaire chez les
Dames de la Congrégation, à
Joliette, regardait cette image
affichée sur les murs de sa classe.

On y représente une lapidation,
rien de moins. Un type va être
lapidé. On voit sur l'image
Moïse qui en donne l'ordre,
au nom de Dieu. Le type avait
ramassé un fagot de branches
pour son poêle à bois, un jour
où il ne faut pas travailler, et
Dieu va le punir.  L'écolière
qui  apprend la peur de Dieu,
c'est Gabrielle ma mère.

Mon voisin Robert m'a prêté le grand catéchisme en images, publié en 1912. Chacune de ces images se retrouvaient sur les murs des classes du primaire, à travers tout le Québec. Ces gravures y étaient encore quand ça été mon tour d'apprendre l'alphabet, les chiffres et les péchés. On y voit à répétition où mène le plaisir:  beaucoup de ces images représentent les diables et le sadisme de l'enfer éternel.  On y apprend en
75 pages les commandements et les châtiments. Ici, exactement ici, loin de l'Espagne, fleurissait la belle culture de l'Inquisition.

samedi 21 mai 2011

battements de coeur


Un coeur humain bat environ 80 fois
par minute. Une souris a un rythme
cardiaque plus passionné que le nôtre:
600 battements à la minute! (oui, je
continue à m'instruire avec Wikipedia)

L'espérance de vie, pour la souris et
pour nous, est la même, comme pour
tous les mammifères:  un milliard
de battements de coeur.  Du moins,
c'était vrai pendant des millénaires.
Récemment, avec les antibiotiques
et l'hygiène, notre mortalité a été
décalée:  nous vivions en moyenne
jusqu'à 30 ans, et maintenant nous
atteignons 80 ans.

Tout est question d'intensité de vie.
Mon chien Charlot vivra douze ans,
selon les statistiques. Il mord dans
l'existence sept fois plus que moi.
Lui et moi nous visons notre
milliard de battements de coeur.

La sagesse ne vient donc pas avec le nombre des années, mais avec le solde des battements de coeur.  Charlot n'a pas besoin de tourner sa langue sept fois, pour éviter de dire une bêtise.

vendredi 20 mai 2011

toc toc toc

Je me demandais si quelqu'un
frappait à la porte, ou si c'était
un chat qui faisait ce bruit. Il
n'y avait personne... Puis, une
sonnerie à l'autre porte. C'était
Mélina, huit ans. Elle tenait un
porte-folio.

¨Je vends des oeuvres d'art¨,
qu'elle m'a dit.  Une petite
Alice au pays des Merveilles.
J'avais à choisir entre deux
dessins. Celui que j'ai choisi
se vendait vingt-deux sous.

Je me suis souvenu d'Eve: à
huit ans, de porte en porte,
elle avait vendu des billets
de tirage à $1 le billet.
Soixante personnes l'avaient
encouragé. Le gros lot:  $2
Avec sa nouvelle fortune,
Eve avait acheté un lot de
planches pour se construire
une cabane...

Ce n'est pas tous les jours qu'on a accès Au Pays des Merveilles.  J'ai pensé qu'il fallait vous prévenir: si vous entendez un faible bruit, et que vous ne voyez rien par la fenêtre, c'est un indice qu'une fée vous visite.  Ne lésinez pas sur le prix de leurs oeuvres d'art.

jeudi 19 mai 2011

Dans la nuit des temps, il fait jour

J'avais une forte fièvre, cette nuit-là,
une fièvre capable de délire. J'ai fait
ce rêve.

Une route de terre, devant moi.
Au bout de cette route, arrive un
groupe: je sais que ce sont des
Egyptiens d'autrefois.

Leur groupe s'avance en ordre
comme un carré d'armée. Ce ne
sont pas des soldats, mais des
familles: des hommes et des
femmes avec des enfants et des
vieux.

Il n'y a pas de tambour pour
rythmer leurs pas, et pourtant
ils marchent tous du même pas.
Leur marche est totalement
silencieuse.

