jeudi 16 juin 2011

Lui et moi

Un vieux bibelot. 
Accroupi, un chinois 
joue de la flûte. 
L’index de 
sa main gauche 
bouche un trou 
de son instrument. 
Sa main droite 
allonge les doigts 
et s’appuie doucement 
sur la flûte, 
comme pour caresser 
le son qui passe.
Il incline un peu sa tête 
de côté. Je me dis : il est parti dans sa musique, celui-là.  Il ne joue pas pour un public, il n’a rien d’un soliste qui performe et s’attend qu’on l’applaudisse ensuite.

Depuis une bonne trentaine d’années j’ai cette statuette blanche. Elle me vient de tante Margot, la sœur de mon père. J’ai regardé sous le bibelot, c’est écrit Japan : mon vieux Chinois devient un moine japonais : avec son petit chignon noué derrière la tête, ça ne peut être qu’un moine. Il porte une tunique épaisse, une sorte de bure, et une veste cintrée par une ceinture. La petite statue a jauni comme si elle était en vieil ivoire. Les plis creux de son manteau ont ramassé une poussière fine qui ajoute une ombre.

D’habitude je jette seulement un coup d’œil distrait au vieux musicien. Pour être franc, je ne regarde jamais. Il est comme en pénitence, dans un coin où je l’oublie. La dernière fois que je l’ai vu, il me tournait le dos, ça ne le dérangeait pas et moi non plus. On est comme des aveugles, lui et moi : on ne voit pas si l’autre nous tourne le dos. Mais ce matin, je l’ai enlevé du fouillis où il disparaissait.
Au lieu de le déménager dans un autre fouillis, je l’ai installé sur la table de la cuisine, nettoyée de toute sa paperasse. Voici donc qu’il occupe seul tout l’espace.




Il joue une musique que je n’entends pas.  Je devine seulement que c’est une note grave, prolongée. Le moine souffle légèrement dans sa flûte. On dirait qu’il applique un long baiser sur un son grave.
Il est confortablement assis, tout droit, absenté dans cette musique qui se prolonge.  Ça ne peut pas durer toujours, cette immobilité. Il va finir par lever la tête vers moi ? Je vais voir son sourire ?
Il va se lever doucement, il va déposer sa flûte et s’approcher de mon chat Waterman pour le caresser. Il va penser à se faire du thé. Il va s’occuper à tisonner un peu le poêle, à rentrer un peu de bois de chauffage. Cette lettre qu’il a reçue, il va enfin la lire et s’installer pour y répondre.

Pour le moment il ne bouge toujours pas. Il est ailleurs, quelque part dans cette vibration d’une note de musique.  C’est un filet d’eau, un petit ruisseau de rien du tout, qui l’emporte. 

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