mardi 24 avril 2012

Intermède. Suite 4: Feux les calumets

On me disait: faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Tout de suite je vois le dessin qu'on pourrait en faire! L'eau du bain, l'eau sale, polluée, c'est le cancer causé par le tabac. Le bébé qu'on jette dans la cuvette, c'est le tabac. En résumé, faut pas jeter le tabac sous prétexte qu'on connait maintenant son incidence sur le cancer.

On perd beaucoup, en crachant sur le tabac comme si c'était la peste en personne. Le tabac c'est nous autres. Faut pas se jeter nous-mêmes dans la cuvette. S'encourager à ne plus fumer? Pas de problème. Mais sans renier notre identité d'enfant du tabac.

Supposons qu'on aurait des parents illettrés, qui nous aurait payé un cours universitaire... Faudrait tout de même pas les regarder de haut, ces parents. À moins que le cours universitaire nous aie enlevé toute jugeotte, on les apprécie. Le parent illettré, c'est notre passé qui fréquentait le tabac.

Ils se berçaient sur la galerie, en fumant leurs pipes, et ça éloignait les moustiques! Ils pouvaient philosopher à leur manière: fumer, ça portait à se donner des silences, ça laissait porter. C'était comme donner un coup d'aviron, et le canot glisse sur la rivière. J'imagine d'ailleurs cette sagesse des amérindiens qui fumaient:  ils ne parlaient pas pour ne rien dire.

C'est bête, l'intolérance hargneuse vis-à-vis ceux qui fument encore. C'est de l'ordre de la culpabilité religieuse fanatique. Ça vient de la peur. Avant il y avait plein d'intolérances, et ça nous colle encore à la peau.

Tout ça pour dire qu'on gagne à connaître notre passé de fumeurs, pour l'aimer. Ce n'était pas un monde de violence, fumer: les amis fumaient ensemble. Le calumet de paix, ça se fumait à plusieurs. C'était pas la hache de guerre.

Et puis on montrait aux enfants comment on pouvait faire monter des beignes de fumée: tout un art! Suivre des yeux la fumée qui écrit son chemin, c'est comme regarder un cerf-volant. C'est du rêve qui fait du bien.

Grand-père Alexandre me laissait me confectionner des pipes: je creusais un gland pour en faire un fourneau, et un roseau servait de tige. Je bourrais cette petite pipe avec des cheveux de blé d'inde, et j'allumais fièrement ma pipe d'enfant. Puis je m'étouffais:  c'était une boucane infecte. Alexandre devait rire.



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