C'est bouleversant:  ils sont une
seule personne malgré leur nombre.
Il n'y a pas cinquante pensées, mais une seule et même pensée se formule dans les mêmes mots, en même temps, dans ces cinquante personnes silencieuses.  C'est comme s'il n'y avait qu'une seule respiration.  Jamais je n'ai rencontré une telle puissance,  une telle cohésion.

Déjà ils s'éloignaient sur la route... déjà ils n'étaient plus là.

mercredi 18 mai 2011

les yeux laser

À l'époque ancienne des longues
messes en latin, à attendre que ça
finisse par finir, il m'arrivait de
regarder la nuque d'une personne
assise quelques rangées devant
moi. J'avais la surprise de voir
cette personne se retourner,
comme si mon regard la brûlait.

Comment expliquer qu'on sente
très bien quand on est observé?
La pensée voyage-t-elle entre
nous sans avoir à passer par un
téléphone?

L'illusion est sans doute de croire
qu'on est tous détachés les uns
des autres, séparés comme des
bouteilles rangées sur une tablette
de vitre. Peut-être sommes-nous
un seul tissu vivant, malgré les
distances qui semblent nous
isoler.

L'invention de la radio n'a pas créé les ondes-radio:  elles existent depuis toujours.  L'espace de l'univers est peuplé de toutes sortes d'ondes voyageuses.  Celles qui se transforment en images et en langage, dans notre cerveau, elles voyagent aussi, à leur vitesse lumineuse, en dehors de nous, d'un cerveau à l'autre:  c'est une intuition, une hypothèse, jusqu'à l'invention d'un outil qui mesure ces ondes, noir sur blanc.

mardi 17 mai 2011

Ma tante Margot

Il n'y a que deux personnes au monde pour
se souvenir de l'existence de tante Margot:
ma soeur et moi. Je ne sais pas si ma soeur
évoque parfois Margot, la soeur de Charles.
Pour ma part, je l'oublie complètement.

Très tôt dans sa vie, Margot s'était exilée:
elle vivait en Virginie, elle y travaillait
comme technicienne de laboratoire dans
un hôpital. Sans doute qu'elle n'aurait pas
trouvé d'emploi au Québec: les hôpitaux
de l'époque étaient contrôlés par les
communautés religieuses, et Margot avait
divorcé de son mari français, chauffeur de
taxi à New-York. Le divorce la mettait en
situation d'illégalité, dans notre société
fondamentaliste.

Ce blog m'amène là où je ne vais jamais:
il me rappelle l'existence de ceux qui
ont existé, les morts. Tante Margot est
décédée il y a une bonne quarantaine
d'années... Si elles tournent les pages de
vieux albums de famille, mes filles ne
sauront pas retrouver Margot, parmi tous
les inconnus de ces photos anciennes.

Quelle place donnez vous à vos morts? Sans qu'on y prête attention, je crois qu'ils occupent une bien grande place.  Quand j'éclate de rire, ma façon de rire est colorée par les rires des gens qui ont été proches de moi  Leur humour a façonné le mien. Mes bêtises ressemblent un peu à leurs bêtises,  mes peurs s'apparentent à leurs peurs.

À travers mes émotions, mes colères, ma manière de toucher et d'être touché par vous, Margot continue à inventer une manière de vivre ce cadeau de l'existence.

lundi 16 mai 2011

l'astronome Bruno et l'univers

Giordano Bruno a beaucoup à faire:
il dresse la carte du ciel, un espace
sans frontières, où notre soleil se
perd dans une multitude d'étoiles.
Les juges du Vatican scrutent cette
carte du ciel, ils ne l'aiment pas du
tout.

Ils condamnent Bruno au bûcher, à
Rome, sur la place publique, pour le
rayer de la carte. Puis le juge du
Tribunal d'Inquisition est élu pape.
Un saint pape, qu'on a canonisé.

C'est bête d'avoir brûlé la carte du
ciel de l'astronome Bruno: elle aurait
sa valeur au Musée du Vatican. Tant
qu'à Bruno, il est monté tout droit au
ciel, sous forme de fumée.

