mercredi 30 avril 2014

Sketchbook page 2


Quand j'étais tout petit, on allait (ma soeur Suzanne, ma mère Gabrielle et moi) passer l'été chez mon grand-père maternel, Alexandre Dugas. C'était au bord de la rivière, à la campagne. 

Sur cette page double, Alexandre écoute les nouvelles, l'oreille collée à la radio.  À chaque pause du texte lu par le journaliste (à chaque virgule du texte), mon grand-père ajoute  "ouais".  Quand la phrase se termine, le speaker baisse la tonalité et reprend son souffle.  Alexandre dit " hé ben".  Et cette litanie continue, tout au long des nouvelles communiquées.  

La radio, c'est nouveau dans la vie d'Alexandre.  Il écoute ces nouvelles comme on écoute ce que raconte un ami, au coin de la rue.  Alexandre est en conversation avec le type qui lui parle, à la radio.  Son "ouais", ça veut dire "oui, oui, j'ai entendu ce que tu m'apprends, tu peux continuer, ça m'intéresse".  Le "hé ben" exprime autre chose... Il signifie:  " Tu viens de m'en apprendre une bonne"... ou bien:  " Je vais penser à tout ça, je met ça dans ma pipe".

A gauche de la page dessinée,  la radio.  A droite de la page, la montre du grand-père:  Une grosse "patate", une montre comme celle des contrôleurs de trains, au bout d'une chaîne en or.   Quel lien tisser entre la radio et la montre?  

La radio raconte à Alexandre une histoire, une "nouvelle", un petit roman.  La montre ramène Alexandre les deux pieds sur terre:  l'heure qu'il est, maintenant, dans sa vie.  
La radio informe de l'accident qui est arrivé, (ouais), en expliquant que c'était prévisible, (ouais), vu le mauvais état de cette route à cet endroit, (ouais), et tout le monde blâme le service de la voirie. (hé ben).  Alexandre regarde l'heure sur sa montre... Maintenant: Faut que je fasse attention à cette route, pour pas que ça m'arrive. 

La radio, à l'époque d'Alexandre, elle s'adresse à une personne, elle lui parle vraiment. Ce n'est pas un commérage omniprésent, un environnement sonore comme aujourd'hui. Alexandre écoute la radio comme s'il entendait une confidence:
"Ce qui vient d'arriver dans ma vie, (ouais...) ça m'a affecté, (ouais...) tellement que j'ai besoin d'en parler à quelqu'un, (ouais...)  et je suis chanceux de t'avoir comme ami pour m'écouter." (hé ben)

"Hé ben",  maintenant c'est partagé, je vais voir ce que je vais faire avec ça.  À l'heure qu'il est. À partir de tout de suite. 

Quand je tiens dans ma main cette montre d'Alexandre, elle me dit bien autre chose que l'heure qu'il est maintenant.  Je tiens cette montre du grand-père pour être proche de lui.   La montre du grand-père me tire jusqu'à lui, par dessus un gros paquet d'années.  Un maintenant, jumelé à un autre maintenant. Cette montre a cette magie.

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