Ce Bruno, va-t-on le canoniser,
maintenant qu'on sait qu'il avait
raison dans ses discours sur l'univers?
Impossible vu que c'est un pape
canonisé qui a allumé son bûcher.
Faut tout de même un peu de rigueur.
Parfois.

grisaille d'âme

Hier soir j'étais incapable de me mettre
à cette écriture du blog.  Les pieds
m'enfonçaient dans le marais, je calais.
Trop de solitude ici. Vous connaissez
le paradoxe de la solitude:  elle est
nécessaire à la création, et elle la bloque
aussi.  La ligne est fine, entre ces deux
espaces.

Les oies blanches, en migration, ont
besoin de tout ce monde qui bat des
ailes, dans leurs escadrons.  Elles sont
vraies, les oies. Elles sont tissées
ensemble, reliées comme de beaux
récits vivants qui inventent le
chemin.

J'ai besoin d'entendre votre battement
d'ailes, si nous sommes dans la
même aventure d'existence.

samedi 14 mai 2011

Toto et Titi

Il n'y avait pas que l'eau du parc,
celle qui sentait les oeufs pourris,
comme merveille à aller cueillir
quand on traversait le pont pour
se rendre à Joliette, les soirs d'été.
Il y avait aussi et surtout La Patrie
chaque fin de semaine.

Toute une section du journal
m'était réservée: celle des comics.
Philomène, Tarzan, Le fantôme...
Les autres sections allaient aux
adultes, c'est à dire à Alexandre,
le seul intéressé aux nouvelles.
Et j'étais le seul à accaparer
toutes ces pages merveilleuses
de bandes dessinées.

Trente années plus tard, j'ai
connu le même engouement,
la même attente fiévreuse:
chaque lundi nous arrivait
le Pilote:  les aventures du
Concombre Masqué, par
Mandryka; Cellulite par
Brétécher;  Fred,  Antonin
et tous les autres..

Mais il me manquait la potion magique, celle des années de petite enfance:  l'eau sulfureuse du parc!

vendredi 13 mai 2011

le décodage des pensées

Je rentre d'une longue marche avec
mon bouvier bernois. Charlot est un
silencieux digne des moines de la
Trappe d'Oka. Silencieux? C'est ce
que pensent ceux qui ne savent pas
l'entendre.

Quand il veut me partager ce qui
lui trotte dans la tête, Charlot a une
stratégie bien à lui:  il s'immobilise,
s'assoit sur son derrière et me regarde.
J'ai alors le choix: je peux prétendre
que c'est un caprice de sa part pour
se donner une pause.  Je peux aussi
lui donner le crédit d'un message
qu'il me communique:  à moi de le
décoder.

Par contagion, évidemment, je suis
devenu aussi silencieux que
Charlot. Mais ma situation empire:
Je me perds dans mes rêveries.
Mon bouvier, j'en suis certain, peut
suivre à la trace chacune de mes
rêveries:  ces bouviers ont tous les
talents, ils servent bien à guider les
aveugles.

Il va donc, un de ces jours prochains, me faire retrouver le fil de mes pensées, le fil d'Ariane, quand je m'égare. Puis, il m'emmènera sur le sentier tout comme je lui fais prendre sa marche maintenant.  Je saurai faire comme lui: m'arrêter net, m'asseoir par terre et attendre qu'il lise dans ma tête ce que je rumine.

mercredi 11 mai 2011

les oeufs pourris

Le grand-père Alexandre vivait à
Joliette, dans une grosse maison
cossue. Sauf l'été:  il déménageait
à la campagne, qui était juste de
l'autre côté de la rivière.  Mes
beaux souvenirs d'enfance, ils
sont enfouis dans le grenier de
cette maison d'été.  On y grimpait
pour y dormir, ou bien pour y
jouer les jours de pluie.

Chaque soir, Alexandre nous
emmenait dans sa vieille chrysler
jusqu'au parc, de l'autre côté du
pont:  on allait y remplir deux
cruches à la fontaine.  C'était
une source d'eau sulfureuse,
froide, jaunâtre, malodorante,
et délicieuse.

Les gens de Joliette en étaient
friands:  il fallait attendre son
tour pour y boire un coup, et
ensuite emplir lentement nos
cruches de vitre brune.

Le cerveau humain est incomparable pour la qualité de ses souvenirs:  ce ne sont pas des mots, mais des sensations qui me reviennent, de cette eau froide, qui sentait les oeufs pourris, et qu'on adorait.

mardi 10 mai 2011

la démesure du fils

C'est trop.  C'est beaucoup trop.
Immensément trop. La réaction
de défense, devant le trop, c'est
de repousser l'assiette, repousser
l'invitation.

Charles était dans son lit, cette
journée-là. C'était dans les
dernières semaines de sa vie.
Après plusieurs amputations
successives, il attendait, avec
patience.

Je pensais bien faire. Nous
sommes comme cela, vous et
moi. Je voulais lui partager un
étonnement devant la grandeur
de l'univers, à mesure que les
télescopes se rafinent, et vont
fouiller des plages, dont les
grains de sable sont des
galaxies.  Des milliards et des
milliards de galaxies, que je
lui avais dit.

Charles avait protesté avec vigueur: ¨ Arrête! ¨  C'était un refus aussi net qu'un cheval qui se cabre. Ce n'était pas de l'ennui de sa part, mais une peur bleue.  Pour Charles, les milliards de galaxies, cet océan à perte de vue, ça le noyait.  Pour lui, ce n'était pas des mots, c'était trop de réalité.  La démesure du monde lui donnait un vertige proche de la panique. Mes belles paroles lui ouvraient un gouffre.  Il voulait bien mourir mais sans être précipité du haut d'une falaise.

lundi 9 mai 2011

les étoiles filantes

Est-ce que vous faites un voeu,
quand passe une étoile filante?
Moi, je ne m'en prive pas. C'est
de la superstition, et de la vraie,
proche de l'horoscope. Mais
on ne sait jamais. L'enfant est
content: pas de blâme.

Je me souviens d'une amie qui
avait jeté aux poubelles son
livre des divinations, le YiKing.
Elle en était arrivé à le consulter
plusieurs fois par jour: elle jouait
pile ou face, avec trois pièces de
monnaie, et construisait un
hexagramme qui lui disait si elle
devait passer un coup de
téléphone à une amie, ou bien
se rendre maintenant à l'épicerie.

Peut-être qu'il existe l'équivalent
des alcooliques anonymes, pour
les fervents qui regardent les
perséides et confient à l'étoile
filante un désir du coeur.

dimanche 8 mai 2011

Où situer le centre de l'univers?

Les braises sont allumées, les
volutes de l'encens montent 
vers le Très Haut , avec nos
prières.  En haut les coeurs...
Élevez vos pensées...

On savait depuis des siècles 
que la terre est ronde. Sa 
circonférence avait été 
calculée par un géomètre
de la Grèce antique, il y a 
plus de 2,000 ans.

Puis on a connu que notre 
système solaire était une 
parcelle d'une galaxie, 
laquelle était une poussière
dans l'univers des galaxies

Pourtant dans notre imaginaire,
toujours il y a un haut et un 
bas, on monte au ciel et on 
descend en enfer. Habiter une 
planète façonne l'illusion du 
haut et du bas

le mieux est l'ennemi du bien

Je pourrais certainement
travailler davantage
chacune de ces petites
écritures. Mais j'ai fait
un choix, en commençant
cette aventure: celui de
publier chaque jour un
dessin et un court texte.

J'essaie de trouver le ton
juste, par essai et erreur.
Le chemin n'est pas tracé
d'avance. Je mets la
chaloupe à l'eau, sans
savoir si j'atteindrai une
île.

Un blog, c'est proche
d'une lettre qu'on écrit
à un ami. Il me reconnaît
mieux si je suis au naturel,
avec des souliers pas trop
cirés.

C'est comme une fréquentation.
Quelqu'un rencontre quelqu'un.

Parfois je souhaiterais que ce blog éclate de rire, ou bien se permette de pleurer. Et puis,
qu'il aie le sourire facile.

vendredi 6 mai 2011

On regarde ailleurs pour un miracle

Il pleuvassait, comme hier soir,
et je m'attendais à voir surgir
tous les escadrons en pointe de
flèche, le déferlement des oies
blanches. Le ciel promenait ses
nuages, mais vides du
jappement des oies.

Enfin, deux misérables équipes
se sont pointées, pour sauver
l'honneur. Il y a des soirs
comme ça, aux rendez-vous
décevants. Et moi qui voulais
connaître le ravissement, une
fois de plus. Vraiment rien à
voir ce soir, sauf les nuages
gris qui se bousculent.

Erreur!  Arrivent cinq ou six
régiments, des centaines d'oies
qui filent à très vive allure,
mais dans le silence...

Une minute plus tard, elles ont
disparu. Charlot et moi, on a
pressé le pas pour rentrer à la
maison.

J'ai pensé au merveilleux d'une première rencontre. ¨Dessine-moi un mouton¨.
Antoine de St-Exupéry se demande s'il a la berlu, avec ce soleil qui lui tape sur la tête.
L'apparition du lendemain fait plaisir, mais sans bouleverser autant que la veille.
Les jours suivants, commence l'apprivoisement qui demande de la patience.
Le miracle glisse vers la normalité, le déjà connu.

Les bourgeons gonflent le bout de chaque branche, c'est bon signe, le printemps s'installe.
Quand je vois le bon signe, c'est que j'ai reconnu le bourgeon, mais sans le voir, sans le
regarder avec l'intensité d'une première fois. Je manque le miracle.

Vous reconnaissez ce filon de pensée: c'est du Krishnamurti tout craché.  J'ai relu trois fois
son petit volume:  La flamme de l'attention.  Une longue rééducation!

jeudi 5 mai 2011

le cadeau de la pluie

il tombait une fine pluie chaude,
si fine que c'était plutôt une poussière
et le pavé mouillé de la rue sentait
fortement une odeur nouvelle, rare,
celle des fleurs des arbres en train de
bourgeonner.

Puis, ces cris groupés, ces appels en
chapelet, qui venaient des nuages de
cette poussière de pluie.  Ils ont
rempli le ciel, les escadrons d'oies
blanches, comme des pointes de
flèche qui se déroulaient à grands
battements d'ailes. On aurait dit
des oriflammes sonores.

Elles disparaissaient vers le nord,
mais d'autres surgissaient, à plein
ciel. À pleine générosité.

On est tous là, à exister ensemble,
quelle aventure, cet univers...

mercredi 4 mai 2011

Le chevalier de l'air

Wikipedia, c'est une merveille, pour
trouver tout ce qu'on aurait dû savoir
depuis longtemps.  J'ai tapé son nom
et j'ai appris qui était mon héros
d'autrefois.

J'avais une quinzaine d'années, c'était
au petit séminaire.  J'avais dévoré la
biographie écrite par Henry Bordeaux
¨ la vie héroïque de Guynemer ¨.
Mermoz, St-Exupéry, Guillaumet, et
Guynemer...  nos modèles de
chevalerie, à la troupe scoute.

C'était le 11 septembre 1917 :
Georges Guynemer avait 22 ans
quand son avion, qu'on nommait
¨le vieux Charles¨,  a été abattu
derrière les lignes allemandes.
Cette date du 11 septembre,
on y est toujours sensible.
Et puis, pourquoi vous le cacher,
le vrai Charles, mon père, est
mort à ce même jour du calendrier.

Dans notre vieille mémoire, celle qui nous est donnée en venant au monde, il y a ces personnages ailés. Chaque fois que les humains se sont donné des histoires, arrivent ces dieux et ces déesses qui vont rapidement dans les airs. Mésopotamie, Egypte, Grèce, et notre Bible:  les anges ailés nous font lever la tête.  Les ailes du désir.

mardi 3 mai 2011

le salut au drapeau

C'était l'époque de l'âme.  Elle était
au garde-à-vous.  Avec tout le sérieux
et toute l'intensité d'une communion.
Mais sans aucune crainte. Sans le
fou-rire. Sans l'excès ou le fanatisme.
Le cynisme ou la moquerie étaient
des inconnus.

Chaque été il y avait le camp scout.
Quelles aventures! Les chefs, sans
être vraiment sadiques, s'ingéniaient
à multiplier les défis et les
compétitions. Ça portait le nom
d'épreuves. Il était question d'acier
trempé, de couteau qui garde son
coupant.

Nous étions quatre ou cinq
patrouilles, selon les années.
Inspections, épreuves de technique,
jeux, tout était prétexte de nous
valoir des points ou d'en perdre.
À la fin du jour, l'équipe gagnante
se méritait d'être à l'honneur le
lendemain.  Et l'honneur, c'était le privilège de hisser le drapeau au bout du grand mât.  Tous immobiles comme des athlètes prêts à prendre le départ d'un marathon.

Je pense bien rarement à ce passé fabuleux, aussi riche qu'un Moyen-Age, avec son code de chevalerie, de courtoisie, de gratuité. Le monde extérieur n'existait pas, aucune distraction ne nous rejoignait, il n'y avait pas de téléphones ou de lettres ou rien qui nous rattache à des absents. Aucun public non plus. Sous  le soleil ou la pluie, et le soir, sous les étoiles. Mermoz, St-Exupéry, comme une tribu intérieure.

lundi 2 mai 2011

je vous le dis, croyez moi

C'est quand même étonnant,
quand on regarde comment
on fonctionne, nous les
humains:  on est croyants à
tout crin. On peut nous faire
avaler n'importe quoi.
Ce n'est pas qu'on soit
inintelligents. J'imagine que
ces vieux primates d'autrefois
avaient un taux de survie
plus grand, s'ils étaient
suiveux.  Un primate qui
faisait à sa tête, au lieu de
suivre aveuglément son
chef de tribu, il avait moins
de chance de faire des petits,
moins de chance de
communiquer cette sorte
d'ADN d'homme libre,
sa force n'était pas gagnante.

Alors je suis crédule, et le
monde autour de moi est
crédule.  C'est notre tendance
profonde:  on prend la parole
de l'autre pour la vérité, et ça
nous dispense d'aller vérifier.

Toute notre éducation fonctionnait ainsi:  il fallait croire, apprendre par coeur, répéter sans manquer un mot. C'était la grande vertu de l'obéissance aveugle. Toute autorité vient de Dieu, et Dieu ne peut pas se tromper. Mais la racine profonde de cette sorte d'éducation, c'est sans doute la très vieille histoire de l'humanité.
À la cour, seul le fou du roi pouvait dire tout haut ce qu'il pensait, sans risquer de se faire couper la tête.  On savait qu'il l'avait déjà perdu.

dimanche 1 mai 2011

Ça prend pas la tête à Papineau

Robert Germain était dans ma
classe, au primaire, chez les
frères de l'instruction
chrétienne.
Le père de Robert, monsieur
Germain, était tailleur.
Quand je suis entré au
collège, il fallait un uniforme
taillé sur mesures:
le blazer en serge bleue,
et le pantalon gris.
Monsieur Germain m'a fait
grimper sur la table,
pour prendre mes mesures.
Il y avait plein de gros rouleaux
d'étoffe dans sa maison. Une
petite maison à droite dans la
côte,  rue St-Georges.

Les uniformes ont disparu,
les ateliers de tailleur aussi.
En fait, presque tous
les métiers ont disparu,
sans faire de bruit.

Les petits ateliers fermaient quand une usine bien outillée venait occuper le territoire.  Puis les usines dont la machinerie se démodait ont fermé à leur tour. Ensuite, les usines bien outillées ont migré vers la Chine.

J'ai vu ainsi partir toutes les tanneries.  Elles ont suivi le même chemin d'évolution... Au début, chaque petit village avait sa tannerie, et l'habitant y apportait la peau de sa vache abattue, puis il suspendait dans le hangar la peau de cuir, pour y tailler les courroies, les souliers. Les tanneries artisanales ont laissé la place aux grosses tanneries très sophistiquées... qui ont quitté pour l'Asie.

On peut sans doute en dire autant pour le bois, pour la laine, pour la vitre,  pour nos meubles, nos outils, et le reste: même les monuments mortuaires!  Alouette, je t'y plumerai.